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Témoignage d'un ex témoin de Jéhovah (de 0 à 22 ans) autiste Asperger devenu artiste

20 novembre 2017

Généralités, mes caractéristiques, et celles de ce blog

Témoigner de mon passé de Témoin de Jéhovah ... une évidence! Je suis né en février 1973 (astrologiquement, je suis du Signe Poissons, celui du Christ! Et mon ascendant est Vierge... celui de Marie?). Je me suis fait baptisé Témoin de Jéhovah à 17 ans,...
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21 décembre 2017

Mémoire BROUILLON (version longue - 1973-1995 - chapitre 4 : 1989-1992)

Chapitre 4

(1989-1992)

 

 

Ce chapitre débute avec l'année scolaire de 3ème, année où probablement j'écrivis mon premier poème et finit avec l'année qui précède mes premiers écrits littéraires. Le chapitre suivant de même, sauf que celui-ci est plus général, l'autre plus particulier.

 

Entre le 19 et le 22 décembre 1989 eut lieu un de ces événements majeurs de l'histoire mondiale: la Révolution roumaine contre la dictature de Ceausescu. C'était ma première plongée dans l'actualité, combien brûlante. Je n'avais pas encore 17 ans.

S'il m'a tant marqué, et si je m'y suis tant intéressé, moi qui n'aimait rien autant que l'antiquité, ce n'est pas seulement parce que cela faisait écho avec la Révolution française qui se trouvait au programme de 3ème, c'est aussi et surtout parce que j'y vis le signe que Harmaguédon, la guerre finale de Dieu, était proche. Aussi, en proie à une vive excitation, je découpai les journaux et constituai un dossier "rouge" derrière couverture verte.

Ce dossier était sans titre et commençait par une écriture rouge omniprésente tout le long: « Roumanie signifie: terres des Roumains. » Cela était suivi par une carte d'identité du pays (Républica Socialista Roumâna) avec des indications géographiques, économiques et culturelles (religion: orthodoxe à 80%). Suivait une petite frise chronologique intitulée « Politique roumaine tout au long de l'histoire » et allant en fin de compte de la fin du XIXème siècle à la Révolution de 1989. Ensuite, on plongeait dans le coeur de l'événement avec un titre rouge-sang: « Ceaucescu: le dernier tyran!? » suivi d'une photo du « tyran des Carpates » et d'un titre de journal: « Une mascarade: réélu à 100% ». Les pages suivantes montrent les « Conditions de vie en Roumanie » , avec au-dessus des découpures et en face de photos ce commentaire écrit de ma main en bleu: « Le pouvoir absolu d'un même homme depuis tant d'années créer un culte de la personnalité particulièrement néfaste et une situation d'injustice que l'on peut comparer à celle de la Corée du nord. » Les pages d'après font le point sur la « Situation économique »: « Cela ne peut pas durer.  Nous avons trop subi. » Mais, conclusion: « Ils devront attendre encore. »... Suivent, écrit en très gros et en rouge: « La Révolution en direct » avec des découpures du Courrier de l'Ouest, du Ouest France, de Le Parisien, etc. Chaque grande double page est consacrée à un jour. Cela commence le mardi 19 décembre au vendredi 22 décembre. Ce jour-là est particulièrement important: « Roumanie: le dictateur vacille »; « Ceaucescu lutte pour sa survie ». « Les jours de ce régime sont comptés » avait déclaré le président français François Mittérand. Un dessin humoristique de Delestre montrait Mikhaïl Gorbatchev, président de l'Union Soviétique et le président ou ministre des affaires étrangères américain en cow- boy. Ce dernier dit: « Donc je fais disparaître la tête d'ananas ». « Et moi... le fou des Carpates » répond le premier avec son chapeau de fourrure sur la tête. Les titres illustrés de photos se succèdent: « Le tyran est déchu: le peuple roumain a mis fin, hier, à 24 années de dictature barbare mais la joie est amère car le sang continuait à couler hier soir. » (France Monde, avec photo d'hommes d'une joie triomphante à l'appui). « Les Roumains pleurent les morts et fêtent la liberté ». Un tout nouveau maire dit: « Un miracle que je n'ai jamais cru vivre. » Des photos sont légendées: « Les manifestants ont décapité la statue du dictateur. » « Dans la nuit de jeudi à vendredi, les opposants au régime ont envahi les studios de la télévision roumaine à Bucarest. Le poète roumain Mircea Dinescu clame un "Nous avons gagné qui restera célèbre." ». « La joie se lit sur tous les visages... même si, demain, les roumains pleureront des centaines de morts. » « Après le suicide du ministre de la Défense, le général Vasile Milea, l'armée roumaine commence à pactiser avec la population qui s'est soulevée contre le régime. Et de jeunes militaires se joignent au peuple en fête. » « Une rencontre attendue depuis longtemps ». « Dans l'après-midi, le dictateur roumain choisit d'abandonner le pays avec son épouse. Sous les yeux de la foule qui le conspue, son hélicoptère quitte les toits du siège du palais présidentiel qu'il a fait construire à grand frais. Le tyran s'est carapaté! » « Tandis que les combats continuent entre les forces loyales à l'ancien président et la population rejointe par l'armée à Timisoara, à l'ouest du pays, la foule en liesse gagne les rues de Bucarest après avoir appris le départ du "conducator". » Enfin le dossier se clôt sur des « Réactions à travers le monde » suivi, à la double page suivante, d'une photo couleur de Nicolae Ceauscescu et de sa femme avec ce gros titre qui leur est apposé: « Exécutés ». Ils furent en effet fusillés après avoir été jugés le 25 décembre 1989. Ces pages clôturant le dossier comportent aussi ce gros titre: « 70000 morts pour vivre libre » suivi de ces mots: « L'armée et les insurgés contrôlent le pays malgré la résistance de la Securitate. La plupart des chancelleries reconnaissent la nouvelle équipe dirigeante roumaine. » Deux photos closent le dossier: l'une ou l'on voit trois personnages avançant souriants sur fond de tanks. Un militaire avec mitraillette en main est côtoyé à sa gauche par une femme et un homme casqué à sa droite portant tous deux un cartons de guirlandes de Noël. La légende est la suivante: « Ce bonheur nouveau, les Roumains ne parviennent pas encore à y croire complètement. Nous avions oublié ce qu'était le bonheur.  Il faut réapprendre à être heureux", disent les gens dans la rue. » La seconde Photo montre un homme droit comme un piquet au-dessus de la foule et portant presque à l'horizontale un nouveau drapeau roumain: « Alors qu'en certains points stratégiques de Bucarest de violents affrontements opposaient encore l'armée au commandants de la terrible Securitate, la foule, grave et consciente de sa force, envahit la place de la République. Partout fleurissent des drapeaux d'où a été enlevé l'étoile rouge, emblème désormais honni des Roumains.»

Fin du dossier. Le monde avait survécut. Le jour de l'an 1990 passa. Harmaguédon n'eut pas lieu, pas plus que la guerre de Troie selon Giraudoux. Je passerai le cap des dix-sept ans deux mois plus tard.

C'est dans le cours de cette année 1989 que j'avais commencé à m’intéresser à l’archéologie biblique et que j'avais entrepris de longues recherches, jusqu'à élaborer une « frise biblique » richement illustrée. Aussi, je passai un temps fou à essayer de concilier les dates bibliques avec les dates « profanes », celles des archéologues, communément admises par les historiens de la Bible.

Je ne fis jamais autant de soustractions, mon plus grand lien avec les mathématiques qui étaient par ailleurs ma bête noire, mais là il y avait une application utile, bénie des dieux, bénie de mes zigues. La date du début d'un règne soustrait à la date de sa fin donnait sa durée, c'était simple, un jeu d'enfant: Jéroboam (997-976 Av J.C =22 ans). Seulement, c'était là la date biblique déductible de la Bible et notée par les publications. Les dates profanes, elles, étaient pour le même roi (931-910 = 21 ans). Aussi, pour la totalité des règnes des rois d'Israël on avait du côté biblique: 241 années (de 997 à 740) et du côté profane 220 (de 931 à 723.) Comment faire coïncider les deux datations? Comment mettre d'accord le "sacré" et le "profane", c'était là, on peut penser, tout l'enjeu pour moi qui curieusement ne semblait pas dédaigner les dates profanes données par mon grand livre: Atlas du Monde biblique, une mine d'informations pour moi, et qui donnait bien du fil à retordre... Mais quelle passion, quel temps passé pour résoudre ces problèmes ! Moi qui détestait ces exercices de mathématiques appelés « problèmes » ! J'ai perdu ma méthode de conciliation entre les « dates sacrés » et les « dates profane », mais l'un de mes écrits nous renseigne sur une pierre de touche du fondement théorique de la résolution. On lit en rouge (j'écrivais souvent en rouge) à propos du roi Xerxès, cité sous le nom d'Assuérus dans la Bible, et mis en relation avec son successeur Artaxerxès et son antécédant et père Darius aussi présents dans la Bible:

 

« Il y a une grande évidence pour calculer la dernière année de Xerxès et l'année de l'ascension d'Artaxèrxès comme étant 475 avant JC.

« Cette évidence est montrée: des sources grecques, perses et babyloniennes.

« Si Darius est mort en 486 et Xerxès est mort en 475, comment peut-on expliquer que des anciens documents attribuent à Xerxès un règne de 21 ans?

« Il est bien connu qu'un roi et son fils pouvaient régner ensemble dans une double royauté .

« Si ceci était le cas pour Darius et Xerxès, les historiens pourraient compter les années de Xerxès à partir du partage de la royauté avec son père, ou de la mort de son père. Si Xerxès régna 10 années avec son père (Darius à Persépolis et Xerxès à Suse) et onze années par lui-même, les sources pourraient lui attribuer 21 années de royauté pendant que d'autres pourraient lui attribuer 11 années.

« L'historien Hérodote (VII, 3) dit: "Darius jugea favorablement son (Xerxès) appel à la royauté et le déclara roi. » Mais à mon avis, Xerxès n'aurait jamais été fait roi sans l'avis de son père. Ceci indique que Xerxès a été fait roi pendant le règne de son père Darius. »

 

Cette histoire de Xerxès m'occupa un long moment. La preuve dans deux documents,le premier est intitulé «Évidence des sources perses, une co-régence », le second « Évidence des sources babyloniennes ».

En remontant dans mes archives, on trouve un document écrit en noir, lui, et qui est comme un premier jet du premier document cité:

 

« Par conséquent il est nécessaire en accord avec la chronologie d'Alexandrie (Alexandrian Chronicle) de placer la mort de Xerxès en 475, après 11 ans de règne.

« Artaxèrxès commença à régner à 16 ans.

« Si Darius mourut en 486 et Xerxès mort en 475, comment pouvons-nous expliquer que des anciens documents assignent à Xerxès 21 années de règne?

« Il est bien connu qu'un roi et son fils pouvaient régner ensemble dans une double royauté ou co-régence. Si c'était le cas avec Darius et Xerxès, les historiens pourraient compter les annexes du règne de Xerxès, soit à partir du commencement de la co-régence avec son père ou à partir de la mort de son père. Si Xerxès régna 10 ans avec son père et 11 ans seul, les sources peuvent lui attribuer 21 années de règne, pendant que d'autres lui donnent 11;

« Il y a de solides raisons pour penser que Xerxès régna  une partie* de son règne avec son père)

« Hérodote (VII,3) dit: "Darius jugea – » …

 

*En recopiant j'ai fait cet étonnante erreur de frappe, lapsus ?: « une partie de son père avec son père »

N'est-ce pas plus clair?

À noter que c'est derrière mon brevet bleu de 200 m en nage libre que j'écrivis des règnes des rois assyriens (de la première dynastie vers 1816 av J.C à la Crise interne de 824 à 782 av. JC survenu après le Second Empire chutant avec Salmanasar III).

Façon de mêler autrement le « sacré » et le « profane », passé et le présent, sur une feuille volante où se trouve une frise chronologique du règne de Xerxès se lit aussi de ma main un top chansons radiophonique appelé l'Eurotop avec en 24ème position Gun's Roses (non Bon Jovi) en 19 Withney Houston et en 13 Les Innocents, ainsi qu'au dos, sur Frequence I cette fois-ci, en 30ème position Voulzy et son Rêve du pêcheur, en 29 Paul Mc Cartney, en 28 Christophe des Champs, en 21 Michael Jackson avec Heal the World, en 19 Étienne Dahot.

Ça frise le ridicule! C'est la vie!

 

Une visite au Musée du Louvre s'imposait depuis que les TJ avaient publié un fascicule sur l'essentiel de ce qu'il y avait à voir comme preuve de la véracité biblique. Il ne faut pas oublier que si les publications disaient qu'il n'y avait pas besoin de l'archéologie pour que la Bible soit validée, notamment dans ses prophéties, elle était d'un appui à ne pas négliger pour convaincre les incrédules (les gens du monde). Aussi, ils disaient vrai, il faut l'admettre lorsqu'ils disaient que longtemps on a cru que le roi assyrien Sargon, cité une seule fois dans la Bible, en Esaïe 1:1, n'avait jamais existé jusqu'à ce qu'on retrouve son palais à Khorsabad, sur un affluent du Tigre en 1843. Au Louvre, je pus en admirer les colossaux taureaux ailés à face humaines barbues trouvées à l'entrée de son palais. Aussi une autre découverte vint encore redonner du crédit à la Bible. Je pus admirer en "chair et en os ", c'est à dire en "pierre et en inscription" cette fameuse stèle noire de Mésa maintes fois reproduite dans les publications. Je me mis à genou pour écrire par terre les commentaires et j'écrivis, là, dans une excitation toute autre et plus vive que celle vécue par l'actualité roumaine, excitation mêlée de toute ma passion:

 

« Stèle de Mésha, roi de Moab. Inscription phénicienne fin XIXème av J.C. Découverte à Dibon (Jordanie) – dialecte très voisin de l'hébreu – commémore la défaite d'Israël (et ma construction du temple de Kénosh. C'est une authentique page d'histoire que l'on peut confronter avec le livre des Rois – voir II Rois 3: 4-27 »

 

Un principe était aussi à retenir quand il y avait désaccord entre la Bible et l'histoire profane sur un événement: les rois païens marquaient les victoires dont ils se vantaient, masquaient les défaites; les hébreux, eux, reportaient leurs victoires et défaites. À cela on reconnaissait « la Vérité », et le « peuple élu ».

J'étais animé d'une passion si forte que lors de repas avec des invités témoins de Jéhovah je n'hésitais pas à la partager. Dès que j'avais amorcé l'auditoire, je courais à quatre vitesse dans l'escalier et en redescendait aussi vite avec le fruit de mes recherches, un classeur présentant page après page une frise biblique avec des bandes colorées parallèles représentant différents règnes parallèles (ex: Roi d'Assyrie, roi d'Israël et roi de Juda) et qui allaient de la création jusqu'aux apôtres et agrémentés de noms, de dates, d'événements, de photos que je collais ou de dessins que je faisais à main levé d'après modèle, de cartes recopiées avec leurs couleurs et leurs légendes, du texte en rapport avec l'archéologie ou avec un sujet (ex: les instruments de musique dans la Bible) dans la partie haute et toujours titré. Les témoins étaient plus fascinés par mon animation fébrile, par ma surexcitation, que par ma passion en elle-même.

Mais un jour, il y eut une « Semaine Spéciale ». Il s'agissait pour la Congrégation de la venue d'un Surveillant de Circonscription; Celui-ci avait la réputation d'être austère, rude; de fait c'était un ancien de l'armée... J'avais été encouragé par la soeur Annie L (qui avait visité avec mes parents et moi le Musée du Louvre) à montrer à ce Grand Frère aux cheveux blonds, raides et très courts, ma frise.

« – Ne crois-tu pas? dit-il après une moue très fermée, qu'il y a mieux à faire? N'est-il pas plus important aux yeux de Dieu de prêcher? Quel meilleur objectif peux-tu avoir que de te consacrer aux oeuvres utiles? »

Je rougis. Je sortis de la Salle du Royaume pour pleurer au grand air. N'avais-je pas vécu ces paroles comme un viol psychique? Quoi qu'il en soit, ma passion trouva un poison qui mit un frein à celle-ci. Sans approbation de Jéhovah dont ce Frère était pour ainsi dire le plus grand représentant que je pouvais rencontré, point de salut. Le frère imbu de son pouvoir était encore moins de ceux qui pouvaient accorder de la valeur à cet encadré que je fis à la page « Abraham en Égypte » où il aurait put se reconnaître: « Oh les chameaux!... » (tel était le titre en rouge):

 

« Certains ont prétendu que les "chameaux"* domestiques n'existaient pas à l'époque d'Abraham. Toutefois, le professeur J.Free dans son livre Archéologie et Bible history déclare p 170: "Il est présomptueux de rejeter la déclaration selon laquelle Abraham possédait des "chameaux" en Égypte (Genèse 12: 16), car nous disposons de preuves archéologiques telles que des statuettes de "chameaux"

qui datent de périodes encore plus reculées" (ad p 258) »

 

*Cela est bien défendu: les chameaux de la Bible sont les chameaux d'Arabie à une bosse, plus communément appelés "Dromadaires"".

 

Enfin, heureusement pour moi, je trouvai du secours chez des Soeurs, les hommes m'intimidant trop souvent, et je trouvai réconfort dehors par l'une d'elles. Elle mit de l'eau dans le vin, du vinaigre en vérité, et c'est avec elle, l'épouse du loup, il me semble bien, que je fus que je me sentis quelque peu valorisé à travers mes travaux « futiles », et elle m'encouragea tant dans le sens du plus haut dévouement: la prédication, et avec tant de gentillesse, de douceur, que j'en fus touché dans mon être au point que quelques jours plus tard, sous cette nouvelle stimulation, j'écrivis un poème, mon premier, intitulé La pêche aux hommes. L'image n'était pas inventée, Jésus avait dit à un disciple qui avait abandonné ses filets pour le suivre qu'il ferait de lui un « pêcheur d'hommes », mais l'analogie soutenue avec la pêche à la ligne, était de mon cru. En effet, je pratiquai ce loisir, enfant, avec mon père qui m'avait félicité de ma première prise: un bauer ou poisson arc-en-ciel, tout en me disant qu'il était nuisible et non comestible, le laissant donc agoniser sur la rive. Cette pratique ne m'avait jamais quitté. Ah! ces parties de pêche avec mes cousins dans la Vieille Loire à demie à sec, d'où son nom, dans l'Authion avec mon oncle que je l'aurais défendu contre un garde de pêche qui voulait lui coller une amende, mais on l'appelait aussi Tonton Marseillais..., puis à Brain dans un étang entouré de buttes où je pêchais avec mon frère Yann et un copain carpeaux et goujons!

Bref, voici le poème que je lus à la Soeur impressionnée par mon don poétique, mais n'avait-elle senti un haut-potentiel au niveau du langage ?

 

 

 

La pêche aux hommes

 

 

 

 

Munissez-vous de la canne qui est l’œuvre de foi.

Ajoutez-y le fil car il n’y a pas de bon sans l’aide de Jéhovah.

N’oubliez pas l’élastique car la souplesse est un art.

Les plombs et le bouchon équilibrent en toute part.

 

Maintenant, mettez l’hameçon et les vers.

Des vers pleins la sacoche pour attirer les gens.

Et un bon hameçon pour un message saisissant

Quand vous êtes près faites une courte prière

 

Et puis, partez d’un point de vue positif.

Soyez zélés et bien attentifs.

Dans cette tâche mettez toute votre personne.

Car maintenant le temps sonne

 

Dès que vous sentez l’intérêt que porte quelqu’un, ferrez !

Pour ne pas qu’il lâche prise, avec endurance, luttez !

C’est là qu’il faut utiliser toute votre douceur. Ainsi

Aidez-là à rentrer dans la bergerie du réconfort…

Et faites-en aussi, un pêcheur d’hommes zélé !…

 

 

[manuscrit]

 

 

Je ne me souviens pas avoir lu de poèmes en vers qui m'aient inspiré, je ne lisais pas de poésie, la littérature n'était pas conseillée par les Témoins de Jéhovah, et ce n'est que par l'école et le goût de ma mère pour la lecture que j'ai eu accès à la littérature. Mais je ne me souviens n'avoir lu que des romans, j'en ai parlé. Je me souviens vaguement quand même avoir appris une fable de La Fontaine en primaire, et cela suffit sans doute pour donner une idée de la rime, si elle n'est pas quelque chose naturelle en l'homme (en tant que culture héritée). En tout cas, le don était là. L'utilisation de rimes embrassées m'étonne, et encore plus celle d'un enjambement créé, mais supprimant du coup la rime. Me surprennent la hardiesse d'une image comme « vers pleins la sacoche », la correction « bergerie du réconfort » en « récipient protecteur » pour ne pas sortir du thème de la pêche.

 

« Poème spi », comme je le jugerai, j'avais déjà ce don poétique que j'exploiterai trois ans plus tard.

 

 

 

 

 

 

 

Le mot phare de ce poème est «zèle », et c'est avec ce zèle que la nouvelle Salle du Royaume avait été construite par ses membres quelques années auparavant. J'y avais un peu participé avec mon ami Samuel.

 

C'était cette Salle flambant neuf qui accueillit aussi pour la première fois des Frères et Soeurs anglais. Un événement! Il y eut pas moins de six frères et Soeurs qui vinrent en peu de temps, habitant une petite ville côtière du nord-est de l'Angleterre. Les trois premiers arrivants furent un couple, John et Moira, suivi d'un ami célibataire du nom de Phillip et dont le nom de famille contenait le mot pet et sonnait comme une bouteille de champagne débouchée. Il était grand et était un vrai clown. Il pouvait faire balancer ses triceps par une contraction mystérieuse, et de même faire osciller une oreille aussi aisément qu'un doigt. Lorsqu'il joua au foot torse nu, je fus impressionné par le tatouage qui lui couvrait le dos, un très beau tatouage d'ailleurs, un papillon. Cela aurait pu être pire. Il aurait pu avoir une couverture démoniaque d'Iron Maiden... Il ne pouvait, expliqua t-il, malheureusement pas l'effacer. Il l'avait fait faire avant de connaître "la Vérité". Quant à son ami John, il était un roux, plus petit, frisé, plus sérieux, mais d'une douceur et d'une pudeur touchante. Il était marié à une véritable poupée, une belle blonde aux cheveux bouclés et qui était un rayon de soleil, et de la douceur du miel. John, c'était le roulis d'un ruisseau, Phillip la vie dynamisante d'un torrent. Moira, la lumière embrassant aussi bien ruisseau que torrent, bien que différemment... C'est à John, le timide, ou le réservé, que j'offris un dessin: une tête de tigre rugissant et peint à la gouache.

 

Eric se lia d'amitié à eux et il repartit avec eux en Angleterre.

 

Nos parents les avait aussi invité à une soirée dans leur foyer avant ce départ.

 

Pendant ce voyage de son grand frère, Paul lui envoya une carte postale qui évoque entre autres un contexte dit plus haut:

 

 

 

« Cher frère Eric,

 

« Je t'envoie cette superbe carte non pas de Paris mais de Brain. Je pense que tu t'éclates à cours de souffle en Angleterre. La visite de Paris était très bien, dont la visite du Musée du Louvre qui nous a tous émerveillé. Annie était très contente et nous avons beaucoup rit (métro). Annie a parlé anglais à Paris (pas besoin d'aller en Angleterre!) J'imagine qu'Emmanuel est lui aussi très joyeux là-bas. Maman a trouvé du travail pour l'instant (elle s'occupe de mémés). Elle est très contente. Comme je te disais, le Louvre était très bien. Annie a pris des photos, mais en plus nous avons rencontré deux jeunes soeurs de peau pendant cette visite. Entre parenthèse: (des canons!). Nous avons été à Mazé pour le Mémorial àcause des nuits à papa. Aujourd'hui, c'était ma première journée de boulot. Mes impressions!?... Plutôt content. Température idéale, ambiance sympa, pas trop fatigué après 8h1/2 de travail (une demi-heure de plus). Il y avait deux filles qui ont déjà travaillé avec toi (Lecomte-Simon), plus un gars. Pour ma paye, à toi de découvrir, elle sera sur l'enveloppe. Bonne nuit. Je... je... RRRR. PI! CH ZZZ! Ça y est! Fin de la 2ème journée de travail. Fatigante mais réconfortante. Et j'ai ma paye. Je suis content. PFFF! Je n'ai plus de place. Allez au revoir, éclate-toi bien.

 

« Donne mes salutations à la congrégation et de la famille (si tu veux). Je pense beaucoup à l'Angleterre. J'ai vraiment hâte d'y aller. C'est si bon! Je suis content de travailler pour ça. Ça me motive, tu comprends.

 

« Apporte aussi tout mon amour pour Simon et ses parents. Je pense beaucoup à eux. J'espère qu'eux aussi pensent à moi. « Demande à Simon de m'écrire, s'il veut bien.

 

« Hello Emmanuel!

 

« Hello Phillip and John + Moira.

 

« Stéphane. »

 

 

 

Cette carte postale montrant Paris la nuit (Tour Eiffel, Notre Dame, etc) contient un grand coeur rouge tracé par-dessus l'écriture à l'encre bleue (suivie de rouge et de vert) et fut signée par ma famille.

 

 

 

Pendant les vacances de printemps, je travaillai en effet pour la première fois, en pépinière, afin de financer des vacances d’été en Angleterre dont je reparlerai, ainsi que de la correspondance liée.

 

Mais ce printemps a un événement clé. Celui de la réponse à une lettre que j'avais envoyé à mon grand-père du côté de ma mère, lettre hélas perdue, mais la réponse donne une idée du contenu:

 

 

 

Saint-Malo, le 13 avril 1990:

 

 

 

« Cher Stéphane,

 

 

 

« C'est avec grand plaisir que j'ai reçu ta lettre, et aussi surprise!

 

Je ne me faisais pas idée que tu avais 17 ans. Tu vois, moi, je me sens prendre de l'âge, mais je ne me fais pas à l'idée que mes petits enfants puissent grandir, et pourtant...

 

« Non, je ne suis pas Prof d'Orthographe ni de littérature comme tu le dis, mais c'est vrai, je lis beaucoup, je devrais dire toujours, tout ce qui passe à ma portée, je le lis. C'est une vraie maladie, mais une maladie qui est bénéfique.

 

« Ce que je lis? Eh bien, j'ai des préférences, bien-sûr: les livres instructifs, sur les anciennes civilisations, tout ce qui touche à la faune, l'irréel, ce que l'on croit impossible, l'aventure avec un grand A. Quand j'étais plus jeune, j'aimais beaucoup les romans policiers et encore plus jeune... les BD: qu'est-ce que j'ai pu en dévorer... Des milliers... Je me cachais pour les lire, les parents n'ayant pas le même engouement que moi pour ce genre de littérature. Maintenant, ça m'arrive d'en regarder quand j'en trouve un sur mon parcours, mais superficiellement. Par contre, j'aime beaucoup moins écrire.

 

« De qui tu tiens? Tu sais, il y a forcément un petit quelque chose de moi que vous avez attrapé, un genre de virus – ça s'appelle l'atavisme; et dans le fond, ce n'est pas pour me déplaire; j'espère seulement que vous n'avez pris que le bon.

 

« Tu t'intéresses à l'archéologie! C'est bien, tu sais, il faut beaucoup de goût et de patience et une grande connaissance des coutumes anciennes et goût des fouilles souvent fastidieuses. Il existe des associations qui offrent des possibilités aux jeunes.

 

« Ce que j'ai lu avec un peu moins de plaisir, fait que là j'ai bien peur de ne plus être le Papy sympa que tu penses: tu me dis être d'accord sur ce que je pense des religions. Ce n'est pas les religions que je critique, car chacune d'elle pense détenir LA VERITÉ, cette Vérité que personne ne détient, ni ne détiendra jamais. Les principes de ces religions sont tous bons. Ce que je critique et que je n'aime pas ce sont ceux qui les représentent, car ils n'appliquent pas les concepts, ils les utilisent à leurs profits, mais pas dans le bon sens. Ils sont malsains, cupides et dépourvus de morale. Et là je suis d'accord avec toi.

 

« Ce qui me gène, ce sont tes propos. Tu me fais penser aux Musulmans qui trouvent que tous ceux qui ne sont pas Mahométants sont des chiens, des infidèles, des porcs se roulant dans leurs excréments, etc.etc.* Et là je ne suis pas d'accord.

 

 

 

* NDA : Il s'agit là d'une description de l'extrémisme religieux tel qu'on la connaîtra vingt cinq ans plus tard, mais qui n'a pas grand rapport avec l'Islam. Mais dans les années précédent de peu la vague de terrorisme évoquée, j'ai connu un musulman qui tout comme moi avec mon grand-père faisait du prosélytisme auprès de moi avant même qu'il se radicalise...

 

 

 

« Pour moi, toutes les idées sont respectables. Chacun est libre de ses pensées du moment qu'il n'essaie pas de les imposer aux autres.

 

« C'est vrai que, comme tu le dis, je m'exprime toujours avec naturel (en bon ou en mauvais d'ailleurs). J'ai un caractère très entier et ne m'embarrasse pas de mots inutiles quand j'ai quelque chose à dire, ce qui m'a valu bien des fois des ennuis; c'est aussi après mûres réflexions, ce dont tu devrais t'inspirer pour ne pas dire n'importe quoi.

 

« Chacun est libre de s'asseoir avec d'autres pour échanger ses idées ou rester seul et les garder pour soi. Il ne faut jamais avoir de HAINE envers quiconque, même si ce quiconque ne partage pas tes idées. La HAINE engendre la HAINE et n'est pas digne d'un être humain.

 

"HUMAIN: veut dire compréhension et tolérance, sociabilité et harmonie avec tous les caractères de l'homme. Je sais, certains ne respectent pas les règles, mais ce n'est pas une raison pour en faire partie.

 

"Ceci dit, cher Stéphane, ne crois pas que je sois un ronchon ou un vieux jeu. J'ai gardé un caractère très jeune, d'où l'insouciance s'est retirée – c'est l'apanage de la jeunesse –, mais j'aime la fréquentation des jeunes; je me sens très près d'eux, à ce point qu'il y a quelque temps avec ta Mamie, nous avions été convié à un repas de personnes du 3ème âge. Si tu savais ce que je me suis fais suer, de voir tous ces vieux visages autour de moi, cette ambiance et ces chansons d'un autre âge, à croire que toutes ces personnes se complaisaient dans leur état de vieux. J'aurais préféré, si j'étais en bonne forme, aller dans une BOUM. Si bien que j'ai dit à Mamie que je ne retournerai jamais avec les vieux. Elle voulait m'entraîner dans un voyage organisé: très peu pour moi!

 

« J'espère que quand vous viendrez, nous pourrons aller nous promener; il y a de très bons coins à visiter. C'est toujours un peu venté, mais on s'y fait. Je ne te promets pas d'aller me baigner, mais toi tu pourras y aller avec tes frères et soeurs, à moins que tu n'aies peur de l'eau.

 

« Je vais terminer ma lettre car j'ai le poignet qui commence à faiblir, surtout en une seule fois... Je n'ai pas l'entraînement voulu. J'ai commencé une lettre pour ta maman, mais je suis obligé de m'y reprendre à plusieurs fois. Tu lui dis de patienter, peut-être la lui apporterais-je moi-même à l'allure que je lui écris.

 

« Si tu veux écrire, ne te gène pas, je serai toujours content de te lire.

 

« Mamie se joint à moi pour vous embrasser TOUS.

 

"Ton Papy (pas Mougeot)"

 

 

 

Je ne dirai rien des sentiments qui me traversèrent en lisant et relisant cette lettre.

 

On peut apprécier sa qualité et forcément de l'homme un peu aussi, malgré des fautes commises...

 

Cette correspondance n'eut pas de suite. J'avais reçu une leçon et en étais offusqué.

 

Pourtant, combien de fois je la lus, et surtout lorsque je voulais quitter les Témoins de Jéhovah et même une fois libéré ! Elle pourrait s'appeler « Lettre à la tolérance »à l'instar de Voltaire dont je ne connaissais que Zadig, étudié au cours de l'année avec mon fameux prof de français. Mais cette lettre, j'en prendrai conscience un jour, était celle d'un traumatisé de guerre. Comme je l'ai dit, mon grand-père maternel a fait la guerre d'Indochine, qu'on a appelé «la sale guerre »... qui eut lieu juste à la suite de la seconde guerre mondiale, entre 1946 et 1954, à laquelle succéda la seconde guerre d'Indochine, dite la guerre du Vietnam qui sévira entre 1955 et 1975, mais d'où la France sera absente, et pour cause, elle fera la guerre d'Algérie de 1954 à 1962... La guerre s'était seulement déplacée, ce qui n'était pas mal pour le sol de la France, mais elle était là en continue de 1939 à 1962. Mon grand-père n'était pas qu'un traumatisé de guerre, il l'était de la vie. Entre les atrocités de la guerre qu'il ne pouvait raconter et les maltraitances de la marâtre des enfants de son premier mariage, dont ma mère... En eût-il connaissance ? Ne se sentit-il pas impuissant en ce cas ?

 

 

 

Mais revenons à mon histoire, relativement heureuse par rapport à celle de mon grand-père.

 

La première correspondance que j'ai entretenu fut celle qui s'entama très peu de temps après avec le tout jeune anglais Simon, un fils de Témoin de Jéhovah venus comme une seconde vague d'Outre-Manche dans notre congrégation. Simon était mon cadet de plusieurs années, mais je m'entendais à merveille avec ce gosse pétillant, quelque peu espiègle, au visage plein de santé, rosé d'un charme bien english que des cheveux ambrés et coiffés en brosse rendaient "cool" et "in".

 

Ainsi, eu-je l'occasion de m'exercer en anglais et constatai avec joie des progrès considérables dans une langue où je me ramassais une moyenne de huit sur vingt au collège.

 

J'envoyai une première lettre après le retour de Simon en Angleterre en mai, lettre adressée aussi à ses parents avec qui j' avais aussi partagé de bons moments.

 

 

 

"Hello! Simon, Hello Eilen and John!

 

 

 

"Comment vas-tu! Je suis très heureux de t'écrire. je pleure, je pleure encore, deux heures après ton départ. C'est très dur pour moi. Tu me manques. Les choses seront mieux après. Ne t'inquiète pas. J'aimerai être prêt l'année prochaine, mais je sais que je dois attendre encore et encore. J'espère que je vais trouver un travail pour aller en Angleterre. J'espère! Je pense à John- Eilen et toi.

 

"Merci beaucoup pour votre gentillesse. Merci beaucoup pour tous les repas – c'était très bon. Eilen! Tu es une très bonne cuisinière! John, tu es un très bon clown! (excuse-moi) Et SIMON! Mon ami! Tu es un très bon garçon! En somme! Vous êtes une très bonne famille!

 

"Thank you! (No thank you. Répète après moi. Thank you. Très bien – très bien. Maintenant, répète: Merci beaucoup – Meci beco – Non! Merci beaucoup. Merrrrrrci beaucoup – Très bien! Bon allemand!).

 

"Je pense à ce souvenir. J'essaye avec joie de jouer au Puissance 4. Je ne peux pas. Désolé Simon. Je suis en France, tu es en Angleterre. Au téléphone peut-être!

 

"Tu n'aimes pas Puissance 4. Tu es fou de Puissance 4. J'aime rire; Je dois rire maintenant. Rire ou essayer!?

 

"Tu es très formidable! Je ne t'ai pas oublié. Écris-moi bientôt. Très bientôt, s'il te plaît. Pour moi. Merci.

 

"Au revoir Simon! Au revoir Eilen! Au revoir John."

 

 

 

Il y a des choses que les lettres ne disent pas. Qui pourrait deviner que Simon était un refuge, une consolation, que juste après son départ je dessinai une femme, Brigitte Bardot, qui laissait deviner dans une revue offerte par Simon ses formes aguichantes et que je ne pus résister à déshabiller sur papier, et qu'après cette impulsion je culpabilisai, pensant être impur et ne plus être digne de devenir « Proclamateur Non Baptisé » comme je m'y préparais et qui était l'étape d'avant le baptême?

 

Si je ne prenais pas le soin de dire ce que la lettre ne dit pas, personne n'aurait pu deviner la charge émotionnelle qui se cachait derrière.

 

Souvent, pour la connaissance d'un écrivain, on ne croit devoir s'en référer qu'à ce qu'il a écrit ou dit. Si une chose probable n'est pas écrite, on la qualifiera de spéculative. Ainsi les rimbaldiens seraient sans doute étonnés si Rimbaud faisait aujourd'hui pour son oeuvre et sa correspondance surtout ce travail que je fais avec la mienne.

 

 

 

Voici à présent ma seconde lettre à Simon, sur papier bleu, et dont manquent les deux premières pages mais on y apprend que la rencontre eut lieu avant novembre 1989, donc bien avant ce que j'en ai dit plus haut (l'erreur est archi-humaine). Écrite en anglais aussi, mon anglais frenchy, je traduis:

 

 

 

« Salut Simon ou plutôt re-salut! 

 

« Comment vas-tu. C'est encore Stéphane. Tu m'as téléphoné jeudi 2 novembre (Jeudi = thursday. Jeudi, friday, Saturday, sunday, monday 6th, tuesday, wednesday, thursday! OUF! Bah oui (yes), je n'ai pas encore envoyé la lettre. Désolé, Simon! Excuse-moi, s'il te plaît, s'il te plaît Simon. J'étais et je suis très occupé moi-même. C'est Semaine Spéciale (dans l'Assemblée de Circonscription). Je ne sais pas si tu comprends. C'est un bon programme spirituel, mais ce n'est pas encore fini. J'ai placé une brochure: "Doit-on croire à la Trinité". Je suis très heureux. Comment est l'école pour toi. Pour moi, c'est bien. Je voudrais être opticien (job = métier) en lunettes.

 

« C'est triste. Tu sais, j'aimerais venir à Hartlepool. Je voudrais te dire: Oui! Je viens en Angleterre! Mais je dois être sûr.

 

« Je travaillerai en avril (pour argent) pour payer ce voyage. Ne sois pas triste. Je ne veux pas que tu sois triste. Sois heureux. Comprends-tu? Je suis désolé! Reprends courage. Je n'ai pas dit que je ne reviendrai pas à Hartlepool. J'ai seulement dit que je n'étais pas sûr. Mais j'aimerais venir. Ne te fâche pas. OK! Mais tu seras pour toujours mon ami. »

 

En français:

 

"Si tu me comprend pas, je pense que John et Eilen me comprendront. Je vous aimes! TOUS.

 

"Au revoir mon ami. Bye bye!"

 

 

 

Il paraît ici clair que Simon vint en France en été ou automne 1989, que je lui parle d'un coup de téléphone donné en il y a peu de temps en novembre (date de la lettre) et que je nourrissais le projet de me rendre en Angleterre l'année suivante, après le travail de financement au printemps.

 

Pour mon choix de métier, il changera, mais ferai mon premier stage en optique, il est vrai. Curieux choix, mais peut-être était-ce le côté méticuleux qui me plaisait, le sens du détail, de l'observation, de l'analyse qui sont mien. Il est possible que je fus surtout influencé par le conseil d'une fille à la rencontre de laquelle sera consacré le prochain chapitre et que je devais avoir déjà rencontré alors, ce qui n'est qu'une une hypothèse.

 

Enfin ! Simon me répondis par cette lettre que je traduirai encore directement de l'anglais:

 

 

 

« Cher Stéphane et famille,

 

« Merci pour la lettre. J'étais heureux de recevoir des nouvelles de toi. J'ai beaucoup aimé. Ça m'a fait rire. Merci pour les cadeaux. J'espère que tu es heureux (Sois heureux). Sur le chemin du retour, nous avons passé un bon temps à Paris en haut de la Tour Eiffel. Je suis allé à l'avant de l'avion. Le pilote m'a laissé allé voir la table de contrôle. J'ai aimé la France. J'ai aimé ta famille. Donne leur mon amour, plus Eric. Piloter l'avion était TREBIAN. Ok. It was right. It was good. Répète: ou Very good! Ton anglais est très bon.

 

« J'aime que tu viennes chez moi bientôt en Angleterre.

 

« Ovare à toi et à ta famille.

 

« Ton bon ami Simon. »

 

 

 

Il n'attendit pas longtemps avant que je ne lui réponde par cette autre lettre (je convertis de l'anglais en français pour la majeur partie):

 

 

 

" Hello! Simon and my Friends!

 

"Cher Simon, merci beaucoup pour ta lettre. J'étais très heureux de recevoir des nouvelles de toi; Merci encore et encore. Tu es un ami rapide (a fast friend). Merci pour tes cadeaux. Maintenant, je t'écris avec le bracelet (Liverpool). Quand je sens le bracelet, je sens ton parfum. Je l'aime. Les livres d'animaux (que tu m'as donné) sentent le même parfum. Marrant!

 

« Questions au fait (français) Comment est ta chambre?

 

Je suis heureux pour toi que tu aies conduit l'avion, c'est super!

 

Veux-tu jouer à Puissance 4? Ce n'est pas impossible. Tu penses: Stéphane est fou! Non, ne t'inquiète pas. Bien. Nous pouvons jouer à Puissance 4 sur le papier. Avec ta lettre tu as un papier. Il y a un carré avec des carreaux (tiles). Quand tu joues, tu peins en jaune. OK. Tu comprends? Tu as 30 secondes pour jouer (you have 30 secondes for play) parce que sinon c'est facile (because or else it's easy). Quand tu as joué, tu peux rejouer. OK. Bien! Moi j'ai déjà joué. [Dans l'année présente, tu dois m'envoyer en moyenne trois lettres. Trois lettres par mois, c'est beaucoup! Veux-tu?] De même, si nous ne finissons pas le jeu, c'est bien.

 

« Il y a une photo récente dans la lettre. Je n'ai pas de photo récente de la famille. Désolé! As-tu une photo de ta famille? Peux-tu me la donner? Si tu n'as pas, as-tu une photo de toi (Simon)? « Peux-tu me la donner? S'il te plaît. Merci. Ok.

 

« J'aimerais que nous nous écrivions souvent. OK. Bien.

 

« J'aime ta famille aussi. Donne-leur mon amour aussi. Écris-moi vite. Une grande lettre. OK. Merci.

 

« Je finis cette lettre.

 

« Au revoir mon bon ami Simon et famille (good bye, my good friend Simon.

 

« Ton bon ami français Stéphane.

 

 

 

« Mon Frère. (My Brother). »

 

 

 

Bientôt dans la boîte aux lettres de la famille où nous allions souvent chercher le courrier, je trouvais avec bonheur cette lettre de Simon en réponse de la mienne :

 

 

 

« Heloé Paul! Comment vas-tu? J'ai aimé ta lettre; c'était drôle. « J'espère que tu es content d'avoir mes photos. Mon frère Christopher est grand, n'est-ce pas? Il chausse du 12 en chaussures – grand pieds!

 

« Comment va ta famille? Mes parents t'envoient tout leur amour. « J'ai eu un contrôle à l'école, mais c'était dur. Mais je l'ai fait. Comment est l'école pour toi? J'espère que tu pourras venir chez nous l'année prochaine. J'aimerais vraiment beaucoup que tu viennes. Nous pouvons jouer au Connect 4

 

« Gentiane est très heureuse, elle te remercie pour la lettre.

 

« Mon papa et ma maman te remercient aussi.

 

« Nous avons passé du bon temps avec toi, tout le temps en France. Je me rappellerai toujours, tu étais très drôle.

 

« Combien de temps tu viendras? Pour six semaines.

 

« Au revoir maintenant, mon ami.

 

« Ton bon ami Simon.

 

« PS: Mon frère est celui avec les lunettes. »

 

 

 

Voici à présent la première lettre de ma part qui soit datée et qui laisse deviner un long temps d'attente des lettres de Simon entre la fin de l'année 1989 et la première moitié de l'année 1990. J'avais trouvé comme voulu au printemps un travail, pistonné par mon oncle Mich travaillant en pépinière. Je pus payer mon voyage:

 

 

 

« 23 juin 1990 -

 

« Bonjour mes chers amis (Simon, Eilen, John, Christopher)

 

Je suis très très (...) très heureux de vous écrire parce que je viens vous voir très bientôt. Je vous écris aussi; merci pour les agréables et gentilles lettres que tu as écrites de ta propre main (très bien!) Je suis désolé de t'écrire si tard. Aussi, je suis terriblement désolé parce que je peux venir que 4 semaines. Je ne peux venir pour 6 semaines parce que je travaille du 13 août jusqu'à la fin du mois. Mais ne t'inquiète pas (sois heureux – Chanson Be happy), nous passerons de bonnes vacances. Très très bonnes. Nous irons à la piscine, nous jouerons au football, nous jouerons à Puissance 4 (Connect 4), nous rirons, nous chanterons, nous irons aux réunions, nous prêcherons, nous passerons vraiment de très bonnes vacances.

 

« Nous partirons d'Angers le 9 juillet. Nous resterons trois jours à Londres pour visiter les endroits célèbres et nous arriverons le 13 juillet à Hartlepool.

 

« J'attends avec impatience de te voir.

 

« Maintenant, au revoir tous mes amis.

 

« Au revoir Simon, Eilen, John et Christopher.

 

« Et bonjour à Gentiane.

 

« Bye all my love (Au revoir, tout mon amour)

 

« Stéphane.

 

« PS: Mes parents remercient beaucoup tes parents pour leurs cadeaux. C'était très bien. »

 

 

 

N'est-ce pas que j'ai l'air très zélé? Il n'a pas l'air malheureux pour un sou d'être "Témoin de Jéhovah", le Stéphane. On voit dans cette lettre comme j'étais content d'apprendre que j'avais placé un périodique! J'étais « spirituel », m'efforçais de l'être, et la rencontre de Simon était un tel bonheur que j'avais du coeur à l'ouvrage. Et bien du courage. De là à dire que j'étais un témoin de Jéhovah heureux ! Disons que les réunions et la prédication étaient notre lot hebdomadaire pour ne pas dire quotidien. Aux réunions, on faisait ce qu'on peut pour ne pas s'ennuyer. D'ailleurs j'ai une croustillante anecdote, celle de moi essayant de dire pendant un discours à Simon que j'ai envie de faire pipi. Il dit «wiwi », moi répondant « oui oui », la même balle renvoyée plusieurs fois avant de comprendre que pipi se disait « wiwi » en anglais, et je ne pus réprimer un rire, et lui aussi.

 

J'étais encore dans l'enfance (qui transparaît dans mes lettres comme dans celles de Simon plus enfant que moi), à la lisière de l'adolescence. On a vu se profiler celle-ci avec des dessins coquins qui ont provoqué en moi beaucoup de culpabilité, trop peut-être pour être un témoin de Jéhovah heureux.

 

 

 

 

 

Je reçus enfin cette dernière lettre de Simon avant mon départ pour l'Angleterre:

 

 

 

« Hello, et en français "bonjour". J'espère que tu es content (glad) d'avoir des nouvelles de moi. J'étais content d'avoir des nouvelles de toi. Je suis content que tu viennes en juillet. Tu peux rester dans ma maison. Nous te prendrons en dehors et nous dormirons dans le grenier. Nous passerons du bon temps. Nous irons nager, nous jouerons au football. J'espère que tu es content des bonbons que nous t'avons acheté.

 

« J'ai hâte de te voir. Simon, ton ami. »

 

 

 

Moi aussi j'avais hâte de le voir mon ami.

 

 

 

 

 

En juillet 1990, après avoir travaillé en pépinière, ma première expérience professionnelle, argent en poche, je partis enfin en voyage en Angleterre avec mon frère Éric et un ami à lui, Témoin de Jéhovah cela va de soi. Invité par mon ami Simon (prononcé "Saïmone") j'hébergerais chez ses parents tandis qu'Eric et Emmanuel hébergeraient chez des amis à eux, ceux qu'ils avaient rencontré l'année précédente et qui étaient venus passer un séjour dans notre congrégation.

 

Avant de passer à mes lettres écrites en Angleterre, j'aimerais faire part de quelques poissons-souvenirs parmi lesquels des anecdotes amusantes:

 

 

 

Réveillé dans le train pour prendre – première pour moi – le Fairy Boat traversant la Manche: je me mets à brailler sous le coup du réveil en gesticulant devant des passagers amusés et deux amis (dont mon frère...) morts de rire plus que de honte!

 

À Londres, tous trois sommes hébergés chez un Frère, ami d'un des hôtes d'Hartlepool. Premier soir, je vais aux toilettes et en ressort la mine déconfite. Je ne sais pas comment l'annoncer. Je vais vers Manu plutôt qu'Eric.

 

  • Qu'est-ce qu'il y a? T'en fais d'une tête!

  • Viens voir... fis-je confus.

 

Manu entre dans les toilettes, voit et rigole, Eric entend et rejoint la compagnie et il voit dans l'eau de la cuvette: un rouleau de PQ... Les rires fusent. Dédramatisation. Ouf! L'hôte anglais est mis au courant; il rit lui aussi.

 

Le lendemain, les trois français se promènent dans les rues, il n'y a qu'une seule crotte sur le trottoir et c'est Stéphane qui s'y met...

 

Le lendemain, les trois français ont rendez-vous, ils sont pressés, mais il y en a un qui a faim. C'est moi. Aussi s'arrêtent-ils dans une boulangerie. Je mange vite mon gâteau, pressé par les deux autres qui me sèment, mais moi: "Attendez!", voulant me débarrasser de mon papier collant, j'accoure vers une poubelle et me ramasse la tête par terre devant celle-ci...

 

Arrivés à Hartlepool, j'appris que Simon avait les Chicken's pox (littéralement boutons de poulet) désignant la contagieuse varicelle. Je suis hébergé en attendant mon rétablissement, c'est à dire environ trois jours, chez une autre famille TJ. Les deux enfants sont assez laids, avec plein d'acmé, mangent des cochonneries, la fille, un beau brin de laideron, est à moitié amoureuse de lui, les deux frères et soeurs sont fatigants. J'ai hâte de partir malgré l'hospitalité manifeste de la famille. Mais, pour remercier, avant de partir, je laisse une petite somme. Et ce n'est pas un euphémisme.

 

  • T'as laissé de l'argent? s'enquiert son frère.

  • Oui, 22 Francs.

 

Eric et Manu sont pliés de rire et plaisantent. Plus tard, ils feront de la BD avec les illustrations de la Tour de Garde. Du genre de ces bulles: « Combien coûte votre périodique? » dit une personne à qui l'on prêche. Le TJ répond: « Oh seulement 22 Francs! » Ou encore: « Tu peux loger chez moi, dit Abraham représenté. – C'est combien? dit son invité. – Seulement 22 Francs! répond le Patriarche.

 

Un jour, Eric et Emmanuel me charrièrent en me disant qu'ils avaient trouvé une fille pour moi. L'une était svelte, avait une superbe silhouette, une longue chevelure soyeuse, mais vue de face, c'était un laideron; l'autre avait un visage très beau, mais son corps était énorme. Je devais choisir.

 

« À elles deux, elles feraient une superbe femme! » conclurent-ils en se marrant.

 

No comment.

 

 

 

Passons aux lettres:

 

 

 

D'angleterre, Paul écrivit à sa famille:

 

 

 

"Bonjour tout le monde,

 

Je passe encore de très bons moments ici, et aussi de bons souvenirs de Darlington où habitent John et Moira qui sont vraiment sympa. Là-bas, nous avons pique-niqué le long d'un cours d'eau. Nous y avons joué au foot (j'ai mis 4 buts), et après je me suis baigné dans l'eau très froide du cours d'eau et j'ai fait un petit peu de Base ball. Le lendemain, la Salle était le matin à 10h après nous avoir invité pour manger et nous avons fait des jeux. C'était sympa et nous à donné d'autres idées, d'autres jeux pour les prochaines soirées jeunes ou soirée vieilles (joke!). Hier, dimanche, nous sommes revenus à Hartlepool. Après cette soirée, nous sommes allés chez John et Eilen où nous avons vu chez Gallowich (famille TJ d'Angers) et Gentiane. Ils sont heureux d'être ici, mais ne comprennent rien du tout. Déjà moi, bien que j'ai fait 5 ans d'anglais, c'est difficile de comprendre, alors eux... Heureusement qu'ils hébergent chez Gentiane et heureusement qu'Anne a toujours sa langue pour parler en français, sinon, je crois qu'elle en mourrait au bout de deux jours. Sinon, aujourd'hui, je pense qu'on va aller à la piscine et au patinage. À Darlington, nous avons pris connaissance de jeunes et ils viennent dans notre congrégation en septembre (début). Le temps n'est pas très beau mais il ne pleut pas. J'ai appris que papa s'est coupé à la main en tombant de mobylette. Heureusement que ce n'est pas grave. Samedi, nous avons mangé du John's curry*; c'était bon de goût mais ça crachait, c'était trop fort pour moi. J'ai quand même arrivé à terminer. J'ai hâte aussi que le mariage arrive.

 

* Poulet au curry

 

Dites bonjour à tous nos chers, à Danièle et Odile. Aujourd'hui mardi, nous sommes allés au Musée d'Hartlepool. Il était très beau. Demain, nous allons à York (un village) avec Eric, Manu, moi, la famille Gallo et la famille Davey. Maintenant je vous quitte en vous envoyant tout mon amour.

 

Stéphane

 

PS: Je ne suis pas sûr que vous recevrez la lettre avant que j'arrive.

 

 

 

L'intérêt principal de cette lettre est dans la mention première de Danièle et sa fille Odile.

 

Pourtant, parmi mes amis, c'est à celui d'enfance, et le meilleur, mon ami Samuel, que j'écrivis :

 

 

 

« Bonjour Sam

 

«Tout d'abord, je vais te faire un programme de ce que j'ai fait depuis que je suis ici.

 

« Lundi 9 juillet: Départ d'Angers à 4 1/2H

 

Arrivée à Paris vers 7h30

 

Arrivée vers minuit à bateau

 

« Mardi 10 juillet: Arrivée en Angleterre vers 6h. À Londres à 8h;

 

Gare Victoria: rencontre avec John W (celui qui nous a hébergé). Nous avons rien visité par fatigue.

 

« Mercredi 11 juillet: Visite du Jardin Royal Botanic de Kew Garden.

 

« Jeudi 12 juillet: Visite du monument (300 m et quelques) de Tower Bridge, de Tower of London, vue général de Londres.

 

« Vendredi 13 juillet: Visite du Buckingham Palace le matin; visite du Bethel l'après-midi.

 

« Samedi 14 juillet: Visite une nouvelle fois du Buckimgam Palace pour "Changing og the Guards" (la relève de la garde). Après-midi: visite Westminster, Big Ben.

 

« Départ à 2 h en bus de Londres, arrivée à 7h (après-midi)

 

« Rencontre avec Eilen, John H, Phillip P, Moira. »

 

 

 

Intérêt principal de ce courrier inachevé et de toute évidence non envoyé: la visite du Béthel, la TJ big house! À vrai dire, j'en ai pas vraiment souvenir, ça devait être d'un chiant ! Je crois seulement avoir été impressionné par la quantité et la grosseur des imprimantes.

 

 

 

J'envoyai deux autres cartes postales à mes parents. L'une est une vue de Londres de nuit derrière laquelle est écrit:

 

« Bonjour papa et maman,

 

« Je vous écris en vous envoyant tout mon amour et cette carte qui imprime le calme et la beauté de Londres la nuit. Nous passons de bonnes vacances.

 

« À bientôt

 

Stéphane. »

 

L'autre est une autre vue de la capitale anglaise sous la nuit et les lumières de la ville, se reflétant sur les eaux de la Tamise et derrière laquelle on lit:

 

"Bonjour tout le monde, cher tous,

 

"Je passe de très bonnes vacances ici à Hartlepool. Excusez-moi, la carte n'est pas très d'actualité! Je me sens vraiment mieux avec Simon. Aujourd'hui, avec Phillip, Eric et Manu, nous sommes allés au Yorkshire. C'est très beau. Il y a des montagnes. Nous avons pique-niqué. Dimanche, nous allons jouer au foot avec la Congrégation après la réunion! Au revoir! »

 

Neuf croix en guise de coeurs avant la signature: Stéphane, suivi d'un petit mot de la mère de Simon:

 

« Bonjour Claudio, Simonie et Family. Paul est bien (well). C'est un charmant garçon (lovely boy). Notre amour à vous tous. »

 

 

 

Pour finir avec ce voyage formateur et transitoire entre la sortie du collège et l'entrée au lycée, entre le Proclamateur non baptisé et le bientôt baptisé, côté TJ, voici quelques autres choses qu'on peut en dire:

 

 

 

À Hartlepool, je fis l'expérience à la fois des progrès considérables en anglais dans lequel j'étais plus fort pour parler que pour comprendre et de la difficulté d'être seul avec la langue anglaise, coupé du français par longues tranches de temps. Heureusement, je voyais régulièrement Eric et Manu hébergés chez Phillip.

 

Plusieurs fois je pleurai. Une fois surtout après un repas avec plein de Frères et Soeurs que j'entendis rire abondamment, frustré de ne pas comprendre et de pouvoir rire avec eux autrement que par effet de contagion.

 

Je fus sensibilisé aussi par les faux amis en anglais: un jour je dis à Phillip, John et sa femme Moira: "Good appetite". Je ne savais pas qu'ainsi je ne souhaitais pas un bon repas, mais un bon appétit... sexuel! Je le sus d'abord par la mine qu'ils tirèrent puis par explication: c'est ce qui s'appelle un quiproquo langagier, non? C'était du même acabit que le « wiwi-pipi », mais en moins drôle sur le coup.

 

À Hartlepool, je fus frappé par des problèmes, des tensions qui se faisaient sentir dans la famille de mon ami Simon. Des problèmes de couple, oui, mais pas seulement. Le grand frère Christopher semblait tourner du mauvais coton. La Congrégation en avait pris note. Cela déteignait sur le père qui était Ancien.

Pourtant, c'est avec ce frère que je partis, en compagnie d'Eric et de Manu. Pour la première fois je jouai au Bowling, et sur le chemin, on écoutaient en cassette OMD (Enologay...) et j'allai jusqu'à sortir mon pied de la fenêtre, au vent, avec un ineffable sentiment de liberté. Et il est assez curieux que le souvenir de Simon en Angleterre soit guère mémorable. Il semblait que, maintenant, j'étais dans la cour des grands; Simon était dans celle des petits. Le seul souvenir que j'ai vraiment avec Simon se situe au début de mes vacances chez lui, il essayait de chanter à mon instar: Qu'est-ce qui pourra sauvé l'amour? de Daniel Balavoine que je lui avais fait découvrir. Je fus marqué aussi par Simon et sa mère chantant dans la voiture le gros tube de l'été là-bas, Sacrifice ("it's no sacrifice...") d'Elton John, leurs voix couvrant presque celle d'Elton John passant sur les ondes anglaises. C'était dans l'air du temps, et la souffrance de la mère de Simon semblait répondre secrètement à celle exprimée par le chanteur. Je me souviens avoir partagé un repas avec Simon et sa mère dans un restaurant français. De la nourriture anglaise, j'appréciais beaucoup le bacon, atypique pour moi le matin, et Le Fish and Ships que m'avait fait découvrir mon grand frère. Par contre j'en détestais les sauces sucrées accompagnant les plats salés. Parlant repas, le premier petit déjeuner pris avec Simon et sa mère me fit forte impression. Froideur inaccoutumée. Puis dispute avec Simon, puis larmes, puis rires. Copieux breakfast!

Il y eut lors de ce séjour une frappante rencontre d'un artiste, ami de Phillip, qui montra ses grandes planches fantastiques et science-fictionesques toutes en couleur et très détaillées et nuancées.

Le trajet pour aller dans le Yorkshire fut un autre grand moment de sensation et de découverte. Enfin, là-bas, je vis dans un parc pour la première fois une autre espèce d'écureuil que le roux de France: le gris.

 

De retour à mon pays, en automne, j'écrivis à Simon cette lettre annonçant un changement, ma nouvelle vie en tant que lycéen et la direction professionnelle que j'ai prise, paysagiste:

 

« Hi Spotty boy* !

* Garçon boutonneux.

« Comment vas-tu? Je suis terriblement désolé. Je n'ai pas pu répondre plus tôt. Je suis très occupé (busy) et je suis un paresseux (lazy) pour poster la lettre. J'avais écrit une lettre il y a un mois.

« Comment vas-tu? And John et Eilen, Chrisopher? Je te remercie pour ta lettre. J'étais très heureux de la lire après le mariage (S+F) Le mariage était un bon moment. J'ai beaucoup dansé. Je vais à l'école depuis le 10 octobre. C'est bien. Je vais à la même école qu'Eric. J' apprends le nom des plantes. C'est très intéressant. Par exemple:

Quercus

Quercus robur

Oak

Fagacées.

« Je fais un herbier. Je me souviens que tu aimes les plantes parce que tu as regardé un film vidéo sur les plantes [et moi je ne voulais pas parce que je]

« J'étais très heureux d'être avec toi. J'aime l'Angleterre et tous mes amis: j'espère revenir.

« En juin prochain, peut-être, je reviendrais à Londres avec ma classe pour un séjour d'études scolaire. Si nous pouvons aller à Londres, nous pourrons visiter Kew gardens et autres parcs.

« Je leur ai donné cette idée (Kew gardens) parce que je l'ai aimé en juillet, et ils étaient tous d'accord. Je t'envoie tout mon amour.

« Au revoir. Écris-moi bientôt.

« Stéphane ton ami. »

 

Mais l'ai-je envoyé ? Auparavant, j'avais reçu la lettre suivante de la main de sa mère:

 

« Cher Stéphane,

« Tu as les salutations de tes amis à Hartlepool. S'il te plaît, donne à ta famille notre amour.

« Simon envoie son amour mais il est encore un peu paresseux. Il te remercie pour ta lettre.

« Christopher est maintenant un Pionnier permanent (regular pioneer). Il a une étude aujourd'hui. Il travaille très dur dans le ministère! As-tu été au mariage? Cela doit être un grand moment?

« Nous espérons que tu es heureux de ton séjour à Hartlepool. Désolé, Simon était boutonneux. Je vais visiter Paris le mois prochain avec John pour notre anniversaire de mariage. J'attends cela avec impatience.

« Notre plus tendre amour à toi et à toute ta famille.

D. Family. »

 

Je n'eus plus de nouvelles de Simon depuis. Sa famille s'était chargée de m'informer courtoisement un changement de régime... Je n'ai pas capté sur le coup, j'écrivis la lettre que tu as lu. Mais moi aussi j'étais passé à autre chose.

Et puis, j'étais revenu de mes illusions. Oui, les Frères et Soeurs anglais avaient la réputation d'être plus cool, plus relax, moins tabou... Aussi je vis dans la maison de Simon des choses bizarres: un père se baignant nu avec son fils, mon ami. N'ai-je pas été invité à prendre le bain avec lui? Au moins avec Simon, cela est sûr. Sa mère, ne la vis-je pas aussi se promener dans la maison soit nue soi en petite tenue? C'était naturel. Il n'y avait pas de honte ou de pudeur des corps. Typical english? Le fait est que cela, je le refoulai, il semble, pendant vingt ans.

Pendant longtemps, je ne vis ce voyage que comme un très bon séjour, même si j'avais pris dur et ressenti de la solitude dans l’apprentissage de l’anglais.

 

Juste avant ce voyage en Angleterre avait eu lieu, début juillet, la dernière Assemblée de District – intitulée « La Langue pure » – avant mon baptême qui aura lieu à l'automne. À savoir par exemple que Manu et mon frère Eric étaient baptisés. En août, je retravaillai en pépinière pour finir de financer mes vacances passées de l'autre côté de la Manche.

Peut-être de cette période date un texte écrit au bic bleu nommé au feutre noir (plus tard ?) : « Érotisme d’intimité (inspiré du livre Cantique des cantiques) » : il s’agit d’une liste de toutes les parties du corps nommées par la Sulamite auxquels correspondent les images poétiques (fruitières, animalières…). Par exemple, à la partie « seins » (soulignée), on lit : « 2 faons (jeunes, frais) jumeaux (identiques, même grosseur) d’une gazelle (beaux, gracieux) qui sont en train de paître parmi les lys. ». Mes premières expériences érotiques semblent dater de cette époque : *

 

Ma dernière lettre à Simon évoquait le lycée. J'entrai effectivement au lycée agricole du Fresne, près d'Angers. On y formait aussi bien à l'horticulture, filière choisie par mon frère aîné, qu'au métier de paysagiste (Jardins Espaces Verts), qui fut la mienne.

L’année de 3ème au collège finissant, j'avais dû m’orienter. Faire ce que je désirais, protéger la nature, me demandait de passer des concours et de partir dans le Jura. Mes parents s’y opposèrent, et je n’étais sans doute pas non plus très chaud pour partir loin. Mr Lamballe, mon super prof de français, on se souvient, me conseilla de me tourner vers le paysage (jardinier paysagiste) : « Je te verrais bien sous un arbre, avec les petites fleurs… », lui avait-il dit. Restait une voie artistique appuyée par ma prof de dessin, mais ma moyenne générale était trop basse pour entrer en Lycée général où j'aurais pu suivre une filière d’arts plastiques.

Ainsi, en septembre ou octobre, j'entrai au lycée agricole et horticole du Fresne. Sous le sigle BEPA (Brevet d’Étude Professionnelle en Agriculture) auquel je me préparais au Lycée du Fresne, se trouvait la filière Paysagiste que j'avais choisi. Mon frère Eric était alors en BTS dans le même lycée, après ses deux ans de BTA en horticulture.

Il ressort, d’après mes bulletins trimestriels, que j'étais un élève « sérieux » et « intéressé » dans certaines matières (ex : français), mais « lent », « irrégulier », « dispersé », « brouillon », « peu attentif » ou qui « a du mal à se concentrer » dans d’autres. Dans le bulletin du 3ème trimestre : « meilleure participation à la vie de la classe » lit-on.

En janvier 1991, les parents de Paul avaient rencontré Junko, une jeune et belle étudiante japonaise. À celle-ci succédera celle d'Odile.

Mais puisque nous sommes au lycée, parlons-en un peu. Après je parlerai de Junko.

Je dirai juste pour le moment que j'y allais en mobylette, en CIAO, et que j'avais une quinzaine de kilomètres à faire par tous les temps, comme du temps de la Venaiserie en vélo. J'avais des gants en peau de daim l'hiver mais j'arrivais quand même les mains frigorifiées. Mon frère Eric avait la chance d'avoir obtenu le permis, même avec un con, et de posséder une 4L rouge pour m'emmener au chaud en classe. Seulement, Eric n'avait pas les mêmes horaires... Autonomie oblige!

Pour le "fun", un jour Eric empruntant la même route que moi me vit sur la grande avenue des Ponts-de-Cé , sautant sur une patte sur le trottoir, le visage tordu de douleur, la mobylette à mes côtés. Il s'arrêta, mort de rire et m'emmena à l'hôpital.

  • Comment t'as fait ton compte? fit l'aîné.

  • Bah, le feu était vert, j'ai voulu dépasser le bus par la droite, mais j'ai pas vu qu'il allait tourner... à droite.

  • T'as pas vu les clignotants?

  • Bah...

Eric riait tout ce qu'il pouvait.

  • Purée, t'en a de la veine! T'aurais pu finir en sauce tomate! Tu sais que c'est interdit de dépasser par la droite?

  • Même un deux roues?

  • Surtout un deux roues. Ils sont les plus sujets à ce genre d'accident. L'un veut aller tout droit et l'autre tourne à droite au même moment, et boum! Au mieux tu es collé au trottoir! T'es bien le roi de la gaffe, Gaston Lagaffe! Ça me rappelle l'Angleterre. Qu'est-ce que tu as pu en faire, hein?

De cette histoire, je m'en sortis avec une atèle à la jambe (droite ou gauche, je ne sais plus), atèle que je m'attelai à porter plusieurs mois, obligé d'être transporté par mes parents en voiture et de me déplacer en béquille.

Je n'avais pas eu autant de peau sur le trajet pour aller au collège, ce jour où j'étais passé à vélo sous le godet d'une pelleteuse en travail, mais je m'en sortais bien, c'est vrai.

 

Quand même j'étais la proie facile de moqueries de la part de mon frère Eric. Un jour, j'avais éclaté pour de plus méchantes moqueries que celles à propos de mes gaffes, plutôt gentilles, il s'agissait des moqueries à propos de mes dents en avant qui avaient trop longtemps perduré et aussi de constants petits rabaissements. Je m'en étais même ouvert à un Ancien, Christian H, et il m'avait aidé à préparer et mûrir un discours: sur la base de multiples versets bibliques à l'appui. Cela avait éclaté lors d'un repas familial, j'en pleurais en parlant et lisais debout, à travers les larmes: « I Corinthiens 1:25-29: "Parce qu'une chose sotte de Dieu est plus sage que les les hommes et qu'une chose faible de Dieu est plus forte que les hommes. Car vous voyez votre appel, frères: il n'y a pas beaucoup de sages selon la chair qui ont été appelés, ni beaucoup de puissants, ni beaucoup de gens de haute naissance; mais Dieu a choisi les choses sottes du monde pour faire honte aux choses fortes; et Dieu a choisi les choses viles du monde et celles qu'on méprise, celles qui ne sont pas, pour réduire à néant celles qui sont, afin que nulle chair ne se glorifie devant Dieu". »

Cela avait fait sensation, un ange était passé, cela avait fait son effet, l'abcès avait crevé par une prise de parole magistrale dans un état lamentable. Sortir tout seul le trop rabâché "Les moqueurs n'hériteront pas du Royaume de Dieu" n'aurait pas eu l'effet que celui de Corinthiens eut sur Eric, surtout allié à mes larmes. De ce jour, il cessa de se moquer de moi.

 

Dans ce contexte, la venue de Junko, d'origine japonaise, dans la vie des Delavigne apporta une lumière nouvelle à l'intérieur de la famille et en moi-même: Le point de vue et la sensibilité d'une étrangère, d'une culture différente. Junko avait remarqué en moi une sensibilité très proche de la sienne. Entre parenthèse, cette jeune femme d'extrême Orient était d'une extrême beauté, grâce, gentillesse, délicatesse et pudeur au cheveux longs et raides, brillants comme une aile de corbeau cirée. Petite de taille et grande de coeur, ce que tu verras par toi-même dans ses lettres.

 

Le 9 janvier 1991, Junko m'écrivit:

 

"Cher Paul,

"J'éprouvais toujours de l'admiration pour votre comportement. Toute la journée vous travaillait sans cesse, vous occupait bien vos petits frère, soeur et moi. Je crois que c'était très très irritant et fatigant de tenir ma compagnie. Cependant, vous étiez toujours vraiment gentil vers moi.

"Les japonais généralement essaient d'imaginer le sentiment de l'autre avant qu'ils donnent son avis. Nous avons tendance à prévoire quelle influence nos paroles donneront aux sentiments à l'autre. En un mot, nous réfléchissons trop. Par contre, je crois que les français parlent comme ils veulent. Sauf une partie de gens. Je trouve que vous êtes parmi des français peu nombreux qui peuvent se mettre à la place de l'autre (qui savent imaginer le sentiment de l'autre). Je souhaite que vous ne perdiez pas la tendresse (signe japonais), la sincérité (idem), la pureté (idem) et la innocence (idem) de ton âme pour toujours.

J'ajoute un mot pour finir: "Merci beaucoup d'avoir dépensé beaucoup de temps pour moi."

PS: Vous avez raison. Les airs dans la cassette que vous m'avez prêtée sont très belles!"

 

Pour les cassettes, il s'agissait des Cantiquesdes Témoins de Jéhovah joués au piano.

 

Le 17 février, la belle Junko (son nom me faisait penser au Ginko Biloba, dit « arbre aux cent écus », un des plus vieux arbres et le seul qui ait résisté à la bombe atomique) m'envoya une autre lettre qui a plus de piment :

 

« Cher Stéphane,

 

Ça va ? Moi, je suis en forme parce que j'ai pu entrer dans la classe des débutants. C'est à dire, j'ai descendu de dix niveaux. Tous mes amis me disent : « Incroyable  Tu es folle. Tu dois rester au niveau moyen. Mais je ne le regrette pas du tout en ce moment. Comme il ne faut pas passer beaucoup de temps à préparer mes leçons pour le lendemain, je m'amuse après les cours ; je peux faire ce que je veux. D'habitude, à peine les cours ont-ils fini, je me précipite à la bibliothèque pour prendre une bonne place et j'y reste jusqu'à l'heure du «dîner » (p-m 6:30). Je mène une vies plus facile, libre, agréable et détendue comparativement à celle du premier trimestre. 

« Oh j'ai reçu ta « lettre d'excuse » avant-hier et aussitôt après l'avoir lue, tes parents son venus chez moi. Nous avons discuter de ta attitude envers les femmes asiatiques. Tes parents ont dit que ta conduite et tes paroles n'avaient pas été méchantes parce que c'était l'humour ou l'esprit de France. Cependant c'est vrai que je me sentais un peu triste chaque fois que vous avez imité ou dessiné la physionomie en rigolant. Peut-être as-tu essayé de nous décrire tel que nous sommes sans méchanceté, mais j'y voyais un peu de moquerie. Disons qu'il y a un noir, est-ce que tu oses dire en rigolant « Ta peau est toute noire... » En ce cas, même si tu crois que la peau noire est vraiment belle, ton compliment se changera en moquerie. Le rire est d'un côté une chose très agréable et valable parce qu'il fait plaisir aux autres mais aussi à soi-même, d'un autre côté, si on l'utilise pas bien, le rire est considéré comme un témoignage de la moquerie, du mépris. Je suis sûre que tu n'avais pas de sentiments aussi horribles parce que « ta personnalité », je la comprends bien. Cela se voit d'après ton attitude envers moi. Donc, ne t'en fais pas ! Moi, comme tu sais, je suis une personne très sensible. Je manifeste mes sentiments facilement. Mais maintenant, je ne m'en soucie pas parce que j'essaye toujours d'être raisonnable.

Alors te souviens-tu des mots que je t'ai dit ? « Tu es méchant, Stéphane. Tu n'es plus mon préféré... » Crois-tu que je l'ai dit sérieusement ? Non ! C'est précisément ce qu'on appelle « La plaisanterie ».

 

Quels progrès d'expression en un mois !

Plus question pour moi de faire des mines de singe...

Le 27 février, j'écrivis à Junko :

 

« Chère Junko,

« Je te remercie de ta gentille lettre qui m'a fait vraiment plaisir. J'étais heureux que tu sois avec nous. Tu étais vraiment la bienvenue. Quant à moi, je n'ai fait que mon devoir en m'occupant bien de toi. Je te remercie beaucoup de m'apprécier. Je t'apprécie beaucoup. C'est pour cela qu'il ne faut pas te culpabiliser. Comme tu me dis que tu es très, très irritante, moi je te réponds : « Tu n'es pas du tout du tout irritante (Good Joke?!)

«Il est vrai que je suis peut-être l'un de ceux qui peuvent se mettre à la place des autres. Beaucoup ne s'occupent que de soi et ne s'intéressent pas aux autres. 

« Pourtant, il est très important de comprendre les autres. Chacun n'a pas les mêmes pensées, les mêmes passions et la même religion. D'ailleurs, je comprends que tu hésites à venir à nos réunions. Peut-être est-ce la timidité ? Ou à cause de tes convictions religieuses. Cela est tout à fait normal. Cependant, rassure-toi, si un jour tu veux venir avec nous à la réunion, ce qui me ferait énormément plaisir, tu seras aussi bien accueilli qu'avec nous.

« Je suis content que tu aimes la cassette que je t'ai prêté. J'espère aussi que tu as apprécié la lecture de nos périodiques. Ils sont vraiment intéressants.

« Quant à toi, j'espère que tu réussis bien tes études. Et je souhaite que tu aies du succès dans ton travail. Et pour cela je t'admire beaucoup. Si quelquefois tu es découragé parce que tu a des difficultés ou encore parce que tu as la nostalgie de ton pays, rappelles-toi que nous t'aimons beaucoup et que nous voulons t'aider.

« Nous avons reçu une petite lettre de Chikako. Elle nous dit qu'elle était très contente qu'on l'invite. Elle désire aussi venir à la réunion quand elle aura le temps.

Voilà Junko, je vais te laisser sur ces mots ou plutôt ce « speech » (english word but it's a french expression). If you want, you could write a letter in English nex time. All the best! »

«  Stéphane »

 

Oui, un peu lourd de prosélytisme encore, le Stéphane. C'était plus fort que moi. La leçon du papy ne m'avait guère profité sur ce plan, si ce n'est que j'étais plus respectueux envers les autres religions.

Cette lettre semble la réponse à la première lettre de Junko. N'aurais-je fait une erreur de date et ne serait-elle pas du 27 janvier ?

Il est beaucoup plus significatif qu'un jour Junko me confia, assise à côté de moi, sur mon lit, que si elle pouvait, si elle n'était déjà mariée ou fiancée, elle voudrait se marier avec moi. Elle voudrait un homme aussi gentil que moi. Elle ne pouvait pas. Elle était promise au Japon, son mari l'attendait. Cela semblait un mariage de familles et non d'amour. Je fus à la fois peiné et touché. J'aurais voulu l'avoir pour femme aussi. On comprend pourquoi.

Avant qu'elle ne reparte dans son pays, ou un jour qu'elle revint pour repartir peu de temps après, je lui offris un pastel fait d'après une photo artistique d'elle en noir et blanc prise par un photographe.

Le 2 février 1991, Junko écrivit au dos d'une carte postale du château de Villandry :

« Cher ami,

« Vous m'avez visité tout à l'heure. Cela m'a soulagé vraiment et j'étais très contente de parler avec vous. Tu m'as dit que les cartes postales te plaisaient beaucoup et il me semblait si mon mari comprenait français, tu voudrais lui écrire toi-même, c'est ça ? Oui, tu pourrais lui communiquer ce que tu veux dire en anglais : nous l'étudions au collège et au lycée. Je te donne notre adresse au Japon. Si tu veux, essaie-lui d'écrire. Je suis certaine, il sera ravi d'avoir la lettre de ta part.

« Mes amitiés chez vous, à bientôt. »

« (Japon par avion) »

 

Ce furent les dernières nouvelles que j'eus de Junko. Ne restent que quelques lettres, mais combien précieuses, ainsi que quelques photos, notamment dans les Vosges où elle accompagna en vacances d'hiver notre petite famille.

 

Peut-être en mars 1992, je vécus le « jour le plus important de ma vie » (théoriquement, l'oubli de la date exact est significatif): je me fis baptisé Témoin de Jéhovah par immersion dans une baignoire lors d’une Assemblée de Circonscription.

En avril, je fis on premier stage pratique dans une entreprise paysagiste. Ça se passa mal. En juin, je fis mon deuxième stage pratique dans une autre entreprise où je connus le labeur des brouettes de terre à pousser dans un terrain pentu sous la canicule, ainsi que tour à tour la douceur ou les pressions et insultes du patron lunatique, le tout payé « à la cuillère ».

 

L'observation de la Nature restait pour moi ma principale passion en dehors de l'archéologie et de la lecture.

J'ai parlé d'un petit plan d'eau qui était en fait un grand réservoir pour arroser autour les grands terrains pépiniéristes qu'on devait traverser. Dès à la sortie du lotissement neuf, on se trouvait dans la nature. Il y avait une vieille ferme ou plutôt un vieil abattoir, vu les os de bovidés retrouvés sur place un jour. Le sureau envahissait le lieu fétiche jusqu'à ce qu'il soit rasé. Mais le plan d'eau, lui, était resté. Lieu de pêche le plus proche et qui permettait d'échapper en principe au garde de pêche et évitait de prendre le permis. Moi, mon frère Yann et un copain pêchions avec du matériel rudimentaire. Autour, c'était plein de relief et de bosquet. Un été, en se promenant autour, je soulevai une tôle et vit un orvet. J'avais d'abord eut peur, mais l'ayant très vite identifié, bien que ce soit le premier rencontré, je l'emmenai chez nous. Je fis peur exprès à ma mère en le suspendant par la queue et disant: "Maman, regarde!" avant de la rassurer. J'étais très heureux et très fier de ma prise. Je me souvenais du Frère, qui était gardien de prison par ailleurs, et qui, lui, chassait des vipères avec un bâton bifide et qui le saisissait ensuite par le cou avant de le mettre dans un bocal, puis dans un vivarium. Autour du plan d'eau, je crus un jour avoir fait face à une couleuvre vipérine qu'on ne pouvait confondre avec celle à collier. Je rêvais voir un jour une couleuvre de Montpellier. Après tout, mon père, dans mon enfance avait vu un serpent plus grand que tous ceux qu'il avait vu et qu'il pouvait voir, qui n'avait rien à voir avec les vipères qu'il chassait au lance-pierre, ni avec des couleuvres. Les friches à côté du lotissement était quant à elles le terrain de chasse privilégié non pas pour les vipères, mais pour les mantes religieuses. J'en reparlerai plus loin.

L'autre grande branche d'observation était celle des oiseaux, toujours. Et principalement, comme toujours, la fascination pour les rapaces. Là, en campagne, il pouvait trouver nombre de pelotes de réjections. Les chouettes effraie ou dame blanche étaient nombreuses, et j'étais sûr qu'il y en avait une qui logeait dans l'ancien abattoir. J'avais vu voler vers ce lieu, la blancheur sous plumage roux moucheté, silencieuse dans la nuit.

Je cherchais aussi le Circaète Jean-le-Blanc, chasseuse de vipères qui pouvait fort bien se trouver dans les Ardoisières à Trélazé, ce nid de serpents, mais jamais je n'aurais soupçonné qu'à trois pas de chez moi, je verrais un jour un balbuzard pêcheur. Un busard des roseaux, cela était possible dans les marais de Brain, bien que je n'en avait jamais vu, mais un balbuzard pêcheur...

Pourtant, j'eus cette chance inimaginable par la rencontre d'un ornithologue. Une fois que j'étais était parti avec mon père observer tôt le matin les oiseaux du bord de Loire, où par ailleurs j'avais passé des soirées autour du feu avec ma famille et des amis, on vit un homme avec une grosse longue-vue sur pied, le genre de matériel professionnel à côté duquel ma petite longue-vue grandissant dix fois était ridicule. En allant vers lui, on apprit qu'il était à la recherche du balbuzard pêcheur, rapace migrateur, venant d'Afrique et résident de août à octobre en France dont la Loire. Un rendez-vous fut pris très rapidement.

On trouvera ci-dessous mon petit rapport d'observation sous le titre "sorti de Balbuzard" suivi d'un petit dessin humoristique:

 

 

img615

 

"Temps de recherche: 2 matinées.

 Sortie à partir de 9H30 le...

 Sortie à partir de 7H le 31 août 91. Vu vers 8h30.

 Matériel: Jumelles 8/56. Télescope professionnel.

 Lieu d'observation: LOIRE. Entre la Bohalle et Saint-Mathurin. Perché sur un piquet au milieu de l'eau non loin de la berge opposée du point d'observation.

Description: Balbuzard apparemment mâle (couronne de stries foncées sur la gorge. Différence en général de la femelle qui en général a une large bande foncée sur la gorge. Le reste de son corps était celui typiquement reconnaissable du Balbuzard (dessous brun foncé, dessous blanc, bande noire latérale sur la tête, huppe apparente. Il avait plutôt l'allure d'un adulte, peut-être d'un jeune adulte.

 Observation: Nous l'avons aperçu de très loin avec le télescope. Nous nous sommes approché. En allant plus loin, nous le voyons distinctement. Nous avons tenté de nous rapprocher de lui en allant sur la plage, mais il s'envole, dérangé par un avion et peut-être aussi en sentant notre approche.

 11H: Il se pose plus loin sur une branche morte posée à même le sol et entourée de hérons cendrés, vanneaux huppés, petits gravelots, mouettes rieuses, et peut-être Mélanocéphale!

 11H45: Au bout d'un certain temps, il s'envole, mais se pose aussitôt sur une branche flexible. Il se prépare certainement à pêcher. Il guette l'eau puis déploie par moments ses ailes

 11H 59: Il s'envole, s'élève dans le ciel, des battements d'ailes, des planements et soudain il se jette dans l'eau, retirant un poisson (30 cm de long, blanc), puis il se pose avec sa proie sur une souche d'arbre et le déchiquette. C'était un spectacle inoubliable.*

*La fiche d'observation contient aussi à la date du 3 septembre une note sur un balbuzard vu dans la brume; d'un faucon hobereau sur le même arbre, rare, contrairement au Crécerelle et à la Crécerelette; du balbuzard dérangé par une buse, fuyant avec le faucon; d'une jeune buse s'amusant avec pies et bout de bois; d'un pic noir en vol, le plus grand pic, localisé surtout en montagne et assez rare dans nos régions et qui fait kru... kru... kru... kru...

 

Peu de temps après cette sortie ornithologique, je reçus une carte postale d’Espagne de la part Samuel, mon meilleur ami d’enfance « dans la vérité », lettre qui contient entre autres une citation biblique : Proverbe 18 : 24.

 

"Holà Paul!

"C'est moi, Sam. Tu te poses sûrement des questions, j'en suis sûr, comme moi aussi je m'en suis posé.

"Et bien mon Père et ma Mère ne m'avaient pas prévenu pour me faire une belle surprise qui est celle-ci: Je m'excuse beaucoup de ne pas avoir été avec toi admirer le Busard si je me rappelle bien. Mais t'inquiète pas, on aura l'occasion d'être ensemble et de faire de nombreuses choses avec J-L et aussi tout seul. Ici, il fait très chaud. Mon copain Juan m'a fait montré ses livres de Nature où il y a les Rapaces. Ils sont super! Il voulait m'en laisser un mais c'est écrit en Espagnol malheureusement. Il a aussi des fiches sur ceux-ci, mais pareil. Autrement tout va bien la nuit que je me promène avec mes amis espagnols. Mais toi tu es mon meilleur copain et je pense à toi. Je te dis à très bientôt, à lundi 2 Septembre 91 pour le Mariage et la Rentrée des Classes.

Proverbes 10:24." ("Il y a des compagnons tout disposés à se briser l'un l'autre, mais il y a tel ami plus attaché qu'un frère.)

 

Il me faut préciser une chose, c'est que cet ornithologue, le J-L de la lettre, faisait des conférences et organisait aussi des camps. Il avait proposé à mon père, et je rêvais d'y aller avec Samuel. Par chance, cela ne se fit pas: je l'appris plus tard, JL avait eut des problèmes avec la justice pour ce qui se devine. Y avait-il danger à trop aimer les oiseaux? En tout cas, le rapport plus haut contient les dernières observations ornithologiques observables dans ma vie avant longtemps. Bientôt une passion autre grandira mais englobant celle des oiseaux.

À propos du verset cité, Samuel ne savait pas alors que cette longue amitié se refroidirait bientôt avec le rapprochement d'Odile. Sam eut beau me mettre en garde, j'étais attiré comme un aimant vers celle qui incarnait l'avenir et devenait de plus en plus mon présent, répondant aux nouveaux besoins, plus exigeants et moins conservateurs qu'étaient ceux de Sam qui avait lui besoin de stabilité. Je frôlais des récifs tandis que lui se contentait de la chaleur de la plage.

Pourquoi en prendre note ici? Un des frères de Samuel avait été en prison en refusant de faire l'armée comme les Témoins de Jéhovah l'ordonnent et se faisant "objecteur de conscience". Il vivotait dans un cachot d'après les nouvelles qu'on en avait, dure épreuve pour la famille qui pour une fois trouvait faveur aux yeux des Anciens. Cela rachetait-il pour autant l'aîné exclu? C'était avant 1990. Moi qui pouvais ressentir la détresse de la mère de Samuel, dépressive, pouvait encore être un soutien pour mon ami.

En 1991, c'était un autre frère à moi, suivi d'un autre jeune "objecteur", tous deux grands copains d'Eric, qui firent leur année de prison. Leur condition de vie était cependant bien meilleure que ce qu'avait connu son grand frère Marc.

Les connaissant bien pour leur humour, je fis un poème en leur hommage, mon second poème:

 

"Déportés pour un an

Dans une cellule immense

Tel que vous l'imaginez

N'est pas réalité.

 

Vincent et Petit Pierre

Emparqués dans leur galère

[aux corvées] Au lieu des pommes de terre

Et des céleris amers

 

Loin des plages Cacabana

Des Danones et des Banga

Que Vincent regrette un peu

Rien qu'un peu."

 

Poème que seuls les deux "déportés" pouvaient comprendre. Ils passaient leur temps à éplucher des légumes.

 

Il y a une date qui pour moi évoquait tout un ensemble de choses, de souvenirs. Il s'agit d'une date historique dans le monde musical et qui me dépasse largement:

Le 24 novembre 1991, décédait à l'âge de 45 ans Freddie Mercury chanteur emblématique du non moins emblématique groupe Queen. Pour des Témoins de Jéhovah, écouter ce groupe était tendancieux. Or, moi, Eric et Manu, et même d'autres, vouaient un véritable culte (du moins en étaient "fan") à ce groupe de rock-opéra peut-on appeler. Les publications ne cessaient de mettre en garde, plus que pour la lecture, sur la musique qui touchait plus les jeunes. Les amateurs de lecture sont moins nombreux que les amateurs de musique à 10 contre 90. Qui n'écoute pas la radio, au moins? Certaines musiques, même classiques étaient jugées démoniaques, d'autres comme le rock, immorales, d'autres comme le hard rock et le métal carrément sataniques. Il y avait aussi le problème des messages subliminaux parfois démoniaques que pouvaient contenir des chansons même apparemment anodines. Cela était fascinant et étrange pour moi, mélange de peur et d'excitation. Un jour, Eric m'en donna la démonstration sur un disque vinyle, peut-être d'Indochine, où par une lecture manuelle à rebours on entendait des choses cachées assez troublantes. Que ce fut Indochine, cela n'était pas étonnant: leur chanson Bob Morane, on la condamnait d'office: il y faisait clairement l'éloge de Satan, "le roi de la terre". Pour en revenir à Queen, il était difficile de juger sur le côté subliminal, mais disons qu'ils sublimaient, transcendaient tout et avaient malgré l'homosexualité du chanteur Freddie Mercury une aura de sainteté auxquels les parents, aussi bien ceux d'Eric et moi que de Manu ne pouvaient nier. Pourtant, la Bible le disait: le diable se déguise sans cesse en ange de lumière. Mais il y avait une telle pureté, une telle grandeur, une telle puissance, beauté et émotion vocale et instrumentale, que mystérieusement, ils échappaient à tout jugement. Si l'adhésion de l'esprit était sujet de débat, l'adhésion du coeur était totale. Ils représentaient pour nous aussi un espace de liberté psychique important. Les Queen incorporaient dans leur musique la notion de délire dans le sens le plus positif. Ils avaient de l'humour. Et ils étaient brillants. Pourtant, on entendit avec émotion Show must go on, nos coeurs étaient saisis. On ne savait pas encore ce qui allait éclater bientôt à notre face, le grand chanteur, qui aurait pu faire de l'opéra comme disait mon père de qui l'appréciait beaucoup, était mort du Sida. On ne le savait pas et pourtant il y avait comme un signe par cette chanson: "le spectacle doit continuer", sur de hautes octaves. Il pouvait aller jusqu'à quatre octaves, de quoi faire baver...

On peut peut-être clore ce chapitre par une lettre d'un jeune TJ anglais ami de mon frère Eric, qui était aussi venu à Angers avec Christopher, et plus proche de mon âge que de celui de Simon. Je ne suis pas parvenu à traduire certains passages parlant de choses "spirituelles". Je les laisse dans la langue de Marcus :

 

"Cher Stéphane,

"J'espère que j'ai bien épelé ton prénom. Bien comment vas-tu? OK. I managed to get the Watchtowers from the assembly we have just attended at a place called "Hellerby" near Sheffield. It's the Sociéty's own assembly hall.

"Tu ne me dois aucun argent. Juste accepte, c'est comme "un cadeau"

think thats how you spell it. I will buy the other 4 at the next assembly in April or should I say "Avril".

Donne mon estime à ta famille.

Et Eric si tu lis cette lettre, tout ce que je veux dire à toi est "Kiss my Bum!" (embrasse mon derrière!)

"Au revoir pour maintenant"

"Marcus."

 

...

 

DOCUMENTS

 

 

 

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La honte (portrait enfant)

 

Avec un gardien du Nothingam Palace

8 décembre 2017

Mémoire BROUILLON (version longue - 1973-1995 - chapitre 3 : Les années Collège)

Chapitre 3

 

(1984-1989)

 

 

 

Je vais essayer de reprendre à peu près à partir de là où je me suis arrêté l’an dernier – que dis-je? - hier! 

Distractions à part, le dernier mot fut à peu près "cauchemar". Je parlais de rêves mémorables à Saint Barth. J’ai montré à peu près ce que fut mon enfance dans cette double vie que j'ai eu, bien que l'expression "double vie" a une autre connotation pour les Témoins de Jéhovah: j'aurai l'occasion d'étayer ce point plus loin.*

Il n’est pas facile de faire coexister les deux vies, l'une religieuse (pour ne pas dire sacrée) entachée ou contaminée par le profane, l'autre profane entachée, contaminée par le "sacré", allez, je le mets entre guillemets, car l'utiliser ici est presque de l'ordre de la profanation tant elle paraît peu appropriée à ce qui est considéré avec raison comme une secte, et ce mot lui-même est trompeur en même temps, car qu'est-ce qu'une "secte" sinon une bulle qui te sépare du monde, de la réalité, par une paroi glacée, un plexiglas, à l'intérieur de laquelle on respire un air confiné, un air empoisonné, un air lavant le cerveau, un air ô combien subtil, ô combien organisé, tout plein des effluves d'un gourou, ou d'une doctrine, quand le gourou est invisible ?, car chez les Témoins de Jéhovah, le gourou est l'"Esclave Fidèle et Avisé" siègant au Béthel de Brooklyn et son visage se trouve diffus dans la diffusion de ses publications et dans ses émissaires les Anciens au sein de chaque Congrégation. L'écrivain américain William Burroughs a eu une expérience intéressante pour terrible qu'elle soit, et qui digérée, lui a permis de qualifier ce qu'est la drogue, ce qu'est un camé. Chacun pourra prendre cette extraordinaire analyse, bien que je ne partage pas son pessimisme, comme point d'ancrage pour le comparer au "bullé". Il dit en préface de son célèbre roman Le festin nu:

"La drogue recèle la formule du virus "diabolique": l'Algèbre du besoin. Et le visage du Diable est toujours celui du besoin absolu. Le camé est un homme dévoré par un besoin absolu de drogue. Selon les termes du besoin absolu: "Tout le monde en ferait autant." Oui, vous en feriez autant. Vous n'hésiteriez pas à mentir, ou tricher ou dénoncer vos amis ou voler – n'importe quoi pour pouvoir assouvir ce besoin absolu. Lorsqu'on est en proie au Mal, lorsqu'on est possédé, on ne peut s'empêcher d'agir de la sorte. Les drogués sont des malades incapables de changer leur comportement... Un chien enragé ne peut s'empêcher de mordre... Affecter une attitude pharisaïque serait hors de propos – à moins que votre propos ne soit justement de propager le virus de la drogue... Car la drogue constitue une industrie gigantesque."

Non, lire un passage de la Bible, même la version des Témoins de Jéhovah, ne donne pas un besoin absolu d'en lire un autre... Il n'y a pas de ce besoin physique du camé. Le "bullé" a tout. Sa vision est un prisme. La lumière diffusée fait entrevoir le paradis. On marche sur les pavés de la "Vérité", pavage tout tracé, tout balisé, vers une belle destination promise: le Paradis. Tu croises quelqu'un dans cette rue, une personne du "Monde", appartenant à Satan le Diable? Il est un aveugle pour toi. Il est à convertir, ou à bannir de ta vision; car tous les gens qui n'appartiennent pas à la grande bulle sont des individus potentiellement dangereux; ils peuvent pervertir ta vision, la Vision, "la Vérité". Imagine que tu regardes Avatar au cinéma et que quelqu'un t'enlève tes lunettes 3D! Sauf que toi, tu te prêtes à un jeu et que toi tu ne les portes pas tout le temps. Que dire d'une personne qui, sans même parler de lunettes 3D, porte des lunettes de soleil, ou de sommeil, depuis sa naissance...

Témoins de Jéhovah, bullés: le Festin...(nu?); l'algèbre du... (quoi? Ou de quoi?). Il y a une tangente tangible. Le bullé est tangent au camé. Mais il reste à compléter les trois points de suspension. Chacun peut le faire ou laisser tel quel.

Ce n'est pas que je veuille prendre la tangente, mais j'ai laissé loin derrière le paramètre essentiel sur le plan concret de ma vie. La vie "double". Vie double, vue trouble...

Il n'est pas facile de faire coexister les deux vies en même temps, et c'est impossible à faire sur le plan de l'écriture. D'ailleurs, on a vu comment la vie quotidienne était imprégnée de "religion" (il est des mots difficiles à éviter) et combien la vie religieuse était menacée par le Monde extérieur (ça, on ne l'a peut-être pas assez vu). Tout s'interpénètre.

Aussi, il y avait bien pour moi deux mondes parallèles et opposés de façon catégorique sur le plan théorique, mais trouble sur le plan pratique, deux mondes que j'ai appréhendé et vécu d'abord de façon inconsciente depuis ma naissance, puis de façon semi-consciente, enfin de façon consciente, avec les divers degrés qu’on trouve à la Conscience.

Ce que j’appelle la Conscience est le moment, vers dix ans, où on sait faire des différences et où on a, justement, conscience d’appartenir à un groupe

Le premier degré de conscience pour moi a dû être de me dire : « Je suis Témoin de Jéhovah. Il y a les Témoins de Jéhovah et il y' a les autres. »

Dans mon esprit se fit une démarcation. Jéhovah restait un peu dans un halo de mystère, il restait une lointaine puissance mystérieuse que je devais craindre de désobéir de peur d’être puni.

L’essentiel de la découverte fut sans doute : « Il y a les Témoins de Jéhovah dont je fais partie, que je suis, même, mes parents l’étant, et il y a les autres, c’est à dire les non-Témoins de Jéhovah, ce qu’on appelle les gens du monde et ils sont plus nombreux. Ils sont une menace pour nous les serviteurs de Dieu, car ils sont du côté du Mal, de Satan, ils seront détruits. Mais moi, en attendant le paradis, faut quand même que je vive avec eux, parmi eux, à l’école surtout. »

Voilà comment avait dû naître un conflit intérieur qui a géré les mes comportements, tous mes rapports à l’extérieur, à autrui (ce qui n'est pas TJ...), depuis mes dix ans et même avant, car déjà vers 8-9 ans, je perdis un copain pour lui avoir dit que j'étais Témoin de Jéhovah (voir p 15).

Comment être avec les autres, avec autrui, avec à l'intérieur de soi un besoin d'aimer et d'être aimé irrépressible, lorsque le jugement d'autrui pèse autant que le jugement de Dieu?

Heureusement, j'avais des ressources intérieures pour gérer la balance au mieux de mes capacités. J'avais malgré tout une famille unie, aimante et sécurisante. Et même vivante, remplie de moments de bonheurs. J'étais structuré, quoi qu'on dise par ailleurs sur la structure, j'avais des limites; et j'avais cette intelligence du coeur qui me faisait presque bénir ma situation, du moins reconnaître qu'il y avait pire: ces enfants, ces camarades de classe parfois, livrés à eux-mêmes, dans des familles désunies, déchirées par un divorce, où la violence se déchaînait... Moi, je pouvais en dehors des contraintes et des conflits psychologiques, aménager ma vie: le rêve me sauvait, l'amour, les oiseaux, la beauté, les livres... Mais je savais aussi faire avec la réalité. Je savais donner des coups de poings au besoin, on l'a vu. On ne réussit pas tous les jours à faire saigner du nez...

Quelqu'un d'extérieur regarderait les photos de cette époque ou même d'avant, il verrait un enfant tout à fait normal et en bonne santé. Une photo de maternelle me montre éveillé dans ma blouse bleue et devant une table de jouets, avec un sourire esquissé et des yeux pétillants de bonheur. Quant à la période de la fin de la primaire, une photo me montre avec un visage taché de son, des cheveux mi-longs et enveloppant à moitié et librement l'oreille, des cheveux couleur noisette qui me tombent juste au-dessus des yeux qui regardent comme par en dessous, ma tête étant légèrement plongeante, des yeux pochés et coquins, et sous un petit nez d'aiglon une bouche aux lèvres fines dont l'inférieure accroche des rayons, une bouche pince-sans-rire pour la demande d'identité en cabine... Je porte une chemise quadrillée comme un mouchoir de Cholet, et par-dessus un sweet blanc avec un motif mauve au milieu de ma poitrine: trois barres parallèles dont celle du milieu dépasse largement les deux autres de même hauteur et une étoile à cinq branches surplombe la plus haute barre, décorant mon plexus... [voir annexe]

 

1985.

Cette année-là, j'entrai en 6ème. Fini l’école des petits! Maintenant j'étais dans la cour des grands.

L’entrée au collège est toujours marquante. Au début on est impressionné et perdu. C’est tellement différent d’avant.

La plus grande révolution du milieu collégien est de ne plus avoir un instituteur ou une institutrice qu’on appelait Maître ou Maîtresse, mais une dizaine de professeurs qu’on appelle « profs » pour chaque matière représentée, dont certaines nouvelles, comme l’apprentissage d’une langue vivante (anglais, allemand, espagnol au choix).

Ce fait entraîne d’autres révolutions : le changement de classe, de lieux (ex : Salle 101), le changement de classe pour chaque cours et l’emploi du temps pour chaque classe (ex : 6ème E , de 8 à 9 h : Anglais avec Mme Maucourt, salle 102). Ouf! chaque matière avait sa salle aménagée en fonction de celle-ci. Par exemple, il y avait dans la salle de Biologie un squelette humain sur pied et une collection naturaliste (pierres, crânes, chouette effraie empaillée, etc., sans compter les nombreux documents affichés au mur.).

Enfin le collège apportait d’autres changements, d’autres nouveautés. D'abord le système de notation. Les notes étaient sur 20 et non sur 10 et le système des A pour "très bien", des B pour "bien", des C pour "passable", des D pour ""médiocre" et E pour "exécrable" était révolu. Ensuite, le système de discipline. Les mesures se durcissent d'office. Le collège accueille des enfants bien mûrs par rapport à la primaire et des ados qui indiquent le terminus des arrivants. Un passeport est donné à chaque élève. Il était destiné à recevoir par les surveillants (pions) des vignettes vertes, jaunes ou plus rarement des rouges. Une vignette verte correspondait à un avertissement, une vignette jaune à une colle, c’est à dire une retenue dans la salle de permanence, et la rouge, à un renvoi pendant trois jours ou plus, voire définitif.

Chaque élève recevait aussi ce qu'il devait avoir toujours sur lui: son "carnet de liaisons" ou "carnet de correspondance" contenant l’emploi du temps, les notes obtenues pour chaque période dans chaque matière, la correspondance entre l’établissement et la famille ainsi que chaque retard et chaque absence notés par un surveillant (système qu’on retrouvera d’ailleurs au lycée).

Dans le collège de la Venaiserie, il y avait à la tête de tous les surveillants, la surveillante principale, Mme Laveille, petite, maigre, à la démarche raide, saccadée, et au visage austère qui prêtait à rire, mais Dieu sait qu’avec elle, ça rigolait pas !

Le collège, « le bahut » comme on disait, était moche en lui-même, mais il y avait beaucoup d’arbres et un bois l’environnait de moitié, ce qui le rendait plus agréable, plus accueillant.

J’ai essayé de faire un plan, ou plutôt deux plans, sans mesures exactes, ni échelles ni orientations cardinales. Cela évite les longues descriptions – et ainsi je peux plus facilement faire certains commentaires.

 

 

Plan du corps principal

 

 

 

Plan du collège

 

 

 

1. Corps principal : Trois étages plus rez-de-chaussée. Nombre de classes inconnu. Chaque salle numérotée. A la récré, les élèves mettaient souvent les cartables dans le couloir près de la porte de la classe où ils allaient avoir cours. A chaque entrée ça bouchonnait.

2. Préau : Voir plan 2*. Chaque gamin y posait sa « vache » (cartable), souvent la balançait...

3. Terrain de jeux : (foot et basket – panier basket).

4. Zone de circulation : Beaucoup d'élèves tournaient autour du bâtiment principal en groupe de deux à quatre. C'était une action qu'on effectuait rarement seule, sauf pour chercher quelqu'un.

5. Garage à vélo ou mobylettes. Les vélos étaient quand même plus nombreux.

6. Préfabriqués. Ils servaient au cours de musique.

7. Portail d’entrée. Entrée officielle.

8. Portail de sortie. Servant aussi bien d'entrée.

9. Bureaux de la directrice, gardiennage, Administration. Au grand portail de sortie. Parking à côté.

10. Préau tôlé en long. Prolonge le bâtiment du côté des entrées menant aux classes.

10 A. Zone de queue-leu-leu pour aller manger : Il y avait souvent de la gruge pour passer. Il y a une période où je faisais fi des principes bibliques et passait avec ruse par la porte de sortie. C’était toute une technique ou la discrétion et la vigilance étaient de mise, mais la plupart du temps, je m'en tirais pas mal. Il faut dire que le temps qu’il y avait à attendre était parfois interminable et que la faim tenaillant dans le ventre lorsque je finissais à 12h30 pour reprendre à 14 h avait raison de moi. Le temps libre d’après s’en trouvait aussi considérablement allongé.

10 B. Entrée du réfectoire.

10 C. Sortie du réfectoire.

11-12 Réfectoire : Bonne « bouffe » en général. Jour de steak-frites avec rabs. Le repas de Noël particulièrement apprécié : Même de moi... Le problème de conscience ne se posait pas : il fallait bien que je mange !

13 Coin poubelles et chêne : Dans ce coin qui bordait le bois et qui se trouvait entre l’extrémité du réfectoire et la "Salle de Perm", était un des lieux de mes repos favoris, un lieu un peu isolé qui offrait l’été l’ombre d’un grand chêne et l’automne un tapis de feuilles mortes et de glands. Autour des poubelles venait flâner souvent un clochard barbu, mais on le voyait rarement. Sur ce clochard, on apprit qu’il était très cultivé, mais qu’il avait perdu sa femme. C’est Monsieur Jouasse, dont je reparlerais plus tard, qui raconta cela. À moins que ce soit mon père.*

*Mon souvenir va vers cette seconde hypothèse.

14. Salle de Permanence : Trop bruyante le plus souvent pour que les "collés" ou ceux qui voulaient "s'avancer dans les devoirs" puissent se concentrer. Les pions manquaient souvent d’autorité. Certains pions par contre n’hésitaient pas à faire copier des lignes, 50 ou 100 fois : « Je ne dois pas… » Cela m'était déjà arrivé pour x raison, mais il n’était pas rare de prendre pour un autre ou pour tout un groupe perturbateur. Ceci dit, il m'arrivait de faire mon pitre… C'est aussi dans ce lieu que mon petit frère Yann qu'il ne fallait pas chercher, parce qu'on le trouvait, se retourna après maints avertissements vers la fille qui l'embêtait pour lui coller une baigne... Elle n'a pas recommencée.

15-16. Autres préfabriqués : À droite de la Permanence, la classe de musique. Le prof était Mme Flûte... Très gentille. Petite femme trapue: un tronçon. On la suivait au piano par la flûte ou le chant : sur la 9ème symphonie de Beethoven, Quand le Jazz est là, Ma mie, mon bien, mon âme de Brel, etc. C’était toujours un bon moment. J'étais nul à la flûte, mais Mme Flûte était indulgente dans ses notes parce que j'y mettais de la volonté et que j'étais malgré tout passionné pour la musique. Le préfabriqué avait son charme, il donnait une résonance particulière, un peu rustique, comme l’odeur de bois qui y régnait. Les préfabriqués étaient pratiques aussi dehors, car on se servait du marchepied pour s’asseoir.

Il y avait un petit quequ'chose impayable avec la prof de musique: lorsqu'un élève devait faire un morceau en particulier, seul devant tout le monde et qu'il se trompait, il faisait: "Flûte!" entre deux becquées. Tous de rire. Et certains en jouaient...

17. Terrains de foot en falun : Lorsque personne ne jouait au foot, il m'arrivait de chercher tout seul ou avec avec un copain, mais le plus souvent avec mon petit frère qui était passionné par les fossiles, des dents de requins et d’autres petits fossiles comme les éponges.

18. Piscine. Salle et terrain de sport : Il fallait traverser la rue pour y aller.

19. Coin de jeu de billes : Le trou principal était à l’angle.

 

Voilà pour la présentation des lieux et des souvenirs qu'on peut y rattacher en gros.

 

En 1985, donc, je fis mon entrée mémorable au collège de la Venaiserie. Mais les anecdotes appartiennent plus à la période après la 6ème. En cette année, mon frère Eric faisait sa dernière année, en 3ème. Et pas question pour lui d'avoir à faire à son petit frère Stéphane! La honte! Surtout qu'il avait des dents de lapin! Si je le croisais, c'était pour être moqué comme à la maison, mais avec ses copains. En revanche, l'arrivée de Yann au collège, c'était l'arrivée de mon protecteur de primaire.

Bref, le jour de la rentrée en 6ème, il y eut un discours de la directrice, puis l’appel fut assuré par Mme Laveille. Tous les élèves de 6ème étaient rassemblés sous le préau. L’attente était longue, excitante et stressante. Mme Laveille appela par ordre alphabétique tous les élèves de "6ème A". Après chaque nom crié, on entendait : "Présent ! Et ainsi les classes se formaient en rang, pour les 7 classes (de A à H). J'étais était en 6ème E. Je précise que les lettres avaient leur importance. Ainsi, je faisais partie des élèves moyens ou passables, des élèves en difficultés scolaires.

Une fois la classe faite, mon professeur principal donna ordre de monter en rang sans chahut. Une fois à l’étage (premier ou deuxième), elle ouvrit la porte avec la clé et invita les élèves à prendre une place dans la classe.

Là se joue pas mal de choses. Certains vont naturellement au fond : les « cancres », d’autres naturellement aux premiers rangs : les « grosses têtes », voir les « fayots », encore d’autres près du mur : peut-être les « dormeurs », les « discrets », ou près de la fenêtre : les « distraits », les « rêveurs ». Certains vont repérer une tête qui leur plaît bien, ou se mettre naturellement l’un à côté de l’autre, d’autres vont être indécis et vont chercher, voir attendre que tout le monde soit assis. En gros, il va y avoir des choix directs, spontanés, des choix délibérés, des choix hasardeux ou des non-choix. Il faut dire aussi que les premiers regards, les premières paroles échangées sous le préau peuvent être déterminants et que finalement, c’est tout un jeu d’affinités, de personnalités qui commence à se mettre en place tant bien que mal et qui ébauche le groupe avec ses clans.

Avec le temps, une image se fixe sur chacun, les uns se faisant remarquer plus que d’autres. Exemple: le maladroit, par maladresse... Les réputations se font vite. Et une fois qu’on te colle une étiquette, c’est très difficile de s’en défaire.

Enfin! tout le monde a pris place, moi y compris. Je me mis devant près de la fenêtre. Devant, à cause de mes problèmes auditifs. D'ailleurs, je venais de subir une greffe de tympan qui avait été ma plus grande souffrance physique (il m'avait fallu une piqûre...). Double point stratégique : devant, pour mieux entendre, près de la fenêtre pour s’évader au besoin. En rêve, bien sûr!(greffe de tympan évoquée p 69)

Bien. Le prof se présente. Puis encore un appel : « Présent ! ». On remplit chacun une fiche de renseignements pour elle. Nom, prénom, date de naissance, Adresse, nombre de frères et sœurs, profession des parents, loisirs, et enfin ce qu’on veut faire plus tard! En plus de tout ça, les achats supplémentaires à la liste de rentrée, l’emploi du temps, et j’en passe… Ça durera deux ou trois jours, le temps que la classe voit tous ses profs.

Le gros avantage des premiers jours c’est de n’avoir ni de leçons à apprendre, ni de devoirs à faire. Le temps est à l’enthousiasme, à l’excitation. Tout est nouveau. Même les crayons ! Et puis il y a du mystère : quelle sera la tête du prochain prof ? Sera t-il bien ? Tout ça créer un climat particulier. L'on a aussi ses petites trouilles : peur de se perdre dans les salles, etc. Mais ça fait naturellement partie du temps d’adaptation, et ma foi, on s’adapte vite à tout. Enfin tout...

Que dire encore de ma rentrée en 6ème ?

Bah, rien.

Et comme il n'y a plus rien à dire, je vais faire un saut dans la vie jéhovine.

 

Il y avait, comme je l’ai déjà dit, commune à tous les Frères et sœurs une expression symptomatique qui était devenu un tic collectif, une sorte de mot de passe : « On peut voir que... » Chaque réponse un peu plus étayée que « Oui », « Non » « Jéhovah » ou « Jésus »  commençait par « On peut voir que », sous-entendu : « Tout le monde peut voir ici, c’est écrit, que… ». On peut y voir une assurance, une garantie pour tout le monde, compte tenu qu’on ne parlait pas en son nom propre, mais au nom d'une idéologie de groupe qui doit être respectée dans son entier. C’est une façon d’appuyer, pour rentrer dans la norme, pour se sentir approuvé, pour se convaincre peut-être aussi d’être dans le vrai, que l’on parle au nom de Jéhovah et de sa parole la Bible et non de soi ou non de quelque homme que ce soit. Tout ce qui était écrit dans La Tour de garde ou dans n’importe quel "livre de la Société" était parole d’Évangile puisque c’était la "nourriture spirituelle" que Jéhovah donnait à ses serviteurs par l’intermédiaire de l’Esclave Fidèle et avisé, la Watch Tower Society à Brooklyn, siège mondial de toutes les publications et instructions, répandues ensuite à travers le monde en passant par le Bethel de chaque pays, celui-ci diffusant après traduction et imprimerie la « Tour de Garde » et « Réveillez-vous!», périodiques hebdomadaires qui représentent les piliers de l’Organisation.

Réveillez-vous! et La Tour de Garde se complétaient si bien qu’on les alliaient presque toujours dans la prédication. Qui ne s’est pas vu proposer à sa porte au moins une fois le Réveillez-vous! et La Tour de Garde un dimanche matin à l’heure où on fait la grasse matinée ! Les TJ n’encourageaient pas à faire la grasse matinée, mais à se consacrer. Et ils avaient de l'humour à revendre: "Quels sont les deux genres de personnes que l'on voit le dimanche matin?

Réponse: "Les cyclistes et les Témoins de Jéhovah!"

 

 

Voici maintenant un témoignage brut sur les méthodes d'enseignement dès le plus jeune âge.

Chez les Témoins de Jéhovah, on ne reçoit pas que des coups de bâtons, enfant, on en fait !

Cela me fait penser au poète Antonin Artaud. Un jour un ami lui rendit visite à l'hôpital psychiatrique de Rodez et lui demanda ce qu'il faisait là, avec application sur son cahier. "Je fais des bâtons", répondit-il. On peut voir qu'il n'y a pas d'âge, et qu'il n'y a pas besoin d'être Témoin de Jéhovah pour faire des bâtons. Sauf qu'au poète, il lui manquait deux colonnes avec deux noms.

  Lorsque je n'étais qu’un enfant, je faisais donc avec mes frères des bâtons, un bâton à chaque fois que j’entendais  « Jéhovah »  un bâton à chaque fois que j’entendais « Jésus » de la bouche du grand monsieur. Ça faisait donnait à peu près ça :



 

Jéhovah Jésus

 

 

I I I I I I I I I I I I I I I I I I I I I I I

 

 

Après on comptait. Ça devenait un concours entre mes frères aussi. Dès fois qu’on était pas sûr dans un manque d’attention ou pour n’avoir pas bien entendu, alors on se tournait en même temps vers papa et lui demandait : « Il a dit Jéhovah ? – Oui. Et hop, un bâton !

Ce jeu peut faire rire. Il peut paraître innocent, mais il ne l’était pas. Il s’agissait d’une méthode active de bourrage de crâne. Quoi de plus parfait comme système que l’auto-bourrage?

 

Mais un jour, on a jugé que j'étais trop grand pour faire des bâtons, exercice où j'étais rôdé... On m'a fait comprendre que je n'étais plus un enfant. Aussi on m'offrit, puisque j'avais bien appris à lire à l'école, une belle Bible verte sur la page de garde de laquelle j'eus le plaisir d'inscrire mon prénom et mon nom de famille, et même ma Congrégation.

[Il lisait une Bible à la tranche vert-chou, lit-on étonnement dans Les Poètes de 7 ans d'Arthur Rimbaud (qui, pour la Bible, était un petit joueur à côté de moi) Il faut seulement remplacer "tranche" par "couverture". (déjà dit au début)]

« Avec ce nouvel outil, Stéphane, me dit un Ancien, tu vas pouvoir lire la Bible et chercher tous les versets bibliques qu'on t'invitera à chercher et à lire en même temps qu'ils seront lu par le Frère qui fait le discours ou par un frère ou une Soeur interrogée, et même toi, tu es invité, et nous t'y encourageons fortement, à lever le doigt pour lire un verset demandé. C'est simple, mais, cela demande une certaine habitude, ça viendra. Pour trouver un verset, tu peux te reporter à la table des matières au début, et puis après en parcourant rapidement d'un bout à l'autre tu pourras lire en haut dans quel livre de la Bible tu es. Tu vois, par exemple, le frère dit: "Je vous invite à prendre I Corinthiens 15: 33. Tu regardes dans la table des matières "Noms et ordre des livres". Tu vois qu'il y a deux parties.

  • Oui.

  • Que lis-tu?

  • Dans les Écritures hébraïques.

  • Vois-tu dans les colonnes I Corinthiens?

  • Non.

  • Bien. Et que lis-tu ici?

  • "Dans les Écritures grecques chrétiennes." Bien, tu peux trouver maintenant le livre en allant à la page indiquée en face des pointillés. Là, c'est toute la colonne des pages. Il y a marqué la page, là, tu vois?

  • Oui. 1 2 2 4

  • C'est la page mille deux cent vingt quatre, en effet, là où se trouve le début du livre. La Bible compte plus de 1300 pages, sans compter l'index des mots bibliques les plus importants. Tu veux essayer de trouver tout seul?

  • Oui.

  • Voilà. C'est très bien. Et maintenant tu as des gros chiffres pour les chapitres et des petits chiffres pour les versets. Tu Vois?

  • Oui.

  • Oui, c'est ça, tu y es. Et là tu peux lire. Que lis-tu?

  • "Ne vous laissez pas égarer. Les mauvaises compagnies gâtent les saines habitudes."

  • C'est un verset très important, Stéphane. Je suppose que tu résistes à la tentation de fréquenter les gens du monde...

  • Oui...

  • C'est bien. Jéhovah est content. Le monde est mauvais et Dieu désire qu'on ne fréquente pas des personnes qui ont de mauvaises influences sur les serviteurs de Dieu.

  • Tu peux prier Dieu, tu sais.

  • Oui.

  • Dieu peux t'aider devant les tentations de Satan le diable. Il suffit de le prier, comme on le fait. Cela est une source de force et de réconfort, car les attaques de Satan sont très fortes. Et pour avoir la vie éternelle sur la terre devenue un paradis, il ne faut pas lui succomber. Tu veux vivre éternellement dans le paradis?

  • Oui.

  • Ce serait merveilleux, n'est-ce pas?

  • Oui, sinon je ne verra pas les animaux...

  • Oui, Jéhovah t'aime, et il veut te sauver, il ne désire pas que tu aies la destruction éternelle. Il veut que tu vives dans le paradis, parmi les animaux.

  • Oui, et je pourrai même caresser les lions.

  • C'est bien, tu connais bien la parole d'Esaïe...

  • Esaïe 11:6! « Le lion couchera avec l'agneau et un petit garçon sera leur conducteur! »

    Je brode. Le Frère, impressionné, aurait pu dire :

    « C'est bien, tu connais tes Classiques ! »

    Mais le Témoin de Jéhovah et la littérature, en général, ça fait deux.

    Une fois que j'étais bien rôdé à ce nouvel exercice correspondant à mon âge, une fois que j'eus éprouvé la difficulté au début, mais le plaisir enivrant de tourner les pages froufroutantes sous les doigts, de plus en plus rapidement, jusqu'à ce qu'en quelques secondes je puisse trouver n'importe quel verset biblique, je fus vivement encouragé à prendre des notes de ce qui était dit sur un cahier. C’était une véritable gymnastique, puisqu’on n'abandonnait pas pour autant la recherche des passages bibliques (ex : Matthieu 24 :14, I Corinthiens 15 :33). Jusqu'à présent, tous les exercices visaient à maintenir l'attention, ce qui n'était pas toujours facile, surtout lors des réunions le soir. Ainsi tourner les pages de la Bible faisaient à peu près le même effet que le café.

Gosse, bien souvent on faisait des bâtons ou regardait les images des livres « bibliques » pour faire passer le temps. Mais lorsque la fatigue venait, soit on s’énervait et on se prenait la fessée dans la « petite salle », soit on dormait par terre, surtout lorsque c’était le soir.

Pour ce qui est des prises de notes, elles avaient trois fonctions :

  • Retenir l’attention

  • Mieux mémoriser

  • Pouvoir les utiliser plus tard (mais c’était rare que je relise mes notes).

 

Voici un extrait de carnet de notes qui parlera mieux que n'importe quelle explication.

Encore un témoignage brut?

Brut de brut! Au point où je respecte la ponctuation, les fautes et la mise en page bien-sûr. Ce qui est en italique est écrit en rouge.

 

 

Extrait du carnet de note du 24 juillet 1988:

 

 

"où peut-on trouver la joie en servant dieu.

la joie que procure les plaisirs du monde

l’amour de l’argent

1 Timothé 6 : 9-10 la ruine – la douleur

ceux qui moissonnent en vue de la chair

Gal 6 :7-8 la corruption

ce qu’est la joie

satisfaction, attente d’un événement

pr 17 : 22

ce que procure le véritable bonheur

nehemie 10 :18

nouer je avec Jéhovah de bonnes relations

ps 63 :3

la connaissance de la vérité

jude 13 (situation de ceux qui ne connaissent pas la vérité)

jean 8 :32

ps 104 : 468

romains 8 :2

le chrétienne doit pas avoir la crainte de l’homme

jean 17 :3

il y’a plus de bonheur à donner qu’à recevoir. Cela s’applique autant pour la prédication.

Phillippien 4 :2

I thessanolicien 2 :19-20

si nous sommes pas bien recu des gens il faut se dire qu’on a l’approbation de dieu quand même

la persécution est une source de joie si on a foi

les épreuves aussi si on a confiance en dieu et quand on a réussi à les endurer

jacques 1 : 2-5

hébreux 13 : 5-6

la compagnie des frères et sœurs procure de la joie

hébreux 6 :10

colossiens 3 :7-10

amassons les trésors dans le ciel

I Timothé 4 :10

psaumes 100 :2

la joie de jehovah est notre forteresse

on aura un avenir et un bonheur éternel et durable"

 

On trouvera l'ensemble de mes notes de réunions et d'assemblées en annexe.

 

Curieusement, je ne mettais pas de majuscule aux noms propres la plupart du temps et écrit même Dieu avec un "d" minuscule. Je ne les mis qu'à partir de 1990.

Mais encore une fois, je fausse la chronologie. En 1988, j'étais en deuxième année de 5ème. j'avais 15 ans.

À 15 ans, je franchis une nouvelle étape, à la proposition d'un Ancien. Celle d'être qualifié "Ami de la Vérité". L'année suivante on me proposa d'être "Proclamateur non baptisé"...

En effet, j'avais été habitué dès enfant à donner des "tracts" en prédication, en compagnie de mon père. On disait avec humour qu'il fallait surmonter le tract... Mais je l'ai bel et bien eu. La première fois surtout.

"Tiens, Paul

Stéphane, tu veux donner un tract au monsieur?"

Je l'avais fait, le monsieur l'avait accepté, ouf!

Des années avaient passé, et sachant lire, je pouvais aussi m'exprimer oralement et parler aux portes et essayer de "placer" un Réveillez-vous! Ou mieux une Tour de Garde (plus consistant, ébauche d'une étude biblique puisque présentant des questions en bas de page). Le top, bien sûr, était de d'obtenir une étude biblique. Mais ne brûlons pas les étapes. J'avais déjà bien du pain sur la planche et de tract à surmonter. Mais j'étais aidé. J'apprenais à m'exprimer en vrai orateur par la préparation de temps à autre d'un sujet qu'un ancien me donnait à l'avance et que je devais préparer en plus de tout le reste. Ce discours que je devais faire au pupitre devant une centaine de personnes, invitant moi aussi, de temps à autre, à chercher un verset biblique, OUAH! quelle sensation de pouvoir et d'importance! Mais quelle angoisse aussi... (Surtout la première fois!...) Je devais me détacher le plus possible de mon texte écrit, puis plus tard de mes notes. J'avais une petite feuille dactylographiée où était inscrit les points à travailler.

[doc]

Il existait bel et bien une émulation entre gars. Les filles, comme les Soeurs, comme notre mère, par exemple, ne faisaient pas de discours au pupitre, face au micro. Les femmes ne portant pas de cravate, mais des robes et du maquillage, elles ne pouvaient faire, en tant que "vase faible", en somme, ni discours, ni prières. Elles allaient par contre par deux sur l'estrade faire une démonstration très convaincante de ce qu'il ne fallait pas dire en face d'une personne « du monde » lors du porte à porte, suivie d'une démonstration très convaincante de ce qu'il fallait dire suivant les situations, suivant ce que dirait l'interlocuteur en face, représenté par une des Soeurs. Le rire ne manquait pas dans ces scénettes de mise en situation. Bref, c'était dans ce genre unique que la gente féminine, que les jeunes filles en fleurs, donc, pouvaient parader et émoustiller les garçons en bourgeon... Seulement, pas question de flirter celles-ci, bien qu'elles soient "dans le Seigneur" et qu'il serait possible qu'on se marie avec l'une d'entre elles qui étaient comme les garçons de la Congrégation "dans le Seigneur". Et pourquoi? Parce qu'on ne pouvait certes se marier que "dans le Seigneur" , donc avec un Témoin de Jéhovah baptisé. Avant, tout contact entre pubertaires était suspecté. La fornication, c'est à dire une relation sexuelle avant le mariage, était prohibée. C'était un péché grave qui encourait l'exclusion chez un TJ baptisé; pour un non baptisé, cela revenait au même. S'il s'était repenti, il devait pendant une période s'installer au fond de la Salle, mis en quarantaine, avec interdiction pendant un moment de tout contact avec cette personne. La honte sur la famille aurait été telle que, plutôt que cela, il ne serait pas venu aux réunions avant un bon moment.

Donc, pour être sûr qu'il n'y ait pas de dérapage, toute amitié avec une personne de l'autre sexe avant d'être en âge de se marier ou de fréquenter en vue du mariage était officieusement prohibée. Cette interdiction était pour ainsi dire créée par déduction. Une pression, une surveillance constante assurait la sécurité. Tout le monde était à découvert aux réunions ou ailleurs. Cet ailleurs pouvait être sur un terrain de foot où les Témoins de Jéhovah avaient l'habitude d'aller à plusieurs familles pour courir après le ballon après la réunion du dimanche. Cela faisait beaucoup de bien, en été (les parties n'ayant lieu qu'en cette saison) d'aller se défouler avec un ballon, et ces événements étaient forts attendus. Samuel, mon meilleur ami, mon seul en fait, et mon confident surtout, était de la partie avec ses frères et son père. Sa mère, comme toutes les autres femmes était assise à côté du terrain. Sous les arbres, installées sur la pelouse, les femmes papotaient entre elles en faisant du tricot ou des mots croisés ou s'occupaient de leurs enfants en bas âge.

Donc, une fois, Samuel et moi, tous deux attirés par une jolie fille de la congrégation sur laquelle on avait des vues depuis longtemps, Amandine, on manigança un plan pour la faire venir à nous sous des arbres. « Manigancer » est peut-être un peu fort, enfin on fit en sorte de la courtiser, de la flirter, de la draguer, si je puis dire, à l'abri des regards. Elle vint, avec tout son charme de jeune fille. Mais très vite, son père vint intercepter la cour – fin de l'Idylle... L'un de nous deux n'avait-il pas fait une proposition indécente? La demande d'un baiser, peut-être. La fille n'avait-elle été confuse et n'avait-elle ensuite été trouver ses parents pour dévoiler notre audace? Ou le seul fait de nous avoir surpris seuls avec sa fille avait-il été jugé dangereux par le père ?

Quoi qu'il en soit, il n'y avait pas moyen. Même sur un terrain de foot...

 

La forte relation amicale entre garçons n'était curieusement pas suspectée. Si la fornication était une menace, l'homosexualité était impensable. Cela dégoûtait. Et on avait l'exemple d'amitiés intenses dans la Bible comme celle de David et de Jonathan. Ces relations étaient tenues comme pures.

Il existait une de ces "affinités électives" entre Samuel et moi qui créa la force de notre lien.

Samuel était l'idiot de la famille, encore plus que je ne l'étais. Lui était carrément le souffre-douleur de ses grands-frères. Et que dire de sa petite soeur qui avait encore plus de frères que ma soeur n'en aura (celle-ci n'étant pas née) et qui se trouvait avec sa mère devoir subir le machisme culturel particulièrement vivace du mari se répercutant sur les garçons, sauf étrangement sur Samuel.

Cet état de fait aurait pu trouver une faille en dehors de la sphère des Témoins de Jéhovah. Par exemple au collège. Dieu sait que les premiers flirts et parfois les premières relations sexuelles ont lieu dans la sphère collégienne, bien que le plus souvent en dehors du périmètre scolaire.

Le risque au collège existait pour moi,car si je m'entendais un jour bien, le lendemain pas bien avec mon copain de collège Grégory, avec les filles, les relations allaient comme sur des roulettes. Passée ma timidité, devenus copain-copines, je me sentais bien avec elles. Au point qu'un jour, deux filles du collège me proposèrent, aguichantes, de venir chez l'une d'elles, enfin chez leurs parents absents.Sentant le danger, je refusai.

En revanche, l'amie féminine que je n'avais jamais eu chez les Témoins de Jéhovah, je l'eus au collège. Une qui n'était pas une simple copine de récré. Une vraie amie.

Elle habitait en campagne comme moi, dans la même commune: Brain sur l'Authion. On s'était rencontré par le biais du ramassage scolaire.

Mon amie prenait le même car que moi; elle montait à l'arrêt suivant le mien. Elle s'appelait Sandrine, avait des cheveux noirs assez courts et assez raides, mais surtout de magnifiques yeux noisettes en amande. On s'attendait souvent à la sortie pour rentrer à pied chez nous lorsqu'on finissait de bonne heure, plutôt que d'attendre le car du soir. Les huit kilomètres à pied ne nous faisaient pas peur. Le long de la route nationale bordant les champs et les bois, on avait un délicieux sentiment de liberté, d'émancipation. C'était l'âge. Sandrine était volubile. Elle pouvait raconter en détail le dernier épisode de la Série de télévison "V" dont elle était fan. Mais un jour, dans le car; ce ne fut pas "V" que Sandrine avait sur le coeur.

  • Stéphane...

  • Oui?

  • J'aimerais te dire quelque chose.

  • Quoi ?

    Ses grand yeux se firent caresse.

  • Eh bien. J'ai jamais aimé un garçon comme je t'aime.

    Son visage s'empourpra. D'abord confus, je lui dis sans la regarder :

  • Je crois que moi aussi, j'ai jamais aimé une fille comme je t'aime.

  • On peut prendre un rendez-vous dans un bois...

  • Sandrine...

    Je la regardai tristement et baissai les yeux sur sa petite poitrine palpitante sous son décolleté moulant des proéminences tendues.

  • J'aimerais... Mais j'peux pas.

  • Pourquoi? Faut pas avoir peur, c'est naturel... Je t'aime, Stéphane, je suis folle amoureuse de toi...

  • Sandrine. J'y peux rien. Faut que j'te dise...

  • Quoi?

  • Ma religion me l'interdit... Je peux pas avoir de relation sexuelle avant le mariage. C'est mal. J'aurai trop mauvaise conscience, tu comprends?

  • Non, j'comprends pas. C'est nouveau? C'est quoi ta religion? Moi j'suis catholique, et ça m'empêche pas d'faire comme tout l'monde.

  • Oui mais moi j'suis pas catholique. Les catholiques ils appliquent pas la Bible.

  • T'es quoi alors?

  • Mes parents sont témoins de Jéhovah...

  • Tu m'as jamais parlé de ça.

  • Oui, j'veux pas être embêtée avec ça. Mais là j'peux pas faire autrement, comprends-moi.

    Sandrine avait les larmes aux yeux.

  • Alors c'est fini, c'est impossible entre nous?

  • Non. Si tu deviens comme moi, non...

  • Je comprends pas...

  • On pourrait s'marier ensemble un jour, si tu...

  • Si je devenais comme toi? T'es fou, tu veux que je devienne Témoin de Jova?

  • Tu m'aimes?

  • Oh oui, Stéphane!

  • Moi aussi je t'aime, Sandrine. Alors si on s'aime, on peut faire qu'ce soit possible, et si tu m'aimes, eh bien faut que tu deviennes comme moi.

  • Je veux bien essayer par amour pour toi.

  • Je suis heureux que tu veux bien. Tu voudras que je t'emporte un livre de Témoin de Jéhovah?

  • Je veux bien, mais faut que je demande à ma mère d'abord.

  • D'accord.

  • Je crois qu'on arrive à ton arrêt, Stéphane.

  • Oui. À lundi Sandrine.

  • Mon amour, embrasse-moi...

  • J'peux pas...

    Je m'esquivai, tambour battant.

    Le lundi, Sandrine m'apprit que sa mère était farouchement opposée, qu'elle détestait les Témoins de Jéhovah.

    À partir de se moment-là, notre relation se refroidit. Sandrine tenta le tout pour le tout, essaya de me convaincre pour que je désobéisse à ma religion. Peine perdue d'avance. Peine gagnée pour deux coeurs impossibles à unir par le corps...

     

    Cet événement clé de ma vie, et que j'ai reconstitué au mieux, peut servir de pivot ou de prétexte pour aborder un sujet qui a déjà été effleuré: la sexualité.

     

    Depuis un moment je cherchais quelque chose, ce quelque chose qui répondrait à mes questions: Par où passait le pénis?Est-ce que ça faisait mal?

    Il se demandait par quel trou ça pouvait rentrer son zizi. Étant doté d'un "trou du cul", ne me suis-je pas dit que ça devait être par là et que ça devait faire très mal? Or, je ne voulais pas faire mal, ou que ça fasse mal.

    Aussi, je trouvai un jour ce que je cherchais avec excitation. C'était avant que je connaisse Sandrine, avant que je ne déménage à la campagne en novembre 1986. C'était donc à Saint Barthélémy. J'avais cherché ce quelque chose inconsciemment, guidé par un puissant instinct et une grande intuition. J'avais fouillé, j'avais trouvé. Dans la chambre de mon petit frère Joseph alors bébé, là où je devais souvent sur l'ordre parental le bercer longuement, la main sur le dos pour qu'il dorme, j'ouvris un des placards et sous un amas de linge, dégota un livre noir. je fus fasciné autant que dégoûté de ma découverte: mes parents possédaient un livre pornographique! C'était obscène, sale, impur, voilà tout. Je m'étais toujours protégé de ce qu'un camarade de primaire dont j'ai parlé, Sébastien Bosse, étalait grossièrement en classe, enfin sous les tables. Mais là, par ce livre, la porte du vagin de la femme m'était donné à concevoir en esprit, vaguement en image.

    Un jour, habitant alors à Saint Barthélémy, mon frère Eric avait ramené à table un préservatif gonflé comme un ballon et qui le faisait beaucoup rire. Les parents avaient expliqué ce que c'était. Maman avait même dit: "Moi, j'aime pas la saucisse sous cellophane; Je préfère nature!" on aurait dit qu'elle lançait un "SOS saucisse nature", tant elle défendait la cause avec coeur.

  • Vous avez un livre pornographique ! Je sais tout! Vous êtes hypocrites! balançai-je tout à coup.

    J'avais lâché ce que j'avais sur le coeur depuis longtemps.

  • De quoi parles-tu, Stéphane? dit ma mère.

  • Du livre noir avec des photos cochonnes! Je l'ai vu!

  • Qu'est-ce que t'as été fouiller? Où as-tu trouvé ça?

  • Dans la chambre à Joseph, dans un placard.

  • Ah! je vois. Mais, ce n'est pas un livre pornographique. C'est un livre d'éducation sexuelle qui s'adresse aux couples.

    Eric se marrait dans son coin, entraînant Yann dans sa moquerie.

    Peu importe, mes yeux commençaient à se dessiller. J'allais goûter bientôt le fruit du désir. Le désir d'en savoir plus, le désir d'y retourner, au livre noir comme un mont de Vénus! Enfin, le désir d'avoir des sensations secrètes, de découvrir le plaisir que l'on pouvait éprouver à cet endroit intime, désir qui était comme la montée de la sève dans un bourgeon avant éclosion, désir enfin qui s'avérerait un jour plus fort que l'interdit mettant mon corps en cage.

 

 

Pour compléter mon chapitre, il me faut encore, je vois que c'est le plus simple, faire appel aux poissons-souvenirs en procédant par rubriques, celles-ci grosses, celles-là petites. La première est grosse et va loin en arrière:

Lectures: Mes premières lectures personnelles furent d'une importance capitale pour moi. Il y eut d'abord Le vieil homme et la mer d'Hemingway: force morale, courage, combat et symbiose de l'homme avec l'espadon pêché; présence d'un oiseau dans sa solitude de mer. Il y eut ensuite Le Lion de Joseph Kessel: majesté de la brousse africaine, amitié d'une fillette et d'un lion: Simba; le passage où ils jouent ensemble sous un arbre parasol était pour moi le summum de beauté que je pouvais lire. L'histoire est belle, mais tragique, et je dus le pressentir, puisque je m'arrêtai après ce qui était pour moi le summum, il ne m'en fallait pas plus, j'aurais détruit le rêve.*

*Une fois adulte, je le lirai entièrement, savourant la profondeur psychologique des personnages, et connaissant enfin la fin avec grande émotion.

Ces deux livres furent lus dans la dernière année de CM2.

Il y eut ensuite les lectures imposées, les lectures "au programme". Les premières données par deux professeurs de français différents ne furent guère appréciées de moi, à commencer par Vipère au poing d'Hervé Bazin qui avait beau être natif de ma région, il ne trouva pas faveur à mes yeux. Autant j'étais impressionné par le titre et sa métaphore cachée, autant la lecture me rebutait instinctivement, puisque ça traitait d'un enfant maltraité. Folcoche était un nom à vomir. Je ne le lus pas. Je ne lus pas non plus La Guerre des Mondes d'H.G. Wells qui m'attirait plus pourtant, programmé par un professeur réputé pour son haleine fétide. Mes parents, enfin ma mère s'y opposa: lecture trop peu chrétienne, bien trop de violence. De quelle violence voulait-on m'abreuver? De celle de Folcoche? Trop violent, la Guerre des Mondes? J'y voyais surtout une histoire de science-fiction, une oeuvre fictive, pleine d'imagination. Entre l'interdiction maternelle de la Guerre des Mondes et le conseil et même la bénédiction de Jane Eyre de Charlotte Brontë, ma prochaine lecture personnelle, il y avait eu une année passée au moins et surtout un déménagement en campagne. C'était un livre qui avait d'autant plus de valeur à mes yeux que ma mère l'avait lu et aimé. Le livre était vieux, de l'édition "Marabout géant" et présentait ce quart de livre bleu outremer éclairé de jaune comme des phares d'une voiture par ces quelques mots: "inoubliable Jane Eyre" suivis de points de suspension. Et ce que je lus donnait vraiment envie: "La plupart des personnages de romans paraissent pâles à côté de Jane Eyre. Le génie de l'auteur lui a fait concevoir en effet une héroïne de chair et de sang, dotée d'une vie intérieure d'une densité et d'un dynamisme exceptionnel. C'est pourquoi Jane Eyre (suite au verso) domine de très haut la plupart des créations romanesques d'hier comme d'aujourd'hui et laisse au lecteur un souvenir inoubliable." On ne peut guère trouver mieux comme appât, comme quatrième de couverture que celui-ci. Et encore surenchérissait-il: « Comment en effet ne pas être ému et transporté par cette petite gouvernante », etc. À là suite, quatre autres "comment ne pas"... achevait de convaincre et de séduire. Je le lus pendant les récréations et ne fut pas déçu. Quelle souffle romantique! J'ai déjà parlé de la figure de Rochester et de sa femme folle faisant songer à mon grand-père maternel et à sa femme qu'on appelait « La Belle-Mère », mais il y avait tant de choses, d'épisodes anthologiques, d'atmosphère, plongé qu'on était avec l'héroïne dans la nature de landes tourmentées du Yorkshire. Il y avait sa disgrâce physique agencée à la plus grande grâce spirituelle; il y avait cette révolte pré-féministe, il y avait sa vie déroulée depuis son enfance, son évolution décrite, il y avait tout: la nature, des descriptions de dessins, du mystère, du suspense et surtout de l'amour, l'ingrédient principal, le fil conducteur. C'était avant tout un roman d'amour, mais qui n'avait rien à voir avec les romans à l'eau de rose, les romans Harlequin. C'était le plus grand roman d'amour, le plus grand roman tout court.

Les prochaines lectures scolaires, furent déterminantes pour moi et elle ne l'auraient pas été s'il n'avait eu Mr Lamballe comme professeur de Français, un professeur qui faisait penser physiquement à Jeoffrey de Peyrac dans Angélique, marquise des anges. Comme le prince charmant du film, il était boiteux et avait une cicatrice qui rayait son visage viril et hâlé. Le mot "charisme " lui collait à la peau, mais il brillait par une ironie mordante, un panache sans égal allant jusqu'à la provocation, et surtout une passion de tous les diables pour la littérature. Il descendait les navets comme les Harlequins. C'est ainsi qu'il raconta un jour que ne pouvant lire un Harlequin, lui et sa femme s'étaient résolu à lire chacun une moitié: ainsi, l'image stéréotypée des couvertures de l'homme-fauve dominant de sa hauteur la femme-poupée disparaissait; il ne restait qu'égalité; chacun ayant eu sa part égale... À l'inverse, Mr Lamballe mettait au pinacle des livres audacieux, sulfureux comme celui qu'il conseilla vivement de lire à ses élèves: L'os de Dionysos! Cela se passait dans un lycée, mettait en scène des professeurs avec leurs bassesses et leur lubricité. Assurément pas un prof orthodoxe, Mr Lamballe, mais j'étais bel et bien emballé !

Cependant, ce sont les livres qu'il avait programmé à l'année qui furent une révélation pour moi. Primo: L'appel de la Forêt de Jack London. Secondo: Zadig de Voltaire, tertio: Le Horla de Maupassant. Roman d'aventure du grand-nord, fable philosophique au cadre mésopotamien mais à l'écho Versaillais et nouvelle fantastique à frissons garantis, subtile, époustouflante, servie par un style d'une simplicité, d'une maîtrise et d'un sensuel déconcertant. La littérature révélée, le pouvoir des mots, c'est à Maupassant que je le devais. Le sens critique, la pensée philosophique, la liberté d'Esprit en particulier, c'est à Voltaire, Esprit libre par excellence; le sentiment, la grandeur et misère humaine, le souffle, la liberté... , c'est à Jack London. Trois récits forts différents illustrant chacun un siècle – XVIII, XIX et XXème – en plus d'un genre et d'un auteur. L'appel de la forêt me suscita la lecture d'un autre classique du genre, qui n'est pas Croc blanc mais Kazan, de James Olivier Cürwood, – Kazan le chien de traîneau un quart loup et trois quarts chien. Je l'avais choisi à la bibliothèque du collège où j'allais souvent, où je me retrouvais bien souvent le seul lecteur avec la bibliothécaire que j'adorais et qui m'appréciait beaucoup, qui avait un charme irrésistible et était bonne conseillère. Je devais lire un livre et en faire un résumé. J'avais choisi Kazan.

Voici le résumé que j'en fis, sans doute bien aidé du quatrième de couverture:

"Kazan est un chien-loup redoutable du grand nord canadien. Il vit parmi les hommes en tant que chien de traîneau. Il charme les mains douces des femmes amies, mais des hommes cruels lui font subir la loi du gourdin [bâton]. Son quart loup le guide vers la liberté, là où ni le gourdin ni le fouet n'existe, tout en n'oubliant pas ses amies. Dans le Wild, il rencontre Louve grise qui devient sa compagne. Mais celle-ci perd la vue lors d'un combat. Kazan, son seul secours, devra affronter les bêtes sauvages, les incendies, la faim, le froid, la souffrance, en n'oubliant pas les hommes méchants dont il se vengera. Mais ses trois quarts de chien qui sont en lui le fera retourner vers les hommes bons.

 

*

Bon, finalement, de rubriques, il n'y en avait qu'une!

En compensation voici quelques-uns de mes dessins de ces années-là. Le premier dont je me souvienne est la gouache d'une tête de tigre feulant, vraiment très féroce. J'ai donné ce dessin plus tard à un anglais, un certain John. Le deuxième a été fait entre 1986 et 1988. il s'agit d'une nature morte réalisée à la gouache d'après nature.

 

DOCUMENTS

 

Peintures personnelles période collège

 

 Bouquet de fleurs séchées collège

 

Dessins de cours de dessins

 

Chutes du Niagara - peinture collège

 

 

Muesli au serpent - collage collège

 

 

Montagne rouge d'Australie - dessin collège

 

DESSINS PERSONNELS ORNANT CAHIERS DE COURS D'HISTOIRE-GEO

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Cahier de 5ème.

Cette année-là peut-être ai-je vu le péplum Masada (1981) dont le catapultage d'hommes contre la ville m'impressionna.

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cahier de 5ème

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Cahier de 5ème.

Je fis aussi un exposé en classe sur les civilisations précolombiennes (Aztèques, mayas et incas...). A l'époque passait à la télé la célèbre série animée Les Cités d'or, que l'on regardait tous les mercredis, avec son petit documentaire à la fin. On n'a guère fait plus pédagogique en matière de dessin animé. Je me passionnerai plus profondément pour les Aztèques une fois adulte, vers 1998 après la lecture de Les Quatre soleils de Jacques Soustelle, et chanterai peu de temps après des chants en nahualts (trouvé dans un recueil de poésie aztèque) en grattant sur la corde mi grave de ma première guitare.

 

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Ce dessin de 3ème représente Alien, d'après la célèbre série. J'ai pu voir l'un des deux premiers: Alien, le huitième passager (1979) de Ridley Scott ou Alien, le retour (1986) de James Cameron. Je pense que c'est le premier. Je me souviens au collège imiter le souffle terrorisant d'Alien à l'oreille de camarades. 

 

TRAVAUX PERSONNELS POUR COURS DE BIOLOGIE

 

Des travaux passionnants où je me suis totalement investi au détriments de devoirs dans d'autres matières que je n'aimais pas et où je n'avais pas de bonnes notes. Si aussi, je me suis autant investi, c'est aussi que le prof était passionnant, motivant.

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TRAVAUX PERSONNELS EN DEHORS DES DEVOIRS DE BIOLOGIE 

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   Je fis un dossier personnel sur le grand requin blanc après avoir vu Les dents de la mer (1975) de Steven Spielberg. Mon dessin est plus terrifiant, en tout cas plus sanglant que l'affiche du film auquel il fait penser, sans pour autant l'avoir vu, je crois. Je fis un second dossier intitulé "Le requin blanc, tueur absolu", avec un dessin d'affiche plus soigné, non sanglant. Il parlait aussi des requins en général, un chapitre traitait de sa respiration notamment .

 

 


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COURS DE BIOLOGIE

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8 décembre 2017

Mémoire BROUILLON (version longue - 1973-1995 - chapitre 2 : De la naissance à la Primaire SUITE)

Chapitre 2

 

 

France. Maine et Loire. Angers. Rue des Banchais. Salle "du Royaume" des Témoins de Jéhovah, 1983.

J'ai maintenant dix ans. Je peux chanter J'ai dix ans, huit ans après la sortie de la chanson de Souchon.

Si tu m'crois pas, hé! T'a var ta gueule à la récré...

C’est l’âge où on se sent avoir grandi. Les impressions se précisent. Tout ce qu’on a acquis de flou devient plus clair. Clair comme Familiarité, comme Connaissance. On entre insensiblement dans le Savoir.

La rue des Banchais s’est éclairée. La Salle est devenu un lieu habituel, depuis longtemps déjà, mais jamais aussi chaleureux, aussi familier. Car c’est une famille maintenant, une nouvelle famille. La famille Delavigne est une famille dans une Famille et la Salle est une autre Maison. Aller à la Salle, c’est l’occasion de se retrouver avec tous les Frères et Sœurs pour ensemble servir, louer Jéhovah qui les a réuni. Et puis là, pas de moqueries ou de rejet comme à l’école. Tout le monde s’aime. C’est un monde nourri de rêves, nourri du rêve le plus grand : plus de guerres, plus de méchanceté. Le Paradis. Une terre qui devient un Paradis. Et ce qu’il y a de plus merveilleux pour moi, c’est tout simplement les animaux. Car il y aura plein d’animaux que je pourrai caresser. «Pourra même jouer avec ! Avec les lions, avec les éléphants, les serpents, tous les animaux sauvages !» Et les oiseaux qui me font tant rêver tandis que je les regarde en classe par la fenêtre se poseront sur ma main, sur mon épaule.

Il y avait à la Salle un mélange de fiction et de réalité. Et encore ce que j’appelle Fiction était davantage une réalité fictive ou plutôt ce qui me semble plus vrai une réalité invisible. La Salle était peuplée de noms de personnes invisibles.

En premier lieu, JEHOVAH, le grand Invisible puisqu’il était lui-même invisible. Il n’avait pas de corps, pas de forme, pas de visage. Pourtant dans la Bible, il tendait sa main pour aider ses serviteurs, il voyait tout (comment voir sans yeux ?). Pas plus difficile à croire que d’avoir toujours existé étant le Créateur, étant « Dieu tout puissant ». Enfin il voyait tout du passé, du présent et de l’avenir. Il était parfait.

JESUS CHRIST. C’était le fils de Dieu. C’était l’intermédiaire entre Dieu et les hommes. Bien qu’Invisible lui aussi, il était une fois descendu sur Terre sous une forme visible : un homme, et cela me rendait Jéhovah plus accessible, plus « visible » pourrait-on dire. Ne pouvait-on pas penser que si une personne invisible pouvait devenir visible, c’est qu’il n’était pas si invisible que ça ? Aussi, le fait de n’avoir aucune représentation du visage de Dieu était largement compensé par les illustrations de nos livres (ceux de la Société Watch Tower) où on pouvait voir Jésus sur terre avec ses disciples ou ses douze apôtres ou bien devant Ponce Pilate ou encore cloué sur le poteau, car avec raison les Témoins niaient la croix comme instrument de supplice au temps des romains: le mot grec "stauros" des Évangiles avait été traduit dans la Vulgate latine par "crux" alors qu'il signifiait "poteau"; sans compter que la croix était vu comme un symbole païen! Bref, Jésus avait presque toujours une barbe et c’est ainsi que je me représentait Jéhovah – mais avec une barbe plus grosse et blanche – colosse musclé assis sur son trône céleste, une couronne sur la tête. Mais il était clair que Jésus avait un caractère beaucoup plus familier que Jéhovah qui restait un juge terrible, malgré qu’il ait par son « grand Amour » sacrifié son fils pour sauver les hommes. Il est indéniable aussi que sa souffrance me le rendait plus proche en tant qu’humain, même si lui aussi était parfait...

L’ESPRIT SAINT : Je précise que les Témoins refusent le terme "Saint-Esprit".Ces subtilités, reposant sur un rejet de l'Église, "Babylone la Grande" – et ce, qu'on soit catholique, protestant, ou orthodoxe) – ne touchaient pas l'enfant que j'étais. Pour moi, c'étaitL’Invisible des Invisibles. Il était resté longtemps pour moi un mystère sur Dieu. Était-ce quelqu’un ou quelque chose? C’était, je le compris plus tard: quelque chose de très spécial qu’avait Dieu. Mais quoi? Mais bien sûr ! « La force agissante de Dieu ! » Et Dieu sait que cette force est suprême, infinie.

LES ANGES : Des hommes ailés. Ils vivaient dans le ciel et servaient Jéhovah.

SATAN le Diable et les démons : Ils étaient invisibles mais étaient représentés dans les livres. Satan était le grand ennemi de Dieu et des hommes. C’était le Méchant. Le Mal. Il était lui aussi suivi de ses anges devenus des démons.

  1. Les Hommes Bibliques : Ils étaient pour moi à la fois invisibles, puisque je ne les avais jamais vu, et visibles, puisqu’ils étaient représentés dans mes livres. Qu’ils aient fait le bien ou le mal, parfois les deux, qu'ils aient péché gravement ou soient restés irréprochables, fidèles à Dieu jusqu'à leur mort: aussi bien les patriarches comme Noé, Abraham ou Jacob, que le médiateur Moïse, que les Juges comme Samson, que les rois d’Israël comme David et Salomon, que les prophètes comme Elie, Daniel ou Jérémie; enfin, de Rahab la prostituée à Judas le traître, d’Adam et Eve aux douze apôtres – tous étaient comme moi : imparfaits. C’était ce qui les rendait particulièrement proche de moi qui devait suivre ou ne pas suivre leur exemple suivant leurs actes. Mais ils étaient aussi éloignés de moi; éloignés parce que c’étaient des figures mythologiques, Mythiques qui portaient tous des barbes (sauf les femmes, bien entendu!) et qui avaient vécu de grandes choses, soit que Jéhovah leur parlait, soit qu’ils étaient témoins de miracles ou de châtiments de Dieu (comme les dix plaies d’Égypte), soit qu’ils avaient vu Jésus: autant de choses qui ne se produisaient plus à l'époque où je vivais, où les Frères et Soeurs qui m'entouraient étaient pourtant appelés Témoins de Jéhovah. Cependant, dans le Recueil d’histoires bibliques, chaque personnage avait un visage et un costume différent, que ce soit Noé, Abraham ou Moïse représentés dans plusieurs histoires à la suite, ce qui les rendait réels à mes yeux. Moïse était peut-être de tous les personnages bibliques mon préféré. Tous ces personnages aussi réels que légendaires charmaient mon esprit curieux. Je prenais un vif intérêt à toutes ces histoires de la Bible, ce dont mes enseignants ne manquaient pas de me féliciter. J'étais de mes frères sans doute le plus assidu, le plus passionné. Tout enfant chérissait ce livre jaune paru en français en 1980 racontant et imageant d’une façon extraordinaire les histoires de la Bible. Mais avant celui-ci, il y en avait eu un qui m’avait marqué : Du Paradis perdu au Paradis reconquis dont certaines illustrations beaucoup moins belles que celles du Recueil m'avaient particulièrement impressionné comme celle où était représenté le dieu Moloch à tête de vache assis sur un trône, des flammes montant de ses cuisses, dont l'entre-cornes fumait et à qui un nourrisson était présenté par un homme comme sacrifice offert. Tout cela éveillait mon imagination. Je baignais dans un monde fabuleux et imaginaire, et même je dirais imaginatif.

Quels enfants de mon âge, à l’école, avaient cette culture? Nul.

Ce savoir me mis au ban des autres enfants qui ne pensaient qu’à jouer ou à faire des bêtises. Moi, j'avais ces choses (et d’autres) dans ma tête qui m’empêchaient d’être comme eux, – choses qui plus est ne pouvaient les intéresser.

Solitaire, je devins très tôt Rêveur, créatif. J'avais mon Monde à lui, visible que par lui. (1)

 

1 – Ce n'est pas que mon savoir qui me mis au ban. On a dans ces quelques pages un portrait vivant de ce qu'est un Asperger. Le fait que j'étais à fond dans l'étude, et cela se confirmera plus tard, le décalage, qui ne provenait pas que de ma culture particulière manifestent quelques traits essentiels du Syndrome d'Asperger. Mon écriture même en porte la marque.

 

Enfin, quittons l’école pour en revenir à la Salle. J’ai dit qu’il y avait un mélange de Fiction et de Réalité. J’ai expliqué quelle était cette Fiction qui était plutôt pour lui une Réalité invisible et qui occupait ce lieu – la Salle – à travers la Bible.

Maintenant parlons de cette pure Réalité qu'étaient les hommes faits en chair et en os et qui s’appelaient « Frères » et « Sœurs », et qui avaient la même pensée dans la tête, le même mot dans la bouche : Jéhovah. Eux, au moins, étaient visibles. Toutes ces têtes qui étaient m'étaient devenues familières, je peux me les rappeler et y appliquer leur nom, leur prénom, leur caractère et même leur niveau de "spiritualité" et leur niveau de vie, et même leurs tics. Il y en avait que j'aimais, d’autres qui m’intimidaient ou que je craignais. J’en ferais plus tard leur portrait*.

Et pourquoi pas maintenant ? Maintenant, presque vingt ans après cette ligne laissée en suspens, parce que sans doute parler de personnes connues de manière approfondie me faisait peur.

Salle A Est

- Frère Phillipe Galloivitch, appelé "Frère Galloivitch". Ancien, aimant le foot, d'origine russe: c'est lui qui mit en place je crois les parties de foot en été après la réunion le dimanche) Il avait une fille qui s'appelait Yannouchka. Je me souviens qu'un jour il prôna la prohibition des rapports sexuels avec son épouse et de faire une implantation de sperme dans le vagin (après masturbation je suppose; cela dut faire une certaine polémique; la volonté d'imposer son interprétation aux versets de la Bible était courante, il y avait des débats de chapelle).

Félix Léroy",, appelé "Frère Léroy serviteur ministériel. J'ai passé des moments seul, chez lui, je crois même du temps où il était célibataire. Plus tard, il eut une femme avec laquelle il se maria, je crois qu'on a vécu leurs noces. Sa femme m'aimait beaucoup, c'est elle qui me poussa à écrire des poèmes spirituels, voyant ma peine de ce qu'un surveillant de circonscription venu une semaine et à qui je présentai mon travail sur l'archéologie biblique me fis honte en me disant: "Ne crois-tu pas que tu aurais mieux à faire? Ne crois-tu pas que Jéhovah préférerait que tu prêches davantage? Pour moi Asperger ou Haut Potentiel.

George Ticot, appelé "Frère Ticot": J'en ai parlé dans Mémoire. Pour moi Asperger.

Annie Licoise: C'était ma préférée des Soeurs, d'une simplicité, d'un naturel, d'une joie surtout! Elle fut la seule femme dont je me souvienne qui fut publiquement, sur l'estrade de discours, montrée en exemple et applaudie. Par sa modestie dans le service sacré de Jéhovah, son zèle dans la prédication, et pour cause! elle était la seule prédicatrice à plein temps de la congrégation. Célibataire, elle avait voué sa vie à Jéhovah. Je crois que c'est la première femme avec laquelle j'ai prêché. dans  Notre famille et elle étions amis. Elle vint avec nous visiter le musée du Louvre, entre 1989 et 1990. Pour moi Asperger ou Haut Potentiel.

Jean-Louis Hergé: Ancien. Un pilier parmi les piliers. C'était un frère assez rigolo; il ne m'impressionnait pas comme son frère Christian. Je me souviens qu'il aimait beaucoup l'humour, très amateur de jeux de mots. C'est lui qui raconta l'histoire suivante je crois inventée par lui:"Vous saviez qu'Adam et Eve étaient musulmans? Un jour qu'ils étaient dans une barque sur l'Euphrate, Eve lui dit: "Tu rames, Adam?". Je crois que le "A la... soupe ( lancé comme un muezzin en haut du minaret) était de lui aussi. Il avait une femme et deux enfants,  un gars et une fille. Je m'entendais bien avec le gars qui était l'Asperger type. D'ailleurs, il avait les dents très en avant, comme moi, sauf que ses parents à lui ne voulaient pas qu'il aille voir un orthodontiste. De sa soeur, je fus amoureux je crois. J'ai dormi plusieurs fois chez eux.  Pour moi Asperger. Comme Frère Ticot ou Félix Léroy, ou Annie Licoise,  il avait un visage très caractéristique. On voit qu'il a quelque chose. Il avait un tic, était très nerveux.

Christian Hergé: Ancien. Petit frère de Jean-Louis Hergé, mais imposant alors que Jean-Louis était petit et chétif. Il était maçon. Il sera pilier pour la construction de la nouvelle salle du Royaume à la fin des années 80 (1989 je crois). Il vint dans la congrégation plus tard que son frère, il me semble. Avant d'être Témoin de Jéhovah, c'était, nous raconta t-il, un fan de Pink Floyd ayant les cheveux longs, et certainement fumant du cannabis. Sa femme et lui avaient un enfant, avec des lunettes qui grossissaient ses yeux. J'ai dormi plusieurs fois chez Christian. Était-il marié et avait-il un enfant alors? Je ne me souviens pas. . Pour moi Asperger ou Haut Potentiel. Il avait un tic aussi, bien que différent et moins marqué que celui de son frère.

 

Salle Angers Sud

 

  • Georges Bellangerie

 

 

D'autres salles autour d'Angers :

 

Frère Secouette et sa famille

 

Frère Davis et sa famille.

 

[...]

 

 

Pour toute la suite de mon récit, il faut bien se souvenir que je ne savais pas que j'étais Asperger.

Par anticipation, je dirai que je pris conscience de ma particularité autistique, d'être « Asperger » (les pages plus haut en sont un vivant portrait) fin 2014. Entre parenthèse, tant mieux si mes parents ne m'ont pas mis entre les mains des psychiatres à l'époque où ils se sont rendus compte que j'étais un gamin « de traviole » (ainsi que des parents l'ont dit d'une semblable), pas comme les autres : rêveur, décalé,... Oui, heureusement, parce que sinon, j'aurais été en hôpital pour les comme moi. Alors, je préfère infiniment avoir enduré tout ce que j'ai enduré, vécu tout ce que j'ai vécu aux côtés de mes parents et dans la secte du « Dieu Noir », comme je l'ai appelé dans Soleil (1997), je veux bien entendu parler de nuit opaque, d'esprit sombre, terrifiant, et non de couleur de peau qu'Il ne saurait avoir... quoi qu'on se le représentait avec une barbe ! C'est tout le noir de la secte qui barbouille ce non-visage, ou ce visage invisible. Car après tout, ainsi qu'il a été évoqué plus haut, Jéhovah avait des Yeux qui voyaient toutes nos actions, on ne pouvait rien lui cacher, lui qui scrutait, sondait « les reins et les coeurs » (Psaumes 7:9, Révélation 2:23), il avait des Oreilles qui entendaient tout, jusqu'à nos pensées les plus intimes, il avait une Bouche, de laquelle on pouvait attendre à tout moment l'expression de sa colère, terrifiante, dans une condamnation sans appel ; on ne parlait jamais du « Nez » de Jéhovah », mais, à la place, et c'est tout ce qu'on connaissait de son « corps », il avait une Main...

 

 

 

 

 

Allons faire un tour non du côté de chez Swan, mais du côté des Platanes, car c’est bien la rue des Platanes qui a été le second lieu de ma vie, entre 1982 et 1986.

Notre famille, pour des raisons obscures (était-ce seulement lié au manque d'espace?), quitta les Ponts-de-Cé pour habiter Saint Barthélémy d’Anjou, une petite ville totalement nouvelle pour moi ainsi que mes frères. Ce départ fut triste, à la seule pensée de ce que nous allions perdre. Que de souvenirs déjà ! Et, passée la tristesse de quitter les Ponts-de-Cé, née l'appréhension face au nouveau, à l’inconnu, nous étions bientôt tout excités par le fait d’emménager pour la première fois, et du coup, l’idée d’une nouvelle vie nous fut aussi agréable et excitant, surtout lorsque nos parents nous firent visiter ce que serait notre nouvelle maison et notre nouvelle ville : une maison enfin ! avec un jardin ! et une ville qui débordait de jeunesse et d’activités – enfin une bibliothèque ! Une aube nouvelle se levait. Si je peux hasarder une métaphore, je dirais que moi et mes frères quittions l’Ancien Monde pour débarquer sur le Nouveau.

Ainsi, une nouvelle ère se levait pour notre famille. Cette rue portait donc le doux nom "Les Platanes" et le portait bien en raison de la présence de ces arbres au bout de la rue, devant un grand bâtiment, et qui dépouillaient et laissaient voir des tâches blanches, énormes dès fois. Ils étaient comme des serpents en mue. Quand je marchais sous leur ombre d’été, des boules s’écrasaient sous mes pieds ; l’automne, c’étaient les grandes feuilles vieillies qui froissaient et couraient sur les trottoirs pour mon régal, adorant marcher dedans et courir après; et les platanes n’avaient plus que leurs grosses branches et des fruits qui pendaient à de petites brindilles courbées au-dessus de ma tête.

 Enfin, j'habitais dans cette rue, dans une des maisons collées les unes après les autres et qui avaient, côté rue, souvent une simple entrée à découvert, tapissée de graviers herbeux, ponctuée par quelques pots de fleurs et quelques rosiers comme la mienne. Derrière toutes les maisons, il y avait un jardin, un simple jardin grillagé autour et pelousé en grande partie ou potagé. Celle de ma famille était pelousée et la maison au mur crépiteux donnait de ce côté jardin sur une petite terrasse en béton gris ; sur l’herbe, à gauche de l'allée centrale menant à un petit portillon, se dressait une grande herbe de pampas avec ses grands plumeaux. Moi et mes frères on s'amusait avec ses grandes feuilles retombantes et coupantes. Deux poiriers se tortillaient côte à côte, à droite de la petite allée du jardin ; ça attirait des tas de guêpes, mais se lancer des poires pourries, c'était quelque chose! Quant aux poires mûres, qu’elles étaient bonnes, qu’elles étaient bonnes! qu’elles étaient juteuses et sucrées !

Si du côté cour les maisons s'ouvraient sur la rue, côté jardin, elles tressaient une couronne rectangulaire pour former une grande "clairière" goudronnée où les enfants jouaient au foot ou au tennis. Cette clairière était bordée d'allées et de gazons fleuris devenant terrain de chasse aux abeilles et bourdons pour moi, mon petit frère et notre copain Copain. (c'était son nom de famille).

 

Notre maison louée par nos parents se fondait avec les autres, toutes collées à la file : moche (mais il y avait plus moche), assez haute, (mais petite par rapport au bâtiment qui terminait la rue en son bout le plus éloigné), des toitures d’ardoises peu inclinées, quatre fenêtres à volets et une porte en bois. La famille y entrait avec une grande clé en fer blanc qu’il fallait tourner deux fois dans la serrure pour ouvrir ou fermer. Quand on entrait, ça avait quelque chose de familier, une odeur de famille, difficile à décrire, mais que tout le monde connaît. Toujours qu’on s'y sentait bien dedans, d'autant plus qu'elle était fraîche dès le couloir sombre où on faisait ses premiers pas. Aussi, c’était toujours agréable l’été d'y entrer.

 Le couloir en « L » et cloisonné à chaque bout était carrelé en noir et blanc ; il côtoyait l’escalier juste au pied du seuil, à droite de l'entrée. Cet escalier ciré et souvent poussiéreux montait le long du mur blanc tâché et crayonné par endroits. On allait de bas en haut et de haut en bas, et en général on y dévalait plus vite que des billes. Contre le mur décoré d’une tapisserie à petites fleurs reposait le téléphone perché sur une tablette. À gauche, la cuisine ouverte comme une boîte à sardine où serinaient des sereins. Plus loin, en face de l’entrée se cachait la grande salle à manger derrière une porte blanche. À droite, juste à côté, une autre porte blanche menait par un couloir étroit et obscur au garage.

Je ne peux pas penser à ce garage sans voir mon père maniaque le ranger et le balayer à chaque fois qu’il était en bazar ou sale, car souvent, des jouets, d’autres cochonneries de l’extérieur ainsi que des chaussures traînaient sur la fine poussière qui se voyait à peine sur le béton gris, sauf quand il y avait des molletons.

Ce garage avait deux portes. Celle de devant était à glissière et permettait de mettre la voiture à l’intérieur, mais elle n'y dormait jamais, faute de place. Celle de derrière s'ouvrait sur le jardin. En face d'un box de fuel se trouvait une porte toute éraflée. Elle était pour cela la plus intime.

Ce garage sentait aussi les chaussures, les conserves et la poussière… l’essence aussi, de temps en temps – ou le propre quand le père nettoyait tout.

Quand on revenait du dehors, on passait à la va vite devant un papier blanc où était marqué : « Enlever ses chaussures, S.V.P ». On n'y faisaient pas gaffe. Alors, ça braillait là-dedans. On faisait attention un moment, mais très vite, "rebelote!", comme disait notre mère. Cela se faisait naturellement. Oui, de même qu'il faille toujours revenir au ménage, sous peine que tout s'en aille à vau-l'eau, il fallait toujours répéter trente six mille fois la même chose.

Quand personne ne se trouvait à la maison, je veux dire sans enfants, c’était assez calme. Mais on sentait quelque part, en dehors de la présence de Noisette, notre chatte, de Lili, notre p’tit cochon d’Inde, des serins et des mouches, celle de Maman. Soit qu’elle repassait dans la salle à manger soit qu'elle faisait la cuisine.

La salle à manger et le salon, d'une seule pièce, donnaient plein sud et filtraient tout le soleil à travers une porte-fenêtre fichue de rideaux fumeux. Il y avait une grande table de bois, vernie et nappée. Il y avait de vieux meubles assortis, avec sculptés sur chaque porte deux ou quatre espèces de petites têtes d’hommes-singe, l’air endormis. Il y avait, dessus le meuble, des plantes, des fleurs, des bibelots. Il y avait des fauteuils en broderies de couleur brunes, rouges et blanches. Sous un tableau représentant une horde de chevaux blancs traversant une rivière et avançant vers le spectateur, éclaboussant le paysage bleu de la forêt autour, il y avait un canapé-lit assorti aux fauteuils, mais avec des coussins en velours bordeaux . Enfin, il y avait une table basse à café, une grosse télé dans un coin, dans un autre une bibliothèque et autre part de vieilles assiettes accrochées qui rappelaient qu’ici se déroulait le repas. Après mangé, une fois le carrelage quadrillé rendu tout propre par le balai et la serpillière, c’était la pièce la plus nette de la maison. C'était tout ce lieu qui vivait quand notre maman y était, repassant le plus souvent le linge.

Quand elle faisait la cuisine, rien que l’odeur de ses bonnes recettes alléchantes, la cuisson des gâteaux, la friture des frites, le sauté des crêpes maison, ça faisait sentir que maman était là.

C'est à peine si je ne sentais pas qu'elle s'y tenait lorsque je lisais, jouais ou dormais dans ma chambre.

Par contre, mon papa, même quand il était revenu du travail, qu’il avait fait sa dure journée, eh bien je ne pouvais presque pas savoir qu’il était rentré, et après, je devinais très peu sa présence, même sous les yeux.

Il fallait par exemple que mes frères et moi rentrions en chahutant, faisant claquer les portes, en courant dans le couloir avec les pattes sales pour qu’on sente que papa existait: il nous faisait une « giroflée à cinq branches » et au mieux, il rouspétait.

L'heure venait de manger dans la salle à manger. Maman était encore dans la cuisine. On entendait les casseroles et les serins. Après, papa faisait la prière qui était l’instant le plus silencieux en tout. Mais finie, ça grouillait plein de vie à table : les chaises remuaient, les assiettes s’envolaient et tapaient; le sel, l’eau, le pain circulaient, les grandes cuillères tintaient, la soupe s’aspirait, les bouches appréciaient, les fourchettes et couteaux grinçaient des dents et les assiettes criaient ; les enfants gigotaient, baratinaient, se chamaillaient, rigolaient, pleuraient ; notre mère ajoutait à tout ce bruit en ordonnant, tempérant, s’occupant de-ci, de-là, tandis que la chatte ronronnait sur le canapé derrière elle, paisiblement sous un des traits de soleil poussiéreux qui passaient dans les fentes des volets marrons.

 Après, mes frères et moi débarrassions tout, nettoyions tout, la table et par terre les miettes, les tâches, les pâtes tombées, devenues grises sous les savates et qui faisaient des pâtés sur le carrelage noir et blanc. Ces tâches à accomplir se faisaient en rechignant, en se disputant, mais se faisaient. Obéir, voilà le mot qu'ils entendaient le plus souvent et qui réglait leur vie. 

Quand notre mère faisait le ménage après, c’était la pièce la plus propre et ça sentait le propre et le neuf, surtout quand elle essuyait les meubles avec Cedar et qu’elle serpilliait par terre avec un produit sentant bon comme des fleurs ou du linge propre.

 Le soir, les enfants avaient le droit de regarder un peu la télé, mais pas trop tard, parce que le lendemain, il y avait l’école. Sauf le mardi soir, parce que le lendemain, c'était mercredi, et que le mercredi, il n'y avait pas d'école. 

Le film du mardi soir fini, les enfants montaient ou plutôt couraient dans l’escalier, et puis, ils allaient au lit .

Mon grand frère de treize ans avait sa chambre juste à droite, celle que mon petit frère de huit ans et moi partagions se trouvait presque juste en face l’escalier, lorsqu'on était arrivé en haut. Et puis, il y avait notre tout petit nouveau frère, bébé, qui dormait en face, dans la chambre opposée à celle de l'aîné.

«Notre chambre à nous était assez carrée. Les deux lits étaient parallèles mais bien séparés.

Le mien était un peu plus haut que celui de Yann, et il avait, comme je disais, une "tête d'oreiller" au lieu d'une taie, tout comme je disais "des pommes de terres en robe de chambre" au lieu de "en robe des champs"et "t'a qu'avait pas" au lieu de "tu n'avais qu'à pas", et "maillettes", "caillettes", "paillettes", pour rillettes (rappelons que notre père avait été charcutier de métier); bref, moi j'avais une taie et mon petit frère un traversin. Mais, c'était bien là la seule distinction, car on avait les mêmes couvertures oranges à fleurs blanches d’un côté et blanches à fleurs oranges de l’autre, bordées de soie orange ; on avait aussi les mêmes draps bleus et blancs.

La chambre avait des fenêtres à volets marrons foncés, juste face à la porte d'entrée, un parquet marron clair, des murs blancs, un plafond blanc d'où pendait au centre une simple ampoule attirant cousins, moustiques noirs.

Tout cela n'est-il pas insignifiant? C'est la vie. C'est la vie qui transitait à travers moi et que je restitue au mieux. Si ma vie ne vaut d'être racontée, quelle vie le vaut?

Je continue:

Le meuble de la chambre de mon petit frère et moi recueillait pas mal de poussière parce celui-ci accueillait en son sein une collection de nids d’oiseaux, d’os et de pierres.

Malgré ce désagrément demandant un entretien régulier, j'préférais quand même ma chambre que celle-là à mon grand frère, parce que, aurais-je dit j'aurais avec mon âge dans ma voix:

«parce qu’elle est plus claire, et y’a p’tit frère avec moi, et ch’ui pas tout seul comme ça, et on peut parler, et p’is j’me sens en sécurité avec p’tit frère.»

Et puis comme le petit est emballé, il continue:

« On joue toujours ensemble, notre porte est fermée et on joue tous les deux aux bêtes en plastique et nous on passe des après-midi entiers à jouer aux animaux et à inventer des histoires à chaque fois différentes ; moi j’fais les musiques comme dans un film, mais on imite tous les deux les cris du lion, des éléphants et des tas d’autres. Le lion est le roi des animaux. Dès fois on fait des montagnes avec les couvertures. Non, on s’ennuie jamais, nous. Souvent grand frère crie à tue-tête à côté parce qu’il essaye d’enregistrer à la radio des chansons sur Oxygène et que nous on fait trop de boucan.

« Ce soir, avant qu’on dorme, maman monte l’escalier, ouvre la porte, se déplace dans la chambre, ferme les volets qui ouignent et nous dit : « Faut dormir maintenant, demain y’a l’école » et p’is elle nous fait vite un bisou à chacun, marche vers la porte puis tout à coup se retourne et me dit : «  Allez, faut encore un beau soleil pour demain » parce que je fais souvent pipi au lit ; alors on fait un petit calendrier où elle dessine soit un soleil ou un nuage avec de la pluie et dès fois un soleil à moitié, suivant comment sont mes draps. Maman est maintenant en bas, sûrement en train de travailler ou à regarder la télé ou les deux comme beaucoup de fois où je l’ai vu repasser en regardant la télé. Elle est travailleuse et elle a des soucis qu’elle montre pas toujours, mais ça, c’est pas des histoires d’enfant.

« Nous, on est au lit, les volets sont fermés, la porte est close et y’a encor un filet de lumière dessous, qu’est celle du couloir, puis elle s’éteint. Il fait tout noir. Seul les fentes des volets nous donnent un peu de clarté de la lune ; y’a des traits sur le mur en face de mon lit. P’tit frère dort, j’vois plus sa p’tite tête ronde, mais il ronfle. Moi, je suce mon pouce gauche et dans les autres doigts y’a mon p’tit mouchoir en tissu et à p’tites fleurs et je caresse mes joues et au-dessus de la bouche et le nez et c’est doux et c’est comme ça que j’m’endors ; sans mon p’tit mouchoir en tissu et à petites fleurs et sans mon pouce, j’peux pas dormir.

« Soudain, j’me réveille ébloui par la lumière ; maman alors ouvre les volets ; c’est l’matin et il fait beau. J’vois maman souriante et elle me dit :

« – C’est bien, t’as pas fait pipi au lit ! ça va faire un beau soleil encore.

« Elle me fait des bisous.

«  – J’ai rêvé cette nuit qu’j’avais plein plein plein d’animaux, des tas d’bêtes ! j’dis.

«  – Ah bah ça marche en tout cas. T’aimerais avoir un autre paquet de bêtes ?…

« – Oh oui! oh oui maman! m’agètes-moi des bêtes, des animaux sauvages… avec un gorille et un crocodile au moins, il m’les manque. Hein ?

« P’tit frère fait oui en frottant ses yeux et en souriant.

« C’est samedi matin ; on va à l’école. C’est à l’école primaire de Pierre et Marie Curie qu’on va p'tit frère et moi. Grand frère est au collège. Y’a trois cent mètres environ. Ch’ui en CE2 et ma maîtresse s’appelle Madame Pagine. Elle est très gentille. Dans la classe, je suis devant, près de la fenêtre, et j’regarde les oiseaux et je rêve aux bêtes que j’vais avoir et que j’pourra jouer avec, moi et mon frère. Tout l’temps ou presque tout l’temps, je rêve. Mme Pagine me pose une question. Je fais « Hein ? » égaré et p’is toute la classe rit. Ça ressemble plus à d’la moquerie. Alors je rêve encore, comme ça je pense à des choses que j’aime. « Le Cosmonaute », « l’homme de la Lune », comme on m'appelle, est presque toujours tout seul à la récré et il rêve encore. Il s’ennuie pas comme ça. »

 

Ces pages ont quelques traits excessifs, mais l’ensemble est rigoureusement exact quant à ma mémoire . Il me reste plus qu’à compléter.

 

On se souviendra des jeux d'enfants aux Ponts-de-Cé.

A Saint-Barthélémy d'Anjou (qui n'avait rien à voir avec le massacre de la Saint-Barthélémy, comme il devait l'apprendre), les histoires animales et les batailles de bêtes étaient devenues des jeux classiques. C’était même à Saint Barthélémy que mon petit frère et moi y jouions le plus. Il fallait souvent que je me batte pour que mon petit frère joue avec moi: il avait tendance à la paresse et préférait dès fois regarder la télé ou n’avait tout simplement pas envie, nonchalance du moment ; alors que moi, j'y aurait sacrifié mon temps sans compter. Mais lorsqu'on était tous les deux à jouer, un zèle tout enfantin nous animait. Quel que soit le jeu choisi. Lorsqu’on attendait tous deux un film ou un dessin animé, c’était la même passion, la même joie impatiente qui nous faisait vibrer, rêver.

On avait moins de jouets que la plupart des autres enfants. Était-ce parce qu'on était Témoins de Jéhovah, enfin, enfants de Témoins? On ne fêtait pas Noël : c’est un fait. Et pourtant, jamais on ne s’était senti malheureux, parce que nos parents nous faisaient des cadeaux surprises, ce qui avait pour moi un tout autre charme que des cadeaux sur commande.

Et puis, on avait une sorte de Noël décalé, bien sûr sans sapin, ni crèche, ni soulier. Au lieu que ce soit le 25 décembre, c’était au mois de janvier, lorsque notre père recevait de l’usine des bons d’achat.

C’était le moment le plus excitant de l’année. On allait en famille dans une Grande Surface et les enfants couraient au rayon des jouets et choisissaient ce dont ils avaient rêvé, à peu près au prix du montant de leur bon. Il nous était arrivé, à Yann et moi, d’assembler nos bons pour acheter un jouet commun. Ce fut le cas pour un jouet de cascadeurs et un petit circuit de voitures. On eut ces jouets plus évolués, plus à la mode que tardivement, de même qu’une voiture téléguidée. Ces jouets gadgets avaient certes un agrément nouveau pour nous, mais on s’en lassait plus vite et n’avaient pas la même longueur de vie que nos primitifs animaux en plastique.

Aussi, nos jeux les plus rudimentaires étaient les plus créatifs. Moi j'avais l’imagination, mon frère le sens pratique. Yann était doué de ses mains. Une fois, il construisit un château fort en carton avec un pont-levis mobile et un bateau de croisade avec des pinces à linge et y fixa une voile blanche à croix rouge qu’on pouvait hisser et plier. Et ainsi, on put jouer avec plus de bonheur aux chevaliers et soldats du Moyen Age que mon parrain m'avait offert. J'étais bien le seul d'ailleurs à recevoir, régulièrement, tous les ans, au "repas de Noël" chez Mamie blue, reporté aussi à janvier, un cadeau de mon parrain après avoir reçu ceux de grand-mère. J'étais appelé alors à aller en haut, où habitait mon "tonton", gêné devant mes frères de cette faveur.* Plus tard, je me souviendrai que je montai lentement ces longs escaliers cirés tant j'avais peur, que ce soit dans ce moment là ou d'autres...

Ah! Noël!

À l’école, ceux qui ne se moquaient pas de nous avaient pitié lorsqu’on se voyait tôt ou tard contraint de dire qu'on ne fêtait pas Noël. Pitié mal placée. Ils ne pouvaient pas comprendre que pour nous, ce n’était pas le fait de ne pas fêter Noël qui était dur, mais le fait de retourner à l’école les lendemains de fêtes dont nous appréhendions à chaque fois l’inévitable question des enfants, parfois de la maîtresse : « Qu’est-ce que t’as eu à Noël ? ». Lorsqu’on répondait « Rien » venait le terrible « Pourquoi? ». On répondait laconiquement « Je fête pas Noël », et au plus terrible « Pourquoi? » on répondaient d’abord « Parce que », mais, tôt ou tard, ça se savait.

Nos camarades nous plaignaient sans savoir que ce qui était dur pour nous, c’était seulement d’être différent des autres et de devoir avouer cette différence. Cette différence qui nous valait bien des moqueries ou de l’incompréhension.

On était seuls.

Pour moi, mon seul véritable foyer était ma famille et la nature.

Ah la nature !

Mais retournons à l’école.

Il ne faut pas croire que je n’aimais pas l’école. J’aimais apprendre. Ça me suffisait. Mais je n’aimais pas tout. Il fallait que ça m’intéresse vraiment pour suivre, sinon je rêvais. Comment je considérais les autres élèves de ma classe? j’avoue ne pas savoir trop. J’étais renfermé, je ne communiquais pas beaucoup.

 

J’ai parfois l’impression de me répéter. J’essaie d’approcher le plus près de la réalité, de la vie, et ce n’est pas facile. Je cherche, comme disait le poète, le lieu et la formule. Or, c’est à peine si je sais ordonner mes souvenirs pour en faire un chapitre convenable, c'est à peine si il y a un dialogue dans celui-ci. Il ne faut pas que je me force. C’est souvent l’inspiration et le "hasard" que j'appellerai circonstances et coïncidences heureuses, et surtout une certaine disposition d’esprit préparé au sujet ainsi qu'une énergie partant de la motivation qui me fait avancer dans mon travail.

A partir de 1989-1990, tout deviendra plus facile pour moi. À partir de là commencent les premiers témoignages écrits, les premières lettres, le premier poème qui sera suivi par un deuxième à effet boule de neige trois ans après. Mais nous sommes qu’entre 1982 et 1985. Je ne parle pour l’instant que des années de primaire : CE2, CM1, CM2 à Saint-Barthélémy d'Anjou, qui font suite aux C.P et CE1 des Ponts-de-cé.

 

Je parlerai de chaque année scolaire, dans l'ordre: souvenirs d'école ou de vacances (l'un ne va pas sans l'autre).

En septembre 1982, je faisais l’entrée dans ma nouvelle école : Pierre et Marie Curie que j'avais visité avec mes parents au préalable, visite qui me fit forte impression.

J'entrai en CE2. J'ai dû pleurer le premier jour, et après, ça s’est passé. Je m'habituai peu à peu à ce qui m'était inconnu au début, donc intimidant.

Il me reste très bien en mémoire l'inoubliable Monsieur Mine. Ce fut mon premier Maître, et une mine de savoir! Il se trouvait qu'il était aussi directeur de l’école, ce qui lui donnait une aura plus grande encore.

Monsieur Mine était bel homme, grand, svelte, à moitié chauve, le front haut bombé et luisant, un visage fin au menton pointu, des cheveux grisonnant frisottaient sur ses tempes. Il avait des sourcils broussailleux et des yeux bleus d’une merveilleuse expression qu’une peau méditerranéenne faisaient rejaillir. Il portait parfois des lunettes sous les yeux. Ses grandes mains étaient d’acier. Elles étaient belles, pointues, marquées par de belles rides. Toujours élégant, simple. Des poils blancs sortaient du col défait de sa chemise. Mais au-delà de son physique agréable, magnétique, c’était la gentillesse même. Il aimait les enfants. Il aimait son métier.

Lorsqu’il prenait une mine sévère ou se mettait en colère, ce qui était rare, mon respect grandissait pour lui. J'y voyais un père. Il faut dire aussi que l'affection que j'avais pour mon maître, celui-ci me le rendait bien. Il semble qu'il me comprenait, me sondait, et révélait par des signes inexprimables la valeur unique qu'il voyait en moi.

Enfin, ce qui ajoutait grandement à la merveille de son âme, c'était cette flamme qu'il portait en lui et transmettait. C’était un homme passionné qui faisait des cours passionnants.

Du jour où Monsieur Mine apprit à la classe qu’il collectionnait des pierres précieuses et avait beaucoup voyagé, le jour où il montra quelques beaux spécimens de sa collection, et surtout la grosse pierre vulgaire de l’extérieur, mais qui recelait à l’intérieur un trésor de beauté rutilant sous les yeux des élèves : de superbes cristaux violets tapissaient tout le dedans de la pierre ronde – c’était une améthyste ! – le jour où je vis cela, mon respect et mon amour grandit pour lui. Je l'admirai. Je me souvins lors de mes investitures sur Rimbaud en 2010 que c'est avec lui que j'avais entendu pour la première fois ce nom : Arthur Rimbaud, un nom magnétique, l'incarnation de la précocité, du génie et de l'aventure, qu'elle fut poétique et fulgurante dans sa première vie ou géographique et poignante en Europe, à Chypre et surtout au Yémen et en Éthiopie dans sa seconde vie.

 

En Septembre 1983, je faisais ma deuxième entrée à Pierre et Marie Curie.

J'entrai en CM1 et eus cette fois-ci une maîtresse qui a été nommée plus haut: Mme Pagine. Une belle femme blonde à lunettes. Très gentille.

Elle avait des égards pour moi. Lorsque je levais le doigt pour répondre, et c'était très souvent, trop souvent, il m'arrivait de dire « Maman ! ». En même temps, j'avais des sentiments amoureux, et cette sorte de trouble que l’on peut nommer désir physique sans être encore sexuel. J'étais porté sur son corps avantageusement formé tout en essayant de rien en laisser paraître lorsqu’elle s’adressait à moi. Sa voix douce alors me rappelait à des sentiments maternels. C’est elle aussi qui m’appela « le cosmonaute », me surprenant très souvent à être dans la lune, mais elle s'en amusait plus qu'autre chose. Je faisais beaucoup rire, parfois moqueusement par des camarades de classe, lorsque j'arrivais à l'école avec mon pull à l'envers, voire avec mes chaussons... J'avais aussi un mal fou à mettre le bras dans la bonne manche, et je me souviens combien me fut long et difficile l'apprentissage pour faire mes lacets, au moins autant que le sera plus tard, à ma vingtaine, de rouler ma première clope, accroupi.

Ma maîtresse était plus cultivée dans les arts que Mr Mine, quoi que, comme je l'ai dit plus haut, c'était de sa bouche que j'avais entendu le nom du poète Arthur Rimbaud pour la première fois. "Un génie précoce de la poésie"! "Génie"! "précoce!" "Poésie", des mots qui sonnèrent en moi autant que le nom du poète. Un nom familier étrangement... Mme Pagine, elle, une fois elle parla du film E.T (qu’on prononçait « iti ») et montra une photo à ses élèves. J'en fus très impressionné et cela me fit rêver. En rentrant, ma mère me dit que ce n’était pas un film pour moi. C'était une grotesque caricature de la vie du Christ, appris-je plus tard. Mais je n’en rêvais pas moins, d'Iti...

 

En Août 1984, jepassai de merveilleuses vacances en Auvergne, région de prédilection de notre famille, au point que tous les étés, elle était le lieu de destination des vacances. Cet été-là, c'était Lanau à l'affiche, précisément en Haute-Loire, coin nouveau pour tous. On allait toujours en gîte familial, cela était invariable. Pas comme la buse... En parlant rapace, je les adorais, et l'Auvergne en était un paradis.

Mais pour ces vacances-là, si j'avais à choisir un seul souvenir, je parlerais des excellents moments passés mes frères et moi avec un cousin germain. Il s’appelait Bertrand, et c’était la première fois qu'on le voyait. Il était beau gosse.

Il passa quelques jours dans notre gîte. Avec lui, on découvrit Michael Jackson qui était alors dans sa plus grande gloire. Il était à la mode. C’étaient les années Pop, et Michael Jackson en était le roi, pour ainsi dire le Dieu. Quel pouvoir avait sur nos sens une chanson comme Thriller avec ses cris de loup-garous ! Un frisson nouveau était né... C'est Victor Hugo qui disait à propos des Fleurs du mal de Charles Baudelaire: un frisson nouveau. Comparer Thriller aux Fleurs du mal, n'est au fond pas si malvenu que cela.

Mais, je ne dis pas quelle dimension, quelle proportion ces cris de loup-garous prenaient dans l'esprit de ces enfants plongés au pays de la Bête du Gévaudan! Ils étaient en plein cœur de la légende. Quel souvenir aussi que cette veillée au coin du feu où un vieux conteur racontait les légendes auvergnates. Il raconta qu’à l’origine toute l’Auvergne était qu’un immense volcan, et ensuite il parla des temps historiques, et bien sûr de la Bête du Gévaudan. Un mystère tournait autour d’elle et une passion pour ce mystère grandit en moi. Notre cousin B, qui connaissait mieux la montagne que les enfants Delavigne, nous apprit que sur une montagne qu’on pouvait voir du village, qui était en fait juste à nos pieds, il y avait au plein cœur de la forêt une grotte et qu’on ne savait pas quelle bête y vivait, mais que ça pouvait très bien être la Bête du Gévaudan. Il nous proposa de nous y emmener. Rarement je n'avais eu aussi peur qu’en grimpant parmi les arbres et les roches, tandis que le cousin gaillard nous montrait ici sur un arbre ce qu’il pensait être des traces de griffes. Ensuite on découvrit effectivement une grotte, et le gouffre noir qui se présentait à nos yeux excita en nous la panique, si bien que nous dévalâmes la montagne dix fois plus vite que nous l’avions monté. C’était du reste une initiative qu’on avait pris seuls en gosses inconscients du danger de cette escapade et de l’inquiétude qu’on pouvait provoquer à nos parents, et qu’on provoqua en effet. Au retour, les quatre petits chevaliers pleurèrent. Se firent-ils gronder? Nos parents n'étaient-ils trop trop contents que nous fûmes vivants – et nous aussi? La présence de notre cousin ne tempéra t-elle pas les parents responsables? Tout quatre avions dans nos cœurs d’enfants ce sentiment d’héroïsme face aux grandes choses aussi bien que le bonheur d’avoir échappé à la mort. À la Bête.

/ Une autre fois, on voulut aller seuls au barrage de Lanau qui était en contrebas et qui était dangereux, paraissait-il, à cause des écluses et de l’électricité... Le goût de l’aventure nous faisait faire vraiment n’importe quoi. Cette fois-ci, on eut le holà de nos parents. Notre père nous accompagna, cette fois-ci.

Le cousin habitait une fermette avec sa mère à je ne sais plus combien de kilomètres du V.V.F (Village Vacances Familiales). C’était leur maison de vacances. C’était à notre tour, aux enfants Delavigne, d’aller chez le cousin avec nos parents. On vit alors sa mère, une petite femme dynamique et joyeuse aux cheveux blonds chignonnés. Son père, militaire haut gradé, colonel pour tout dire, était en service. On ne le vit donc pas mais nous fut décrit comme un homme très grand, très fort, avec de grandes bacchantes, ce qui ne nous donna aucun regret de son absence, même s’il était très gentil, ce qui était vrai aussi.

Bref, on a goûté sur ce haut plateau d’air pur tout ce que la montagne peut offrir de plus beau : la virginité, l’harmonie où l’homme ne pliait pas la Nature à ses quatre volontés au détriment de tout, où, au contraire, l’homme faisait partie intégrante du paysage, où l’homme chantait le paysage et le paysage chantait l’homme. Enfin, pas trop d’idyllisme bête. On ne philosophait pas, on vivait. On appréciait par des "Ah !" et des "Oh !", on s’amusait, on riait. On tombait d’accord sur un truc? On le faisait ; on était pas d’accord? On s’embrouillait, se faisait la gueule un moment et puis ça repartait : « Tiens, j’ai une idée !… – Ouais ! », et puis tout d’un coup : « J’en ai marre. – Non, on continue. – moi aussi j’en ai marre. – Qu’est-ce qu’on fait? » etc. Bref, l’insouciance, l’inconstance, l’entrain commun aux enfants.

J’ai dit qu'on avait goûté ce que la montagne pouvait offrir de plus beau, et c’était vrai. Le grand air, le soleil, les champs verts entourés de clôtures par-dessus lesquelles on sautait; au bout du champ, un ruisseau bordé d’arbres où l’eau claire coulait rapide parmi les pierres, les roches, ou par-dessus, pour retomber en cascades bruyantes où nul obstacle n'empêchait sa course libre, car elle prenait tous les détours, passait entre les moindres fentes, et lorsque l’eau stagnait dans un trou, elle s’écoulait invisiblement, c’était un brassage continuel. Ce n’était, il fallait le croire, jamais la même eau au même endroit, et pourtant, c’était la même eau qui coulait, le même ruisseau. Et nous, on ne s’était pas contenté de la regarder, on passait d’abord nos main dedans et l’eau glaciale se jouait d'elles comme d’une branche; on s'y trempait les pieds, et c’était une sensation nouvelle, un engourdissement agréable; on marchait, et c’était un sol mouvant, instable, toute notre attention se concentrait sur nos pieds, sur l’eau et les pierres à l’entour. on apprenait en tombant. On entrait tout doucement dans l’eau, le temps que nos corps chaud s’adaptent au froid, et lorsque c’était fait, le froid devenait fraîcheur, bien-être. On nageait dans l'eau truiteuse comme des écrevisses. Lorsqu’on eu fait tout ça, on mit en œuvre toute notre créativité, toutes nos forces, tous nos espoirs d’un élan commun, tout excités qu'on était, et on entassa pierres et branches pour faire un barrage à l’eau. C’était un amusement et un défi. L’eau faisait pression, cherchait la faille à notre œuvre, ce qui demandait une attention et des renforts constants de notre petite équipe de quatre. Lorsqu’on était contents, satisfaits, qu’on s’était bien amusé, bien dépensé, plutôt que de voir sous nos yeux notre construction de pierre succomber à la force de l’eau, on préférait user de notre pouvoir de rendre l’eau à sa liberté, et on démolissait. Il n’y avait pas d’image plus belle que cette eau jaillissant de la roche, et on était aussi excités qu’elle, remplis de joie. C’était midi. La corne de vache avait retentit par la bouche de la mère de Bertrand. On rentrait heureux et fiers casser la croûte. Après un bon repas avec du bon pain de montagne, on sortait aussitôt. Notre cousin nous emmena dans une grange et on s’amusa à Tarzan dans le foin. On grimpait le tas, et une fois en haut, on s'accrochait à une corde pour se balancer en avant et sauter dans le coussin de paille tout en bas. On s’amusait à faire toutes sortes de singeries, de figures dans l’air. On s’amusait à cache-cache, on se battait, se débattait dans le foin jusqu’à en mettre dans la bouche de l’autre. À la fin, on avait du foin partout. Cela nous grattait terriblement, mais c’était le seul prix à payer en échange d’un si grand bonheur.

Je ne crois pas que mes frères et moi aient eu de souvenirs plus champêtres. J'aimais cette odeur de foin et de bouse de vache. Ça faisait partie de l’air pur pour moi.

On dirait que les odeurs grandissent en montagne et quand je dis que j'ai goûté tout ce que la montagne pouvait offrir de plus beau, ça en fait partie.

Mais il y avait aussi ce qu’on appelle les vieilles traditions, les choses rustiques, comme le bois, les ragots, la vie simple, les anciennes croyances. Tiens, la bête du Gévaudan. Elle m'a poursuivi tout le temps de ces vacances et même après. Bertrand nous avait emmené chez une vieille dame dans une vieille maison montagnarde non loin de la fermette. Il y faisait sombre et j'avais été très impressionné par tous les animaux empaillés que je pouvais voir partout : têtes de sangliers au-dessus de la porte, chouettes, buses sur les meubles, bois de cerfs sur les murs… de quoi faire marcher l’imagination. Et cette vieille dame, à la Bête du Gévaudan, elle y croyait ! Un mystère planait sur la question : « Qu’était-ce ? » Un loup énorme ? Une espèce inconnue ? L’hypothèse de la hyène était la plus envisagée. Le cousin en était le défenseur. Une hyène ! Il y avait de quoi rire ! Et pourtant, j' étais sous le charme de la Bête et du cousin tout à la fois. À mon retour chez moi, à Saint Barthélémy d'Anjou, je fis des recherches, fonçai à la bibliothèque pour en savoir plus. À ma maîtresse, je trouvai l'occasion de parler de la bête du Gévaudan. L'institutrice raconta alors cette histoire inoubliable:

Il y a très longtemps, des enfants jouaient dans le jardin d’une maison quand une Bête monstrueuse surgit, prête à les dévorer. La mère alors criant plein de larmes se jeta sur la Bête et sacrifia sa vie pour sauver ses enfants...

Là, je pensais à la bonne flambée de bois qui nous avait accueilli ce soir-là, dans la fermette, lorsqu'on rentrait les mains et les pieds gelés. Des histoires à veiller près du feu!

 

Septembre 1984 : Après de si belles vacances, entrée en CM2. J'eus pour maître Monsieur Légal. Ses élèves l'appelaient « Monsieur Lagalle ». Il était grand, costaud, assez beau, le front très dégarni, la mâchoire carrée. Au physique, il faisait penser à un centurion ou à un empereur romain. Mais de caractère, il était plutôt…je ne sais pas comment dire. On ne sentait nulle passion chez lui comme Monsieur Mine; bien que gentil, un peu bonhomme, il manquait singulièrement de caractère. Il y avait quelque chose de lâche chez lui, de laxiste et il était paresseux, indolent. L'image la plus représentative que je gardai de lui était celle d'un maître jouant aux jeux électroniques qu’il empruntait à des élèves (pas à moi qui n'en possédait pas) pendant qu’ils faisaient les exercices qu’il avait donné à faire. Le mot "cool", qui je crois n'était pas encore rentré dans la langue française, aurait pu sortir de sa bouche, en tout cas, il suintait de sa peau... Sa pédagogie devait être le coolisme. Un courant passait sous forme de camaraderie, de complicité tout en sourires entendus, et mains amicales. L'humour, l'ouverture et la souplesse d'esprit étaient de ses grandes qualités.

Monsieur Légal eut plusieurs fois d’assez longues périodes d’absence où il fut remplacé. Ainsi, je connus deux autres maîtresses, dont une très bavarde et très petite. On l’appelait Maréchal-Ferrant. Un jour elle avait fait voir à sa classe son porte-bonheur : un fer à cheval. Elle aimait les chevaux d’ailleurs, au point qu’elle emmena notre classe visiter le centre équestre de Saint Bart, et qu’on eut par la suite le droit avec elle à des séances d’apprentissage. Ainsi, j'appris à monter un cheval, ce que j'aimais beaucoup, même si j'avais vu un de mes camarades en tomber une fois.

L’autre maîtresse resta peu de temps. Temps trop court pour conserver un souvenir de son physique autant que moral. Une seule chose est sûre: sa gentillesse.

Je gardai de son passage deux choses. La première, un exposé que je fis devant la classe sur les chauve-souris avec Stéphane Jedout, dont je reparlerai plus loin; le deuxième, lors de Noël: toute la classe chantait debout « Petit papa Noël ». J'étais debout, mais ne chantai pas.

Mais je reviens à Monsieur Légal. Monsieur Légal, dont j'ai oublié de dire qu'il avait une certaine indulgence et complaisance, dans le meilleur sens du terme, celle que j'ai peut-être aussi à raconter ma vie.

C’est avec Monsieur Légal, quand même, que j'avais fait mon premier voyage scolaire. Toute la classe partit en car de voyage pour Cordon, un chalet des Alpes, juste au-dessus de Chamonix. Départ de nuit, comme avec mes parents pour aller en vacances. Le car passa avant l’aube devant une petite commune qui s’appelait Andard*, dont la terre était, paraissait-il, riche en fossiles d’huîtres. Voyage nocturne, puis diurne; sommeil et veille. Le car arriva le soir après une longue, mémorable, vertigineuse, montée en spirale jusqu’au chalet. Oui, la hauteur du car et le vide sur le côté droit donnait le vertige. Visite du chalet, des chambres avec la vue qu’on avait des fenêtres. Certains voyaient le Mont Blanc. Moi et mes deux ou trois compagnons de chambre on voyait les quatre Têtes Noires qui ressemblaient à des roches du grand Canyon. Magnifique! Mais magique fut cette escalade d’un petit mont alors que le chalet était déjà en très haute altitude: le groupe grimpa longuement à travers épicéas, sapins et roches, et tout à coup le ciel bleu et une mer blanche sous les yeux. Tout le monde était au-dessus des nuages !

Il y avait aussi une croix au sommet.

En descendant, on chanta en cœur Elle descend de la montagne à cheval (Youpi-youpi-ha!) et À la claire fontaine (jamais je ne t'oublierai...). Cela changeait de la montée avec un kilomètres à pied ça use ça use, un kilomètre à pied, ça use les souliers, mais ça n'use pas la langue, la langue, mais ça n'use pas la langue du marchant...

Je fis avec ma classe d'autres sorties: une à la découverte du glacier du Pic du Midi, une autre à la frontière suisse en passant par le tunnel du Mont Blanc. J'entendis pour la première fois les marmottes dans un champ semé de grosses pierres.

Dans le car, la classe de neige sans neige (je ne me rappelle pas en avoir vu en dehors des neiges éternelles et des glaciers) on eut droit à des commentaires de route: vallée en « U », vallée en « V », etc.

Eh oui, ce séjour était une "initiation Découverte" de la montagne. Ainsi, le matin, on recevait des leçons dans une classe du chalet, mais c’étaient des leçons sur la montagne. Une fois, un alpiniste fut invité à montrer son savoir avec tout son matériel.

Un dimanche matin fut l’occasion d’une sortie au village. C’était aussi l’occasion d’aller à la messe pour ceux qui le voulaient et pour les autres de visiter et de faire les magasins de souvenirs. J'étais fasciné mais bien embarrasser pour acheter des souvenirs. Avais-je de l'argent de poche ? Et si j'en avais, l'ai-je dépensé ? Que choisir comme cadeaux dans cette profusion d'offre ? Je ne fus pas marqué par mes dépenses, ni mes parents je crois...

Je n’allais bien sûr pas à la messe. Mais il fallait encore que je marque la différence : j'allais à la Salle du Royaume !

Mes parents avaient tout organisé pour que je ne puisse perdre un seul repas spirituel. Ils avaient demandé à des Anciens l’adresse de la salle la plus proche, encouragés par ceux-ci à ce que leur fils aille aux réunions là-bas, puis avaient pris contact pour qu’un Frère vienne me chercher. Ce fut fait. C'était à vrai dire la condition pour que je puisse faire ce voyage. Monsieur Légal avait été prévenu : un soir, il faisait nuit, personne ne comprit rien, une voiture dont on ne voyait que les feux m'attendait en bas. Un homme moustachu et cravaté me salua poliment et je montai, tout intimidé. De ses paroles, de ses questions, il ne reste rien, mais de ce trajet obscur qui me menait encore vers l’inconnu sans que je puisse rien y faire, il reste quelque chose dans mon coeur. Est-il possible que je me sois demandé alors si c’était le même Jéhovah, là-bas, s’il n’était pas plus à craindre en montagne qu’ailleurs ? C’est possible, mais qui peut dire ce qui traversait mon esprit? Ce que je peux dire, c'est qu'à ce moment-là, j'avais conscience d'être privé d’un moment rêvé, d’une Veillée qui avait lieu le même soir au chalet pour... pour quoi donc? pour servir Jéhovah, le Dieu Jaloux, aux creux de Chamonix.

Soudain, Je vis en bas scintiller mille feux dans la nuit. C’était une véritable illumination. C’était Chamonix !

Tapie au fond de la vallée, elle était pour moi la ville emblématique des Alpes et me faisait penser par son nom au chamois.

Or, en ce temps-là, l’air Cha cha chamois d’or trottait, pour ne pas dire gambadait, dans les têtes…

Enfin le Frère inconnu et moi arrivâmes à la Salle. Les souvenirs visuels manquent par la suite. J'avais été à tellement d’autres Salles dans mon enfance qu’il m'était impossible de rattacher des souvenirs correspondant à chacune. Surtout qu’il n’y avait pas de grande différence avec les Banchais, à part que je ne connaissais personne. Disons seulement que j'y fus bien accueilli.

  • Nous avons le plaisir d'accueillir parmi nous un enfant de frères et soeurs d'Angers venu découvrir avec sa Classe nos belles montagnes qui rendent gloire à Jéhovah Dieu. Aussi avons-nous les salutations fraternelles de la Congrégation d'Angers-Est.

  • MERCI...

J’ai cependant oublié un détail tout à l’heure : la gêne, la honte à me mettre en cravate devant mes autres camarades et de sortir tout bien habillé avec mon petit cartable.

Mon acte ne fut pas sans conséquence: les questions, l’incompréhension, l’intrigation (si je peux m'autoriser un terme qui n'existe pas alors qu'intrication oui), les marques d’affection particulières, les moqueries de quelques uns.

Que dire maintenant ? Par où continuer? Faut-il dire les choses comme elles me viennent ou faut-il que je me plie à des règles formelles ?

Je vois que pour moi, le plus simple est de faire des petites rubriques-souvenirs. La gaule est encore une fois de sortie! Voyons les poissons, si on peut en faire une bonne friture.

 

Cordon (autres souvenirs) : Longues contemplations de la chaîne du Mont Blanc, admiration des quatre Têtes Noires.

Piscine : On y allait souvent avec Monsieur Légal. Mais l’eau m'avait causé de si vives douleurs aux oreilles la première fois avec Madame Pagine que je devais me flanquer un bonnet de bain sur la tête… Surtout que j'eus un drain à l'oreille gauche, ce qui me causait souvent, l'oreille au contact de l'eau, de vives douleurs. J'en profite pour dire que j'eus ensuite à l'âge de 11 ans une greffe de tympan qui me causa la pire souffrance que j'eus jamais subi. Je me réveillai sur la table d'opération sous des lumières aveuglantes en braillant de souffrance, je me souviens vaguement que, de retour à mon lit d'hôpital, mes parents étaient impuissants, que dans un état second, il me fut donné une piqûre de morphine. Je me souviens aussi que ce chirurgien m'ayant opéré me donna une gifle à un rendez-vous d'inspection, lorsque m'enfonçant une tige métallique dans l'oreille hyper-sensible je pleurai de douleur.

Chenilles processionnaires : La classe les rencontrait sur la route en file indienne lorsqu’elle allait à la salle de sport ou à la piscine. Monsieur "La gale" disait de faire gaffe, de ne pas y toucher. On pouvait avoir de boutons ou pire devenir aveugle à cause de leurs poils urticants. On pouvait voir leurs grosses boules blanches dans les pins, comme un cancer fantomatique. C’étaient les nids qu’elles avaient tissé.

Stéphane Jedout (attention, poisson-chat) : C’était un beau garçon issu d’une mère française et d’un père martiniquais. Il était donc métisse, couleur chocolat au lait. Il était aussi assez railleur, assez espiègle et sournois, réputé impoli, perturbateur, paresseux, voleur, vantard, etc. Il était maître dans l’art de manipuler les autres à son profit, de faire appel aux autres, pour faire un devoir, par exemple, en faisant croire que t’étais son ami (exemple de l’exposé sur les chauve-souris : il savait qu’avec moi il aurait une bonne note.). C’était un leader de groupe. Il était bavard. C’était un "cas". Et malgré tout cela, il séduisait. Difficile à expliquer. Étais-ce parce qu’il était chocolaté que je lui pardonnait plus plus volontiers et qu’en même temps je le respectais, l’admirais, le craignais plus qu’un autre branleur de la même espèce ? Mais non, justement, lui, se différenciait parce qu’il était noir. Je cherchais son amitié, je voulais qu’il m’aime, qu’il me protège. Dès fois il je semblais avoir réussi et puis le jour d’après il pouvait m'abandonner et même être méchant avec moi. L’expression haineuse d’un "choco-homme", avec ses yeux noirs sur blanc fulgurant des éclairs, est une chose terrible. Stéphane Jedout était tellement changeant que je ne pouvais rien attendre vraiment de lui. Il était une personne avec toi tout seul, et en groupe il se comportait avec toi d’une autre façon. En fait, il donnait une image de lui qui n’était pas lui en réalité, ce que je ne compris que plus tard, lorsque m'amenant chez lui, je rencontrai une famille instable, pleine de problèmes. Ses frères avaient des problèmes avec la justice. Un, au moins, était ou avait été en prison. Ses parents semblaient en instance de divorce, etc.

Là, j’anticipe un peu sur le temps, mais je peux dire que dix ans plus tard, je le revis: il était marié, avait un enfant, bref, était transformé…

Gérôme (coelacanthe): Il était très grand et très fort, physiquement précoce pour son âge. Il ressemblait à un homme-singe ou à un yeti, tant dans le physique que dans sa manière d’être. Il bavait. Il était un grand timide, complexé. Mais il était très intelligent. D’ailleurs, il l’affichait sans cesse et il voulait toujours avoir raison. Il avait du mal à s’exprimer cependant. C’était dû à une maladie congénitale. Il était extrêmement nerveux. Il bavait quand il était énervé; fallait pas être sous sa main, il vous aurait étranglé, ce qu’il aimait déjà faire en s’amusant. Enfin, c’était quand même un grand doux que j'aimais avoir pour compagnie. C’était le plus fidèle ami. Il avait ceci en commun avec moi : il était passionné. Il avait plein de livres chez lui. Un jour, il m'apprit que l’anaconda avait des pattes et il me fit voir en effet sur une photo les minuscules pattes sur le ventre. Il était surtout passionné de la préhistoire. On avait de longues discussions où j'affirmais que l’homme avait été créé et où mon ami Gérôme affirmait qu’il était descendu du singe. Ce qui était marrant, c’est que je voyais en lui le seul chaînon manquant possible. Bref, ça se finissait en dispute. Gérôme me dominait parce que plus grand et plus fort, et parce que plus intello que moi. Ne pouvais-je pas ressortir perdant ? N’empêche qu’on se trouvait bien ensemble et que j'allais tout les mercredis après-midi chez lui, même si je n’aimais pas trop ses parents, et surtout sa mère. Puis, à cause d’une chose dite de trop – quoi, je ne sais pas: était-ce d’avoir dévoilé un secret qu’il m'a avait confié, d'avoir dit quelque chose qu'il n’aurait pas dû dire sur moi ou sur lui-même ? – Gérôme m’abandonna. C’était à Cordon. – Paix à son âme!

Sébastien Bosse et Laurent Gui : Le premier était petit et gros avec des cheveux ras et de grasses lèvres ; le second, grand et maigre, avec des cheveux bruns, des tâches de rousseur. Bosse, comme on l’appelait, fort comme un bouledogue, était non seulement la brute la plus épaisse que j'eus connu, mais aussi le plus grossier individu: très branché "cul", il était maître en dessins obscènes. Il me détestait. Laurent, lui, était plutôt faux-jeton. Un jour il était mon ami, le lendemain mon ennemi sous l'influence de Bosse. Et alors il me narguait à l’ombre de son protecteur. Tous deux se moquaient parce que – c'est le moment où jamais de le dire –j'avais les « dents de lapin » ou parce que Témoin de Jéhovah. À vrai dire, Bosse me haïssait principalement pour ça, ses parents ne devaient pas y être pour rien... Lui et Laurent montaient des petits complots contre moi, me menaçaient, me faisaient des mauvais coups, voir me tabassaient. A Cordon, ils s’étaient alliés. Et un jour j'en eus marre de leur cirque. j'avais trop subi et décidai donc de me venger ou du moins de prendre ma revanche. Elle fut belle, éclatante. Je m’étais préparé à l’avance, à coups de poings contre les portes. J'avais aussi décidé le jour J : le dernier jour. J'attendis Bosse à la sortie. Je me cachai derrière un buisson et au moment où Bosse passa, je bondis sur lui comme un fauve, le fit tomber sur le trottoir en l’y faisant rouler et en lui rendant son compte à coups de poings. Une dame nous sépara en disant quelque chose comme « Vous devriez avoir honte ». Bosse était honteux ; moi, plein de sa victoire. Certes, il j'avais été traître, mais Bosse ne l’avait-il pas été mille fois avec moi ? J' avait terrassé le taureau, peu importait de quelle façon. En tout cas, le deuxième, le grand Gui, celui-là je l’affrontai de face, dans un combat organisé et arbitré au milieu d’un bois. Mon voisin et copain Dada, dont je reparlerai, était là, et bien d’autres. Tous criant : « Allez Stéphane! » et à Gui de recevoir une leçon. Ce jour-là, j'étais un héros. J'étais fier. Ce fut ma deuxième et dernière grande bagarre de ma vie.

Vais-je repasser en revue toute ta classe? Non, j'en nommerai encore quatre.

Stéphanie : Garçonne. Très gentille.

Christel : Peut-être la fille avec qui je m’entendais le plus. Je lui avais donné un dessin qu’elle m'avait demandé. Oui, j'étais réputé pour mon talent de dessinateur.

Hélène: Une autre fille blonde, très petite, très jolie de visage, la chouchoute : son père était docteur. Je l'admirais. Cette beauté se laissait admirer avec plaisir. Mais pas approcher facilement. Elle était fille de médecin... le médecin de la famille... la première de la classe..., alors que moi... j'étais amoureux.

Thomas: (Daquin ?) Grand, fort, lunettes, un peu brute, mais gentil. Rien à voir avec Gérôme. Il ressemblait plus à un panda ou à un ours à lunettes. Il était peu sociable, timide et bourru.

Des autres, je ne me souviens pas ou peu.

 

Et puis ce parc, comment s’appelait-il déjà... Oui, il y avait un petit parc juste en face l’école Pierre et Marie Curie. Il y avait un petit cirque qui s’y installait tous les ans. J'étais bourré d’étonnement et de joie et de rêve enfantins la première fois que je vis le parc transformé en chapiteau rouge et blanc avec des camions, des caravanes et surtout… des animaux un peu partout et à l’entrée de ce beau bordel. Ça sentait le fauve. Normal, y avait une lionne... Pour la première fois peut-être je vis un grand félin grandeur nature, vivant, venant d’Afrique, et ça sentait fort le musc. Ça puait pas vraiment, ça sentait fort le sauvage. N’était-ce pas ça les senteurs de savane ? Mais pauvre bête qui faisait grande impression mais pitié à voir dans sa petite cage de trois pas, où il tournait inlassablement en rond, la tête baissée, rauquant sa misère dans un petit nuage de fumée. Appelait-il ses frères, sa famille ? Il semblait perdu. Une brassée de paille répandue dans ses quelques mètres carré contre toute sa brousse natale. Et pourtant, j'étais content. Mais, c’était un sentiment partagé. Disons plutôt que mes sens étaient comblés, mon rêve de voir un lion vivant réalisé (sauf qu'il n'était plus roi de la savane), tandis que mon cœur se contractait quelque peu, et que mon esprit se révoltait. Cette douleur, cette révolte, je l'eus encore plus face à une panthère noire du Zoo de la Flèche. J'aurais voulu la remettre en liberté.

J'avais été cinq fois dans un zoo. Une fois dans les années où j' habitais les Ponts-de-Cé. C’était au Zoo de Vincennes où je montai avec mes deux frères sur un chameau. La deuxième fois c’était au Zoo de La Flèche. C’était en CM1. Animaux très entassés, espace réduit (exemple de la panthère noire). Très beau vivarium avec crocodiles, pythons… On me mit autour du cou un petit python réticulé ou un boa constrictor. Sensation de fraîcheur, agréable. Chatouillis de la langue. Mme Pagine eut une espèce plus étouffeuse : python ou boa vert. Elle avait une peur bleue, elle n'était pas jaune, elle était verte!

La troisième fois, c’était au zoo de La Flèche en famille. La quatrième fois, au zoo de Doué La Fontaine avec l’école (CM2 ? 6ème ?). La cinquième fois à Doué, en famille. Les animaux avaient plus d’espace dans le zoo de Doué. Moins d’espèces animales, plus de liberté. Si le Zoo de La Flèche ressemblait à une ménagerie, celui de Doué était un véritable parc zoologique. Je sentais les animaux plus heureux. J'avais été très content de voir un anaconda, le plus grand serpent du monde, un vrai, certes dans un vivarium, pas dans l'Amazone... Je découvris aussi la fosse aux bisons, l'Ile aux singes. Pas d’éléphant mais un vrai paradis. On pouvait toucher certains animaux. Je touchai un émeu (en fus-je ému?), cette espèce d' autruche d’Australie, mais à la va-vite parce que ça peut mordre. Passage parmi des vautours aussi (ça vaut le détour!). Cascades. Oiseaux multicolores à portée de la main. Je voulus pénétrer dans un champ à oiseaux. Soeur Annie Licoise n’était-elle pas avec nous ? N’y avait-il pas aussi Frère George Asticot ? C'est curieux, mon souvenir met d'un côté la soeur avec mes parents à Doué et de l'autre moi tout seul avec le Frère Asticot... Il y aurait donc une sixième fois. Mais cette cinquième fois, bien que cela aille de soi, je précise qu'il y avait aussi mes frères. J'étais fier d’y avoir déjà été.

Je m'étais retrouvé une autre fois dans un zoo. C’était la dernière fois. C’était en rêve. Comme tous les rêves, c’était bizarre. Un rêve qui mit longtemps à refaire surface.

Le cirque ? J'y avait été environ trois fois. Un nom sonnait à mes oreilles: Zavata. J'avais surtout très envie de voir les animaux, surtout les fauves dans le numéro du dompteur. Une fois on alla en famille voir les coulisses: les animaux en cage.

Sous le chapiteau, c’était une atmosphère unique avec une odeur unique. J'avais toujours été intrigué plus qu’amusé par les clowns, et surtout impressionné par ceux aux visages peints en blanc avec leurs chapeaux pointus. Ils étaient pour moi plus énigmatiques que par exemple Bozo le Clown dont mes parents avaient acheté le 45 tours « je suis Bozo le clown » (1971). C'est drôle que j'en ai raffolé. Bozo et sa chanson a de quoi effrayer.

Un grand bonhomme bleu avec un p'tit nez rouge

Une paire de gants blancs et un grand col qui bouge

Des pieds de géant et de longs cheveux rouges

Bleu, blanc, rouge, c'est moi Bozo le clown



Le cœur sur la main, le rire à pleines dents

La vie est belle, faut la prendre en riant

Quand tout va mal, criez les enfants

Alors venez rire et chanter avec Bozo le clown



[grand rire sadique. Cris de terreur des enfants]

 

 


Bonjour les enfants ? Vous allez bien ? Vous m'avez reconnu ?

Je suis votre ami Bozo le clown.

Tout en bleu, un p'tit nez rouge, des gants blancs, qui c'est ? Bozo le clown….

Le cœur sur la main, le rire à pleines dents

La vie est belle, faut la prendre en riant


Quand tout va mal, riez les enfants

Alors venez rire et chanter avec Bozo le clown



[Grand rire sadique]



La vie est belle, les enfants ! Il faut jamais pleurer. Il faut toujours rire

Alors venez rire et chanter avec Bozo le clown



[nouveau grand rire sadique, reprise des deux couplets, dernier grand rire sadique qui s'étrangle sur la fin]

 

Revenons à la séance de cirque. Beauté des voltiges féminines avec leurs cuisses découvertes. Les femmes trapézistes me séduisaient. La référence en cirque était Jean Richard. Je vis plus tard le film Sous le plus grand chapiteau du monde.

Rien à voir, non, avec le mini chapiteau dont j’ai parlé quelque part plus haut, installé en face de l’école primaire d’où je pouvais le voir et en rêver à travers la clôture de cyprès odorants.

J'ai parlé des fauves… enfin d’une lionne. Un fauve peut appeler d’autres fauves. Un souvenir peut appeler d’autres souvenirs. Mais il n'est pas sûr que le fauve que j'ai vu la première fois était une lionne. Je me souviens de tigres aussi.

Quel est le plus domptable : le fauve ou le souvenir ?

À un arbre du parc était attaché un lama. Je souhaitais autant que je craignais que l'animal hautain me crache à la figure.

Une fois, il y avait un chameau d’une saleté incroyable. Il y avait toujours des chèvres, des boucs. Une fois je m'amusai avec un autre enfant à prendre un bouc par les cornes et à galoper dessus. Je me retrouvai sur les fesses.

Les fauves, et autres animaux, ne servaient-ils que pour attirer ? Je vis un numéro de clown, de petits numéros acrobatiques, mais pas de fauve, ni de lama.

Ainsi, tous les ans, pendant une ou deux semaines, mon parc familier changeait de figure. Le reste du temps, le parc était aux enfants et aux oiseaux.

C’était mon lieu favori pour observer les oiseaux. Il y avait un canal bordé d’arbres, avec un petit pont au centre. C’était là. Ce canal était face à un petit château.. Il y avait une longue allée bordée de grands arbres qui y menait. Cette entrée demeurait pour moi mystérieuse et interdite. Il était de toute façon très accaparé par les oiseaux, et puis, il y avait marqué « Propriété privée ».

Vraiment ça m’énerve de ne plus savoir de quel nom on appelait le parc.

Ah! Ça y est, ça me revient! Le Cénacle! Un nom pareil, ça ne s'oublie pas! Ma mémoire fut rafraîchie par celle de mon petit frère Yann.

Au Cénacle, il y avait des jeux d’enfants, il y avait un arbre arqué contre le sol qui ressemblait à un navire et sur lequel on pouvait jouer: on l'appelait le Bateau. Il y avait une allée de peupliers. Des corbeaux qui voletaient d’arbre en arbre croassaient, se posaient sur l’herbe.

L’oiseau le plus curieux que j'ai vu, et pour la première fois, est ce petit grimpeur des grands arbres, qui se confond avec la couleur des troncs sur lesquels il se déplace à la verticale en tournant autour toujours de façon à échapper à l’œil : le grimpereau des jardins, mais pour moi c'était avant tout l'oiseau cache-cache.

L’autre oiseau qui me fascinait le plus et pourtant si commun, si familier, était le rouge-gorge familier, justement. C’est le passereau le plus solitaire, le plus discret, le plus curieux, celui qui s’approche le plus intimement de l’homme, mais qui garde une distance d’un mètre, toutefois. On dirait qu’il aime la présence de l’homme, mais qu’il refuse de se laisser toucher. Son plumage est à son image : brun, blanc et rouge. Simple, pur et coloré. Son œil rond est innocent, naïf, curieux, coquin, sévère, têtu, triste, joyeux… C’est un regard qui s’étonne de tout et de rien. Ouvert sur le monde. L’enfant se reconnaît en lui, et il rêve. Il le regarde sautiller sur les branches mortes, sa tête bouger en tous sens par petits à-coups. Et tout à coup, saisir de son petit bec effilé un ver de terre. Plus tard, au milieu d’un fouillis de branches nues, il s’exprime par un petit ti-ti-ti. C’est bref, simple, clair, limpide. Mais, parfois, ces notes hivernales se transforment en l'une des plus belles symphonies de la Nature.

L’hiver, je recueillais des nids, suivais les conseils des livres pour être un vrai naturaliste et ne pas faire de mal à la Nature. je devins collectionneur, comme je le dis plus haut. j'eus à la fin une dizaine de nids, petits et grands. Certains étaient plus beaux que d’autres. Parmi les plus beaux – c’étaient aussi les plus petits : celui du pinson des bois, autre bel oiseau du parc, qui se caractérisait par son pailletage de lichens blancs à l’extérieur et son tapis de mousse et de plumes à l’intérieur ; celui du troglodyte mignon, le plus petit nid et qui se présentait comme une coupole brune finement tressée, très coriace et dont le lit était tout en coton blanc : deux purs chef-d’œuvres.

Il y en avait des moins beaux, mais tous étaient des corbeilles fabriquées par des oiseaux. Il y avait un génie commun. Un nid était en soi quelque chose d’ingénieux.

Je trouvais quelquefois des coquilles cassées et tentais de savoir de quel oiseau il s’agissait.

Ma collection comprenait aussi des ossements de pelotes de réjection de rapaces. J'en décortiquai une et étalai les os sur une planche de carton noir. J'avais un crâne de hérisson qu'un copain m'avait donné, un crâne de lapin que j’avais décortiqué moi-même puis purifié dans de l’éther.

Tonton Mich, grand pêcheur, m'offrit une tête de brochet et une de sandre. L’autre moitié de ma collection était constituée de pierres dont la plupart provenaient du Massif Central. Je ramenais de vacances les belles pierres que j'avais trouvé : quartz, roches volcaniques, etc.

Tout ça attirait des mites et beaucoup de poussière. Mais j'en prenais soin (maman était derrière...) Tout était ordonné, étiqueté. C’était pour la chambre de mon frère et moi un ornement et un petit musée.

Parlons des livres. Il avait toujours les fameux « Tout l’Univers », inépuisable source de recherches et d’enchantements, ainsi que d’autres livres sur les animaux. Le jour où je découvris la bibliothèque de Saint Barthélémy, c’était les portes du Paradis qui s’ouvraient pour moi. Il y avait plus de livres de bêtes que ma tête d’enfant n’avait imaginé avoir à ma portée. Des livres sur l’Antiquité aussi, car j'aimais aussi l’histoire antique. Au-delà du Moyen-Age, l'Histoire ne m'intéressait plus guère.

Je finis par aller à la Bibliothèque de la Ranloue tous les mercredis après-midi, seul à pied ou avec mon frère Yann lorsqu’il en avait envie. Lorsqu’il venait, c’était pour lire des BD. Mais j'étais content qu’on fasse le chemin ensemble. Ce chemin qu’on connaissait si bien. La Bibliothèque était à l’intérieur d’un petit château. Le cadre était très beau. Il y avait à côté un petit étang rempli de roseaux où il y avait des grenouilles et des libellules. Un jour, on captura une grenouille et la fit sauter dans notre jardin avant de la remettre dans l’étang.

Dans la Bibliothèque, surtout l’été, il était très agréable d’y être. Chacun de son côté, l’un dans les BD, l’autre dans les Recherches. De moi-même, je faisais de petites fiches animalières : exemple l’Anaconda ou le Crocodile du Nil.

Pour ce qui est de l’observation des oiseaux, j'eus une longue vue: cadeau de "Noël". Elle ne grossissait pas énormément mais elle était très pratique, et puis ça faisait bien, faut l’avouer.

Les animaux domestiques ont aussi occupé leur place dans ma vie, comme dans celle de beaucoup.

On a toujours eu des animaux chez nous. Il n'y a qu'un chien et un chat que je n'ai pas connu. Le premier animal qui marqua ma mémoire est Fripounette. La chatte des Ponts-de-Cé!

Cette belle chatte noire eut une fin tragique. Elle fut très malade. Elle vomissait continuellement. Pour abréger ses souffrances, il fallut à notre famille s'en séparer d’une triste façon. Comme les revenus modestes ne permettaient pas de dépenser beaucoup pour l’envoyer chez le vétérinaire et que ma mère plaçait les intérêts des enfants avant ceux des bêtes, mon père fit la chose suivante qui me parut d’abord comme un odieux crime : il partit un soir avec Fripounette, l’enferma dans un sac qu’il avait rempli de pierres et le jeta du haut du pont de la Loire. Mon père revint bouleversé.

Suite à cet événement qui marqua la famille, nos parents décidèrent de ne plus avoir d’animaux.

Mais le temps passa, on déménagea, estompant cette époque révolue au profit de l’avenir qui s’ouvrait devant nous dans un autre cadre. Les belles résolutions s’envolèrent le jour où on nous proposa des petits chatons. Toute la famille craqua.

  • Oh! Qu'ils sont mignons!

  • Ce sont des femelles. On dit mignonne.

  • Oh! qu'elles sont mignonnes!

Et la petite famille choisit deux petits chatons, deux chattes. Nous enfants étions tout excités et l'on s’empressa de chercher des noms dans un débat animé. On appela l’une Noisette et l’autre Amandine. Elles ne ressemblaient pas du tout à Fripounette "la siamoise noire". C’étaient des chattes dites « communes », "de gouttières" aux tons bruns, gris, roux. Cependant, bien que sœurs, ces deux chattes étaient très différentes, autant dans leur physique que dans leur caractère. Le pelage de Noisette était sobre, celui d’Amandine plus panaché. Mais ce n’est pas la beauté d’Amandine qui eut raison sur la famille. Noisette qu'elle nomma ainsi à cause de tâches brunes sur son ventre blanc attirait son affection parce qu’elle était très affectueuse. Sa douceur surpassant encore celle de Fripounette qui avait quand même du siamois en elle, lui la fit préférer à Amandine qui avait un tempérament plus sauvage et qui exerçait sur sa sœur une sorte de tyrannie, car elle était jalouse d’elle. Est-ce une affection excessive de notre famille pour sa soeur qui provoqua cette jalousie agressive? La nature humaine est faillible autant qu'une bête. Noisette se pliait aux volontés d'Amandine et ne mangeait qu’après elle, du moins ce qui restait. Elle avait même fini par ne plus manger. Nos parents décidèrent donc un jour de se séparer d’Amandine. Ils la donnèrent. Noisette reprit appétit, et il n’y eut plus de limites à son affection. Lorsque j'étais dans mon lit, j'étais dès fois réveillé par une langue râpeuse sur mon visage ou ma main et je voyais Noisette qui semblait vouloir faire ma toilette ou me dire bonjour. Ou me montrer son amour. Elle ronronnait tout le temps lorsqu’elle était avec quelqu’un et adorait se caresser aux jambes familiales et faire le dos rond. Mais elle sortait beaucoup aussi. Elle faisait beaucoup de petits. Elle était la Mère par excellence. On n’eût pas trouvé chatte plus maternelle. Ne lui donnait-on pas la pilule ? C’était pourtant la même tragédie qu’on avait vécu pour la première fois avec une portée de Fripounette qui se renouvelait à chaque fois que Noisette ramenait des petits. Notre père les noyait dans l’éther. Seul de rares chatons qui avaient eu la chance de trouver un foyer d’adoption survécurent au drame qui me tirait des larmes. Mon papa disait qu’ils ne souffraient pas. Cependant, j'avais l’étrange désir ou besoin, peut-être légitime, d’assister à leur mort qui pourtant me faisait horreur. N’était-ce pas aussi la curiosité d’un enfant qui cherchait à comprendre la mort, à la voir, pour ainsi dire ? J'avais déjà vu mon père tuer des lapins à Mamie Blue, tâche que nul de ses frères ne voulait ou pouvait effectuer. Il faut dire que son métier initial de charcutier le désignait d'office pour cet office... J'avais vu le couteau, le sang, les yeux révulsés, les trésaillements.

  • Il est toujours vivant!

  • Non, c'est les nerfs. ..

Après il enlevait sa peau comme on enlève une salopette. Mais dans l'assiette, le lapin à la sauce chasseur préparé par maman, non ne bougeait plus, mais qu'il était bon! Fallait juste faire attention aux os, comme des arêtes de poisson.

Enfin, les autres animaux que la famille eut à Saint Barthélémy furent des serins retrouvés morts un matin sous les griffes d'un chat;  Lili, un cochon d’Inde blanc mort d’avoir été un après-midi trop exposé au soleil, sans doute ; Pouf, un lapin nain gris qui était adoré aussi et mort sûrement sous le choc de lui avoir coupé les griffes trop court.

C’est la vie. Chacun sait combien on est attaché à nos bêtes qui nous offrent beaucoup de joie de vivre et combien ça nous fait de la peine lorsqu’on les perd.

Le jour de la mort de Lili, arrivée dans la famille avant Noisette, ce fut une bien triste journée. La famille était très attachée à ce petit cochon d’Inde galopant et iinant (oui, « couine », est le mot sans doute exact, mais n'en déplaise à Robert, les cochons d'Inde iinent: i-i! i-i!).

J’ai dit qu’elle était morte sans doute par insolation. En vérité, la cause de sa mort était pour moi plus mystérieuse à cause de la circonstance dans laquelle elle avait eu lieu.

C'était un samedi. Avait-il été à l’école le matin ? Il semble. En tout cas, il faisait très beau. Vers midi, au retour de l’école, la « Belle-mère » débarqua avec le papy Claude.

Ce fut une sacré surprise...

« Il est midi. Chui content d’retourner à la maison parc’que là j’peux beaucoup faire de rêves, j’peux réaliser des rêves, j’peux en construire tant que j’veux. J’pense déjà revoir maman, Lili et Noisette, que, qui que j’vois ? Jamais j’aurais cru que ça arrive « La Belle Mère » ici avec le gros géant à moustache qu’on appelle Papie plus facilement en tout cas que cette espèce de sorcière de « Mamie » comme elle veut qu’on dise. Mais nous on aime pas, parce que c’est pas la maman à maman, parce que ça maman est morte elle avait huit ans. La « Belle Mère », toute naine par rapport au Papy. On dirait qu’elle peigne ses cheveux à demi roux et bouclés avec un pétard ! Elle porte une jupe en tissu marron foncé qui lui arrive juste au-dessous les genoux et qui laisse voir ses gros mollets gonflés de veines bleues et violettes. Elle porte aussi un vilain chemisier en soie rose et des vieilles chaussures en toile brune qui ressemblent à des savates. Sa tête assez ronde avec un double menton, avec un front haut et tout bombé, avec des paupières grosses et lourdes, avec un pif terminé par une sorte de boule un peu remontante, avec une petite bouche coincée entre des joues bien ressorties sous son moustachoir comme… »

Bah, dis-donc, c'est gentil ça...

J'aime pas la Belle-Mère!"

C'est vrai qu'il y avait de quoi. C'est vrai que hormis tout le reste, elle était vraiment sans gêne. Elle avait fait non seulement tout un cinéma pour venir, pleurnichant, prétextant qu’ils n’avaient nulle part où aller, où dormir, que, une fois chez eux, elle voulait encore faire son chef! Au déjeuner, il fallait la plus grosse part de poulet pour « Papy». Notre père ce jour-là ne prit aucune pincette devant ce bout de nerf criard:

  • Faut donner la plus grosse part à Papy. (dit la Belle-mère)

  • Ah bon? C'est toi qui commande?

  • C'est normal! Papy a toujours la plus grosse part à la maison.

  • Mais ici, vous n'êtes pas chez vous.

  • Ah ça! Tu vas voir! Tu vas voir! Puisque c'est comme ça! Tu vas voir!

  • Mange-donc ta cuisse, elle va refroidir.

    Alors, lui le papy, s'il avait pu se cacher dans sa serviette! Les enfants riaient sous table.

     

Pour mes frères et moi, c'était de la colle Super Glue; elle avait la tête sans dessus dessous, et elle ne chutait pas sur le carreau. On détestait ses manières de nous appeler « Mes petits lapins ». Et puis toujours à cavaler partout, à fureter. C’était boule de nerf difforme et grotesque qui se déplaçait le buste courbé en avant, le gros cul en arrière, dans un va-et-vient affolant, qui gesticulait et qui parlait volubileusement*, qui criait plutôt. Sa voix aiguë et enraillée était particulièrement insupportable. Criarde, c’est le mot. Désolé de la répétition. On l’évitait tant qu’on pouvait et cela nous répugnait de l’appeler « Mamie », comme elle voulait. On était défiant envers elle. On ne l’aimait pas, c’est tout et peu dire. Mais en même temps elle nous faisait rire, on s’en moquait. Du moins mes frères, et surtout l'aîné expert en moquerie et qui entraînait les autres.

On aurait beau plaider pour elle, elle serait toujours à plaindre.

Elle était, au fond, affreusement pathétique. Il y a une chose difficile à expliquer clairement, que je vécus, une situation épouvantable et absurde. J'avais fait pipi au lit. Pas plus, ni moins que d'habitude. Et voilà ce qui se passa : lorsque la "Mamie" s’en aperçut, elle me harcela, me cria dessus :

  •  Cochon, tu voir ce que tu mérites! J’vais l’dire à ta mère, ce que t’as fait... Tu vas voir! Tu vas voir tes fesses! » etc. C'était une vraie alerte, un pantomime apocalyptique. Elle me traîna hors du lit, criant au scandale tandis que je pleurais. Elle donna tellement l’impression d’un crime commis, et je ne sais par quel pouvoir elle parvint à ses fins : ma mère fit ce qu’elle voulait et me fit une fessée déculottée devant elle, juste en bas de l’escalier, chose qu’elle n’avait jamais fait pour cette cause, car elle savait que ce n’était pas ma faute, mes fuites étant maladives. Cette maladie a un nom: l'énurésie. D’ailleurs, ma mère se rendit compte aussitôt de mon erreur. Est-ce que la Reine aussi? Son attitude changea immédiatement après en paroles doucereuses devant moi en larmes :

  • Viens faire câlin à Mamie mon lapin... Tu recommenceras pas hein ? mon bichon... »

  • Oh pardon! Pardonne ta maman... dit sa mère en le tenant dans ses bras.

    Ce n'est pas un saule pleureur, mais trois qu'on va planter là avant de retourner à Lili.

Lili mourut le jour où Reine arriva ou dans les jours qui suivirent. C’était un après-midi. Il faisait très chaud. Mes frères et moi on avait sorti Lili, attraction du quartier, et elle avait gambadé sur l’herbe.

Est-ce que je revenais de l’école quand j'appris la mort de Lili ? Il semble.

Cela voudrait dire que les grands-parents n'étaient pas arrivés un samedi. Peu importe, le fait que Reine soit là m'empêchait de croire ce qui paraissait évident : morte par le soleil ou le mouron (pas le blanc, le rouge). N’était-elle pas encore chez nous le jour où pour la première fois de toutes mes chasses aux abeilles et aux bourdons, je me fis piqué par un bourdon?* ou encore le jour où, au grand effroi de ma mère, je revins à la maison la figure en sang après être tombé par terre ? Ce qui est sûr, c’est qu’il y eut beaucoup de problèmes pendant leur séjour, et qu’après leur départ, pendant longtemps notre famille rencontra des épreuves et dut affronter les « assauts de Satan », comme on disait, et maman demanda dans ses prières de l’aide à Jéhovah. Elle nous apprit que la « Belle-mère » faisait de la magie noire ou sorcellerie. Ça nous faisait frissonner, mais on n’avait aucun mal à le croire. Elle avait été jusqu’à fouiller dans le placard pour se procurer des photos. Surtout que le petit frère portant un nom biblique et appelé "Jojo" ou "l'affreux Jojo" venait de naître.

 

* De cet épisode, j'en ferai un jour une fable « Le petit garçon », intégré dans Oiseaux oiseaux (1996) puis dans Les Fables de la Belette (2000) sous le titre « Le garçon et le bourdon », enfin deviendra une chanson en 2015 sous le titre « Le Bourdon ».

Une nuit, j'entendis un grand fracas et des cris. C’était maman qui avait dans le noir chuté de l’escalier. Toute la maison se réveilla. Maman était inanimée. On pleurait, papa essayait de nous consoler. Il fut demandé secours à nos adorables voisins d’à côté par l'intermédiaire de l'aîné. Et tout le monde fut rassuré quand la voisine dit qu’elle était seulement dans les pommes.

  • Il y a eu plus de peur que de mal, les enfants... ajouta t-elle.

L'atmosphère se détendit; des rires fusèrent.

  • Elle a pourtant pas roulé sur une pomme?

  • Mais elle a roulé comme une pomme.

  • Mais c'est plutôt le mur qu'est amoché.

  • Fiche-toi de sa poire!

  • J'préfère ses tartes aux pommes, moi!

  • Moi j'préfère te lancer des poires!

  • Eh! elle est tombée dans les pommes, elle va peut-être se réveiller dans les poires!

  • Je vends... commença t-on à chanter.

  • Des pommes, des poires et des scoubidou-bi-ou-ah

  • Pom-mes!

  • Pom-mes!

  • Poi-res...

  • Poi-res..

  • Des scoubidoubi-ou-ha! Scoubidou-bi-ou...

 

 

Pour que l'excitation soit si forte, il est probable que maman eut d’abord une sorte de crise de spasmophilie, y étant sujette, puis qu’elle tomba dans les pommes sous les yeux de ses enfants. Les halètements et suffocations de la spasmophilie ne s'oublient pas, et éprouvent les nerfs.

Je passe sur d’autres problèmes moins marquants, tels des pannes de voiture. Mais, à la longue, il y en avait une telle accumulation qu'on ne pouvait se poser de questions quand à leur origine. Maman était tellement persuadée que c’était à cause de la « Belle-Mère » qui voulait leur faire du mal, parce qu’entre autres, elle n’aimait pas les « Jéhovahs », qu’elle décida un jour de chercher toutes les photos où il y avait la « Belle-mère » représentée dessus pour les brûler. Et c’est ce qu’elle fit. Et à notre grand étonnement, elle nous dit qu’elles avaient résisté aux flammes un bout de temps avant de brûler à forces de prières.

Faut-il mettre sur le dos de cette femme, cette marâtre, cette sorcière, un des épisodes les plus drôles après coup mais qui n'en fit pas mener bien large au bateau familial sur le coup? Peut-on aller jusqu'à penser qu'elle aurait utilisé la main d'Eric pour tuer le dernier enfant? Le fait est que notre frère Eric était un sacré numéro qui avait déjà fait les 400 coups jusqu'à accrocher un chat avec un lancer dans le lotissement... ou en suspendre un par une patte à une poutre du garage. Mais, là, ça dépassait sa propre bêtise – Dieu sait qu'il avait beaucoup d'humour aussi, qu'il était un blagueur et un farceur: c'est lui qui affublait son petit frère dans un costume farfelu de fou du volant, car il avait un petit camion en plastique avec lequel il roulait et roulait dans le couloir avec un plaisir fou; et c'est lui qui avait eut l'idée "géniale", là, pendant un souper, de lui fourrer... Soudain, l'affreux Jojo se mit à pleurer, à aller vraiment mal.

  • Qu'est-ce qui se passe? Qu'est-ce qu'on lui a fait? Il est blanc comme un cachet d'aspirine! fit maman alarmée.

  • C'est moi, maman... C'est de ma faute, je lui ai mis un bout de noix dans le nez...

  • Quoi? Mais ça va pas la tête? Oh non! Oh non! Pourquoi tu as fais ça?

  • Je voulais voir ce que ça faisait...

  • Tu veux voir ce que ma main va te faire sur tes fesses? fit notre père, furax.

  • Non, Claudio! faut l'emmener d'urgence au médecin! Y'a pas une minute à perdre!

 

Jojo, notre "affreux Jojo" et si craquant Jojo fut sauvé. Qu'est-ce que tout le monde était content! La fessée fut oubliée.

Ce sauvetage était extraordinaire. Et il est aussi extraordinaire, quand on y pense, que le cerveau ressemble à une noix décortiquée. N'allons pas après ça décortiquer la cause de la noix qu'à un moment de folie, d'inconscience, Eric avait eu à la place du cerveau!

 

Il m'est arrivé à cette époque d’autres choses qui pour moi étaient étranges, inexplicables.

Premièrement, il m'arrivait souvent de vivre des situations que j'étais certain d’avoir déjà vécu ou du moins vues, car c’étaient des souvenirs visuels qu'il me venait en tête. C’étaient en quelque sorte des flash de courtes durées. Curieusement, ça se passait toujours à l’école. Ces flash naissaient d’une situation particulière, dans un contexte précis, parfois d’une seule parole liée à un geste du maître ou de la maîtresse.

Intrigué, Paul j'avais essayé discrètement plusieurs fois de savoir si c’était normal. Par exemple, un jour que fut abordé en classe un sujet qui demandait des exemples. Mon exemple semblait approprié. J'en profitai donc, levai le doigt et répondit : « Par exemple, dès fois on… » etc. Le maître, tout en approuvant l’exemple ajouta en guise d’explication que c’étaient en fait des confusions de notre mémoire qui contenait tellement d’autres souvenirs semblables mais oubliés jusqu’à temps que le même geste pour ainsi dire se répète dans une situation sensiblement identique. Un élève, très intellectuel, me fournit à peu près la même explication qui ne me convenait pas tellement ce que je vivais à l'intérieur me semblait unique, et que ce qui me revenait à l’esprit était des images claires ne pouvant se confondre avec aucune autre. Mais n’était-ce pas ce qu’on appelle des réminiscences? Je me "souvins" jusqu’au collège, puis ces impressions cérébrales, mémorielles, disparurent.

Deuxièmement et dernièrement, j'eus pendant une période – cela devait être dans les débuts que j'habitais à Saint Barth, j'eus la nuit pendant un temps indéterminable, un nombre de fois incalculable non pas le même rêve, mais la même visite mystérieuse, visite, on peut dire ça, ou la même étrange présence qui se traduisait par une forte sensation sur moi.

Je sentais, mais je la voyais d'abord glisser sur le mur contre lequel je dormais, l’ombre d’une main invisible, immense, puissante venir vers moi. Ensuite elle disparaissait en moi. Elle pénétrait mon corps C’était comme si cette grande ombre était entrée en moi pour se poser, énorme, sur mon cœur.

Imaginons qu’une fiole puisse contenir l’Infini, une poussière ou un atome qui aurait le poids d’une tonne où à l’inverse un gros plomb qui aurait le poids d’une plume. C’était une sensation ultradimensionnelle d’introduction de l’infiniment grand dans l’infiniment petit ou d’un poids immense dans une poussière. Puis la « main » disparaissait.

J'eus la même visite au moins, je dis bien au moins, dix nuits consécutives. Je m’en réveillais la nuit.

Un soir, je mis un certain temps avant de s’endormir.

Contrairement aux impressions du « déjà vu » dont j’ai parlé avant, je n'avais jamais cherché à trouver des réponses à ce phénomène en dehors de moi-même. Et l’enfant de 10-12 ans que j'étais ne trouvait pas d’autre explication que celle-ci et qui n' étonnera pas: c’était la main de Dieu qui venait sur moi, ou plutôt en moi. J'en ignorais le pourquoi, mais j'avais supposé une intention particulière de Dieu à mon égard.

Au début, cette présence mystérieuse me fit peur, ensuite, elle m’intimida, puis m’inquiéta, puis me fit simplement poser des questions, et enfin, elle me devint familière et presque réconfortante.

Il ne m'était pas difficile de croire que c’était Jéhovah et que par sa main il voulait me montrer sa Toute-puissance divine et même qu’il me protégeait, me donnait de la force, voire m'avait aussi choisi comme un élu. N’était-ce pas son Esprit-Saint  qui l'avait tant questionné. Là, il le sentait de l'intérieur. Certes, ce "Saint Esprit" ne s'était pas manifesté par une colombe au-dessus de sa tête – heureusement d'ailleurs! Car il était plutôt le sosie de Pierre Richard, et si c'est Dieu qui a dit: "Pierre, c'est sur toi que je bâtirai mon Église", alors il aurait oublié de dire que ce serait une catastrophe! En fait, il y eut confusion de termes - une fois encore: c'est: "Roc, sur toi je bâtirai mon Église. Entre pétra et pétros, il n'y a qu'un pas. Et entre pétros et Pétros, une Grande cuillère à soupe!

Mais, sérieusement, la Bible ne rabâchait-elle pas que la main de Dieu avait, faisait, ou allait faire ceci ou cela?

Si cette présence avait été vraiment terrorisante, j'aurais sans doute cru que c’était Satan. Mais le problème qui s’était posé pour moi à savoir s'il s'agissait de Satan ou Jéhovah s’était à la fin résolu. Et un jour, je me réveillai sans avoir été visité la nuit et plus jamais par la suite je n’ai senti physiquement et sur mon coeur la « main de Dieu » dans mon sommeil. Cependant, je ne l'ai jamais oublié, et on peux dire que j'en fus littéralement marqué… au point que bien des années plus tard, jeune adulte, j'avais encore du mal à me séparer de l’interprétation que j'avais avait enfant sur ce fait difficilement assimilable et interprétable. Ce souvenir imprimera un poème de Souffle, Lettre en vers d'un enfant de cent ans,jusqu'à faire un calligramme d'une main, représentant celle de Dieu, et aussi une peinture intitulée Résurrection.

La Résurrection

 

Si j’ai dit que ce n’était pas un rêve, c’est que j'eus à la même époque des rêves mémorables et que ce phénomène, qui ne peut être mieux qualifié que "visite" (comme la Visitation de la Vierge, sans pousser le bouchon plus loin...) n’avait rien à voir avec tous les rêves que j'avais pu faire. S’agissait-il alors d’une autre sorte de rêve ?

Il y a de cette période de ma vie deux rêves importants, initiatiques. Ils appartiennent chacun à un des deux grands genres que nous connaissons tous : le Beau rêve et le Cauchemar.

Le beau rêve : je me voyais posséder plein plein de bêtes en plastique, et eus une belle déception au réveil...

Le Cauchemar : celui-là, horrible. Au début, c’était l’angoisse d’un long voyage dont je faisais partie et qui transportait dans des cages des noirs maigres aux yeux exorbités, effarés. Du fait, j'étais le seul blanc. Le voyage se faisait à travers un désert et paraissait interminable jusqu’à temps que le convoi se trouve dans un endroit maudit où une espèce d’ogre cyclopéen choisissait un à un son repas. Il empalait les enfants et les faisait cuire comme du poulet. Et chacun pouvait voir ce spectacle horrible. Attendant son tour. Moi-même (ou la projection de moi-même), qui était bien sûr du voyage, je pus m’échapper grâce à l’aide de mes compagnons qui s’étaient tous mis d’accord, à ce qu'il me semble! Mais ayant trouvé un abri, je fus témoin de la mort de tous les enfants qui ne formaient qu’une seule âme, et sans que je puisse ne rien faire pour les aider. Voilà en gros la trame de cet horrible cauchemar qui eut pour origine certainement la vue d’une scène du 7ème Voyage de Simbad (le marin)que j'avais regardé en famille un mardi soir à la télé et qui montrait un cyclope dans un désert empalant un homme pour le faire cuire au dessus d’un bûcher. Là aussi, j'en ferai un long poème, La Mère nourricière, qui incarnera l'acmé de ma souffrance exprimée dans mon recueil poétique Souffle, quej'évoquerai dans Har-Maguédon faisant vivre de l'intérieur ma crise de 1994-1995. J'en ferai enfin un sépia.

Fin de cauchemar

 

Il y eut bien un autre cauchemar notable; mais, il se confond avec un lieu et des personnes réelles. Ce cauchemar avait pour cadre le voisinage. Le tout avait bien un cadre réel mais restait vague. Un coup de feu, un meurtre. Toute l'histoire tenait là. L’origine du cauchemar, je crus pouvoir la puiser dans un fait réel qui s’était passé juste au pied d’un tilleul qui était face à leur jardin sur les bords du terrain de jeu. La fenêtre de ma chambre (et de mon petit frère Yann) donnait dessus. Une nuit, donc, on entendit une femme crier et sangloter. C’était quelque chose d’affreux à entendre. Toute la maison fut réveillée. Il y avait eu tout d’un coup comme un vent de folie. Rien n’est plus affolant, désorientant qu’être réveillé la nuit par un drame. Je compris que quelque chose de grave se passait à l’extérieur et apprit par la suite par mon père que ce n’était rien de plus qu’une querelle entre un homme et une femme qui avait dégénéré en coups. Il s’agissait apparemment de voisins. Mon père avait décidé de sortir pour aller au secours de la femme battue. Et c’est là que j'ai vraiment eu peur. On pouvait s’attendre au pire des scénarios. Mais notre père avait tout arrangé. Il nous apprit que l’homme qui avait battu sa femme était soûl et elle aussi, apparemment. Et c’est juste après, notre père dormant à côté de nous, ou du moins à côté de moi, pour nous ou me rassurer, que le cauchemar eut lieu.

À ce souvenir ne s'associait ni ma mère ni mes frères. Peut-être tout cela n'était-il qu'un seul rêve.

 

*

Prolongement

 

On voit que certains faits sont datés, d'autres non. On ne peut pas tout situer dans le temps. L'esprit a besoin aussi bien du précis que du vague. L'essentiel d'abord est de pouvoir rattacher un événement à un lieu. Puis dans une fourchette d'années.

L’ordre aléatoire dans lesquels je rapporte des faits, mes souvenirs, pourraient faire croire, par un "effet d’optique", que tels souvenirs, sur la nature, par exemple, sont antérieurs aux souvenirs que je viens d’évoquer. En réalité, ma réalité était hybride comme un dragon, un tout composée de parties disparates : Nature, école, jeux, Réunions, etc. qui se répétaient chaque semaine.

Je pourrais te donner le planning général d’une semaine.

Ça n'a pas beaucoup changé par rapport aux Ponts-de-Cé.

Je préfère terminer ce chapitre par quelques poissons-souvenir échappés du vivier et que j'ai repêché. Ainsi que quelques poissons-mémoire. Le tout est symbolique, puisque cela englobe la maternelle et l'école primaire jusqu'en CM2.

 

Voici pêle-mêle :

 

Dans la famille du côté de Simonie, il y avait la famille Lecoq chez laquelle elle avait beaucoup vécu: tous les jours sa femme (qu'il appelait sans doute « ma poule ») savait qu'elle passerait à la casserole... Elle s'en amusait.

Le frère qui avait fait l'étude biblique à Simonie avait une très belle femme qui s'appelait Stéphane et tous deux avaient deux très belles petite filles. Leur nom est oublié. Cette famille amie avec notre famille passait aux Ponts-de-Cé nous voir de temps en temps avec leurs filles. La cadette et moi étions appelés "les inséparables": "Qui sait s'ils ne se marieront pas un jour ensemble; ont dirait qu'ils sont déjà mariés..." dit-on à notre propos.

Un jour, sur le chemin allant au Spar, à Saint-Barthélémy, je dis à ma mère: "Je pourrais avoir un Lion?" Je reçus une claque de ma mère: "J'aime pas qu'on réclame" avait-elle dit juste après.

Je me souviens de deux grands tubes qui m'ont marqué à Saint Bart, du temps de la primaire. Papa chanteur... (maman douceur, pleure pas...) de Jean-Luc Lahaye qui restera 30 semaines au top 50 après sa sortie en 1985 et Le Bateau blanc (Viens je t'emmène sur l'océan)... sorti en 1980, cette dernière avait été paillardisée par la bouche d'enfants au centre-aéré de Saint-Bart.

Eric poussait souvent des "a-pe-pe!" de "gogol" (mongolien) devant moi. J'étais le "gogol" de la famille.

Mes frères et moi avions un voisin avec qui on jouait au foot, qui était un fan d'extraterrestres et de science-fiction, qui nous parlait des trous d'eau profond des Ardoisières où des hommes sont morts, aspirés... Drôle de copain! Mais il est quelque part, le copain des copains. Pourquoi? Il s'appelait Copain !

Parfois, le mercredi, ma mère m'emmenait dans une famille dont seule la mère était témoin de Jéhovah. C'était une famille pauvre de Saint Bart dont j'ai oublié le nom de famille. Mais y avait quelque chose de très bizarre que je ressentais dans cette maison et qui était malsain.

Les voisins qui ont porté secours à la famille Delavigne, s'appellent la famille Fépachier. Ils ont une fille. Très belle. Dada était un copain de quartier. Il était très flou quant à ses intentions et me faisait il me semble plein de sous-entendus. Son grand frère nous a fait écouter une fois Such a shame de Talk Talk, j'étais impressionné, c'était ce qu'il cherchait. Le début était à moitié flippant, le tout à fond les ballons sur sa platine amplifiée par de grosses enceintes. Une révélation. Leur père mourut peu de temps après, ce fut un choc.

La famille Fépachier avait une table de ping-pong; Dada, invitait mes frères et moi à faire des tournois. Rageur et très mauvais joueur, je balançai ma raquette de ping-pong neuve et la cassai.

Eric eut un jour l'appendicite et cria: qu'on m'ouvre le ventre!" Le même, un jour qu'il avait mal aux dents s'écria: "J'ai la mâchoire qui s'agrandit!"

Mon frère Yann porta plainte au collège contre un prof qui proposait des cours particuliers... Il fut le premier à avoir brisé le silence. nos parents se déplacèrent. Le prof viré.

  • "Vous savez, tous les pets sont différents: il y a des pouts muets et des pouts intelligents." (Eric)

Eric à moi devant Yann son complice : "Tu sais, t'es pas de notre famille... Hein?" Prend-il à témoin l'autre...

  • Ah bon? Je suis de quelle famille alors? demandai-je.

  • T'es de la famille Peuplier.

Jeux :

Mes frères et moi on construisait des avions en papier et avec moteurs et ailerettes pour une plus grande performance ou un effet particulier.

Mes frères et moi étions obsédés par les sous, et comme on avait la permission de notre mère de récupérer et de garder tous les centimes de francs, on cherchait partout. Notre mère nous disait : les petits sous font les grandes rivières.

Mes frères et moi on jouait au jeu « trouve objet caché » avec indication du cacheur: « chaud-froid-glacial-brûlant. »

 

On regardait en famille le foot et on a assisté en 1986 à la coupe du monde en direct à la télévision et surtout le match de la finale: France-Brésil, très excitant, avec des noms de joueurs fabuleux des deux côtés (France: Platini, Girès, Rocheteau, Basile Boli, Tigana...; Brésil: Socratès.)

 

 

 

 

 

8 décembre 2017

Mémoire BROUILLON (version longue - 1973-1995 - chapitre 1 : De la naissance à la Primaire)

 

Reprise de La Vie (première partie). Texte expurgé. Tout ce qui est en rouge est dans Mémoire.

 

 

Ma vie

 

Intégrant Mémoire,

 

Prologue

 

 

 

Dans le salon de mes parents, j'ai toujours été amusé par ces bibelots, ces statuettes écrues au socle desquels je pouvais lire:

"C'est bien toi la meilleure des mamans", "C'est bien toi le meilleur des papas", "C'est bien toi le plus chouette de pépés", "C'est bien toi la plus chouette des mémés".

Les superlatifs pleuvent dans leur excès touchant, plein d'affect. C'est humain.

Et pourtant, cette image d'Epinal peut se cacher bien des épines invisibles.

Image idéale correspondant bien peu à la réalité plus complexe, avec ses zones lumineuses et ses zones d'ombres. Pas blanc, pas noir, mais gris, comme on dit souvent.

L'essentiel pour un enfant est de dire: j'ai un père et une mère qui m'aiment, peut-être mal, dans toute leur imperfection humaine.

Mes parents à moi ne m'ont jamais dit qu'ils m'aimaient, sauf ma mère par écrit. Quand une fois plein d'enthousiasme à un festival, j'ai téléphoné à mes parents pour leur dire que je les aimais, j'ai recueilli un grand silence. Comme une pudeur. Et puis autre chose peut-être.

Je le dis, mes parents m'aiment et je les aime.

Peut importe qu'ils ne soient pas objectivement les plus chouettes parents, d'avoir eu objectivement des parents, c'est déjà pas mal quand j'en ai connu, à l'école, dont les parents étaient divorcés quand ils n'avaient pas perdu un parent, j'ai aussi toujours relativisé et trouvé que j'avais de la chance, parce qu'on était malgré les épreuves et certaines duretés, une famille heureuse. Qu'est-ce que c'est à côté de ne pas fêter Noël ?

Un papa idéal, ça n'existe pas (sauf « Dieu » et Petit Papa Noël peut-être) Une maman idéale, ça n'existe pas (sauf la Sainte Vierge Marie pleine de grâce) . Une femme idéale ça n'existe pas (sauf La Belle au bois dormant). Un homme idéal ça n'existe pas non plus (sauf Aladdin). Parce qu'un humain idéal ça n'existe pas.

Et qu'est-ce qu'une vie idéale ? Une vie où tout arrive comme on veut ? Une vie où on fait la pluie et le beau temps ? Et depuis le temps qu'on attend le Président de la République idéal comme jadis on a attendu le Messie... Mais qui, voulant que tout soit idéal, est prêt à regarder au fond de soi, à faire un travail de conscience pour que le monde ne soit peut-être pas idéal, mais meilleur ? Parce que la base est en soi. Sinon, on ne fait que projeter à l'extérieur notre intérieur. Lorsqu'on refuse de se regarder, on ne cesse de regarder les autres pour les juger. Désigner un bouc-émissaire est toujours une faute. « viser mal », c'est à dire pécher.

Bref ! On a tous le droit de dire que papa est le meilleur des papas du monde, et que maman est la meilleure mamans du monde, ça ne se discute pas, comme dans l'élection de sa compagne ou compagnon, car ce sont chacun pour nous les nôtres, qu'en principe on aime. On a qu'un papa et qu'une maman comme on a une seule vie en tant que croisement unique de nos deux donneurs de notre propre sang où coule du nôtre.

Je sais que s'il y a mieux il y a aussi bien pire que ce que j'ai vécu avec mes parents. C'est mon histoire. Je ne peux que l'aimer une fois grand, malgré les souffrances. Parce que c'est pareil, il y a sans doute mieux, il y a sans doute pire dans tout ce que j'ai vécu, mais c'est mon vécu, mon histoire, elle fait partie de moi, et ne pas aimer mon histoire ce serait ne pas m'aimer quelque part.

Je ne dis pas que je n'aurais pas voulu ne pas vivre certaines choses que je ne peux que réprouver du fond du coeur, de mon esprit et dans mon corps, enfin de mon âme, mais voilà, j'ai appris à positiver les expériences de la vie, à en tirer parti, j'ai comme dirait Boris (Cyrulnik) fait ma résilience, ma conscience a grandi et je me sens d'accord avec l'idée d'un karma non punitif mais permettant de s'améliorer, de se lancer des défis à notre âme. Et aussi, de faire progresser l'humanité par notre travail personnel et notre témoignage, de défaire des noeuds de l'humanité. C'est cette idée de réincarnation karmique qui se révèle dans un passage de mon roman Paul au pays de Rimbaud et Juliette touchant à la pierre de touche de mon histoire.

 

 

DIEU: "Tu es mort catholique. Tu renaîtras TJ.

ARTHUR: – Quoi? Je renaîtrais Tous les Jours?

  • Non, non, tu renaîtras Témoin de Jéhovah, pour ainsi dire. Des intégristes dont l'acte de naissance est sa fondation par Charles Taze Russel en Amérique, en 1873, l'année où tu écrivis ta Saison en enfer. Tu naîtras quelque cent ans après ce "carnet de damné" et de la rédemption, par ta future mère et ton futur père Témoins de Jéhovah.

  • Oh! ce nom! Pouah! J'en ai la nausée. Moi qui détestait le Hugo qui employait le mot Jéhovah à tore-larigot, je vais en manger, c'est ça, et ça m'en sortira des narines. Pourquoi? Suis-je maudis même outre-tombe?

  • Non, tu es béni, Arthur, car tu renaîtras poète, artiste, conteur. Toi qui disais, tout chagrin: "Une belle gloire de conteur emporté." Mais il te faudra à nouveau repasser par la religion occidentale sous une forme nouvelle, moderne.

  • Il faut être absolument moderne, ah  !

  • On la dira une secte tant ses enseignements et ses enseignants, ses bergers, seront fanatiques, comme les musulmans que tu as rencontré en Ogadine. Mais ce sera bien autre chose.

  • Oh mon Dieu, est-ce cela que tu me demandes, de me réincarner, de souffrir à nouveau? N'ai-je pas rempli ma mission? N'ai-je pas assez subi en mon corps et en mon âme? N'ai-je pas assez enduré le désert de toute part jusqu'à mordre aux queues de scorpions? Tu le veux? Que je vive une nouvelle «  crucifixion  »?

  • Pour l'Amour de Moi. Pour l'humanité, l'Âme...

  • Étais-je né pour autre chose de ma mère Vitalie et de mon père Frédéric? Quelle autre gloire maintenant puis-je demander que celle qui m'a été louée. Celle qui incombe à mon nom et qui te fais honneur, mais que je n'ai pas demandé? Ne suis-je pas maintenant un dieu comme du Mont Olympe pour beaucoup et un diable pour beaucoup d'autres? Adulé et méprisé, dois-je emporter encore cela dans ma tombe? Et que dis-tu? "Tu renaîtras Témoin de Jéhovah? Ah! Ah! Laisse-moi chialer et rire. Tu seras hyène, etc.! Tu seras hyène, etc.!... Oui, fais-moi hyène, ô Dieu! Hyène d'Abyssinie... que dis-je? Hyène d'Éthiopie! Je pourrai rire, rire, rire – Charognard! Non, je ne veux être témoin de rien sur cette Terre...et surtout pas de ce Jéhovah de mes deux!

  • Arthur... Arthur... Accepterais-tu de renaître sous un autre nom en mon Nom? Je te le demande, je te prie...

  • Lequel, dis-moi?

  • Paul.

  • Paul! Ha! Ha! Ho! Ho! Hi! Hi! "A noir, E blanc, I rouge, U vert, O bleu: voyelles! Je dirai en quelques jours vos naissances latentes... A, noir corset velu des mouches éclatantes, qui bombinent autour des puanteurs cruelles! I, pourpres, sang craché, rire des lèvres belles dans la colère ou les ivresses pénitentes!" AÏE!AÏE!AÏE! Paul! PAUL! J'y crois pas! Et je vais rencontrer Arthur qui me battra comme un chien, et je tomberai dans le caniveau, la face au sol, dans la boue, parmi les rats! Merci. Alleluiah! ALLELUIAH!... Alle... Allez... J'accepte. Que le Ciel soit témoin...

  • Le Ciel t'aidera. Je serai avec toi et tu seras avec moi.

  • Ainsi soit-il.

 

 

 C'est une vision spirituelle, pour ne pas dire spiritualiste (je ne verse pas dans le spiritualisme, car le matérialisme a sa place aussi, et puis si il y a certains "ismes" que je n'aime pas, comme l'extrémisme, le terrorisme, etc., j'aime au moins l'impressionnisme, le symbolisme... tous les "ismes" de l'art!).

Il ne s'agit pas ici de lancer des pierres à mes parents, des personnes courageuses qui ont fait ce qu'ils ont pu avec les moyens du bord, leur boîte à outil, ayant à élever trois enfants dans un contexte difficile et particulier. Par contre, je ne cache rien de négatif, rien de positif, puisque mon but est d'atteindre la plus grande objectivité possible, dans une sorte de bilan. Aussi, je ne peux que dénoncer certaines choses en rapport avec la secte, sans en faire un tableau tout noir, car à ce moment-là, je serais en porte-à-faux avec ma mémoire. C'est bien « Mémoire », le mot clé. Je témoigne autant que ma mémoire le permet, auquel témoignages j'ajoute ce que j'ai appris par ailleurs.

C'est un travail de conscience. De mémoire et de conscience.

 

 

Chapitre 1

 

 

Angers. 1973.

Un couple avec un enfant en route pour la vie avait déménagé un an auparavant de Saint-Florent le vieil pour vivre en H.L.M dans une cité regroupant quatre longs et assez hauts bâtiments en béton. Le couple habita au premier étage. Leur bâtiment s'appelait "Les Roses."

Là, courant juillet, fut conçu derrière un numéro de porte un nouvel enfant.

C'était moi. Stéphane.

J'imagine que j'ai des yeux qui voient à travers le ventre en plus de mes oreilles qui entendent tout, attentif.

Un jour de septembre, tandis que mon père Claudio était au travail, et que ma mère Simonie pouponnait Eric son premier fils, mon grand frère déjà, on frappa à sa porte. Elle ouvrit, et un bel et grand homme dans la trentaine et aux cheveux noirs, ras, frisottants se présenta à elle vêtu d'un beau costume noir, d'une chemise mauve, d'une cravate pourpre, et un gros livre vert vif en main. Je la tiendra quelques années plus tard en main, ma première Bible, cette fameuse Bible verte comme la Normandie (ma mère a des origines normandes) qui me fera penser à ce vers d'Arthur Rimbaud dans Les Poètes de sept ans écrit à dix-sept ans et évoquant son enfance avec sa Mère catholique et autoritaire, « fermant le livre du devoir », «satisfaite et fière »  : « Il lisait une Bible à la tranche vert-chou ».

  • Bonjour madame, je vous dérange peut-être..., dit l'homme sur le pas de la porte marqué par un tapis de bienvenue et essuie-pied couleur de terre.

La madame, toute jeune mariée et toute jeune maman, portait dans ses bras son bébé d'un an, lequel ne détachait pas de l'inconnu son regard noir à la pupille bleu-grise, la tête déjà bien chevelue, d'un blond filasse.

- Oh. Non pas du tout. Vous êtes représentant?

Ma mère lui tendit un beau sourire, des yeux bleus qui étaient comme vivifiés par une chevelure roussâtre.

Cette question, on la lui posait, à l'homme, pour la première fois. Il marqua une pause en scrutant sa rare interlocutrice.

  • En quelque sorte, répondit-il avec un grand calme en souriant. Je suis représentant de Dieu.

  • Comme un curé alors?

  • Pas vraiment. Je suis Témoin de Jéhovah.

    Elle n'avait jamais entendu parler de ce bizarre nom, la madame. Le groupe religieux des Témoins de Jéhovah était pourtant assez ancien. Il avait été fondé dans le Nouveau Monde par Charles Taze Russel, au début simple étudiant de la Bible, en 1873. exactement 100 ans avant ma naissance...

  • Jéhovah, c'est le nom de Dieu, et il a des témoins, c'est écrit dans la Bible. Tenez.

    Sur la couverture cartonnée se lisait le titre "Les Saintes Écritures, Traduction du Monde Nouveau".

    La mère se rapprocha. L'enfant essaya d'attraper le papier qui froissait sous les doigts effilés du monsieur.

    Une main maternelle maintint son fils. L'homme trouva en un rien de temps et dit: c'est dans le livre du prophète Isaïe, au chapitre 43, versets 10 et 11. Et il lut d'une voix douce et solennelle:

  • "Vous êtes mes témoins", c'est là ce que déclare Jéhovah, "Oui, mon serviteur que j'ai choisi, afin que vous me connaissiez et ayez foi en moi, et que vous comprenez que je suis le Même. Il n' y a pas de Dieu formé avant moi, et après moi, il n' en y en a toujours pas eu. Moi, moi je suis Jéhovah, et en dehors de moi, il n'y a pas de sauveur."

  • On nous cache tout ça à l'Église. J'ai toujours cru en Dieu et a porté en haute estime la Bible dans mon coeur, mais jamais je n'ai entendu un curé lire un verset de la Bible, et c'est la première fois qu'on me parle du nom de Dieu.

    La femme avait baissé la garde. L'enfant saisit une page qui se déchira. Sa mère lui fit une tape sur la main.

  • Tu as vu ce que tu as fait?

  • Ce n'est pas grave, intervint l'homme comme une brise divine.

  • La parole de Jéhovah, mon enfant, tu entends? J'aimerais beaucoup en savoir plus. Pourriez-vous repasser?

  • Volontiers. Accepteriez-vous une étude de la Bible avec moi?

  • Bien sûr. Quand?

  • Demain, si vous voulez.

  • Je le veux.

  • Accepteriez-vous aussi que je sois accompagné par une autre personne?

  • Un témoin de Jéhovah?

  • Oui.

    Elle remarqua son alliance dorée à l'annulaire.

  • J'accepte. Ce sera mieux pour mon mari.

 

La Bible, c’est ce qui avait déterminé ma mère à accepter une étude de celle-ci, car elle était croyante catholique de par sa mère, avec ce petit plus par rapport à d’autres croyants qu’elle tenait non seulement beaucoup d’estime à ce livre mais qu'elle y recherchait quelque chose : une vérité.

Soudain, par une simple visite en bonne et due forme – quoique en principe les Témoins se présentaient toujours par deux dans leur prédication de la "Bonne Nouvelle du Royaume" – , cette visite costumée, cravatée, la Bible en main connue comme sa poche par le visiteur (une version moderne de l'Annonciation ), un homme avait fait que Dieu devint pour Simonie une réalité plus forte et plus proche: il s’appelait Jéhovah.

A partir de là, tout alla très vite dans sa tête. Simonie accepta une Etude de la Bible avec l’homme qui avait frappé à sa porte. Elle était passionnée, allant de découverte en découverte, de vérité en vérité dans ce qui s'imposait comme la Vérité et était effectivement nommé ainsi.

Un jour, Simonie était si illuminée par ce qu’elle apprenait, qu’en voyant par la fenêtre de l’appartement l’église brûler au loin (et en effet, elle brûlait) elle s’écria du balcon : Babylone la Grande est tombée ! Babylone la Grande est tombée !… »

Elle alla aussi, surtout peut-être, d'émotion en émotion: comme celle que lui provoqua la promesse dans la Bible d'un Paradis sur Terre et de la résurrection de nos chers.

Elle avait perdu sa mère à huit ans.

Son mari Claudio, réticent au début, s’intéressa peu à peu par curiosité en écoutant derrière la porte ce qui se disait dans l’étude, puis il y assista à son tour et quelque temps après, il arrêta de fumer du jour au lendemain : il fumait alors deux paquets par jour. Le petit Eric fêta son dernier Noël, son deux ou troisième, dans l'année qui suivit qui est aussi celle de la naissance d'un petit frère: Paul. À la fin de l'année, ses parents prirent le baptême. Son père fut appelé "Frère" et sa mère "Soeur".

 

Chaque membre de la famille de cette histoire pourrait écrire son propre roman familial; nous aurions un éclairage différent, un roman différent. Beaucoup de souvenirs ici présents ne seraient pas relatés, car ils appartiennent au membre x de la famille – il y en aurait d'autres, et ceux en communs seraient rapportés différemment suivant ses souvenirs, sa sensibilité, sa personnalité, ses choix. Imaginons un instant que chaque membre de sa famille fasse son roman: de quelle richesse ce serait! Ils pourraient confronter leurs histoires, leur personnalité leur vision d'eux-mêmes et celles de leur famille et des faits et du monde. Mais il y a toujours, quand cela arrive, qu'un poète dans la famille, qu'un être destiné à être un transmetteur, porteur de parole, délivreur d'un poids familial, catalyseur de la société. Ainsi, pas plus que mon sexe, n'ai-je choisi le « roman » de Stéphane, – Stéphane qui aurait été appelé Rozaine si j'a avais été une fille.

Oui, nous pouvons caresser de notre imagination une immense fresque familiale où même les grands-parents, les oncles, les tantes, les cousins, les cousines, feraient leur roman. On peut rêver que les milliards d'être humain sur Terre fassent leur roman. Mais qui ferait le pain? Qui ferait les maisons? Cela demande du désir, et du temps et surtout une vocation. Mais sinon, toutes les vies peuvent être... sont un roman non écrit, quelque part, jugement de valeur à part.

Revenons au nôtre, le mien.

Il y a un filet tendu à travers la mer pour pêcher plein de poissons-souvenirs, ou poissons-mémoire, ce qui n'est pas tout à fait la même chose.

C'est le moment de parler des grands-parents.

Du côté de ma mère, nous avons évoqué sa mère. La mère de ma mère était une belle femme aux grands yeux tendres. Simonie ne la connut que pendant ses huit premières années, à l'âge où l'éducation est faite, où la mémoire se forme comme une poche et qui va contenir les premières impressions, les premiers souvenirs, qui vont être soit plutôt bons, soit plutôt mauvais: ceux qu'à gardé Simonie sont plutôt très bons, trop bons pour qu'elle ne souffre pas profondément et pour que profondément sa maman ne soit aussi la lumière humaine sur laquelle elle se raccrochera toute sa vie. Elle était une femme douce, un havre de paix et d'amour, sa sécurité.Une fois, elle lui fit une réprimande qu'elle gardera toute sa vie comme modèle d'éducation. Elle était enfin, comme je l'ai dit, une catholique fervente. Tout ce que ma mère a perdu était dans une photographie grand-format, en noir et blanc, sous cadre, dans ce visage très tôt, trop tôt remplacé...

Son père, elle ne le vit pour la première fois que très tard. Il revenait de guerre d'Indochine. J'imagine cette rencontre ainsi :

  • Ma fille, voici ton père. Dis-lui bonjour, dit sa mère pleine de précautions.

    La petite Simonie fixa, sans mot dire et avec effroi ce géant, cette armoire moustachue dont sa mère lui avait parlée. Pour la première fois de sa vie Simonie mesura la différence entre l'imagination et la réalité.

  • Bonjour, ma fille, fit le père d'une voix rocailleuse mais pleine de bonhomie, en se penchant pour la prendre dans ses bras telle une pelleteuse se baisse pour prendre de la terre.

  • Bonjour, monsieur, fit-elle d'une voix fluette.

  • Père, ma fille... fit sa mère avec empressement.

    Elle demeura interdite.

  • Ou papa, préfères-tu? intervint l'homme grand et fort.

    Pas de réponse.

    Il lui faudra un certain temps à la petite pour la considérer comme son père, plus encore pour qu'elle lui soit familier au point de l'appeler "papa".

    Celui-ci revenu de guerre d’Indochine, n’en demeura pas moins absent. Toujours en cavale…

Il jouait à ses heures de l’harmonica. Cela conquis le coeur de Simonie. Lui, eu le coeur fondu et fendu après avoir fendu sa fille.

Elle ne devait que très tard prendre conscience du lourd passé de son père. Une vie misérable. Une vie gâchée par ce que la religion nomme le vice et que je qualifierai de faiblesses, sans l’excuser. En fait, il avait tout pour réussir, il était intelligent, talentueux… Mais il en avait rien fait. Et à côté d’un caractère assez bourru son beau regard dégageait de la générosité, de la bonhomie et une certaine bonté. Et il y’avait un je-ne-sais-quoi chez lui qui charmait, c’était peut-être ce bon fond qu’il exprimait par la musique et puis tant de discrétion, de Silence à côté d’une « belle mère » (sa seconde femme) criarde, boule de nerfs, hystérique, à moitié folle allais-je dire, mais la vérité est qu'elle était tragiquement folle pas qu'à moitié, au point qu'on éprouvait de la compassion lorsque, entre deux éclairs foudroyant de folie, son coeur débordait de manière outrancière d'un amour qui était une inondation, et qui bouleversait par le pétillement de ses yeux éperdus. Tout l'amour qu'elle n'avait pas reçu, sans doute encore beaucoup moins que ma mère, se jetait par-dessus bord et se noyait dans un instant de grâce déchirant.

Ce même déchirement se traduisait dans l'harmonica du père. Pas seulement. Dans son silence même ou son peu de mots, un peu maladroits lorsqu'il était authentique. Le plus souvent il allait de sa grosse voix en société, comme un militaire fait de sa grosse caisse en parade. Quelque chose de tragique émanait de lui et on ne peux mieux le comparer, toute proportion gardée, qu’à Rochester du roman de Charlotte Brontë qui à côté de son amour pour la jeune Jane Eyre cachait un passé misérable et un lourd secret: celui qu’il gardait enfermé dans une pièce du manoir de Thornfield une "folle" qui était sa femme. Athée, il avait de la compassion pour les hommes, sauf envers les nègres, etc. En bon colonial.

- Faut tous les zigouiller, les dindonchinois! craillait sa nouvelle femme.

Le père de Simonie fut enfin l'auteur d'une lettre qui a pesé dans mon existence et dont je reparlerais. Comme nous aurons à reparler de cet homme, notamment par rapport à sa fille.

Donc, le doux visage plein d'amour de sa mère fut remplacé à l'âge de huit ans par celui de la "Belle-mère" cette petite bonne femme rousse et hommasse qui la martyrisait. La marâtre des contes, c'était elle. Et sa vie à partir de ce moment-là ne fut pour ainsi dire que souffrance – celle de Cosette démultipliée: nuits dans un grenier parmi les souris et les araignées, sans manger, coups de chaînes...

Cette femme qui faisait office de mère avait huit enfants, sept garçons et une fille, auxquels s'étaient ajoutés les quatre enfants de son second mari, trois garçons et une fille: Simonie. Là voilà avec sa douzaine sur les bras, et devenant plus folle qu'elle ne l'était.

Un jour, un numéro dans le journal parut: un enfant, un des frères de Simonie, le plus jeune, Jacques, fut trouvé dans un fossé. Il était couvert de bleu et de rouge, vivant. La violence de la belle-mère était dévoilée.

 

Nous n'ajouterons pour le moment rien pour la famille du côté de ma mère, sinon que sa nouvelle maman et son papa de peu de temps faisaient un beau couple: elle s'appelait Reine et lui Claude. Ils ne s'étaient pas marié pour des prunes!

 

 

Passons du côté de mon père, maintenant.

Sa mère avait un nom de fleurs: Marguerite. Elle était fille de vignerons des fameux coteaux du Layon et devint un jour duchesse par son mariage avec Claude Delavigne, issu de la bourgeoisie. Ce qui la fit déplacer de la campagne à la ville.

Pour X raison, Claude avait pris son vélo direction la campagne et Marguerite sa bicyclette direction la ville. Ils se sont croisés. Marguerite en voyant le beau jeune homme s'est retrouvée dans les pâquerettes, dans le fossé plus exactement. Lui, Claude, n'a pas fait avec la belle jeune fille de délit de fuite, pour le pire et le meilleur... C'étaient deux coquelicots qui se mirèrent le long des vignes, ce jour là.

Marguerite était catholique pratiquante, et se rendait donc avec ses enfants à chaque messe dans cette église qui avait brûlé sous les yeux lointains de Simonie. Une église qui a une histoire peu traditionnelle à partir du XIXème siècle: fondée sous le règne du roi Robert II et Foulques de Nerra en 1003, l'Église dédiée à Saint Aubin fut en 1562 saccagée par les calvinistes, en 1652 pillée par les Frondeurs, en 1793 dévastée et profanée... et ravagée par un incendie le 27 décembre 1973!...Restauration commencée en 1975, réouverture partielle en 1981 et totale en décembre 1984. L'histoire de l'autre église, Sainte-Maurille, n'est pas mal non plus: elle était une tranquille petite église romane du XIème siècle jusqu'à ce qu'en 1837 la foudre tombe dessus. Un nouvel édifice vint la remplacer: style néo-gothique, nef unique, le choeur donnant à l'ouest... orientation tout à fait inhabituelle! Il fallut attendre 1861 pour que s'élève dans le ciel un nouveau clocher. Mais en août 1944, le voilà à terre par des obus américains. L'église était devenue un observatoire allemand...

Cela nous rapproche de la naissance de Claudio Delavigne, mon père et qui donna mon nom de famille.

Claudio avait été conçu en Anjou pendant la guerre des Ardennes de la Seconde guerre mondiale.

Lors de la déclaration de la fin des combats par le général de Gaulle, il avait deux ou trois mois.

Simonie, elle était une enfant d'après guerre. Née deux ans après.

En 1968, il y eut deux événements majeurs de mon histoire l. Le premier eu une incidence directe sur lui; le deuxième constituera une partie importante de la mémoire familiale.

Commençons par le second. Le père de mon père eut une grave crise psychotique qui l'amena droit à l'hôpital psychiatrique, ce qu'on nommait l'asile. Et celui-ci avait pris le nom d'un village voisin, ce qui faisait passer dans le sang quelque frisson quand on entendait quelqu'un dire que tel ou telle "sistrophoné", comme aurait dit Marguerite, fallait qu'il aille "à Saint-Gemmes": on savait où...

Le premier événement, est le dernier en date et le plus réjouissant de cette année-là: voilà pourquoi je tiens à le placer ici.

Il s'agit de la rencontre, à la fin de l'année, de Claudio Delavigne, mon père, et Simonie Dumas, ma mère.

Cela ne se fit pas en boîte de nuit, qui n'existaient pas (existaient seulement les maisons closes...), et je ne suis pas sûr que ce lieu soit propice à la rencontre.

Claudio et Simonie se sont rencontrés au bal, comme beaucoup de nos parents. Les bals de village étaient très prisés. C'est "vieux jeu" maintenant, mais là, on pouvait parler tout bas pour faire une invitation. Et c'est ce qui était arrivé après que Claudio assis remarqua et reluqua de l'autre côté de la salle de danse, une jeune femme discrète, mais qui avait déjà refusé catégoriquement je ne sais combien d'invitations à la danse, et qui était là, les jambes croisées, de très belles jambes blanches qui ne se laissaient voir que jusqu'aux genoux, de très beaux genoux, et le visage était très attrayant, très fin, très... et en approchant, c'étaient ses yeux qui étaient très... et son coeur à lui était très...

  • Mademoiselle... j'aimerais danser avec vous.

  • Oui.

    Elle avait dit oui! Elle n'avait vu que ses yeux.

    Après la danse, une valse, après le bal, Claudio proposa à Simonie de la raccompagner jusqu'à chez elle. Elle n'avait pas vraiment de chez elle. Chez elle, c'était chez sa tante. Mais elle accepta un rendez-vous dans la rue où elle habitait, et où ils se trouvaient, là :

  • Dans trois jours, je ne peux avant, venez ici. Je rentrerai du travail. Vous aussi.

    Claudio avais pris note de tout: tous les jours elle finissait à la même heure et mettait tant de temps pour venir à pied jusqu'ici..., et il se pointa dès le lendemain!

    Surprise, mais bonne pour Simonie. En voilà un qui était décidément fou amoureux. Et elle, elle était très amoureuse, « ses yeux noisette, décidément, à croquer! »

    Les fréquentations se prolongèrent avant la conclusion matelassée... Simonie n'était pas prête, et elle serait loin d'être prête.

    Claudio ne lâchait pas le morceau, un sacré morceau d'un sacré caractère. Pour preuve, une fois, main dans la main, ils se promenaient en amoureux quand soudain Claudio vit une femme enceinte et fit:

  • Oh! elle a le ballon!

    La Simonie se retourna face à lui et lui donna une giroflée à cinq branches.

  • Tiens, je t'apprendra le respect!

    Claudio ne l'avait pas vu venir, ce ballon...

    Il posa sa main sur sa joue qui aurait plutôt montré une main négative de grotte de Lascaux sur son visage empourpré.

    On aurait pu avec l'indice de Manning d'aujourd'hui, appliqué pour savoir le sexe de telle ou telle main rupestre, soit négative (clair sur foncé) soit positive (foncé sur clair) mesurer l'écart entre la longueur de l'annulaire et de l'index (qui a un indice moyen de 0, 96 pour un homme européen, et proche de 1 pour une femme européenne), et vérifier que c'était un pochoir d'une main de femme, là, sur la paroi épidermique de Claudio.

    Heureusement, le sang reflue vite!

    Claudio était plus amoureux fou que jamais.

    "Elle a du caractère!" se dit-il. Il n'eut pas besoin de se persuader pour se décider: "C'est la bonne." était le mot d'ordre et le mot de passe.

    Pour Simonie, elle était plus réticente, elle avait besoin de tester.

    Le coup du ballon, c'était un excellent test, le test déterminant, puisque ne venant non de sa personne, mais du Ciel. Elle était consciente que son prince charmant aurait pu la quitter à ce moment là. Mais il avait franchi la barrière...

    Des ronces, il y en aurait plein dans leur vie.

    Mais là, c'est la rose qu'il fallait cueillir.

 

Claudio passa avec succès l'étape suivante: la demande de fiançailles, puis un mois plus tard la demande en mariage. En plus des bagues, Claudio offrit à sa princesse des blagues à lesquelles elle ne rit pas: "Elle est belle ma blague!"

Les deux futurs conjoints et les deux familles se préparaient aux noces. Ça c'était du sérieux de chez Sérieux.

Surtout qu'entre temps, mon père avait suivi ma mère et était un néophyte de la "secte" des "Jovah". C'était un "Jova" au grand dam de la Duchesse des Ponts-de-Cé.

Quand mon père avait appris un beau jour à son frère aîné, l'austère frère aîné, qu'il étudiait la Bible, et qu'il voulait devenir Témoin de Jéhovah, celui-ci le pris à la légère et fit en lui riant au nez:

  • Oh! Oh! C'est une lubie, ça va t'passer...

    Seulement, à la veille de son mariage, il était toujours à caresser sa lubie.

    Une honte pour la famille Delavigne. Mais, bon, cela n'allait peut-être pas s'éterniser. En attendant, on voyait de mauvais oeil Elle, la folle qui avait entraînée son future mari, oui c'était "la folle" depuis que de la cité à l'Authion couru le bruit de son "Babylone la grande est tombée".

    Drôle! Pour les "Jovah", Babylone était l'Eglise catholique, désignée dans la Bible, dans la Révélation, comme une prostituée, et elle Simonie, la délurée, était vue par la famille de Claudio non seulement comme folle, mais comme putain...

    Claudio avait été entraîné dans sa folie au point qu'il a cru penser pouvoir convertir sa mère.

  • Mon fils, fit-elle glaciale en passant son regard de lui au sol et du sol à lui, je suis catholique des pieds jusqu'à la tête, et je le resterai jusqu'au bout...

    Mais, elle s'était résignée pour ce qui était de l'élue du coeur de son fils. Elle le connaissait et savait que c'était la bonne. Elle était prête pour faire son devoir de mère à la place d'un père absent et "sistrophoné".

    Un jour, le jour de son mariage, elle lui tendit une revue montrant un homme et une femme nus, enlacés:

  • Tiens, Claudio, c'est pour toi. Aujourd'hui, tu vas être un homme.

    Cela, devoir rempli sur le tard, à la hâte, furtivement, tomba comme un cheveu sur la soupe. De son père, pas un mot.

    Toujours avait-il dans ses mains la preuve tangible, offerte par sa mère prévenante, que les bébés, ça ne naissaient pas comme il l'avait appris de sa bouche comme tous les enfants de son temps: dans les choux. Et c'était pour cela que les mères affectueuses disaient: "Mon chou"?

    Après la guerre, on était encore en pleine confusion...

    Mon papa Claudio était passé de la situation où il était appelé le chouchou de la famille par ses frères à celle où sa jeune épousée l'appelait "mon chou à la crème", en quelque sorte. J'imagine bien :

  • Aujourd'hui, tu vas être un homme, se répéta t-il. On n'avait cessé depuis tout petit de lui dire: "Pleure pas, sinon t'es pas un homme."

    Là, il pleura. Puis il rit aux larmes. Il avait heureusement beaucoup d'humour.

    On était en pleine rage de rock, après mai 68, en 69...

 

 

Ma mère avait été une enfant studieuse à l'école, où elle aimait aller malgré les coups de règles sur les doigts réunis comme une équipe sportive avant d'affronter l'adversaire. Sa persécutrice s'opposait à la valeur accordée à sa fille par son institutrice. Elle était très intelligente et aurait pu faire des études. Mais personne ne pouvait s'opposer à la bourrasque folle de sa seconde mère, pas même son père avec ses quatre vingt dix kilos. Il n'avait jamais rien dit, toujours souffert en silence devant la main de fer levée sur ses enfants. Son amour pudique pour ses enfants était tout ce qu'il pouvait opposer, lui le guerrier...

Quand même, un jour il entendit hurler un de ses fils, il monta et vit sa fille battue avec un mousqueton de laisse de chien sur la tête; il battit sa femme alors. Si je me souviens bien de ce qu'elle m'a dit.

Dès qu'elle le put, elle fugua. Elle n'était pas encore majeure. Un orphelinat la recueillit. Ce n'était pas la panacée, mais mieux que ce qu'elle avait vécu. La soeur de sa mère lui ouvrit sa porte au moment où elle fut majeure. Un peu de douceur, d'amour digne de sa mère lui fut octroyé enfin.

Elle fit plusieurs petits boulots de couturière en usine, travailla pour la presse, découvrant avec horreur des photos de la guerre d'Algérie guère digestes et qui étaient écartés du journal qui devait paraître le jour même ou le lendemain.

Aussi, Simonie était à l'âge de 22 ans dans l'effervescence, une jeune romantique révoltée. Elle s'habillait de robe bleue et droite, portait un serre-tête dans des cheveux mi-longs qui faisaient toboggan sur les côtés. Elle aima se faire photographier devant une guitare électrique rouge accrochée à un mur. D'après cette photo je l'ai imaginé ainsi, écoutant la radio, raffolant du rock dont les vagues successives de l'Atlantique et de la Manche gagnaient la plage d'Europe, apportant son grand vent de liberté dans les âmes – sans pour autant être en adulation comme ses copines hystériques: de vrais mouettes! Ça, c'est sûr, elle détestait ça.

Un soir, j'imagine encore, dans l'intimité de sa chambre, elle entendit sur Radio Caroline "Présence of the Lord" d'un groupe anglo-saxon nommé Blind Faith et que je viens d'écouter au moment où j'écris ces lignes. "Présence du Seigneur" de "Foi aveugle" chanté par Steve Winwood, Steve "Bois gagnant" ou "Gagne bois". Elle ne connaissait pas plus de mots anglais qu'elle n'avait de doigts à sa main. Mais devant la voix chaude du prince charmant ou du Robin des bois de la chanson anglo-saxonne, son corps frissonna nouvellement et fut parcouru d'une onde de plaisir.

Avec le mariage, le besoin de sécurité de Simonie était comblé, mais sa liberté prit un sacré coup dans l'aile...

Au bout de trois ans de mariage, Simonie n'était plus du tout la même. Seule du matin jusqu'au soir avec son premier enfant, elle était livrée à ses démons intérieurs, ses angoisses. Au retour du travail de Claudio, il y avait souvent de l'orage.

Claudio était devenu un glaçon se glissant dans le lit mais faisant sa besogne... Avec elle, il n'échangeait rien. Pas une parole douce, chaleureuse, aimable. Ivre lien non espéré, les utilités irréalisées donnaient originalement nouveaux nuages, avec intensément, tragiquement, pratiquement, absolument, suicidairement, des enlisant plaisirs. Entre amis, c'était un pitre qu'elle voyait faire rire la galerie aux larmes. Elle était la seule à ne pas rire, la seule à savoir. Elle passait pour être austère, coincée. Son mari ne loupait pas de le lui reprocher. Il devenait violent. Son fils, leur enfant Eric, devint sa bête noire sur laquelle sa main s'abattait. Ma mère ne comprenait pas ce qui se passait. Mon père encore moins. Quant à Eric, Paul et le petit dernier, Yann...

En dehors du travail, un travail d'usine harassant, mon père se détendait à la pêche. L'eau était le seul miroir sur lequel il pouvait épancher sa souffrance. Les poissons et l'eau douce lui donnaient juste ce qu'il lui fallait de calme et d'excitation. La pêche était aussi une école de patience. Seuls ses amis, ou ses frères pêcheurs pouvaient comprendre sa passion, sa fuite, son abandon.

Mais chacun des partenaires devenaient l'un pour l'autre, au mieux, une rive opposée, et au milieu se mêlaient leurs larmes charriées vers un océan sans horizon.

Mon père avait des manies qui lui prenaient tel un papillon de nuit se cognant contre la vitre pour entrer dans la lumière. Lui, c'étaient les poubelles, son idée fixe: ferraille, bois, etc. Tout ce qu'il pouvait récupérer. Une fois, tandis qu'il était prêt à ouvrir à sa famille la porte de leur appartement, il dit à ma mère d'attendre, il revenait, il allait chercher un paquet de cigarette. Il ne revint qu'à onze heures du soir, laissant pendant quatre heures sa femme dans l'inquiétude puis l'angoisse avec ses trois enfants qui avaient faim et pleuraient sur le palier. Une autre fois, il était parti sans prévenir à Saint-Florent-le-Vieil où ils habitaient auparavant: pas de nouvelles, rien, pendant une semaine!

Ma mère devenait folle. De rage surtout. C'est que mon père – décidément, l'image de la rivière s'impose – il passait d'une rive à l'autre, l'une s'appelant Dépression (j'allai dire Mélancolie, comme dans la chanson), et alors il ignorait tout le monde pendant de longues périodes, était dépressif et agressif; l'autre s'appelait Manie, et alors il était tout fou-fou, d'une énergie démesurée, faisant des dépenses inconsidérées durant cette phase. Cela était saisonnier.

Quand un jour il acheta une mobylette neuve alors qu'ils n'avaient pas d'argent, Ma mère alla voir la mère de son malade de mari. Elle fit un arrangement. Mais elle fit bien plus pour cette femme désemparée que sa religion séparait d'elle mais qu'une fibre commune, un nerf psychologique la réunissait à elle en secret. Ma mère vit ce jour-là, étrangement, le double de son enfer dans ses yeux, mais comme lointain: chez elle, le temps et l'habitude et la foi avaient eu leur action anesthésiante; elle s'était résignée, remettant tout entre les mains de Dieu. Je peux imaginer la scène de cette rencontre :

  • Votre fils n'est pas normal. Il a quelque chose, dit ma mère ouvrant les vannes de son coeur.

    Elle expliqua sa vie devenue un enfer.

  • C'est nerveux, répondit ma grand-mère, pour tout commentaire.

  • Vous savez quelque chose, dites-moi, je n'en peux plus.

  • Je vous comprends. Le père de Claudio était nerveux aussi. Il avait la fâcheuse manie de descendre tout ce qui se trouvait dans le grenier et de le mettre dans un coin.

    Elle fit bien plus, oui, cette épouse et mère silencieuse, qui faisait un tabou de tout: elle le mit sur la voie. Cela fit tilt en ma mère et elle se souvint qu'une fois, son fils en leur présence, sa mère lui avait dit comme pour dire quelque chose: "Vous avez vu comme il est nerveux?"

  • Merci... fit ma mère, sentant que cette femme avait été seule, et que malgré cette perche tendue dans une pudeur extrême, elle aussi l'était, seule, et le resterait.

Seulement, elle demanderait un diagnostic par un médecin.

Elle le fit au plus vite. Une consultation du couple apporta bientôt ce qu'elle cherchait; elle découvrit qu'il avait bien une maladie: la psycho-maniaco dépressive. Maintenant appelée "maladie bipolaire".

Même lui, mon père, avait toujours entendu sa mère parler de son père en disant: "C'est nerveux"; il connaissait l'instabilité de son père depuis l'enfance, avait vu son frère aîné se faire battre, avait vécu tous ses désagréments intérieurement; impuissant, il s'était imprégné de son mal sans comprendre; il y avait eu comme un transfert du père au fils, insidieusement, se lovant dans son coeur, sa tête, son corps. Il serait moins seul. Lui, le père. Lui le fils.

On ne lui avait pas dit. Sa mère le savait-elle plus que lui?

C'était génétique. Héréditaire. Le terrain était favorable, surtout. Structure psychologique accueillante. Incubation réussie.

Mais, ce jour-là, de la visite chez le médecin, sortit comme un immense espoir, une délivrance: cela se soignait. À défaut d'être guéri, mon père pouvait se stabiliser par la prise régulière, journalière, à vie, de quelques comprimés.

Dans ces moments-là, on bénit le Progrès!

 

Je ne sais pas pourquoi, j'ai envie de raconter en quelques lignes une page historique des Ponts-de Cé.

Le 7 août 1620, entre les partisans du roi Louis XIII et ceux de sa mère, Marie de Médicis, que son fils avait écarté de la Régence trois ans plus tôt, et qui tentait de revenir au pouvoir, eut lieu la bataille des Ponts-de-Cé, connue également sous le nom des "Drôleries des Ponts-de-Cé". Les troupes de Marie de Médicis furent bientôt, par défection de ses principaux nobles, sans commandement avant le combat. L'armée royale n'eut plus qu'à disperser ses fantassins dans une "drôlerie" générale.

La Duchesse des Ponts-de-Cé n'avait pas Wikipédia, mais devait connaître cette histoire. Enfin dans cette version officielle, une autre étant moins reluisante...

 

C'est la naissance de Stéphane, de moi, deuxième enfant de Simonie Dumas et Claudio Delavigne que je vais maintenant raconter.

Sa conception, par amour fait, eu lieu vers le 25 juin 1972. On peut le savoir par déduction avec la date de sa naissance.

Mon histoire commence par un espèce de protozoaire (unicellulaire) mâle, parmi des millions propulsés vers un « protozoaire » femelle, qui perça la cellule-œuf vide en attente de l’ « élu » qui voudra bien la féconder. Tous les êtres humains, comme tous les animaux, je crois, sont conçus ainsi. Trente heures après, cet œuf, cellule-mère, se divisait en deux cellules filles se divisant chacune encore en deux, (pléonasme cataplasmique!), et de division en division cellulaire cet oeuf évolua en embryon en compliquant sa forme et sa structure et en élaborant successivement les différents organes internes et externes de son corps pour construire un être composé de plusieurs milliards de milliards de cellules et le maintenir en vie par renouvellement des cellules mortes puisque mortelles (alors qu'il paraît que l'homme aurait des cellules immortelles!). En l’espace d’environ 9 mois, une vie se développait dans le ventre de ma mère en partant de la forme la plus simple à une des formes les plus complexes de la Nature et parcourant ainsi tous les stades de la chaîne de l’Evolution, du protozoaire jusqu’à l’humain : à un certain stade de son développement, le future moi aura des fentes branchiales (comme les raies ou les requins) adaptées à sa respiration aquatique et qui disparaîtront ensuite en puisant lui-même l’oxygène; plus tard, ses mains seront palmées (comme chez la grenouille) en attendant la vie terrestre… Dès ma conception, je fus programmé par la Nature pour être un homo sapiens en gravissant les différents échelons de la classification à laquelle correspond et donnée comme telle par la science, suivant la hiérarchie chronologique évolutive:

Règne : Animal 

Phylum : Chorde.

Sous-Phylum : Vertébré 

Classe : Mammifère 

Ordre : Primate 

Super-famille : Anthropoïde 

Espèce : Homo sapiens.

 

La naissance du bébé humain se fait naturellement par voie vaginale, la même voie où se sera introduit la vie par pénétration d'un sexe mâle neuf mois auparavant.

Mais la Nature a ses accidents. L'un d'eux est la naissance prématurée, une autre est la naissance par voie ventrale. On appelle ça une césarienne. C'est ce qui eut lieu avec moi.

Jules César, serait-il le premier être humain connu à être né ainsi? Cela amène une anecdote encore sur la naissance des Ponts-de-cé (eh oui, les villes aussi ont leur naissance, un peu différente de celle des humains): selon la légende, que les parents de Paul lui raconteront, la ville, divisée en deux parties par la Loire enjambée par une multitude de ponts, aurait été construite par César. Quelqu'un voulut la baptiser "Les Ponts de César". Mais César l'en empêcha et lui fit trancher la tête au moment où il traçait le "S"…

Ainsi, un beau jour de février sous le signe des Poissons (...), naissait à huit mois de grossesse – douloureuse et éprouvante ô combien ! – un être humain de sexe mâle par césarienne basse, c'est à dire à présentation longitudinale.

Poids : 3 Kg 055 (contre 3,6 en moyenne)

Taille : 51 cm. (pour une moyenne de 50!)

Per-cranien : 34 cm.

Placenta : 600 g.

Ce sont des choses qu'on oublie. Le placenta surtout...

Je fus nommé Stéphane comme prévu, à la place de Rosaine – j'ai quand même crié à sa sortie – bon signe! – sous le contentement de ma mère et de mon père.

Mais j'étais cyanosé, façon médicale de dire "jaunisse". J'ai dû être mis aussitôt sous une bulle, une couveuse, afin de me ranimer. Séparé de ma mère pendant quinze jours. C'est long l'éternité.

Patience.

Un jour très lointain, j'écrirai :

Je suis né prématurément – j’eus le sang souillé, malade à mourir. Expérience première dont je ne me souviens plus. Tout mon Moi est là et j’y suis encore. J’aurai toujours deux semaines de retard sur le monde. 

 

[…]

(Har-Maguédon, 1996)

 

Un jour plus lointain encore :

Avant qu’elles ne voient la lumière du jour, mes mains étaient chaudes. Elles recevaient le sang du sein maternel et elles écrivaient sur la peau constellée des mots tendres.

Quand prématurément elles ont vu la lumière du jour, mes mains étaient froides. Elles recevaient ni de sang ni de lait. Elles se tendaient vers la voûte embuée par deux souffles ne pouvant s’embrasser et elles tentaient d’écrire sur la vitre des s.o.s. Elles ont frôlé la mort, ces mains. Puis elles se sont réanimées et ont embrassé le Jour.


Dans la lumière du jour, mes mains sont devenues brûlantes. Elles écrivent avec un sang revenu à elles dans la nuit immémoriale. Que le ciel est grand, disent-elles. Et acharnées, elles tentent d’écrire sur la peau tendue du ciel, blanc sur noir – noir sur blanc, les pieds touchant terre.

(« Histoire de mes mains I », dans Mes mains à écrire, 2004)

 

 

 

Tel jour : Test de Guthrie, afin de détecter cinq maladies génétiques. Tel autre: sortie de la bulle et de la clinique. Entre les deux, ma mère m'accueille sur son ventre, ne le quitte plus. Mon père fut à peine présenté à l'enfant, j'imagine, l'enfant à peine présenté au père, ce qui créer une fusion malsaine, et pourtant vitale dans l'esprit de la mère tandis que mon corps et mon esprit à l'état embryonnaire ne désirait qu'elle, ma mère, la fusion.

Je pesais 2 kg 990 à ma naissance. Ma mère, qui avait manqué de laissé sa vie lors de l'opération, était incapable de m'allaiter au sein. Aussi fus-je nourri de lait de vache en biberon.

La date de naissance prévue passée, c'est à dire presque un mois plus tard, je pesais 3 kg 190g; encore trois mois et je pèserai 5 kg 960 g et mesurerait 63 cm; encore cinq mois, 7 kg 85g pour une taille de 70 cm et un PC de 44,5 megacoctets! – non, il s'agit du périmètre crânien!

À partir des premiers mois jusqu’à 18 mois minimum et 2 ans maximum (sans doute plus près de 2 ans pour l’être concerné), en coévolution avec mon entourage et par un phénomène de projection mentale du son sur l’objet qui l’émet, inconsciemment je commence à me remémorer et à parcourir en accéléré les 6 stades du langage de l’humanité acquis en plus d’un million d’années :

1 – Stade « é-a-i-u-o » (vocalisation des voyelles primaires selon ordre chrono-logique),

2 – Stade « L-G-D-T-M… » (prononciation des consonnes par « clics et bulles » buccaux),

3 – Stade « aM » (association « voyelles-consonnes »),

4 – Stade « Ma » (inversion « consonne-voyelle »),

5 – Stade « Ma-Ma – Mé-Mé –  Mi-Mi » (phonèmes doublés, voyelles diversifiées – peu après un an),

6 – Stade « Ma-Mi – Mi-Nou » (association de phonèmes différents – à partir du 18ème mois).

Peut-être vers le 18e mois, je me découvris tardivement dans un miroir (« stade du miroir » entre le 6e et 18e mois). Tout d'abord, je désignai l'image renvoyée comme « moi ». Puis, par confusion entre le dehors et le dedans et par fusion de l’image extérieure avec mon être intérieur pressenti comme « moi », j'employai le « on ». Ce "on" était la solution intermédiaire et équilibrante avant de me voir, me reconnaître m’identifier, notamment par déduction innée à partir des « je » entendus autour de moi (surtout par mes parents) et projetés à chaque fois par une seule personne ayant aussi une image, se désignant elle-même comme unité unique. C'est ainsi qu'un jour je dis "je" en parlant de moi-même, le testa sur ma mère, et le renvoi de ma projection étant perçue comme positive, j'employai le « Je » de façon irréversible.

Je pesais alors 11 kg (pour une moyenne de 13,2kg), mesurait 85 cm et avait un PC de 47 ½!

Aussi,, probablement un jour de cette année, en plein dans le stade « Ma-Mi – Mi-Nou », je dansais sur Mozart avec des grands gestes extravagants. C'est ce que me racontèrent mes parents.

Les bases du langage humain acquises, deux ans après ma naissance, je n'étais étymologiquement plus un "enfant"( « qui ne parle pas »). étymologiquement, je ne pouvais donc être victime de pédophilie. D'ailleurs peut-on être victime d'une personne qui « aime les enfants », étymologiquement parlant ?

 

 

Enfant, puisqu'en fait je l'étais physiologiquement et psychologiquement, et c'est bien ça qui compte, Je peux parler de cinq zones de ma vie qui m'étaient familières: la première est la vie scolaire, la seconde est vie religieuse, la troisième est la vie ludique (les jeux, les copains, les vacances), la quatrième est la vie familiale, la cinquième enfin, la vie intérieure (notamment par les rêves), vaste réservoir inconscient et de conscience minime, mais grandissante, à mesure des années. Ainsi, adulte, je n'aurai pas dans mon vivier de « poissons-souvenirs » datant d'avant au moins ma cinquième année.

En dehors des cinq zones précédentes me structurant psychiquement, il y en avait une sixième, redoutable: la zone inconnue, la plongée dans une vie inconnue, qui n'appartenait à aucune structure, qui était donc non familière C'était une vie tout à fait à part, et dont certains recoins avaient été déclarés "zone interdite" par mon inconscient, pour mon bien, ma survie.

Car il est vrai que cette zone s'apparente à celle intérieure, la vie psychique par les rêves, parfois des cauchemars: mais lorsque des cauchemars sont vécus dans la vie en dehors du sommeil?

Aussi, j'appellerai cette zone "Z E H S F" : Zone d'Expérience Hors Structure Familière.

Six zones, comme les six premiers jours de la Création dans la Genèse. Il en manque un, le septième; il en manque une, celle qui peut unir le tout, le transcender.

Ce septième jour est la peut-être la septième zone. Celle dont tout le monde est en quête.

Attention, une structure familière, que j'éviterai d'appeler SF... peut s'avérer un poison aussi subtile que la différence entre un mousseron et un faux mousseron, entre un gardon et une brème ou entre une couleuvre et une vipère. Et encore! les dépasse t-elle en subtilité du fait qu'elle est familière. – Allez trouvez un phasme!

Les minuscules araignées rouges se promenant sur le bitume ou le béton de la cité m'offrirent mes premières contemplations, assis dans le silence et l'instant, sous les rayons d'amour du soleil.

Cela fait partie de quelle zone?

Et ce petit enfant qui s'aventura de lui-même dans la cité, sans peur, et que ses parents étonnés retrouvèrent avec de grands yeux ouverts sur la vie?

Une voiture aurait pu les fermer. Mais, de fait, il n'était pas sorti de la zone familière, l'extension extérieure de la maison. Pas de jardin, mais des immenses peupliers en ligne, des parterres de fleurs et buissons, et surtout, au centre: un bac à sable.

La notion du cercle était inscrite, là, par ce centre, et en lui, combien même il s'agissait d'un carré qui l'entourait, ce bac.

Le cercle carré, c'est ce qu'il y a de plus rassurant. Aux angles, on peut s'accouder.

 

De même qu'on sera capable de différencier un poisson-souvenir (mémoire interne) d'un poisson-mémoire (mémoire externe), de même saura t-on ce qui appartient aux six zones dans tout ce qui va suivre.

 

Je me souviens de trois trajets ayant marqué ma petite enfance : celui pour aller à l’école, où ma mère m’emmenait derrière le vélo puis la mobylette sur une route qui me semblait interminablement longue ; celui pour aller au marché, le mercredi ou le samedi matin, où je marchais à côté de ma mère sur une route tracée toute droite qui me semblait aller vers l’inconnu, car même après le marché elle continuait après avoir traversé trois ponts, dont celui de la Loire ; enfin celui de la Salle que je faisais surtout le soir, empruntant, passager en voiture, toujours la même route, dont une montée en spirale me signalait à chaque fois qu'on arrivait bientôt, mais me laissait le temps de dormir encore cinq ou dix minutes, suivant le nombre de feux qu’on passerait.

Sur les trois trajets, seul le dernier était nocturne, enfin deux fois sur trois: le mardi et le jeudi (quand le soleil se couchait avant huit heures); la réunion du dimanche était, elle, l’après-midi. Mais c’étaient les trajets de nuit qui me laissaient la plus forte impression.

Lorsqu’on arrivait des Ponts-de-Cé au centre ville d’Angers, tout était éclairé, puis tout à coup, plus rien, le noir. On entrait dans une petite rue de vieilles maisons délabrées, sales et très hautes. C’était là. Nul ne pût croire qu’ici il y avait une petite salle qui rassemblait entre cinquante et cent personnes. La porte d’entrée ressemblait à toutes celles des maisons avoisinantes. Et pourtant, c’était bien là.

Là, on y chantait, on y priait, on y écoutait des discours faits par un grand monsieur sur une estrade. Oui, grand, parce que même petit – ce qui est déjà grand par rapport à un petit enfant – il devenait par cette estrade plus grand que les autres.

Ce lieu avait une odeur particulière. Ça sentait un peu le vieux et le bois ciré. Mais une autre odeur s’alliait à celle-ci pour n’en faire qu’une : c’était l’Atmosphère.

Ce qui frappait à chaque fois, c’était le moment où la porte était close, laissant une rue sans issue, vide et sombre comme la nuit, une rue qui faisait peur, et le moment où soudain, un foyer de lumière s’ouvrait sur la nuit. Et alors, un bain de chaleur, physique et humaine vous inondait, laissant la peur à la porte.

On s’y sentait vraiment en sécurité. Des bonjours pleuvaient de tous côtés, partout des bras se tendaient pour une poignée de main. Des hommes, des femmes, des enfants. Les hommes cravatés, les femmes en robes et les enfants proprement vêtus.

Tout cela faisait un bruit confus qui ressemblait à un murmure continuel. Parfois, on entendait un rire, ou une voix plus forte, un bébé pleurer. Un « ne cours pas » d’un père à son enfant. Parfois même, une claque ou une fessée. Et puis le bruit grinçant de la porte par où entraient les arrivants.

Enfin, une musique s’élevait, vive ou lente, avec un son défectueux. C’était du piano en cassette.

A ce moment là, on voyait la foule dispersée, mais concentrée surtout derrière, commencer à se déplacer, chacun vers leur place. Et lorsqu’un homme montant sur l’estrade le plus discrètement possible, faisait malgré lui craquer le parquet, chose dont il semblait s’excuser tant il soignait ses pas, les uns s’asseyaient dans un bruit de chaises, de sacoches posées par terre et de fouillement qui consistait à trouver son recueil de cantiques, les autres un peu retardataires s’affairaient d’un pas pressé tout en s’excusant poliment au passage lorsqu’ils se frayaient leur chemin dans les rangs.

« Frères et Soeurs, amis de la Vérité…notre réunion va commencer. Si vous voulez bien prendre place…», entendait-on au micro qui par moments sifflait, déraillait d’un son strident. Les derniers prenaient place dans la discrétion. L’homme au pupitre souriait. Plus personne ne parlait à voix haute, c’était le silence traversé de chuchotements, de pleurs chroniques, de feuilles. « Nous allons chanter le cantique numéro 35 intitulé : La bonne Nouvelle du Royaume. Ceux qui le désirent peuvent se lever. »

Tout le monde, son petit livre rose en main, tournait les pages. On attendait, puis on entendait les premières notes au piano pour se remémorer l’air. Le chant s’élevait de toutes voix, fortes ou faibles, belles ou discordantes. Mais chacun mettait tout son cœur. On y était fervent. C’était le moment de loin le plus chaleureux, le plus agréable de la réunion. Toutes ces voix à l’unisson avaient une grande résonance dans les cœurs. On entendait les autres à travers sa voix, et quelquefois on entendait sa voix à travers les autres. Parfois même, on n'écoutait plus que les autres. Un, deux, trois couplets – parfois quatre – et tous refermaient leur livre en même temps.

« Nous allons prononcer quelques mots de prière… », annonçait le Frère. Parfois s’ajoutait à cette formule : « à notre Dieu Jéhovah ».

Tous à cette annonce baissaient la tête.

Le silence.

Puis ça commençait ainsi :

« Jéhovah… (ou « Souverain Seigneur Jéhovah » ou « Jéhovah, mon Père », etc.) nous nous tournons vers toi pour te remercier encore une fois de la vie que tu nous accordes, de pouvoir nous permettre de nous réunir librement pour te servir. Ô Jéhovah… » Il y’avait au moins cinq «Ô   Jéhovah… » dans une prière, et on allait de remerciement en remerciement, de requêtes en requêtes, jusqu’au final, presque invariable : «Ô  Jéhovah, nous te demandons humblement devant toi d’agréer cette prière, et ce, (ce "ce", accentué, était un mot immanquable et vraiment typique!) par les seuls mérites de ton fils Jésus Christ qui a donné sa vie pour nous. Amen… ».

Et tous répétaient en même temps « Amen ». Tous de s’asseoir, tous de sortir leur Bible verte. Ensuite, ce n’était que Discours ou succession de Sujets (petits discours) pendant une heure pendant laquelle les pages des Bibles en papier glacé tournaient frénétiquement à l’annonce de chaque verset biblique qu’on invitait à prendre. On applaudissait à la fin. Ensuite, un autre cantique.

Ensuite, les Nouvelles où on annonçait les Salutations fraternelles de tel Frère ou Sœur ou de telle Congrégation, et alors tous ensemble disaient : « Merci… » traînant sur le i, autant de fois qu’il fallait, voire applaudissait suivant les cas, ou tous à l’inverse se taisaient à l’annonce d’un décès ou d’une Exclusion.

Puis venait la seconde partie de la Réunion. C’était une série de questions-réponses. C’était la partie la moins ennuyeuse, la plus vivante.

Le Frère posait une question donnée dans une Publication après lecture d’un paragraphe; des mains se levaient dans la salle, ou des bras se tendaient très haut avec l’index pointé lorsqu’il s’agissait d’enfants. « Oui Sœur Licoise… » Il pointait son doigt sur la personne et un Frère accourait vers la Sœur dite avec un gros micro dont le fil traînait par terre et traversait la salle. Le micro circulait de mains en mains lorsque la personne interrogée était à l’intérieur des rangs. La réponse donnée, avec souvent des grésillements dans le micro, celui-ci était renvoyé, et ainsi de suite.

Un enfant répondait-il « Jéhovah ! » ou « Jésus !» que tous riaient de tant de franchise, de tant d’innocence dans la voix. Les adultes, eux, faisaient des réponses plus ou moins longues, plus ou moins recherchées, mais quasiment tous commençaient par un « On peut voir que… » d’une commodité aveuglante. C’en était devenu – depuis quand? – le tic ou le mot de passe de tout le monde. Et après chaque réponse, le dirigeant de l’étude disait « Merci… », toujours en faisant traîner un peu le i (en crescendo) ou, sur le même ton : « bien… », « très bien », « et encore… », cette dernière stimulation quand la réponse était insuffisante.

L’étude se déroulait ainsi, dans une ambiance chaleureuse. Puis la réunion se clôturait par un cantique louangeux et la prière finale, faite par un Frère appelé au pupitre. Cinq minutes parfois, et un « Amen » libérateur retentissait en même temps.

Toutes ces personnes assises et attentives discutaient à présent. C’était une sorte de ruche en mouvement qui bourdonnait. Beaucoup encore se saluaient. D’autres faisaient la queue au Stand des Publications pour prendre leur commande de Réveillez-vous et de Tour de Garde. D’autres allaient aux toilettes. Les enfants jouaient et couraient dans la salle. Les uns étaient debout, les autres encore assis. Puis, peu à peu, la salle se vidait, faisant grincer la porte qui s’ouvrait sur l’extérieur et qui se refermait.

Lorsqu’on avait quitté ce lieu « magique » avec sa chaude lumière jaune diffuse, c’était à nouveau la rue, noire lorsqu’il était tard, la rue avec ses peurs.

Voilà le déroulement général de chaque réunion (il y en avait trois par semaines: deux de deux heures et une d'une heure) à la Salle du Royaume tel que je l'ai vécu depuis ma naissance, enfin peu de temps après. Mais ce déroulement ne pouvait être vécu ainsi seulement à un âge conscient.

En effet, à quel âge avais-je pris conscience de ce qui m’entourait ? Peut-être à dix ans. Il y a un âge (de 1 mois à 3 ans au moins) où tout du monde extérieur se traduit en Sensations, olfactives, tactiles et auditives surtout, et plus tard visuelles. Pour ce qui est des réunions, mes plus fortes sensations devaient être auditives (omniprésence du micro) et dans une plus faible mesure visuelles (lumière jaune, monde), car il ne faut pas oublier qu’enfant, on passait le plus clair de son temps soit à dormir, soit à fixer le plafond.

Il y a un âge (4 à 9 ans peut-être) où ces sensations deviennent ce que j’appellerai des Impressions. C’est de là que naissent nos premiers souvenirs. Car c’est la première étape de la conscience dans l’inconscience qui nous noie encore. C’est là qu’on prend conscience de la différence d’un lieu à un autre, par exemple. C’est qu’on est capable non plus seulement de sentir, mais de ressentir. C’est donc là que je m'étais rendu compte de la différence d’atmosphère, de la différence tout simplement entre être à l’école et être à la Salle. Être à la maison et être à la Salle, etc. C’est là où, peu à peu, je m'étais accoutumé à voir certains visages, à entendre certaines voix, certains mots souvent répétés comme Jéhovah ou Jésus. C’est là que, peu à peu, « JEHOVAH » a eut une résonance particulière dans mon cœur et qu’il est devenu une chose importante, gravée dans la mémoire. C’est là que, peu à peu, j'ai pris conscience d’une certaine conduite à tenir et de certains interdits.

De cette période, il ne me restait que certains souvenirs comme mes sommeils par terre (moquette ?) aux pieds de mon papa et ma maman, des petits bâtons que je faisais, mes frères et moi, sur une feuille, chaque fois que j'entendais pendant un discours « Jéhovah », « Jésus » ou « Esprit Saint », chacun dans sa colonne respective. Et avec quelle avidité j' attendais que sortent ces mots de la bouche du grand monsieur au pupitre (« Papa, Papa ! il a dit Jéhovah ? » souvent demandait-on à papa), et avec quel enthousiasme je comptais les bâtons et comparait mon nombre avec celui de mes frères pour savoir qui avait gagné ou le mieux écouté. Enfin, il me restait en mémoire les fois où papa ou maman me sortait par la main dans la petite salle (salle annexe) pour me faire, elle ou lui assis sur une chaise et moi, le ventre contre leurs cuisses, une fessée déculottée lorsque je n'étais pas sage. C’était pareil pour mes frères.

Lorsque j'atteignis un âge où on commence à avoir de la pudeur pour ses fesses, j'eus mes premiers sentiments de honte et mes premiers ressentiments.

Un jour, mon père m’emmena dans la petite salle et me demanda de me déculotter, le dos tourné devant lui. Je devais recevoir une correction, humiliante pour lui, avec une baguette ou un martinet. Pour la première fois alors, je m'étais rebellé, disant que je ne voulais pas qu’il voit mes fesses. Mon père en fut-il gêné? Je n'ai pas de souvenir de correction reçue. Cela n’a guère d’importance. Ce qui est important, c’est que pour la première fois, je sortais à la fois victorieux et marqué par la honte comme jamais. J'étais choqué. Mes rapports avec mon père qui me choyait tout petit changèrent. Je l'ai crains et lui en ai voulu pendant longtemps.

Cela, c'était à une époque ultérieure à celle dont je parle. Je devais être pré-ado suivant mes souvenirs.

Il n'y avait guère une réunion, ou une semaine, où je n'ai entendu avec sentiment d'humiliation, de honte, de crainte, un Ancien citer ce maudit Proverbes 22:15 que l'on connaissait par cœur comme tant d'autres : «La sottise est attachée au cœur du garçon,  la baguette de la discipline, voilà qui éloignera le mal de lui ». Et comme les Témoins de Jéhovah prennent la Bible au pied de la lettre, au premier degré... Il faut savoir aussi que les fessées étaient dans les mœurs soixante-huitardes. Et que dans les années 70-80, c'était une injonction de la société de discipliner ainsi, puisqu'on trouvait des martinets à cet effet dans les drogueries et supermarchés. Discipline de fer et laxisme sexuel, telle est « le nom de code » de ces années-là.

[...]

Quels autres souvenirs ai-je de la salle des Banchais ?

Il y avait un homme « méchant », vieux, gras et mal rasé qui habitait juste au-dessus.

Pendant les réunions, on entendait fréquemment du tapage et souvent l’ogre s’engueuler avec sa femme, la battre, et même brailler contre les Témoins de Jéhovah.

Une fois, on l’entendit dire : « Jéhovah est un con !… », etc.

On l’entendait, mais on le voyait peu, ce qui rendait sa présence mystérieuse. Tous les enfants avaient peur de cette grosse porte qui donnait sur un obscur couloir pavé à ciel ouvert. On imaginait toutes sortes de choses sur lui et sa femme. Surtout lui.

A l’opposé, il y avait à la salle une grand-mère de quatre-vingt dix ans, doyenne d’Angers-Est et des autres congrégations d’Angers, que tous appelaient Mémé Jeanne, et qui attirait tous les enfants à elle après la réunion comme un foyer de lumière et de chaleur. Elle donnait des bonbons. Moi, je n’osais pas aller vers elle. Elle m’intimidait quelque part, comme Moïse m’aurait intimidé. Et puis ce n’était pas dans ma nature d’aller vers les autres, surtout pour quémander quelque chose. Je regardais les enfants avec envie et essayait de m’approcher tout doucement. J' appréhendais le moment où j'allais lui dire bonjour pour avoir moi aussi un bonbon. Avais-je été sage ? Resterait-il un bonbon pour moi ? Ou bien oublierait-elle ?

Quand elle est morte, ce n’était plus comme avant. Elle avait marqué un Temps : le Temps de Mémé Jeanne…

 

 

J'ai dit que je jonglais avec six zones de vie; cela est vrai, mais en simplifiant encore, en "vendant" le tout au gros, et non au détail, ma vie se trouvait divisée en deux.

Il me semble avoir eu dans mon existences deux vies parallèles, et bien distinctes l'une de l'autre.

Dans les premiers temps, les réunions tenaient plutôt du rêve que de la réalité, et rien d’étonnant à cela puisque, je l’ai dit, les réunions avaient lieu le plus souvent le soir, – et ce sont là, à n’en pas douter, celles qui l'ont le plus marqué.

J'ai eu une vie secrète, il est vrai. J'ai eu une vie normale aussi. Disons une vie quotidienne, une vie à côté, même si elle avait toujours, en présence, familière toutefois, un code moral religieux concrétisé par un mot d’ordre : obéir aux parents; par des noëls sans sapins ni cadeaux, par des prières à table ou avant de dormir, par des « Tu ne mens pas ? devant Jéhovah ?… », par une étude personnelle, etc.

Mais pour moi, tout cela était relayé au second plan, n'était plus qu'une toile de fond.

De ce quotidien de la période de 1979 à 1982, voici maintenant une série de « poissons-souvenirs » que j'ai gardé dans mon vivier. Oui gardé.

 

J'habitais, je l'ai dit dans un HLM, "Le pavillon" Les Roses, aux Ponts-de-Cé.

«J’en revois la disposition des pièces, l’étroit et long couloir, la vue du balcon d’où on voyait les trois hauts bâtiments – l’un nous faisant presque face, les deux autres dressés en long de chaque côté – et d’où on pouvait s’échapper pour rejoindre les copains alors que maman l’avait interdit. Il y avait de grands peupliers alignés devant notre bâtiment et qui nous séparaient d’avec le long mur d’ardoise du cimetière aux ifs noirs. Il y avait un bac à sable où on jouait aux circuits et aux billes, où on creusait en rejoignant nos mains. – Les Gamelles que l’on faisait dans la cité, des « Garde-à-vous, fixes ! » lorsqu’on jouait à l’armée, les glaces que papa vendait en klaxonnant dans la cité, les parties de billes le long des murs, le garage, Fripounette, notre chatte noire, et j’en passe.

La télévision occupait une grande place. Nous avons grandi avec. Elle avait un charme qu’on ne peut nier, surtout lorsqu’on est enfant. C’était le mercredi, bien sûr, qu’on la regardait le plus, puisqu’on n’avait pas d’école, et le programme offrait des dessins animés à tour de bras. Il y avait  Sans famille , Bouba  et tant d’autres dont on connaissait et connaît encore les génériques. Ah Bouba! Jamais tu ne sauras l'effet que tu faisais sur nous! Et le petit Cid! Et Rémi! Comme tu nous faisais pleurer, Rémi, mais que c'était beau!

Après le repas du midi et les Informations, dont maman était accro, autant que sous le charme du présentateur, on regardait avec elle La petite maison dans la prairie. C’était un moment de pur bonheur. Autant d'émotion que de rire, avec sa "complètement historique" Mme Ingalls et sa non moins capricieuse et hystérique fille Nelly.

Maman faisait attention à ce qu’on regardait.

Après l’école, par exemple, on pouvait regarder Tarzan , mais pas Musclor  qu’elle jugeait trop violent, et parce qu’il n’y avait qu’un « Maître de l’univers » : Jéhovah.  Goldorak , Albator, ça pouvait passer : ils luttaient pour la justice contre les méchants, mais ne prétendaient pas être Dieu. De plus, notre cousin du côté de maman, chez qui on allait fréquemment le week-end, en était mordu. Lorsqu’il venait chez nous avec ses parents, il voulait voir  Goldorak  et plus tard  San Ko Kaï  dont il ne loupait pas un épisode; alors maman dérogeait à son insu à la loi générale.

Quelques films m’ont beaucoup marqué. Je me souviens d’un film fantastique qui se passait au temps des romains, et je revois cette fameuse scène où il y avait des cavaliers romains qui galopaient dans le ciel parmi les nuages ou à travers un épais brouillard. Ce n’était pas « La chevauchée fantastique », mais ç’aurait pu s’appeler ainsi.

Un autre film :  King Kong  dans sa première version en noir et blanc. La scène où il piétine et dévore de minuscules hommes noirs, où il lutte contre un gigantesque serpent, puis un Tyrannosaure: Ouah! Quel frisson!

Un autre : La lionne Elsa . Ce sont surtout les circonstances dans lesquelles je l'ai regardé qui me laissent un grand souvenir. Ce film passait à la télé un mardi soir ou pendant les vacances. Mon frère Yann et moi étions tout excités à l’idée qu’on allait voir  La lionne Elsa . Ça nous faisait rêver. Mais, je ne sais plus pourquoi, peut-être parce qu’il n’avait pas mangé ou qu’il avait désobéi, mon frère fut puni par maman et privé de regarder le film avec nous. J’en fut attristé au point de demander une faveur à maman tandis que j’entendais mon frère pleurer à chaudes larmes et taper rageusement à la porte de notre chambre. Elle me fit comprendre alors que cette punition était juste. « Mais… ». « Est-ce que Jéhovah revient sur ses décisions ?… »

Elle avait raison.

Je regardai le film en pensant à mon frère...

Enfin, un dernier film marquant fut  Jésus de Nazareth  en plusieurs épisodes. La musique lancinante m’est resté dans la mémoire. C’est le film qui m’a le plus ému. Les souffrances imméritées de Jésus, la crucifixion… Je me souviens très bien de la venue intime du Frère Asticot chez nous pour voir le dernier épisode. C’était à la fois excitant et intimidant.

Comme tout le monde, j’ai été à l’école (n’ai-je pas déjà dit que maman m’y emmenai en mobylette ?). C’était une école publique. L’école privé, c’est à dire catholique, était contre la religion de mes parents.

Voici pour les étape scolaires:

Maternelle : Je me souviens des siestes (je n’aimais pas beaucoup ça), des jeux de cerceaux, des comptines telles que Pommes-poires-abricots, Une souris verte et des jeux en rond où on tirait le saucisson, etc., dans une grande salle; d’un spectacle de marionnettes dans cette même salle. Du grillage par où on rêvait de la grande école dont on était séparé (école primaire). C'est là que je m'absorbe tout entier dans la peinture ou la pâte à modeler, seul dans mon coin. Je revois une photo (que je ne retrouve plus hélas!) où mon frère Yann et moi jouons de la musique, moi tambourin à la main, lui un triangle (ou l'inverse), les yeux pétillants de joie. J'allais vers les autres que quand il y avait de la musique..., se rappellent mes parents.

C.P : La classe était dans un préfabriqué. Les récréations, je les passais seul dans un coin. J’ai un souvenir vague quand au visage de ma première maîtresse : Mme Équerre. Lorsque j’appris à écrire elle s’efforça en vain de me faire écrire de la main droite et de me faire tenir un stylo correctement. Je n’avais pas une belle écriture, mes progrès étaient lents et laborieux. Des problèmes d’audition aggravés par une succession d’otites me fit redoubler cette classe.

CE1 : Aux préfabriqués du C.P succédaient le grand bâtiment. J’étais maintenant dans la cour des grands (il y avait réellement deux cours qui côtoyaient la maternelle : celle du C.P et celle des classes supérieures).

J'ai un souvenir plus nette de ma seconde maîtresse : Mme Pinson. C’était une forte et grande dame qui imposait le respect, mais qui était aussi d’une très grande gentillesse. Elle savait s’y prendre avec les gosses. Avec elle, j’ai fait des progrès considérables. Je me suis fait avec elle une réputation de maladroit et de tête en l’air qui me charmait et que je tenais à garder. Il m’arrivait jusqu’à faire le pitre, à me distinguer des autres élèves. Il me semblait qu'elle m'y encourageait secrètement tout en me faisant travailler. Elle m’aimait bien et je l’aimais bien. Je l’adorais presque. C’était une seconde maman. Je cherchai à lui plaire. Recevoir une gifle d’elle était rare, mais toujours marquant.

Je n’ai jamais été plus motivé pour collectionner les bons points et pour avoir au bout de dix bons points une image.

Ma plus grande joie du CE1 fut de recevoir un jour un colis de William, mon correspondant guadeloupéen. On avait tous un correspondant, et ce jour-là, un carton rempli de colis était parvenu jusqu’à nous. Moi j’avais reçu une marmelade et une photo. La marmelade n’était plus bonne, mais j’étais heureux d’avoir reçu quelque chose de si loin.

Le CE1 fut ma dernière classe aux Ponts-de-Cé. C’est avec tristesse que je quittais l’école et surtout Mme Pinson…

 

J’ai tout à l’heure parlé d’un redoublement du C.P. J’ai parlé de problèmes d’audition. Il faudrait ajouter des problèmes de lenteur aussi bien à comprendre qu’à exécuter les choses. Il me faut maintenant évoquer d’autres problèmes, autrement graves.

«De la fin de la maternelle (1978) à ma première année de C.P (1979), maman fit une dépression, ce qui lui fit passer un mois à l’hôpital et trois mois au Chillon – une maison de repos. Je ne me souviens pas comment j’ai vécu cette absence prolongée. Tout ce qui me reste de souvenir est une visite à maman dans le château romantique. Sur une des photos, on la voit avec une jupe bordeaux et un fin tricot blanc qui moule une généreuse poitrine pointée vers le ciel, pointée vers les cèdres sous lesquels elle pose, souriante, tenant une des branches basses. C'est une mémoire qui n'est pas dans mes souvenirs. Moi, ce que je me souviens, c'est qu'il y avait plein de vieux avec lesquels, maman, papa, mes frères et moi, une photo fut prise. Cette photo, avec celle de maman posant dans le parc, est tout ce qui reste. Comme c’est drôle ! C’est figé, définitif. La photo comme document, pur et simple. Elle ne remplace pas ma mémoire ; c’est un support, elle l’a nourrie. Rien comme la photo ne me fait mieux rendre compte de l’importance d’une seconde de vie, d’une seconde de ma vie. Rien ne peut restituer mieux un passé assez obscur dans mon souvenir. C’est comme une étoile. Rien, enfin, ne me porte autant à l’interrogation, au Souvenir. Par exemple, en regardant la photo de groupe où je suis placé devant aux côtés de mes frères, je me demande : « Quel rôle joue ma poupée orange avec laquelle je cache à moitié ma face ? A quoi je joue, à quoi je pense à travers mon œil (car on en voit qu’un) ? » C’est à mon sens honnête un détail qui vaut mille fois la banalité de l’ensemble, et pourtant, à mon œil rétrospectif, impliqué, rien ne m’est banal (du moins pour moi, à vous d’en juger), mais tout me paraît, à l’exception dite, Insignifiant.

«En conséquence de cette année manquée et de ma fragilité, le médecin préconisa un séjour en colonie sanitaire. C’est ainsi que je passai un mois loin de mes parents dans la Maison d’enfants le « Bocage fleuri » à Monbel, un endroit perdu dans les Alpes. Je sais ma date d’entrée d’après mon carnet de santé : le 22 juillet 1979 – mais je ne connais pas ma date de sortie. Il est noté seulement une consultation chez un O.R.L le 1er octobre 1979.

Je n’étais pas seul : mon frère aîné était avec moi pour des raisons différentes, je crois : il était turbulent. Toujours est-il que là-bas, je ne le vis que très peu. Nous étions séparés par notre différence d’âge de deux ans. Je crois l’avoir vu une fois sous une douche commune et plusieurs fois à la cantine. J'ai un très vague souvenir de nos relations. Mais je ne crois pas me tromper en disant qu’il m’évitait et qu’il ne manquait pas, quand nous nous retrouvions à la cantine, de me railler, d’être difficile sur la nourriture par exemple.

«Ce fut pour moi un séjour étrange, comme un mauvais rêve, ainsi qu’une expérience qui m’a fortement marqué.

«L’atmosphère à moitié carcérale me déplaisait, même la sieste. On me forçait de plus à dormir (la nuit) la tête du côté du mur.

«Je me souviens d’une seule sortie à l’extérieur: une marche en groupe. Il faisait très beau. Je ne me rappelle pas d’avoir vu des montagnes autour de moi, mais de la rencontre au bord de la route d’une énorme (pour moi) sauterelle verte portant derrière son long abdomen un long couteau. Je ne crois pas en avoir vu avant, ce qui explique peut-être que ce petit souvenir soit devenu grand dans ma mémoire.

«Mais cette rencontre inattendue et nouvelle est une chose assez bénigne par rapport au traitement que j'ai subi avec au moins une dame dont je me souviens (ça devait être la dame de pique et de carreau – heureusement qu’il y avait aussi une dame de cœur et de trèfle !). Ce souvenir est le pendant négatif d'une expérience antérieure que j'avais fait quand j'étais tout petit, d'après mon père, chez sa mère que j'appelais Mamie Blue en référence à la chanson que je chantais, poussé par mes parents: on me retrouva dans les toilettes tout barbouillé de mon "caca" sur le "popo" et rigolai tout ce que je pouvais. Mais là, la Dame Carreau-Pique... Une fois, j’avais fait caca au lit. Elle me traîna par la main jusque dans une pièce sombre où elle me plaça sur une chaise haute. Et elle me força à manger sur une cuillère...

Aaaah!... Mais c'est dégueulasse! C'est horrible!

«C'était le Bocage fleuri!...

«Une autre agréable action : elle et d’autres s’amusaient à me faire peur en me disant, me répétant x fois que je resterais toujours ici, que je ne reverrais jamais plus mes parents. C'était presque pire comme goût laissé dans le coeur.

«Heureusement, je revis mes parents. Un monsieur m’emmena seul dans une grande voiture. Ce fut un très long trajet pendant lequel je fus inquiet quant à ma véritable destination. L’homme me descendit à un café, si je me souviens bien. Maman était là, belle comme le jour. Ne rêvais-je pas ? Non. Lorsque je la serrais dans mes bras, lorsqu’elle me parla doucement, je sus que j’avais retrouvé maman. Quelle délivrance, quelle joie ! Et pourtant... quel temps s’était écoulé, quelles choses irracontables avais-je vécu. Mais qu'est-ce que je vous raconte-là?

Ne te pose pas de questions. Raconte.

Certes, j’avais pris du poids, des joues… Et maintenant, il fallait tâcher d’oublier ce cauchemar, ce Rêve qui n’en était pas un. Et pourtant, si vous aviez devant vos yeux les photos prises avec mes parents là-bas, avant le cauchemar: vous verriez mes parents, mon frère et moi, tout sourire. Le bonheur s'en dégage, d'autant plus que derrière nous, il y avait des massifs fleuris...

Une nouvelle vie commençait. Ou elle recommençait tout simplement. Le train nous ramena, maman et moi, à la maison. Eric était déjà revenu, il faut le croire, mais je ne me souviens de rien de mon retour à la maison. Je ne me souviens pas d’avoir franchi la porte, ni rien, aucun repère dans le temps. De même qu’on ne se souvient pas l’instant où on s’est endormi, de même je ne me souviens pas de la réalité nouvelle qui m’entourait.

Ce cauchemar vécu, cela ne pouvait être que pure invention de ma part. C'était tant invraisemblble, d'autant plus que...

Oh! Que t'as pris des joues et des couleurs, mon fils!

Je n'ai rien dit. L'évidence était là. Cela m'avait fait du bien.

Il y a quelques années (en 2012), j'ai repensé à cette histoire. Je désirais retrouver le lieu, et aller là-bas, j'ai fait des recherches sur Internet pour voir aussi des témoignages de traumatismes vécus là-bas existaient. Rien. C'est à peine si ce lieu-là existe. Et pourtant, est-ce folle imagination de ma part ou des remontées de conscience ? J'avais l'impression d'en savoir un peu plus sur notre promenade de la sauterelle verte... Elle nous menait à un endroit où c'était l'horreur, mais je ne pouvais en savoir plus, barrière de mon esprit. Peut-être que j'ai eu peur de l'inconnu tout simplement. Après le caca et tout ça...

Pour en finir avec les plus mauvais souvenirs de ma petite enfance, il y en eut deux autres séjours désagréables : le premier à Dinard chez « la Belle mère ». Elle me lavait avec une brosse à chaussure et, peut-être pire, elle me forçait ou voulait me forcer (heureusement qu’il y avait le papy, et encore s’écrasait-il le plus souvent devant sa petite bonne femme titanesque) à manger du fromage : camembert, Vache qui rit… fromages vomissifs au seul fait de l’avoir dans la bouche : bouche qui refusait convulsivement d’avaler. Le seul fait d’y penser, là, en ce moment, me met le haut-le-cœur, tout comme le fait de penser à mordre de l’aluminium: une sensation désagréable pour l’avoir tout seul déjà expérimenté une fois…

Enfin, est-il vrai que le dégoût du fromage a un lien avec la scatologie ? Mon palais refusait depuis un temps immémorial tous les fromages crémeux ou pâteux alors que le gruyère passait sans problème et même avec plaisir.

Voici à présent de bons souvenirs pour la plupart, même souvent très bons. Les mauvais font exception et sont beaucoup moins terribles que ce que je viens de raconter.

Ah! Un peu d'air!

Ce sont des souvenirs du quotidien, de la vie familiale ou de ma vie personnelle dans l’appartement et dans la cité. Je préfère les énumérer par petites rubriques, sans ordre spécifique.

Livres «Tout l’Univers » : Ma mère possédait cette belle collection d’encyclopédies rouges que tout le monde connaît. Très tôt ma curiosité fut en éveil, très tôt je pris goût aux livres, et cette collection fut une véritable source de joie pour moi, si bien que je me la suis appropriée. J’ai passé des heures, des journées entières seul dans ma chambre, que je partageais avec mon frère Yann, à les dévorer. Au début je regardais plus que je ne lisais. Ce qui m’intéressait le plus c’était surtout les animaux, la préhistoire et l’Antiquité. Il est a noté que lorsque je me référai sur la table des matières à une page, je ne lisais jamais en nombre mais en chiffre. Par exemple si l’index notait p 432 je lisais 4.3.2, p 1536 : 1.5.3.6, et cette habitude m’est depuis lors toujours restée avec Tout l’Univers.

Les Animaux d’Afrique : Ce fut mon premier livre offert par maman et sans doute le premier cadeau dont je me souvienne. J’étais alors en CE1 et je l’avais reçu en cadeau pour m’encourager à poursuivre mes efforts à l’école. Ce livre fut suivi par d’autres de la même collection, mais celui-là est de la plus grande valeur. Je l’ai épluché de bout à bout, j’ai même décalqué tous les animaux, ce qui était un de mes passe-temps préférés.

Poupée orange :Maman en avait tricoté les robes. Il y en avait une bleue et une orange. La bleue fut la poupée de Yann, l’orange fut la mienne. C’était une compagnie plus qu’un jouet. On l’emmenait un peu partout avec nous : à la Salle, par exemple.

Poupée noire : celle-là a son histoire. C’est à la suite d’un petit incident avec Yann qui claqua la porte de l’appartement sur un de mes doigts alors que je lui courais après. Ce jour-là, mes parents m’emmenèrent chez Mamie Blue qui, pour me consoler, me demanda de choisir un jouet dans son petit magasin spécialisé surtout dans les articles de pêche. Mon choix alla vers cette poupée africaine, de sexe féminin, qui m’intimidait et m’attirait tout à la fois par son mystère. Une poupée noire… Je crois que je n’en avais jamais vu. Parfum particulier.

Fripounette : Notre chatte noire… Elle avait un pelage soyeux. Elle avait du siamois. C’est la déesse égyptienne, la déesse Bastet incarnée. Ses yeux étaient de purs diamants qui perçaient par leur lumière l’obscurité la plus profonde. Une nuit, je fis un cauchemar : des yeux de loups me cerclaient Lorsque je me réveillais en sursaut je vis deux yeux me regarder dans le noir ! C’était Fripounette… J'en ferai un sonnet : Les Yeux (Souffle, 1995-1996)

Nicolas Garcial : C’était un enfant mal élevé dans la cité. Il était sale, il bavait, il mordait et griffait lorsqu’il se battait, ce qu’il cherchait souvent. Il était guère aimé. Un jour, il me provoqua un duel. Je m’y préparais de mon côté en donnant des coups de poings aux portes. Le jour arrivé, je le terrassai par terre et tandis qu’il se débattait comme un chat sauvage enragé, je n’eus d’autre recours que de lui pincer le nez. Je l’ai si bien pincé qu’il en saigna et courut pleurer maman. Plus jamais je n’eus à faire à cette garce…

Bonne Parole dans les buissons : J’avais cru me faire un ami. Un jour, nous nous cachions dans les buissons et je lui montrai une brochure sur les Témoins de Jéhovah. Il me semblait intéressé et je ne sais plus si je lui la laissai, mais le lendemain il n’était plus mon ami et se moquait de moi avec d’autres. J’avais reçu une leçon qui me marquerait par la suite dans mes rapports avec les autres.

Martinet : J’eus aimé que ce soit cette espèce d’hirondelle qui se soit un jour posé sur ma main ou mon épaule, mais c’était tout simplement destiné à se poser sur nos fesses, mes frères et moi, quand on avait fait quelque chose de mal. Les lanières disparaissaient par nos zigues, mais des martinets neufs, ça se trouve…

Le palier à manger : C’est à dire manger sur le palier quand on ne mangeait pas à table. On avait plus alors qu’à manger notre honte.

Fessée déculottée : En parlant de honte, je ne l’ai peut-être jamais autant savourée qu’en public, lorsque maman me déculotta devant les autres enfants et me fit une fessée, la plus marquante que je reçus d’elle. Je ne me souviens plus de ce que j’avais fait. Il me semble que je prenais pour tous les autres qui m'ont vu le cul nu...

Non, cela n'avait rien à voir avec la chanson que ma mère me chantait:

"Quand j'étais petit, je n'étais pas grand

Je montrais mes fesses à tous les passants

Ma mère me disait, veux-tu les cacher

Moi, j'l'ui répondait "veux-tu les biser!"

Courses d’escargots : Voilà qui est plus rigolo. On en faisait dehors et aussi dans le couloir de la maison. Bave et crottes traçaient le chemin qu’ils avaient parcouru.

Bataille de bêtes : C’était de loin le jeu le plus original que nous avions inventé. On disposait en ligne, chacun dans son camp, à chaque bout du couloir, des bêtes en plastique. Chacun nommait son roi et sa reine, le lion et la lionne, toujours, qu'on protégeait en général par les autres bêtes, des grosses en général, comme les éléphants. Et le but était de dégommer des pièces en lançant un bouchon en liège à ras terre. Bien sûr, on pouvait regagner des pièces perdues, ce qui en faisait un jeu interminable, mais si prenant!



Oui, oui, tant de poissons-souvenirs.

Et, il y en avait bien d'autres.

Comme cette étude biblique personnelle, vraiment troublante, conduite par une Soeur d'embonpoint, Janine, en présence de sa mère à côté. Cette étude obligatoire pour tout enfant devait être menée par l'un des parents et un témoin de Jéhovah de la Congrégation. Cela était sur un petit livre illustré avec plein de questions en dessous sur les histoires bibliques et les préceptes ou enseignements en découlant. Et bien sûr, Paul devait fournir les réponses; mais souvent, ça dérapait sur d'autres choses... Des questions indiscrètes, perverses...

Comme les drames bibliques: lors des assemblées de District réunissant toutes les Congrégations de la Région, dans un stade de foot, sur une immense estrade, il y avait des personnages bibliques, Abraham et Sara, et Moïse, etc. dans de longues robes claquant au vent comme, pour ainsi dire, les longues barbes patriarcales, tout bruits et voix amplifiés surnaturellement. Et ressuscités sous mes yeux d'enfant, les personnages bibliques revivaient leur histoire, celle qu'on m'enseignait dans la Bible et dans les livres illustrés, là, en direct. Il faisait une chaleur! Mais un vent mythique, magique passait sur les têtes. Tous les enfants raffolaient ces Mystères joués, avec musique solennelle, et grands silences, et même les adultes.

Comme le Centre aéré à Mûrs-Erigné, à côté des Ponts-de-Cé où Paul vécut une éclipse de Soleil. Il croyait que c'était la fin du monde, Harmaguéddon, la guerre de Dieu devant détruire tous les méchants et sauver tous les gentils. Et n'aurait-il pu se mettre à dire tout autour de lui, tel un prophète, à tous les enfants et aux animateurs "C'est Harma-guédon!" ? ou n'aurait-il pu tout aussi bien se taire, tremblant en lui-même? Est-ce qu'il méritait d'être sauvé?

Comme Tonton Cadix au Havre (où sa mère avait passé une partie de son enfance ou son adolescence), où il alla en famille, où il avait en sa compagnie et celle de son père et de ses frères, ramasser des tourteaux à Étretat. Tonton Cadix, un malabar impressionnant mais tout doux, un gros nounours de plus de 100 kilos qui était alité. Il aimait particulièrement Paul qu'il invitait à prendre son petit déjeuner sur ses genoux. Le tonton était mort peu de temps après.

Comme le chien-loup de Saint-Malo. Paul était en compagnie de ses parents et de la "Belle-mère" et papy au bord de la mer. Soudain, tandis que les grands étaient occupés à papoter, surtout à écouter le moulin à paroles qu'était la "Belle-mère", le j'avais été attiré par un chien-loup en cage. Il gardait le sac de sa maîtresse. Mais j'avais voulu lui faire un bisou sur le museau, le chien me mordit le nez. Grande panique de la "Belle-mère" qui n'arrêtait pas de faire tout un tralala au grand dam de mes parents. Et tandis que je me faisais suturer: "Oh mon petit lapin, pleure pas, pleure pas."et patati et patata. Elle aurait étranglée la propriétaire du chien méchant, – et le chien, n'aurait-il pas fait d'elle du pâté?

Comme quoi encore?

Ah! La Baillée des filles aux Ponts-de-Cé! Il y avait quelque chose d'excitant dans l'air. On s'était déguisé pour l'occasion. Mais quelle étrange fête nocturne dans le domaine du château, à l'intérieur d'une salle!

Et pour cause! Ce qui échappe au poisson-souvenir le poisson-mémoire le retient comme les écailles des poiscailles:

Détruit et reconstruit en 1206 par Guillaume des Roches, le château fut remanié par le Roi René, fils de Louis II d’Anjou. Il devient en 1440 sa résidence secondaire préférée. C’est ici qu’il instaure les festivités, dites « de la Baillée des filles », encore perpétuées de nos jours.

Le jour de l’Ascension, les jeunes filles des Ponts-de-Cé, âgées de 18 à 20 ans, se réunissaient après les vêpres sur le port du grand Large. Elles montaient dans des bateaux où se trouvaient une senne, c'est à dire un filet qu'on traîne sur les fonds sableux des eaux douces ou salées. Les bateaux étaient conduits en face de l’île des Aireaux. Là, les jeunes filles déployaient le filet et le jetaient à l’eau puis venaient essever, c’est à dire retirer la senne hors du fleuve, à un pont désigné de l’île. Là, le Roi René et sa Cour étaient réunis pour voir la « baillée » qui s’exécutait sans le secours d’un homme. Lorsque la pêche était terminée, la jeune fille désignée par ses compagnes présentait au monarque le plus beau poisson de la baillée. La jeune fille après avoir fait entendre une chanson était embrassée par le roi. Ce dernier lui annonçait alors qu’il se chargeait de sa dot quand elle épouserait un pêcheur. Après la mort du Roi René, la fête continua chaque année jusqu’à la Révolution. Seulement la dot accordée à la jeune fille fût supprimée.

Je ne se souvenais pas de poissons pêchés; à part ceux de la pêche à la ligne dans des "sennes" de salon" : des cadeaux enrubannés!

Mais des jeunes filles, il y en avait à plein filet, et des belles!



Intéressons-nous, un peu aux poissons-mémoire qui ont tant l'apparence de poissons-souvenir. Mais la question est d'origine: est-ce un souvenir personnel ou quelque chose qui t'a été rapporté par autrui, ta famille, ou par l'histoire locale? On l'a vu avec les baillées: "les poissons-souvenir peuvent s'éclairer par les poissons-mémoire.

À ces derniers, appartiennent par exemple ce fait qui n'est pas un souvenir, bien que Paul ait souvenir qu'on en lui ai parlé (par ses parents surtout): dans la fin des années 70, peut-être début des années 80 (là, c'est ma mémoire qui flanche...), une dizaine d'enfants entourés d'animateurs un beau jour d'été sont morts noyés après s'être aventurés sur un banc de sable de la belle, sauvage et traître Loire.

Y appartiennent, mais de mémoire familiale, mes premiers pas sur le Mont Dore, à l'âge tardif de deux ans.

Y appartiennent les "mauvaises fréquentations" de mon frère Eric avec un "voyou" de la cité d'en face, de l'autre côté de la route, et qui l'amena jusqu'au poste de Police. Sa première et dernière cigarette prise à l'âge de 10 ans... et la dernière de sa vie! Sa réflexion aussi à notre mère (au même âge): "Eh ben dis donc, qu'est-ce qu'il a changé papa avec ses remèdes!" (Grâce à Théralithe!). Ses sifflements de gai comme un pinson, quand il était tout petit, dans les magasins et qui interrogeaient les gens autour, d'où cela pouvait-il venir, en regardant la mère, sauf le landeau, jusqu'à ce que: "Ah ouais!" Sa réflexion aussi à sa mère qui ne lui cédait pas et qui un jour lui dit:

  • Pourquoi tu insistes?

  • Dès fois que tu dirais oui!

Il avait de la répartie, le gamin! C'était un grand bavard.

Certains poissons-souvenir s'accommodent bien de poissons-mémoire. Par exemple, de ces vacances d'été, à Mûrs, en Provence, j'en avais de bons souvenirs: la Camargue avec ses étendues de flamants roses sur une patte, ses chevaux blancs et taureaux noirs, le sable brûlant de Saintes-Maries de la Mer, le réunionnais appelé Loulou et qui disait au petit: « tu veux la tété? » en me présentant son gros sein pendant, flasque, qui m’impressionnait »; sa proposition, pour rire, de conduire au volant; son fils qui cherchait les insectes, un de chaque espèce, allait à la chasse aux papillons, et les épinglait après les avoir asphyxiés à l'éther.

Exactement un an après, jour pour jour, la naissance du troisième enfant, Yann, survenait la mort de Jacques, frère de Simonie, asphyxié en dormant par du gaz non éteint. C'était au début de 1976. Il avait toujours soutenu, donné une pension à sa soeur Simonie quand elle l'avait hébergé chez elle avec son mari. Il était un talentueux dessinateur. J'avais pu admirer un Tarzan conservé par la famille du côté maternel. Jacques m'avait pris sur ses genoux, sur le canapé du salon; cela était prouvé par les merveilleux poissons-mémoire que sont les photos. Jacques! Comme ton petit neveu Stéphane aurait voulu te connaître! Oui; Paul se sentait d'une affinité physique et spirituelle avec lui au point d'accrocher sa photo d'identité chez lui. Il avait lu une charmante lettre bourrée de fautes d'orthographe; il écoutait aussi Les Oiseaux de Thaïlande et Tentation de Ringo, qu'il devait connaître et aimer, en pensant à lui, et puis son chanteur fétiche: Claude François: Comme d'habitude... mais là, ce matin de janvier, il ne s'était pas levé comme d'habitude.

*[autres choses apprises à propos de Jacques ; à propos de moi : « Vous êtes-sûr qu'il est normal ? » tellement on voyait que mes yeux !

C'est quelque deux ans après que Simonie avait fait une dépression et était entrée en maison de repos pendant trois semaines au Chillon. Elle avait fait un mois d'hôpital auparavant.

C'est aussi durant l'été de cette année qu'Eric et moi étions entré en colonie sanitaire. A mon entrée, je pesais 15 Kg 700 et mesurais 109 cm. A ma sortie, mon poids atteignait 18 kg 550 et ma taille 111cm. Avis du docteur : « + 2 KGS 850 et +2 CMS pendant son séjour. Va bien actuellement. » (le 19. 10. 79).

La même année, toujours selon son carnet de santé (autre poisson-mémoire), je m'étais fait vacciner (D.T. COQ. POLYO) et avais eu une consultation chez un ORL : "oreille droite = bon, oreille gauche = Diabolo bloqué par caillot." lisait-on.

Pour finir avec les poissons-mémoire, le plus beau pêché venait de la bouche de ma mère qui m'avait dit en parlant de mon père: "Il avait la manie de faire les poubelles dans ses périodes de manie, etc."

 

"Et à part ça?" comme dirait son oncle Mich ?

À part ça, c'était l'époque d'On dirait qu'ça t'gêne d'marcher dans la boue et de La Promenade des gens heureux. Et puis d'Allô maman bobo...

Mais avant de passer au chapitre suivant, voici mon tout premier dessin enfin le premier connu et qui soit resté dans mes annales. Ce n'est pas un simple dessin d'enfant, c'est quelque chose d'énorme en signification, et dans sa portée.



 

premier dessin maternel coeur fête des mères

premier dessin maternel 2ème face

















 

Il y a une déchirure. Le pourquoi viendra en son temps.

Disons pour le moment que je désirais faire plaisir à la mère. Sa mère alors eu un double langage très perturbant.

La vie continue son long cours tantôt calme, tantôt tumultueux.

Heureusement que l'humour donne la main à l'amour. Et quel amour! Quel humour aussi.



*


Tiens voici un échantillon d'humour des Témoins de Jéhovah qui tombe pile poil sous ma plume:

 

Tu savais qu'Adam et Eve étaient musulmans?

Adam et Eve étaient dans une barque sur un fleuve du Paradis terrestre, et Eve dit:

"Tu rames, Adam?"

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

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21 novembre 2017

Brouillon (parents, etc)

Notes/

 

Dans le salon de mes parents, j'ai toujours été amusé par ces bibelots, ces statuettes écrues au socle desquels je pouvais lire:

"C'est bien toi la meilleure des mamans", "C'est bien toi le meilleur des papas", "C'est bien toi le plus chouette de pépés", "C'est bien toi la plus chouette des mémés".

Image d'épinal. Derrière laquelle peut se cacher bien des épines invisibles.

Image idéale correspondant bien peu à la réalité plus complexe, avec ses zones lumineuses et ses zones d'ombres. Pas blanc, pas noir, mais gris.

Dans le même ordre, on dit à la femme qu'on aime "T'es la plus belle", à l'homme qu'on aime: "t'es le plus beau". Ou la meilleure, ou le meilleur.

Les superlatifs pleuvent dans leur excès touchant, plein d'affect. C'est humain.

L'essentiel pour un enfant est de dire: j'ai un père et une mère qui m'aiment, peut-être mal, dans toute leur imperfection humaine. Ils ne m'ont jamais dit qu'ils m'aimaient, sauf ma mère par écrit. Quand une fois plein d'enthousiasme à un festival j'ai téléphoné à mes parents pour leur dire que je les aimais, j'ai recueilli un grand silence. Comme une pudeur. Et puis autre chose peut-être.

Je le dis, mes parents m'aiment et je les aime.

"Et oui, maman, t'es peut-être pas la plus chouette des mamans, mais t'es ma maman et je t'aime. Et oui, papa, t'es peut-être pas le plus chouette des papas, mais t'es mon papa, et je t'aime. Peut importe que vous ne soyez pas les plus chouettes parents objectivement, vous l'êtes pour moi quelque part, parce vous êtes mon papa et ma maman, j'en ai qu'un et qu'une, comme j'ai une seule vie en tant que croisement unique de vous, mes deux donneurs de mon propre sang où coule du vôtre."

De plus, s'il y a mieux il y a bien pire aussi que ce que j'ai vécu avec eux. C'est mon histoire. Je ne peux que l'aimer une fois grand, malgré les souffrances. Parce que c'est pareil, il y a sans doute mieux, il y a sans doute pire dans tout ce que j'ai vécu, mais c'est mon vécu, mon histoire, elle fait partie de moi, et ne pas aimer mon histoire ce serait ne pas m'aimer quelque part.

Je ne dis pas que je n'aurais pas voulu ne pas vivre certaines choses que je ne peux que réprouver du fond du coeur, de mon esprit et dans mon corps, enfin de mon âme, mais voilà, j'ai appris à positiver les expériences de la vie, à en tirer parti, j'ai comme dirait Boris (Cyrulnik) fait ma résilience, ma conscience a grandi et je me sens d'accord avec l'idée d'un karma non punitif mais permettant de s'améliorer, de se lancer des défis à notre âme. Et aussi, de faire progresser l'humanité par notre travail personnel et notre témoignage, de défaire des noeuds de l'humanité. C'est cette idée de réincarnation karmique qui se révèle dans un passage de mon roman Paul au pays de Rimbaud et Juliette touchant à la pierre de touche de mon histoire.

 

 

DIEU: "Tu es mort catholique. Tu renaîtras TJ.

ARTHUR: – Quoi? Je renaîtrais Tous les Jours?

  • Non, non, tu renaîtras Témoin de Jéhovah, pour ainsi dire. Des intégristes dont l'acte de naissance est sa fondation par Charles Taze Russel en Amérique, en 1873, l'année où tu écrivis ta Saison en enfer. Tu naîtras quelque cent ans après ce "carnet de damné" et de la rédemption, par ta future mère et ton futur père Témoins de Jéhovah.

  • Oh! ce nom! Pouah! J'en ai la nausée. Moi qui détestait le Hugo qui employait le mot Jéhovah à tore-larigot, je vais en manger, c'est ça, et ça m'en sortira des narines. Pourquoi? Suis-je maudis même outre-tombe?

  • Non, tu es béni, Arthur, car tu renaîtras poète, artiste, conteur. Toi qui disais, tout chagrin: "Une belle gloire de conteur emporté." Mais il te faudra à nouveau repasser par la religion occidentale sous une forme nouvelle, moderne.

  • Il faut être absolument moderne, ah  !

  • On la dira une secte tant ses enseignements et ses enseignants, ses bergers, seront fanatiques, comme les musulmans que tu as rencontré en Ogadine. Mais ce sera bien autre chose.

  • Oh mon Dieu, est-ce cela que tu me demandes, de me réincarner, de souffrir à nouveau? N'ai-je pas rempli ma mission? N'ai-je pas assez subi en mon corps et en mon âme? N'ai-je pas assez enduré le désert de toute part jusqu'à mordre aux queues de scorpions? Tu le veux? Que je vive une nouvelle «  crucifixion  »?

  • Pour l'Amour de Moi. Pour l'humanité, l'Âme...

  • Étais-je né pour autre chose de ma mère Vitalie et de mon père Frédéric? Quelle autre gloire maintenant puis-je demander que celle qui m'a été louée. Celle qui incombe à mon nom et qui te fais honneur, mais que je n'ai pas demandé? Ne suis-je pas maintenant un dieu comme du Mont Olympe pour beaucoup et un diable pour beaucoup d'autres? Adulé et méprisé, dois-je emporter encore cela dans ma tombe? Et que dis-tu? "Tu renaîtras Témoin de Jéhovah? Ah! Ah! Laisse-moi chialer et rire. Tu seras hyène, etc.! Tu seras hyène, etc.!... Oui, fais-moi hyène, ô Dieu! Hyène d'Abyssinie... que dis-je? Hyène d'Éthiopie! Je pourrai rire, rire, rire – Charognard! Non, je ne veux être témoin de rien sur cette Terre...et surtout pas de ce Jéhovah de mes deux!

  • Arthur... Arthur... Accepterais-tu de renaître sous un autre nom en mon Nom? Je te le demande, je te prie...

  • Lequel, dis-moi?

  • Paul.

  • Paul! Ha! Ha! Ho! Ho! Hi! Hi! "A noir, E blanc, I rouge, U vert, O bleu: voyelles! Je dirai en quelques jours vos naissances latentes... A, noir corset velu des mouches éclatantes, qui bombinent autour des puanteurs cruelles! I, pourpres, sang craché, rire des lèvres belles dans la colère ou les ivresses pénitentes!" AÏE!AÏE!AÏE! Paul! PAUL! J'y crois pas! Et je vais rencontrer Arthur qui me battra comme un chien, et je tomberai dans le caniveau, la face au sol, dans la boue, parmi les rats! Merci. Alleluiah! ALLELUIAH!... Alle... Allez... J'accepte. Que le Ciel soit témoin...

  • Le Ciel t'aidera. Je serai avec toi et tu seras avec moi.

  • Ainsi soit-il.

 

 

 C'est une vision spirituelle, pour ne pas dire spiritualiste (je ne verse pas dans le spiritualisme, car le matérialisme a sa place aussi, et puis si il y a certains "ismes" que je n'aime pas, comme l'extrêmisme, le terrorisme, etc., j'aime au moins l'impressionnisme, le symbolisme... tous les "ismes" de l'art!).

 

 

*

Un jour, mon frère aîné qui était jeune professeur a dit (en famille il me semble, lors d'un déjeuner) à propos de telle famille d'un de ses élèves : "C'est une famille tuyau de poêle." Je demandais ce que cela voulait dire, il m'expliqua, une famille incestueuse, où tout le monde couche avec tout le monde. Pourquoi aurait-il dit cela si il y a eu des rapports incestueux dans notre famille?

je lis dans wikipédia: 

 

« Famille tuyau de poêle » est une expression de la culture populaire péjorative issue à l'origine de la pièce de théâtre de Jacques Prévert intitulée du même nom (1933), relatant les péripéties d'une famille bourgeoise dépravée (pratiquant l'inceste, entre autres), mais se prétendant hypocritement très vertueuse1.

 

Le terme « tuyau de poêle » lui-même désigne au départ le chapeau haut de forme, s'appliquant ainsi initialement pour désigner la famille de cette pièce. Mais il s'appuie également sur une analogie plus concrète, en effet les tuyaux de poêle s'assemblent en s'emmanchant les uns dans les autres. Une « famille tuyau de poêle » désigne donc dans sa première acception une famille dont les membres ont tous des rapports sexuels entre eux.

 

Aujourd'hui, bien qu'étant toujours aussi péjorative, le sens de l'expression a sensiblement évolué, sa connotation sexuelle s'est fortement estompée, s'appliquant davantage aux familles nombreuses et peu cultivées issues de milieux défavorisés ou populaires, voire parfois plus simplement aux familles de « beaufs ».

 

Dans le domaine musical, Pierre Vassiliu chante la famille tuyau de poële, chanson présente sur le 45 tours Tous publics paru en 1965.

 

Peut-être qu'il parlait surtout de familles de "beaufs", car il rencontrait beaucoup de cas dans le lycée technique où il travaillait. Mais je me souviens bien du rapport à l'inceste. Les deux peuvent aller ensemble de toute façon.

 

*

Des bonobos dans un monde de chimpanzés.

A la lecture marquante de Je pense trop de Christel Peticollin, j'ai été frappé entre autres par le parallèle qu'elle faisait entre les Haut Potentiels et les bonobos d'un côté, et les "normopensants"  et Chimpanzés de l'autre. Les ressemblances sont troublantes. L'ancêtre de l'homo sapiens ne serait-il pas un croisé entre les bonobos ou leurs ancêtres et les chimpanzés ou leurs ancêtres qui se seraient accouplés? La plupart des humains sont plus proches des bonobos, voire ont tout pris d'eux: les Haut Potentiel et Asperger, et les normopensants auraient tout pris du Chimpanzé, ou la plus grande partie, après toute proportion étant possible. 

Je lis sur un lien internet: " le sympathique bonobo, à l’inverse de la plupart des Hommes, pratique l’admirable philosophie, un zeste fleurie: «faites l’amour, pas la guerre»." 

http://jeudi.lu/bonobo-damour-pas-de-guerre/

Or les Haut Potentiel et Asperger sont des bisounours, et combien se retrouvent dans le "Peace and love" hippie, combien aussi sont "New Age"?

 

*

Noms des Témoins de Jéhovah (personnes ou familles) dont je me souvienne:

Salle A Est

- Frère Phillipe Galloivitch, appelé "Frère Galloivitch". Ancien, aimant le foot, d'origine russe: c'est lui qui mit en place je crois les parties de foot en été après la réunion le dimanche) Il avait une fille qui s'appelait Yannouchka. Je me souviens qu'un jour il prôna la prohibition des rapports sexuels avec son épouse et de faire une implantation de sperme dans le vagin (après masturbation je suppose; cela dut faire une certaine polémique; la volonté d'imposer son interprétation aux versets de la Bible était courante, il y avait des débats de chapelle).

- Félix Léroy",, appelé "Frère Léroy serviteur ministériel. J'ai passé des moments seul, chez lui, je crois même du temps où il était célibataire. Plus tard, il eut une femme avec laquelle il se maria, je crois qu'on a vécu leurs noces. Sa femme m'aimait beaucoup, c'est elle qui me poussa à écrire des poèmes spirituels, voyant ma peine de ce qu'un surveillant de circonscription venu une semaine et à qui je présentai mon travail sur l'archéologie biblique me fis honte en me disant: "Ne crois-tu pas que tu aurais mieux à faire? Ne crois-tu pas que Jéhovah préférerait que tu prêches davantage? Pour moi Asperger ou Haut Potentiel.

- George Ticot, appelé "Frère Ticot": J'en ai parlé dans Mémoire. Pour moi Asperger.

- Annie Licoise: C'était ma préférée des Soeurs, d'une simplicité, d'un naturel, d'une joie surtout! Elle fut la seule femme dont je me souvienne qui fut publiquement, sur l'estrade de discours, montrée en exemple et applaudie. Par sa modestie dans le service sacré de Jéhovah, son zèle dans la prédication, et pour cause! elle était la seule prédicatrice à plein temps de la congrégation. Célibataire, elle avait voué sa vie à Jéhovah. Je crois que c'est la première femme avec laquelle j'ai prêché. dans  Notre famille et elle étions amis. Elle vint avec nous visiter le musée du Louvre, entre 1989 et 1990. Pour moi Asperger ou Haut Potentiel.

- Jean-Louis Hergé: Ancien. Un pilier parmi les piliers. C'était un frère assez rigolo; il ne m'impressionnait pas comme son frère Christian. Je me souviens qu'il aimait beaucoup l'humour, très amateur de jeux de mots. C'est lui qui raconta l'histoire suivante je crois inventée par lui:"Vous saviez qu'Adam et Eve étaient musulmans? Un jour qu'ils étaient dans une barque sur l'Euphrate, Eve lui dit: "Tu rames, Adam?". Je crois que le "A la... soupe ( lancé comme un muezzin en haut du minaret) était de lui aussi. Il avait une femme et deux enfants,  un gars et une fille. Je m'entendais bien avec le gars qui était l'Asperger type. D'ailleurs, il avait les dents très en avant, comme moi, sauf que ses parents à lui ne voulaient pas qu'il aille voir un orthodontiste. De sa soeur, je fus amoureux je crois. J'ai dormi plusieurs fois chez eux.  Pour moi Asperger. Comme Frère Ticot ou Félix Léroy, ou Annie Licoise,  il avait un visage très caractéristique. On voit qu'il a quelque chose. Il avait un tic, était très nerveux.

Christian Hergé: Ancien. Petit frère de Jean-Louis Hergé, mais imposant alors que Jean-Louis était petit et chétif. Il était maçon. Un pilier pour la construction de la nouvelle salle du Royaume. Il vint dans la congrégation plus tard. Avant d'être Témoin de Jéhovah, c'était, nous raconta t-il, un fan de Pink Floyd ayant les cheveux longs, et se certainement fumant du cannabis. Sa femme et lui avaient un enfant, avec des lunettes qui grossissaient ses yeux. J'ai dormi plusieurs fois chez Christian. était-il marié et avait-il un enfant alors? Je ne me souviens pas. . Pour moi Asperger ou Haut Potentiel. Il avait un tic aussi il me semble, bien que différent et moins marqué.

 

20 novembre 2017

TJ ou pas TJ, telle est la question

 

AVIS AU LECTEUR: Cette page est un brouillon et comporte plusieurs textes et notes datant entre le 13 et 19 NOVEMBRE 2017, on pardonnera les répétitions et une matière pas très organisée, dûe à mon handicap: j'ai une pensée arborescente.

 

TJ or not TJ, that is the question.

TJ ou pas TJ, telle est la question.

To be a Jehovah's witness or not a Jehovah's witness, that is the question.

"Être Témoin de Jéhovah ou ne pas être Témoin de Jéhovah, telle est la question", pour paraphraser la célèbre formule de Hamlet.

Cela ne s'est pas posé à ma naissance, puisque je suis né dans une famille de Témoins de Jéhovah, elle s'est posée concrètement quand je me suis fais baptiser (sous une bonne dose de pression extérieure et intérieure), elle s'est posée enfin le jour où je décidais de quitter la secte. Car si en me faisant baptiser je choisissais la vie, et si en sortant je choisissais la mort, la formule prend toute son importance. Être TJ c'est pour les Témoins de Jéhovah choisir la vie, et qui plus est éternelle, et ne pas être TJ, c'est choisir la mort, et qui plus est éternelle (pas de seconde chance d'après la doctrine des Témoins de Jéhovah, pas de "Purgatoire"...). Que j'ai choisi la Vie, en en sortant à 22 ans, ils ne se sentent pas concernés. Tout au plus pourraient-ils dire ce que j'ai entendu parfois: Dieu seul sonde dans les coeurs. Mais ça c'était à la limite valable pour ceux qui n'ont pas connu La Vérité. Mais pour celui qui l'a connu, Dieu la secte est sans pitié. Il a été exclu. Il est banni. Il a choisi le monde de Satan, il a choisi la mort. Il a son ticket pour l'enfer, enfin Har-Maguédon, car ouf! nous expliquait-on, Dieu est assez bon pour ne pas vouloir la souffrance éternelle de ceux qui méritent la mort éternelle. Moi, je dis: peux faire mieux, Dieu. Je préfère encore la vision karmique, dans son sens le plus positif, qui n'est pas punitif, mais consiste à renaître dans une autre vie pour s'améliorer, se lancer un défi à notre âme. Être Dieu, sous-entendu, "Dieu d'amour" comme on le chante chez les Témoins de Jéhovah, ça se mérite. Si Dieu est un laveur de cerveau, si Dieu m'empêche de penser par moi-même, enfin, si Dieu est aussi expéditif, punitif, lapidaire, alors, je dis: "Bye bye, Dieu, t'as beau terriblement t'appeler Jéhovah, suivant ce qu'on m'a inculqué, tu ne me fais pas peur,  tu peux me condamner à une mort éternelle, en attendant, je savoure ma liberté, je préfère vivre ma propre vie sans toi, Jéhovah "tout puissant", mais bien impuissant à me faire revenir vers toi, enfin vers tes Témoins qui croient en toi et croient te servir (bon bien leur fesse ! Euh... leur fasse), oui, je préfère vivre ma vie aussi courte soit-elle que de vivre dans ton pâle paradis idyllique à jamais, ton paradis (des pédophiles?) fait de lavés du cerveau."

Voilà ce que je dis à Jéhovah et à ses témoins. Et encore ceci:

 Pour un enfant, la question pourrait être: être violé ou ne pas être violé, telle est la question. Dieu sait que les pédophiles ne sont pas que chez les Témoins de Jéhovah, mais Dieu sait aussi que ça en pullule chez eux! que c'est un paradis de pédophiles. Au point que la probabilité pour qu'un enfant de Témoins de Jéhovah ne soit pas abusé est à mon avis bien faible, du moins était-ce vrai à mon époque marquée par les années 68 et la libération sexuelle. Paradis de pédophiles (de pédocriminels devrait-on dire, car Jésus aimait  les enfants, mais proprement: "laissez-venir à moi les petis enfants." Si les enfants viennent à lui, c'est qu'ils ont confiance en lui.), oui, paradis pour les pédophiles, mais un enfer pour un enfant de Témoin de Jéhovah qui se fait abuser par des hommes qu'il a vu avant et reverra après en costume cravate, au pupitre, dans une position respectable, vénérable, impressionnante, et un discours (souvent dit avec emphase), applaudi par tous: on reste sans voix, ahuri, cela devient irréel. Et cet enfer, il le revivra maintes fois, passé de mains en mains, incognito. Plus de trente ans après, il ne pourra plus porter plainte. Mais il pourra témoigner. Que ceux qui ont des oreilles entendent. Oui, j'ose citer un célèbre verset biblique (Bible que je connais littéralement du bout des doigts tant j'ai parcouru ses pages pour trouver un verset).

 Je suis une ancienne victime.

Il ne s'agit pas pour moi de jouer la victime, d'être dans la victimation, mais ce que j'ai subi fait de moi une victime à plusieurs niveaux:

L'endoctrinement qui par lavage de cerveau fait que l'individuation ne peut avoir lieu, on est en otage psychologique, on obtient des individus atrophiés, privés d'autonomie (de penser le monde et sa vie par soi-même), fermés au monde, obtus, etc.

Les pressions psychologiques, pour se faire baptiser notamment, jouant sur les peurs, la culpabilité et la honte (masturbation...)

- Les agressions sexuelles, surtout sur les enfants à notre connaissance. Et je signe. La pédophilie est tacitement admise, protégée, car c'est tout un réseau organisé qui est mis en place par le Haut. Ainsi, un pédophile dénoncé ne sera pas livré aux Autorités, mais "muté" (après exclusion d'une congrégation par les Anciens de celle-ci) dans une autre congrégation.

 

Il ne s'agit pas non plus pour moi de faire un tableau tout noir des Témoins de Jéhovah. C'est pour cela que mon livre Mémoire (1998-1999) est important, puisqu'il tend à l'objectivité, tandis qu'Har-Maguédon (1996) racontant ma crise vue de l'intérieure est particulièrement offensif dans le ton, et ne fais part que du négatif. C'est souvent le piège, lorsqu'on est victime, lorsqu'on lutte contre..., il est quasiment impossible de dire quelque chose de positif sur les Témoins de Jéhovah sans considérer qu'on les défend. Je n'ai pas honte de dire que j'ai vécu des moments de grands bonheur chez les Témoins de Jéhovah. C'est tout simplement dire la vérité.

 Tout simplement parce que les Témoins de Jéhovah sont avant tout des êtres humains, qui rient, qui pleurent, qui jouent, racontent des histoires drôles (dans leur registre très restreint et particulier, mais qu'est-ce que j'ai pu en rire!), qu'une congrégation est un microcosme de la société humaine, mais que ce microcosme a la particularité d'être extrêmement endoctriné par un pouvoir invisible quasiment déifié: le Collège Central. Ces hommes à la tête, cette élite, n'a rien à voir avec un Témoin de Jéhovah de base extrêmement crédule, manipulable, inculte (pour la plupart), enfin naïfs (je ne serais pas étonné que se trouve beaucoup d'autistes Asperger parmi eux...) Qui a fondamentalement besoin de croire, de se trouver stimulé dans la foi, d'être dans une grande famille de Frères et Soeurs, qui a aussi besoin d'une structure forte comme ce fut le cas de ma mère qui en plus portait dans son coeur la Bible avant même qu'on cogne à sa porte. C'est une grande famille avant tout, ne l'oublions pas. Les hommes qui dirigent (parce qu'à la tête il n'y a pas de femmes, pas même parmi les "Anciens" tant la secte est patriarcale et misogyne) sont des bêtes en psychologie humaine et des monstres de la manipulation. La carotte du Paradis est tellement grosse, tellement alléchante! Il n'y a guère de différence à ce niveau-là entre un citoyen de base qui se berce de conte de fées, d'histoires de princes charmants, sauf que les citoyens courants, combien même ils se leurrent avec, ne sont pas prisonniers d'une secte qui dirige leur vie à leur place.

 Comment être riche? Trouver une idée qui fédère, séduise un grand nombre, l'exploiter en créant une entreprise avec un minimum d'employés pour un maximum d'esclaves. La Watch Tower Society est comme une énorme entreprise mondiale, tentaculaire. Sauf qu'elle est à caractère sectaire et cherche à recruter les faibles, les simples d'esprit, les paumés, les déprimés. Le lavage de cerveau est son outil principal pour recruter. Comme dans n'importe quelle secte. Il y a une redoutable démagogie à l'oeuvre, un peu comme on peut le trouver dans des partis politiques. Ceux qui sont à la tête sont de grands singes dominants en quête du plus grand pouvoir possible. Il y a de grandes chance pour que ce soient des "neurotypiques", non pas que tous le neurotypiques soient tels, loin de là et heureusement, mais eux, experts en communication, et en manipulation... ont choisi de s'en servir uniquement pour leurs propres intérêts.

"Manipulateurs, eux? Mais non, ils sont le canal de Dieu, c'est marqué dans la Bible! Le collège central, les oints..." - Et mon cul, c'est du poulet?

 Ceux qui écrivent les publications sont certainement des surdoués, des Aspergers pour un grand nombre d'entre eux.

 

Jamais je n'aurais pu écrire cette page sans avoir lu le livre "Je pense trop - comment canaliser ce mental qui m'envahit (2010) par Christel Petitcollin et parlant des Haut-Potentiel. Elle y décrit le fonctionnement des "neurotypiques" à l'attention des Hauts Potentiel, et donc aussi des Aspergers, puisqu'on a de nombreux points communs.. J'ai pris une claque en tant qu'Asperger, je peux dire.

 Aussi, à la lumière de ce que j'ai appris, je dirai que chez les Témoins de Jéhovah, comme dans la société que l'on peut comparer à une bergerie (puisqu'il y a une majorité de gens biens, de "gentils"), il y a des loups. Chez les témoins de Jéhovah, ils sont souvent déguisés en brebis, ce qui font leur invisibilité, surtout de la part de brebis naïves. Les plus grands loups sont à la tête d'un vaste ensemble de moutons s'appelant "Frère" et "Soeur", ce sont ceux qui sont à la tête de l'organisation. 

Les Témoins de Jéhovah se divisent en deux grandes catégories:

Ceux d'en haut et ceux d'en bas. Sauf que contrairement à ce qu'a dit Hermès, ce qui est en haut n'est pas comme ce qui est en bas. Car ce qui est en haut manipule, ce qui est en bas est manipulé.

Une congrégation, comportant un ensemble d'une centaine d'individus environ, se voit dirigée par au moins cinq Anciens. Sur cinq Anciens, il est probable qu'au moins un soit pédophile. Pourquoi? Parce qu'un pédophile cherche les lieux où il y a des enfants, des métiers où ils seront en contact avec des enfants (éducateurs, prêtres...), et à s'infiltrer dans une organisation, dont les sectes, quand ce ne sont pas les sectes eux-mêmes qui sont créées pour entre autres les pédophiles. Quoi de meilleur lieu qu'une secte comme les Témoins de Jéhovah où se trouvent de nombreux parents et enfants lavés du cerveau, où la naïveté règne, transportés par la foi, zélés par la carotte qu'on leur tend, "promesse de Dieu": le Paradis sur terre, où il n'y aura plus de guerre, de méchanceté, de maladie, de mort, où on retrouvera même ses chers disparus?

 Charles Taze Russel, le fondateur de la secte en 1873, sans doute un Asperger ou Haut-Potentiel, c'est un peu le Jeanne d'Arc, la jeune fille naïve mais sincère, manipulée par le roi. Son étude de la Bible était sincère. Des malins ont récupéré son travail comme la religion a récupéré les enseignement de Jésus. Parmi ceux qui font les publications des Témoins de Jéhovah doivent se trouver des Haut Potentiel et des Asperger. J'imagine qu'ils font le plus gros du boulot, ensuite les neurotypiques corrigent, mettent en forme, mais les recherches sur des sujets pointus, ce sont des Haut Potentiel et Asperger qui y sont affectés je crois pour une grande partie.  Pour s'investir comme cela, il faut être passionné... 

Tous les grands gourous des sectes (je ne parle pas d'authentiques gourous hindouistes, par exemple) sont des "neurotypiques", ce qui ne veut pas dire que tous les neurotypiques sont des gourous, loin de là, mais il est certain qu'ils sont doués pour manipuler avec une arme parfaite: une connaissance fine, pour ne pas dire quasi parfaite de la psychologie humaine. Les manipulateurs sont loin d'être des croyants, ils singent la foi, et utilisent ce qu'ils savent de la psychologie humaine à seule fin d'asseoir leur pouvoir (et le pouvoir vient de l'argent en grande partie...). La Connaissance (mais utilisée avec malveillance) a toujours aussi été liée au pouvoir. L'astrologie est basée sur la psychologie. Dans les anciennes civilisations, les grands prêtres étaient astronomes, mais comme l'astronomie était en lien avec les croyances en des dieux, ils étaient aussi astrologues. Les prêtres mayas se servaient de toutes ses connaissances pour manipuler, diriger comme il voulaient le peuple inculte et laissée dans son inculture. Les autistes Asperger sont des proies faciles. Ayant du mal avec les limites, les convenances, en manque de repères, une confusion règne dans ces familles, et peuvent facilement avoir un caractère incestueux (au minimum à un niveau psychologique), ce qui ne veut pas dire que tous les Aspergers soient incestueux, on peut juste relever que le terrain y est favorable.  Ce que je dis en cohérent avec mes souvenirs de nombreux témoins de Jéhovah que j'ai côtoyé, et dont avec le recul je pense qu'ils avaient un profil d'Asperger (ou de Haut Potentiel). Je ne dis pas que tous ceux que j'ai rencontré étaient incestueux, mais...

Lorsque j'ai dit à ma psy que je pensais que l'inceste dans les familles, avait sous les guerres mondiales, un refuge contre les bombes, elle m'a dit: "Non, c'est juste une question d'éducation..." Je me rallie à son point de vue aujourd'hui. Il faut éduquer. Et combien les autistes!

Chez les Témoins de Jéhovah, et surtout chez les Aspergers, se développe une certaine paranoia qui va avec deux idées maîtresses qu'on a imprimé de façon insidieuse dans son cerveau: la première, que le monde est mauvais, il appartient à Satan et nous veut forcément du mal, la seconde, le "heureux si vous êtes persécutés", qui pousse au sentiment de persécution, et cela même renforce d'autant notre foi qu'on est vulnérable.

 

 

 Je crois que j'ai tiré sur le bon fil et que tout vient. C'est comme des équations que je pose et résouds avec une facilité déconcertante, moi qui n'est jamais été fort en mathématique, qui étaient ma bête noire! C'est comme un puzzle où toutes les pièces se mettent en place rapidement. Je ne suis que canal de mon inconscient qui me sert en informations, alors qu'auparavant j'étais ignorant et son objet.

Je crois que si Flamie Flament a eu des remontées si violentes de la part de son Inconscient, comme beaucoup d'autres victimes de viols, c'est qu'elle n'avait pas eu préalablement un contact avec son inconscient. Pour moi, grâce à une formation à ce travail difficile (peu fait pour les "neurotypiques" peu à l'aise dans l'intériorité pourtant nécessaire à ce travail) et pouvant rendre fou sans partenaire initiateur (ce qu'on appelle un "Maître", alors que toute initiation vraie est un partenariat spirituel entre "Maître" et "élève" destiné à tuer symboliquement le "Maître" pour trouver sa propre voie, par la Voix intérieure (qui n'est pas celle du mental, ou des représentations de nos peurs, mais qui vient du Soi et non du petit moi egotique), oui, pour moi, cela a été en douceur, à chaque remontée de conscience, par "flashs" j'avais été préparé, j'avais affronté symboliquement des dragons (gardiens du seuil de la conscience) qui me laissaient passer ou pas des informations, selon que j'étais prêt ou pas. Et puis ce contact avec mon Inconscient m'a permis de contacter à la fois mon Guide intérieur, et ma Bien-Aimée intérieure, les deux se confondant, ma Bien-Aimée intérieure étant aussi mon Guide intérieur.*

Pour ceux à qui cela parait trop fou pour être vrai, pour comprendre que l'Inconscient individuel ou collectif peut donner des "flash" ou des visions, citons Stéphane Allix, auteur de Lorsque j'étais quelqu'un d'autre qui raconte que, faisant une retraite en forêt où il méditait, il eut la vision forte d'un soldat de la guerre 39-45 qui lui fera mener une enquête révélant que cet homme a bel et bien existé. Lorsqu'on lui a demandé, pourquoi le commun des mortels n'avait pas ce genre de vision, il répondit: "Vous en connaissez-vous beaucoup, vous, de personnes qui font une retraite telle, sans téléphone, sans télé, sans aucun confort et seul dans la nature pendant plusieurs semaines?" Il est aussi notable que certains accidents neurologiques ouvrent des portes vers ces autres dimensions que l'on ne peut connaître que sous certaines conditions. Pour moi, rien de tel, mais une disponibilité à ce travail sur l'inconscient , (donc des conditions, comme dans l'expérience de Stéphane Allix) et une quête spirituelle à laquelle à répondu une personne rencontrée, ne se disant qu'une femme ordinaire, et devenue de fil en aiguille partenaire spirituelle, c'est tout. 

Ma Bien-Aimée intérieure correspond à l'Anima dont parlait Jung, sauf que son anima personnel, il me semble, prenait différentes formes, avait différentes voix, pouvant être tyranniques, il peinait à trouver la clé se trouvant, d'après mon expérience, dans la fusion entre la Bien-Aimée et le Guide. Je dirai que Jung a rencontré non pas sa Bien-Aimée et donc son Guide, mais différentes formes inconscientes de ses représentations de la femme servant à construire son idéal féminin. Finalement, il lui manquait ce qu'avaient trouvé et les troubadours (l'accès au "Joi" à travers la Dame de ses pensées), des poètes comme Dante (avec sa Béatrice, dans la veine des troubadours) et surtout des soufis comme Rumi (parlant du Bien-Aimé, comme étant l'Ami, sans que cela puisse être forcément associé à l'homosexualité, même si comme chez Platon et son disciple il y avait sans doute une préférence homosexuelle. Chez les homosexuels, il est bien connu qu'il y a un Alpha et un oméga, un qui s'identifie à l'homme et l'autre à la femme. Il va donc de soi que l'Alpha a un anima et l'oméga un animus, sachant aussi  qu'en tous il y a une partie, une énergie masculine (l'émetteur, l'actif) et l'autre féminine (le réceptif, le passif), que nous sommes psychiquement hermaphrodites, l'hermaphrodisme en tant que tel (physique) étant très rare.

 

*

 

Il y a deux jours, j'ai écrit un assez long texte sous le titre "Dossier PI", PI comme PEDOPHILIE INCESTE, texte divisé donc en deux parties et que je citerai plus bas.

Je dénombrais le nombre de cas, de lieux, de personnes liées à un abus sexuel sur moi enfant, et je puis dire même dans ma petite enfance essentiellement.

A un moment donné, je m'arrêtais, pris de vertige et d'effroi et m'effondrant à l'idée que ce travail serait vain si jamais j'avais moi-même ensuite abusé inconsciemment d'enfants, puisque j'avais été mis en situation de pouvoir le faire lors d'une colonie de Vacances en tant qu'Animateur et que je me souvenais avoir dû veiller la nuit sur un enfant très angoissé qui me ressemblait beaucoup enfant et qui se confia beaucoup à moi. Comme ma partenaire spirituelle me l'a dit, au pire j'ai sans doute touché une partie intime par inadvertance, dans un moment câlin, qu'elle et un petit neveu s'étaient une fois involontairement embrassés sur la bouche, ça n'avait pas été plus loin, ils n'avaient pas recommencé.

Avec le recul , je me suis rendu compte que je m'étais rendu malade pour rien (enfin au moins cet épisode m'aura permis de monter en conscience), cet enfant avait certainement dû garder un bon souvenir de moi.

De plus, la globalité des choses me concernant prouve que je ne suis pas un pédophile:

- Un pédophile est en recherche de contacts avec des enfants. A moins que ma vocation d'animateur eut lieu sous un mobile inconscient (ce qui est franchement improbable), je me souviens très bien que mon mobile fut provoqué par un rêve où je me voyais éducateur, il me fallait donc d'abord être animateur, donc passer le BAFA. Les livres que j'écrivais à l'époque (le petit apprenti de la vie, Les fables de la Belette) étaient pédagogiques, en accord avec mon objectif, et ils étaient bienveillants avec les enfants. Il suffit aussi de lire les poèmes comme Le Petit train, dans mon recueuil Les Paradis pour s'en rendre compte. Je n'ai rien d'un prédateur.

- La seule chose qui m'intéressait, qui m'obsédait, et cela depuis l'âge de douze ans, c'était la sexualité normale, ayant eu en main un livre d'éducation sexuelle avec description de positions qui était caché chez mes parents, j'étais en quête de réponses, je ne savais pas alors où était placé le sexe des femmes. Ce qui fit que le jour où on me laissa un moment seul avec elle au moment de changer sa couche fut sans doute le moment concret où je fis une connaissance visuelle du sexe féminin, et au pire légèrement tactile (un Asperger touche du doigt une chose qu'il voit sous ses yeux, je le fais encore, je touche des objets intrigants ou amusants que je vois dans un magasin). Enfin, mon seul désir depuis le temps où je fus en âge de flirter c'était d'avoir une relation sexuelle avec une fille de mon âge. J'avais refusé une occasion au collège de la part d'une copine amoureuse de moi, je n'étais certainement pas prêt à en refuser une après que je me fus libéré des Témoins de Jéhovah. Je n'ai jamais été sexuellement attiré par les enfants. Et je préfère mettre des distances entre eux et moi, car dans un état d'enfance (on me dit souvent que je suis un enfant) et vu mes difficultés liées à l'autisme, je risquerais de faire un geste malvenu, du moins j'en ai peur, et je sais combien les gens sont aujourd'hui méfiants de tous contacts avec un enfant. Il est impensable aujourd'hui de prendre dans ses bras un enfant que l'on ne connaît pas, de juste faire un petit câlin.

- Si effectivement, j'ai une attirance pour les jeunes filles tout en étant avec une femme soit de mon âge soit largement plus âgée, cela s'explique aisément du fait qu'à cause du carcan religieux. je n'ai pas pu flirter à l'âge où on flirte. De plus j'ai aussi eu pour ami un enfant anglais lorsque j'étais au collège. En tant qu'Asperger, la différence d'âge m'importe peu. Et je remarque que dans ma vie, j'ai souvent fréquenté, eut pour amis ou copains, des personnes soit plus jeunes, soit plus âgées, qu'elles soient de sexe féminin ou masculin. Pour ce qui est de mon attirance pour les jeunes filles, si cela choque, je dirai: ressentir est un droit, consentir est un choix. Mon roman Zoé illustre bien ce propos. L'histoire de mon amour ressenti pour une mineure, une ado ou pré-ado de treize ans devenue ma muse devait être un outil pour explorer mon inconscient et apprendre à aimer (sans retour). Et j'ai été protecteur vis à vis d'elle, chose dont je suis fier.

- En 1996, le rêve érotique et annonciateur de l'amour que j'allais avoir pour ma soeur alors qu'elle n'avait que 11 ans ne montre pas un penchant franchement pédophile, il annonce à long terme la découverte d'un cadavre dans le placard... Tout le rapport de ce rêve et des réflexions que cela a entraîné sur la pédophilie, l'inceste, enfin sur le rapport aux fantasmes et à la réalité se trouve justement dans Zoé.

 

Mais voici donc les écrits consignés sous "Dossier PI":

 

Pédophilie

 

 Mes premiers souvenirs me faisant dire que j'ai été victime d'agressions sexuelles lorsque j'étais enfant datent de 2009. Et c'est juste après ces premiers souvenirs, remontées de conscience sous forme de « flahs »que je découvris un documentaire sur You Tube sur les Témoins de Jéhovah dont une des parties comportait des témoignages de victimes de pédophiles chez les Témoins de Jéhovah. C'est là que j'ai pris conscience que ça existait, et que mon inconscient n'inventait pas.

D'ailleurs, deux années avant ces visions j'ai fait lors d'un festival (Le Rêve de l'Aborigène) une séance de tambour chamanique en groupe à l'issue de laquelle je me débattais et hurlais au sol. Certes, il c'était essentiellement lié à ma naissance par césarienne provoquant un traumatisme profond, je me souviens que c'était comme si on me forçait de naître, de sortir au monde, et je refusais ce monde. Je signale au passage qu'à l'issue de cette naissance qui provoqua la grossesse et l'accouchement le plus douloureux qu'eut ma mère et qui faillit la faire mourir ainsi que moi, je fus mis sous couveuse, prématuré que j'étais de deux semaines, que coupé de tout contact avec ma mère j'eus la jaunisse, qu'on failli me changer le sang, que je faillis mourir une fois encore. En 2012, je fis deux hyper-ventilation, une fois seul près de chez moi, d'où sortit ce grand pastel intitulé Explosion interne et dont voici trois vues:

Explosion interne 2

 

Explosion interne

 

EXPLOSION

 

 

une fois accompagné par un amérindien et sa compagne, à l'époque où je vivais avec une femme avec un fils de douze ans et qui, j'en pris conscience deux années plus tard, était certainement Asperger, était aussi fusionnel avec sa mère que je le fus avec la mienne, que cette femme en grande souffrance, avec probablement lésion au cerveau suite à des maltraitances dans sa première année, qui lui donna accès au monde invisible par activation de la partie du cerveau lié à tout ce qui est irrationnel, faillit m'emporter dans son tourbillon de problèmes pour ne plus en sortir, et qui fit le forcing pour que je fasse des « huttes de sudation » avant de me proposer peu de temps avant qu'elle me quitte, et moi étant hyper attaché à elle... Bref, ces hyper-ventilations me mirent aussi dans des états seconds me faisant hurler. La fois où j'étais accompagné par cet amérindien et sa compagne, où là j'étais allongé avant d'entrer dans l'hyper-ventilation, ils durent arrêter avant terme tant ils étaient impressionnés par mes hurlements et mes débattements contre le sol.

 Je pense que ce sont des exercices dangereux, car non intégrés, non préparés, et qui dans mon cas me faisaient revivre des traumatismes profonds sans pour autant que j'ai des visions, justement protégé par mon Inconscient, je crois, grâce au travail préalable que j'avais fait depuis 2009 . Ces exercices, c'est juste comme appuyer là où ça fait mal, sous prétexte de guérison, et j'ai payé de ma poche pour cette libération violente ! C'est très facile de faire réagir le corps ainsi en définitive. Je me sentais certes plus léger, libéré, mais c'était l'effet d'événement tellement « ouf » ! Et on me dit que le garçon en moi veillait sur moi, ce qui sans doute était vrai, je ne dénigre pas tout dans cet exercice. Cet effet de légèreté, de libération, ne dura pas. On ne peut pas changer une structure, on ne peut faire d'un autiste un homme « normal », etc.

  Donc, pour en revenir à mon contact avec mon inconscient, cette fois vraiment constructif, intégré à mon rythme, il y eut une période où faisant du jardin chez un châtelain, j'eus comme des flash, ce que j'appelle des remontées de l'Inconscient, de contenus restés enfouis dans la conscience. Et c'est juste après ces premiers souvenirs que je découvris un documentaire sur You Tube sur les Témoins de Jéhovah dont une des parties comportait des témoignages de victimes de pédophiles chez les Témoins de Jéhovah. C'est là que j'ai pris conscience que cela était confirmé par la réalité : il existait un véritable réseau pédophile au sein des Témoins de Jéhovah, cela me parla immédiatement bien que jamais je n'aurais pu dire cela avant : que ça existait. J'avais appris des années auparavant les liens de la Watch Tower society avec les nazis, ça avait été un choc, mais là! Parce que j'étais directement touché par ce sujet. J'étais concerné intimement. Le plus fort, c'est que, ayant trouvé, grâce à ma partenaire mon guide intérieur, elle m'avait dit que lorsque celui-ci te disait une chose, il fallait toujours la confronter à la réalité. Là, ce n'étaient pas des paroles de mon guide intérieur, mais l'Inconscient qui s'était exprimé par des « flash », et ce principe s'appliquait évidemment avec l'Inconscient ; il s'agissait là d'une synchronicité, comme l'a décrit Jung que ma partenaire m'avait fait connaître, alors que j'en avais seulement entendu parler des années auparavant comme étant le psychanalyste qui a parlé le premier de « l'Inconscient collectif ». Je noterai que j'ai découvert Freud en 1993 et Lacan vers 2002. Il était logique que je découvre le troisième pilier formant le haut de la pyramide selon moi, puisque nous mettant dans notre verticalité (l'importance de la dimension spirituelle chez l'Homme enfin reconnue).

 J'en reviens au sujet. Je crois que le premier des vagues souvenirs sans contenus relatifs à l'acte lui-même (ce qui reviendrait à revivre l'acte et aurait été insupportable), mais porteurs de traumatisme en ce qu'il indiquait clairement une situation où j'aurais été abusé, c'était pendant un trajet. Je me revoyais emmené au zoo par cet homme qui était un témoin de Jéhovah que je connaissais bien autant que ma famille sous le nom de Georges Ticot. Les seuls souvenirs que j'avais de lui, je les avais consigné dans Mémoire, un livre autobiographique que j'écrivis en 1998 à la suite d'une tentative de suicide de mon père, ou plutôt une mise en scène de suicide, en guise de cri d'alarme, faite au moment où ma petite sœur allait à l'école en passant par le garage... Ce livre parlait de toute mon enfance jusqu'aux années collège. Mais autant dire qu'ils ne révélait pas grand chose de ce « Frère Ticot » dont mes frères se moquaient souvent, il me semble. Mais ils confirment le rapport au zoo et montre qu'il était devenu un intime de la famille.

 

  « J’ai été cinq fois dans un zoo. Une fois dans les années où j’habitais les Ponts-de-Cé. C’était au Zoo de Vincennes où je montai avec Y*** ou L*** sur un chameau. La deuxième fois c’était au Zoo de La Flèche. C’était en CM1. animaux très entassés. espace réduit (exemple de la panthère noire). très beau vivarium avec crocodiles, pythons… On me mit autour du cou un petit python réticulé ou un boa constrictor. Sensation de fraîcheur, agréable. Chatouillis de la langue. Mme Déjeune eut une espèce plus étouffeuse : python ou boa vert.

 La troisième fois, c’était au Zoo de La Flèche en famille. La quatrième fois, c’était le zoo de Doué La Fontaine avec l’école (CM2 ? 6ème ?). La cinquième fois à Doué, en famille. Les animaux avaient plus d’espace. Souvenir d’un champ à oiseaux où je voulus pénétrer. Annie Licoise n’était-elle pas avec nous ? N’y avait-il pas aussi George Ticot ?

  La quatrième fois*, changement de zoo : Doué La Fontaine (CM2 ? 6ème ? Ce zoo était très différent de celui de La Flèche. Moins d’espèces animales, plus de liberté. Si le Zoo de La Flèche ressemblait à une ménagerie, celui de Doué était un véritable parc zoologique. On y sentait les animaux plus heureux. Souvenir d’un vivarium avec anaconda. Fosse aux bisons. Ile aux singes. Pas d’éléphant mais un vrai paradis. On pouvait toucher certains animaux. Je me souviens d’avoir touché un émeu, cette espèce d' autruche d’Australie, mais à la va-vite parce que ça peut mordre.. Passage parmi des vautours aussi. Cascades. Oiseaux multicolores à portée de la main. »



«  Enfin, un dernier film marquant fut « Jésus de Nazareth » en plusieurs épisodes . La musique lancinante m’est resté dans la mémoire. C’est le film qui m’a le plus ému. Les souffrances imméritées de Jésus, la crucifixion… Je me souviens très bien de la venue intime du Frère Ticot chez nous pour voir le dernier épisode. C’était à la fois excitant et intimidant. »



Je me suis vu plus tard tout seul chez lui. Lui, ou un autre témoin de Jéhovah m'y emmenait-il ? Ne se serait-il pas proposé de me garder régulièrement. Cela devait soulager mes parents.

La deuxième personne à être revenue à ma conscience comme étant un de mes agresseurs s'appelle Yvon Trouvé. A cette révélation après avoir cherché le nom dans ma mémoire je me suis dit avec humour : « J'ai trouvé ! Mais bien sûr ! C'est Trouvé ! » J'avais fait cette boutade à mon amie.

A vrai dire, c'est la pièce maîtresse, puisqu'il y a eut une grosse affaire dans la congrégation de notre secteur Angers Est où on était, habitant alors les Ponts-de-Cé. C'est à cause de cette affaire qui aurait amené l'exclusion du coupable de la congrégation que mes parents décidèrent ils me semble de changer de congrégation : Angers Sud, et c'est à cette période qu'à l'âge de 10 ans je vécus mon premier déménagement, on vint habiter Saint-Barthélémy d'Anjou. Il me semble même que ma mère nous a fourni la raison de ce départ. Mes parents apprirent-ils avec stupéfaction la nouvelle qu'il avait fait du mal à des enfants, à leurs enfants, du moins moi ? Je ne sais pas, les Anciens ne disaient pas les motifs d'exclusion. La seule raison qui pourrait faire qu'ils sachent la raison, c'est qu'ils aient pris conscience d'un problème, qu'ils aient eu connaissance de faits. On en a jamais reparlé, mais je pense qu'ils ont eu connaissance du motif de l'exclusion, voire qu'ils ont porté plainte eux-mêmes, non pas aux Autorités, mais à la seule reconnue dans la congrégation : les Anciens.

Les seules fois où on entendit à nouveau de pédophilie par nos parents, c'est dans mes années collèges. Mon petit frère avait failli comme d'autres élèves subir des attouchements de la part d'un professeur donnant soi-disant des cours particuliers. Il l'avait dénoncé, après qu'il eut prévenu mes parents. Ma mère portait la culotte du foyer. Le prof fut renvoyé. Un jour de ces années, ma mère nous mit en garde contre un homme qui faisait de l'exhibitionnisme dans un bois près de chez nous, des enfants, dont un de mes frères en avaient été témoin. Un exhibitionniste n'est peut-être pas forcément pédophile, mais bon...



Autres souvenirs associés à des lieux où je fus emmené régulièrement



Janine Trouvé, femme de Yves Trouvé : elle faisait mon étude personnelle, soit avec ma mère, soit avec une autre Soeur. Je me souviens qu'elles étaient pleines de sous-entendus sexuels, qu'elles avaient une attitude perverse.

Maison glauque (flou, mais j'y était emmené

Vacances Auvergne : souvenirs de deux familles chez lesquelles on a été avec mes parents devenus amis avec eux.

Celui qu'on appelait Loulou (réunionnais) en vacance en Provence

Un homme grand qui habitait Mazé, cheveux frisés. Frère Davy.

Voyage scolaire à Cordon : un témoin de Jéhovah venu me chercher le soir pour m'emmener à la réunion à Chamonix (d'aller aux réunions était la condition pour aller à un voyage, avec l'aide des témoins de Jéhovah, s'occupant des adresses, des relais). J'évoque cet épisode sans parler d'actes dans Mémoire.

mAISON GLAUQUE

Un certain Émile (un homme imposant, grand et gros) chez qui j'ai séjourné maintes fois, résident à la Bohalle, je crois. Il vivait avait sa femme et leur fille.

jeunes filles m'ayant poussé à les caresser quand j'étais enfant. Parmi elles des enfants de Témoins de Jéhovah.

 



Mais à quoi sert tout ce travail de conscience pour se souvenir de ce qu'on m'a fait quand je suis effondré par la la crainte d'avoir fait dans un état second (un moment supposé où on est victime de notre inconscient qui passe aux commandes, où on ne voit rien venir) des choses qu'on m'a fait, où étais-je au contraire tellement sous pression, tenaillé par la conscience que j'étais dans une situation dangereuse pour moi et pour lui ?...

Melvin, en colonie de vacances où j'étais animateur en 2000-2001 était un garçon qui me touchait beaucoup, il me ressemblait beaucoup, m'identifiait à lui, j'ai passé des moments à son chevet, la nuit dans les dortoirs à Mezzanines, car il n'arrivait pas à dormir. Il se confia beaucoup à moi: une vie de famille terrible. Il me dit même un jour qu'il ne s'aimait pas (j'allais écrire « qu'il ne m'aimait pas » avant de corriger par « qu'il m'aimait », avant de corriger par « qu'il ne s'aimait pas »). Il me demandait de lui raconter des histoires. Dans ces moments-là, comment penser que je n'ai pas pu toucher... Je m'en persuade ou j'en ai peur. Car on dit que les chiens ne font pas des chats et que les anciennes victimes répètent souvent. Et moi qui confond bien souvent les rêves et la réalité, moi qui m'invente facilement des histoires, je ne sais pas si j'invente ce souvenir ou pas, qu'il ne me parla plus à partir d'un moment, et pour cause !... Il faut dire que ce qui s'est réellement passé avec la jeune fille lors du stage BAFA a de quoi me donner des soupçons, j'ai une photo d'elle où après les faits (j'ai voulu l'embrasser pendant qu'elle dormait alors que je croyais qu'elle n'attendait que ça), elle me fusille du regard, et je me demande si Melvin ne me fusillait pas du regard à partir du lendemain d'un instant où j'aurais dérapé. Tout cela est bien lointain et je sais que l'homme peut s'inventer des souvenirs. Mais voilà, le doute plane, terrible comme si du côté où la balance penche, soit à gauche, ma culpabilité, soit à droite, mon innocence, dépendait ma vie actuelle, le fait même de pouvoir vivre. Déjà que dans l'idée où j'étais innocent, et que je n'étais que victime, c'était dur d'affronter tout ça, avec déjà une impression d'impasse et de vagues idées suicidaires à la clé, alors là...

Pourtant (mais cela ne prouve rien), rien de ce que je crains n'apparaît dans les souvenirs que je donne de Melvin dans mon ouvrage philosophique Liberté (2001) :



Au lendemain de ces lignes, je reparcoure dans les toilettes le Manifeste personnaliste de Carl Rogers et je tombe sur une phrase que j'ai souligné et annoté. Il parle d'une expérience faite sur un groupe de thérapeute et en conclut: "d'une nette différence entre l'idéal professé par le groupe et la façon dont il se conduit". Il s'est avéré, d'après six entretiens enregistrés par Raskin, que deux seulement sur six thérapeutes de renom appartenant chacun à une école de pensée différente se rapprochaient vraiment du thérapeute "idéal", tels qu'ils le voyaient.

Annotation personnelle: même phénomène pour les différents organismes d'animation en centre des loisirs ou de vacances.

En effet (je commente), lorsque d'abord j'ai cherché un organisme pour faire mon BAFA Base, j'ai pu lire que chacun professait un idéal à peu près semblable: Respect de l'enfant, autonomie, etc. Or, cet idéal est dans la pratique loin d'être réalisé pour la plupart des organismes d'animation. (Entre parenthèse, les CEMEA, organisme laïque avec lequel j'ai passé mon BAFA Base sont peut-être une exception). Lors de mon stage pratique en colonie de vacances organisé par Familles Rurales, j'ai pu me rendre compte à quel point le "projet pédagogique", l'idéal qui était fixé, par écrit, avait sur des points points fondamentaux été loin d'être mis en application.

On pouvait lire en caractère gras: Respecter son rythme de vie et répondre à ses attentes."

Or, pas une seule fois, du moins dans mon groupe d'animateurs qui s'occupaient des enfants de 6 à 8 ans, on a "répertorié ses attentes, ses souhaits d'activité". C'est à dire que tout ce qu'ont fait les enfants a été à l'initiative des animateurs. Ce sont les animateurs qui décidaient tout. L'animateur était au centre de l'activité, comme si des enfants ne pouvaient pas jouer sans des adultes.

Quant aux rythmes de vie, il a été tel qu'avant deux semaines, les enfants étaient crevés. Il s'agissait d'un rythme scolaire, de groupe, alors qu'ils étaient en vacances.

Alors la question reste à savoir si les enfants ont d'une part droit à des vacances comme des adultes, c'est à dire avec tout ce qu'implique le mot vacances pour nous; d'autre part, si on considère les enfants pris un par un, c'est à dire comme des individus uniques ayant des rythmes, des habitudes, des goûts différents, etc. devant être respectés, ou si on considère que tous les enfants doivent être soumis à un rythme de groupe, c'est à dire que finalement l'existence de l'individu compte moins que l'existence du groupe.

Lors de la colo, j'ai été touché par l'exemple surtout d'un garçon, Melvinqu'il fallait traîner partout (c'est un exemple extrême, mais c'était loin d'être une exception ou ce qu'on pourrait appeler à tort l'anomalie d'un individu).

Melvin était un rêveur, un indépendant. Il avait certaines passions comme la Nature qui jamais n'ont été pris en compte. C'est vrai qu'il m'a fait pensé à moi. C'est normal que je me suis davantage identifié à lui, mais je ne me suis pas désintéressé aux autres enfants pour autant, desquels il ressortait d'une manière générale qu'ils étaient contraint de faire tout ce qui avait été programmé par nous adultes.

Pour en revenir à Melvin, bien sûr, il était considéré comme une "tête dure", mais c'était un individu qui ne faisait qu'être lui-même, du moins tendait-il à l'être, c'était sa propre nature qui se révoltait, qui ressortait face à l'autorité. C'étaient les contraintes qui le rendaient malheureux, agressif. Mais sa nature était bonne. C'était un être, pour reprendre les termes de Rogers "digne de confiance" comme tous les hommes. Il était par nature spontané, volontaire. Et ces qualités là on les étouffait par nos méthodes. Mais il suffisait de lui dire: "Le premier qui arrive là-bas!" et aussitôt il se mettait à courir, et l'enfant qu'on venait de voir abattu il y a une minute, arrivait au point nommé la mine réjouie, épanouie. Ça tenait du miracle. C'était tout simplement beau. J'ai vraiment été frappé, ému par ce contraste. Et ça m'a d'autant plus révolté contre le système imposé en colo, qui est à grande échelle celui de la Société dans laquelle nous vivons. Réfléchissons-y bien.

Chaque humain sait naturellement ce qui est bien et ce qui est mal pour lui. Si on respecte ce trait naturel chez un autre individu celui-ci respectera ce trait naturel chez un autre individu qui lui est à la fois semblable et différent.

Dire des gros mots ne fait pas de mal. Ça, c'est une convention culturelle qui n'a rien à voir avec notre nature. »

 


Et Arthur, fils de ma seconde compagne S*** (haut potentiel ou Asperger) que j'ai veillé aussi lorsqu'il avait douze ans parce qu'il angoissait pour l'école et n'arrivait pas à dormir ? Ma partenaire spirituelle qui m'avait vu des années auparavant conter devant des enfants Bobo le dauphin et qui vu « l'effet dauphin » que je leur faisais, et avait compris alors que j'avais un problème avec l'inceste, m'avait dit avant que je veille Arthur que peut-être il se passerait quelque chose entre nous, un contact physique, elle me rassura en me disant qu'il faudrait être bon avec moi-même et être dans l'amour inconditionnel. Elle qui était très consciente des choses, a t-elle craint que je dérape, que je sois l'objet, la victime de mon inconscient ?

Passer de victime à coupable victime de son inconscient, qui n'a pas conscience de faire une nouvelle victime, puisqu'il y a à ce moment-là que lui et un miroir. Cela me fait penser à un célèbre poème de Baudelaire : « Je suis la plaie et le couteau, la victime et le bourreau ». Il n'y a plus qu'un effet miroir, il n'y a plus qu'une double victime (d'abus sexuels et de son inconscient dans le moment de répétition) regardant sa victime, regardant lui-même, victime, éprouvant, voulant éprouver ce qu'on lui a fait. Pour se prouver qu'on l'a fait ? Tout le monde sait que celui qui est abusé peut éprouver du plaisir, mais qu'il culpabilise du fait qu'on ne l'a pas voulu.

C'est insupportable d'être conscient que peut-être on a commis ce qu'on a commis sur nous, qu'il n'y a plus de coupables à trouver de ma part, étant peut-être l'un d'eux, mais que partout le mot victime s'imprime. Pourquoi vouloir poursuivre en justice des coupables quand j'en suis peut-être un? Il serait tellement plus sain de ne considérer que des victimes et d'expliquer aux anciennes et nouvelles victimes le processus, la chape de silence faisant de nous le jouet de notre inconscient qui fait souvent répéter des actes qu'on a subi ; sans approuver les actes, on dédramatiserait, car donner une explication c'est donner du sens. Lorsqu'on sait comment notre esprit fonctionne et qu'on peut le maîtriser par la pleine conscience, là où je veux en venir revient au même.

Moi, je peux me culpabiliser à mort, je peux me suicider pour ce que j'ai subi et surtout, dans une souffrance démultipliée, pour ce que j'ai peut-être fait à l'insu de mon conscient. Comment me sentir digne de vivre, de réaliser mon projet artistique, comment je peux oser chanter devant un public avec en plus un tel nom : Aube de l'Etoile en plus de mon identité familiale et sociale : Stéphane Gentilhomme ? Comment me sentir digne d'être aimé et même respecté ? Dois-je me dénoncer à la gendarmerie, déposer la plainte que je pouvais déposer contre plusieurs personnes contre moi-même ?

Selon la justice humaine à un niveau horizontal, je devrais. Mais j'ai fait tellement de bien dans ma vie, j'en fait tellement encore ! pourquoi détruirais-je tout ça, détruirais-je des vies, des personnes qui m'aiment autour de moi, des personnes (comme des Asperger de l'association Autisme49 pour lesquelles même je suis un exemple, pourquoi me détruirais-je enfin ? Et j'ai créé tant de belles œuvres artistiques, et mes chansons qui ont aidé beaucoup de gens, notamment par le jeu de la boîte magique à chansons, va

is-je aussi renoncer à faire du bien (et à me faire du bien d'abord) par mes chansons en les chantant ? Quel gâchis ce serait un emprisonnement, et encore plus un suicide, acte irrémédiable. Encore de prison, j'en sortirais, je ne pense pas que ce que j'ai pu faire soit passible d'une peine à perpétuité, mais une fois mort, y a plus de perspective, notre vie est finie.

Je me suis dit cette nuit, que si on mettait en prison toutes celles qui y sont passibles et qui n'y sont pas, il y aurait peut-être plus de détenus que de géôliers, au moins autant ; du moins, sans exagérer, un nombre tel qu'il faudrait construire des prisons et des prisons. Déjà, le nombre de personnes qui m'ont abusé ou sont susceptibles de l'avoir fait s'élève (à mon estimation) entre vingt à trente et combien en ajoutant les complices ? Une centaine peut-être. Peut-être plus. Une centaine, c'était le nombre de personnes de la congrégation dont je faisais partie avec ma famille quand j'étais enfant. On peut considérer qu'il y a plusieurs centaines de milliers de personnes en France qui devraient être en prison, rien que dans le milieu des Témoins de Jéhovah. Et cela aurait des conséquences sociales dramatiques sur l'entourage, les familles en première ligne : ce sont les orphelinats sur orphelinats qu'il faudrait créer en plus des prisons sur prisons. Ma mère en est sorti, de l'orphelinat. Pas gai (comme la prison) ! Combien de sévices là encore ? C'est vraiment une éducation qu'il nous faut faire, avec prises en charges bienveillantes, attitudes de pardon. On ne peut pas approuver certains actes, mais il faut une autre réponse que celle forcément pénale, qui ne suffit jamais de toute façon et aggrave bien souvent les choses : comment un homme qui n'est plus considéré comme humain (voir livre Paroles de détenus), qui se trouve mis avec des personnes qui ont commis viols, crimes, etc. et à l'esprit franchement dérangés et malsains, peuvent les aider à s'élever pour sortir de prison reconstruits, meilleurs ? Plus la conscience humaine augmentera moins il y aura de souffrance. Il ne faut pas oublier qu'on est tous humains, avec une fragilité du fait d'être humain. Si on ne prend pas en compte cette fragilité, on charge la barque de tous, à quelque niveau que ce soit. Le géôlier a aussi sa fragilité d'homme mise à l'épreuve par son métier. Le policier aussi. Etc. Et c'est cette fragilité qu'il nous faut reconnaître. Mais quand je vois le si peu de bienveillance qui transparaît dans les médias, où on est à l'affût du moindre faux pas de tel homme politique, par exemple, sans avoir idée de ce que ça représente d'être un homme politique ?

La justice ne sert à rien si elle créer autant de dégâts collatéraux sinon plus. Ce qu'il faut, c'est éduquer, c'est plus de conscience, c'est plus de bienveillance, c'est plus d'amour. A apporter déjà à soi, c'est la première responsabilité, car si je ne m'apporte pas l'amour que je mérite ou l'amour immérité dont j'ai besoin dans la situation où je suis, je suis un homme mort ou considérablement diminué. Si je fais grandir l'amour pour moi-même et me pardonne, alors je pourrais rayonner de ma joie à nouveau et créer plus de bien que je n'ai fait de mal sans le vouloir (je pense à ma sœur dont j'ai été follement amoureux en 2001-2002, à qui j'ai déclaré ma flamme, sans toutefois passer à l'acte...).

Pour moi, ce qui doit transcender la justice, sans quoi elle reste horizontale et créant souvent plus de maux qu'elle n'en répare, c'est la justesse. La justesse. Car selon la justice, plus de cent hommes sont à mettre en prison, peut-être y compris moi (autrefois on les aurait condamné à mort), selon la justesse, il y a une dimension autre qui ne tient pas du religieux mais du sacré du seul fait de la conscience de ce qu'un être humain est. Il y a une dimension spirituelle qui dans une vision globale des choses et de l'être et prenant en compte l'être global et le contexte social, voire de civilisation quand celle-ci est tout autre (voir Cf sur les Aztèques que j'ai écrit en 2001).

C'est ainsi qu' aujourd'hui, faire le procès de Paul Gauguin ou même de David Hamilton comme on le fait, c'est juger selon le contexte qui est le nôtre avec les valeurs qui sont les nôtres, mais le contexte dans lesquels ces artistes ont créé et commis des viols (pour le second) ou simplement couché avec une mineure (pour le premier) était tout autre. Comment juger selon nos valeurs alors qu'elles n'étaient pas celles dans lesquelles ont vécu et Paul Gauguin et David Hamilton ? Au temps du premier (XIXème), Paul Gauguin, occidental a pris un bain de « sauvagerie » pour sa peinture à Tahiti où les chefs donnaient les filles pubères en mariage, c'était la coutume. David Hamilton a vécu dans un contexte de libération sexuelle avec tous les excès que cela a entraîné. Jamais sans doute la pédophilie a fleuri autant dans le moins de réprobation possible, le moins de freins sociaux. Et je suis un enfant de ce contexte-là. Je suis né en pleine années soixante-huitardes. Avec en proue des slogans comme « Il est interdit d'interdire » ou « No limit », Les années 70 furent des années d'insouciance et de laxisme au niveau des mœurs sexuelles. On pensait sans doute que la sexualité des enfants aussi devait se libérer (du moins c'était le discours de milieux pédophiles), et cela devait passer par l'adulte. Or on sait que l'enfant n'a pas les mêmes besoins que l'adulte, et que la dérive a été créée quand l'alibi éducatif, initiatique est né, quand on a mis notre idée de l'enfant au service de nos désirs, quand on a confondu les besoins des enfants, dont celui de séduire, avec nos propres désirs. D'où la maldonne d'un Gabriel Matzneff quand par exemple dans son livre Les Moins de seize ans, il se réfère à un contexte antique, aux philosophes grecs. En même temps, il est un pur produit du laxisme de l'époque allié à ses penchants personnels, une immaturité, une irresponsabilité flagrante) dont il en est devenu un promoteur. Il suffit de le voir dans une émission dans Apostrophes où il est un invité avec un pédophile, celui-ci disant carrément face aux caméras qu'il fait des « papouilles » aux enfants et que ça leur fait pas de mal. Aujourd'hui, une telle émission ne pourrait pas passer, et on hallucine ; à l'époque, c'est passé... Tard, mais c'est passé. Que l'on change la donne aujourd'hui ne justifie pas la mitraille , l'absence de compassion, de compréhension, de ceux qui en avaient une autre. Ils sont avant tout des hommes et en plus ayant vécu dans un contexte différent. (voir cf)

Sans parler de sévices sexuels, parlons de maltraitance physique comme la fessée ou pire les coups de martinets. C'est vrai que les Témoins de Jéhovah étant particulièrement « bons » en la matière puisque encouragés par la Bible qu'ils appliquent au pied de la lettre et disant : « Le bâton de la discipline, voilà qui éloignera de ton fils le mal. », il n'en avaient pourtant pas l'apanage, puisque des martinets à cet effet se vendaient dans les supermarchés ou l'épicerie du coin de ta rue. Aujourd'hui, on interdit cela, mais on oublie souvent que le contexte est autre, que la société a évolué et n'apporte pas les mêmes réponses. Quant à la fessée, un grand classique, enfin, moi je l'ai connue déculottée, ce qui non seulement faisait plus mal mais était extrêmement humiliante si elle était donnée comme je l'ai vécu souvent, en public, devant parfois mes copains de cité ou mes cousins et cousines en présence de leurs parents. Mais avec du recul, puis-je en vouloir à mes parents vu le contexte, vu qu'ils ont fait tout ce qu'ils ont pu pour leurs enfants (on a toujours mangé à notre faim, contrairement à notre mère qui avait une belle-mère marâtre, la battant avec des chaînes (nous le pire qu'on a connu c'est le scion en fibre de verre... oui des bouts de canne à pêche !) , qu'ils étaient influençables, etc. Chacun fait ce qu'il peut avec sa boîte à outils personnelle, sa structure propre, son histoire, et le contexte, ne pas oublier le contexte, car de là sont sortis tous les textes, mêmes sacrés ! *

*Le contexte précède le texte. Ce texte, au sens figuré, c'est la vie telle qu'elle se vit à un moment donné et qui est en perpétuel mouvement, sans qu'on se rende compte. On écrit sans cesse dans le présent le texte de notre histoire en relation à un contexte définit lui-même mouvant. Les deux se suivent de près, mais aussi se communiquent comme des vases, le texte qu'on écrit en réponse à un contexte repéré influence aussi sur le futur contexte qu'il créer, mais c'est le contexte qui est le plus déterminant, et le précède, que l'on pense à l'environnement qui le créer, tout comme les croyances.

Un péché, je préfère dire le mot « faute », mais il est vrai que le sens étymologique « viser mal » lui donne la noblesse qu'il perd dans un contexte religieux culpabilisant (dont j'ai trop souffert), est un acte inadéquat créant une souffrance chez l'être humain qui en a été l'objet et une souffrance chez l'auteur bien souvent pour ne pas dire toujours à quelque degré, je suis de ceux qui pensent qu'on dort moins bien quand on a quelque chose de grave sur la conscience, ce qui ne veut pas dire pour autant que tous les insomniaques ont commis une faute grave, loin de là, ils peuvent aussi être bien souvent des victimes, ou avoir des soucis avec un sommeil léger, etc.

 *

 

 https://www.france.tv/documentaires/societe/319383-viols-sur-mineurs-mon-combat-contre-l-oubli.html

Vu documentaire. 

Ma réponse: c'est l'histoire d'un petit enfant qui dit à sa mère: "Maman, papa m'a violé". Maman répond: "Bon bah tu le tues". L'enfant tue son père. Ensuite maman viole son fils et l'enfant dit: "Je dois te tuer aussi, maman?". "Bah bien sûr!" répond la mère. L'enfant tue sa mère. Résultat, l'enfant est bon pour l'orphelinat, où le directeur, la sous-directrice, les éducateurs, enfin pratiquement tout le personnel, même la femme de ménage, le violera. 

 A un moment donné, faut bien penser à autre chose que tout ramener à soi en tant que victime et penser global. C'est ce qui distingue la justesse de la justice, la pensée juste, de la pensée de justice et de réparation. Si dans le contexte de l'époque où j'étais enfant, avec les troubles autistiques qui étaient les miens, ma mère avait décidé d'aller consulter un psy, plutôt que de suivre le cursus d'enfants "normaux", malgré les difficultés que cela comporte, non seulement on l'aurait accusée d'être responsable, mais j'aurais été mis dans un centre pour autistes, on sait ce que ça vaut... Alors qu'est-ce qu'il vaut mieux? C'est la même question qu'il faut se poser quand il y a un inceste dans une famille. A force de croire que la solution la meilleure est forcément violente en réponse de la violence subie, soit dans le retrait d'un enfant à ses parents, soit dans l'emprisonnement du coupable, soit les deux, on créer une souffrance plus grande, une fracture sociale. Il faut avant tout communiquer et éduquer. Ne pas dramatiser plus qu'il n'est nécessaire. Un inceste est un drame, mais si l'adulte est repris par une tierce personne et mis en garde et si on explique à l'enfant que l'acte sexuel en soi n'est ni sale, ni honte, mais que l'inceste n'est pas approprié et qu'on explique pourquoi, si on lui dit qu'il y a un animal en chacun de nous, qui est là et peut être aux commandes d'un acte, parce que l'animal n'a pas été éduqué, l'enfant comprendra qu'il s'agit d'une erreur humaine. C'est le tabou, le silence qui est le principal bourreau des âmes, pas l'acte en lui-même. Déjà Epictète le disait à sa façon: ce ne sont pas les choses, mais la représentation des choses qui fait le plus de mal.

Quand tu as été violé, que le coupable soit ou non en prison, ça n'effacera pas ce qui s'est passé et ses conséquences. Toute victime a besoin d'être entendue et secourue, mais qu'est ce que c'est que ce désir d'une peine qu'il mérite. Moi, je mérite d'être connu en tant qu'artiste, je peux dire. La justice n'est pas de ce monde, la Nature, n'est pas juste, mais l'homme peut créer la justesse. Aussi, parents qui ont violé peut-être l'enfant devenu un adulte violeur sont peut-être mort. La justice n'aura pas été faite. David Hamilton aurait pu être renversé sur la route par une auto plutôt que de se suicider à la douce avec un sac plastique sur la tête, la justice n'aurait pas plus être faite. Comment juger ce qui est juste au moment de la mort d'un homme tel que lui? Pour lui, la justice, c'était peut-être de se donner la mort, sorte d'aveu de ses mauvaises actions et d'impuissance à la fois à les réparer et à affronter la justice à son âge, à un âge on a moins la force de lutter et de recevoir des coups. Qui n'aurait pas été "lâche" à sa place? Et merde! Hitler, le bourreau de millions d'âmes s'est donné la mort. Injustice criante! Si on veut s'en sortir, il faut viser plus haut, voir plus loin que par le petit bout de sa lorgnette, de tout ramener à soi, combien même on est victime. Même une victime peut faire du mal, sans le vouloir. Moi, j'ai traumatisé ma soeur à ses seize ans en lui déclarant que je l'aimais et que je la désirais, mois son grand frère pour laquelle elle avait une si grande admiration et affection au point de m'appeler son petit Fanou... Et pourtant, c'est relativement rien à côté de ce que moi j'ai subi enfant... Elle ne le sait pas et c'est tant mieux. Peut-être qu'elle a connu pire que ce que je lui ai fais, alors elle devrait relativiser: je ne suis pas passé à l'acte, et si j'ai fait ça, c'est qu'il y avait, comme on dit, un cadavre dans le placard! 

Pourtant, je ne me souviens pas que mes parents aient été permissifs avec la pédophilie. Mon frère Y*** a dénoncé avec le soutien de mes parents un prof qui faisait des cours particuliers avec attouchements. Autre cas, j'ai rencontré avec mon père un ornithologue, car j'étais passionné d'oiseaux et on faisait régulièrement ensemble des observations aux jumelles, cet ornithologue forcément équipé comme je l'avais toujours rêvé l'être (puissante longue vue sur pied) nous proposa d'observer le balbuzard pêcheur qui fut un souvenir inoubliable pour moi, l'ayant vu pêcher après avoir insisté pour attendre encore un peu, étant midi. Cet ornithologue m'a demandé ensuite si j'aimerais faire une semaine de camping avec d'autres enfants en bord de Loire pour observer les oiseaux. Ma mère avait refusé. Elle nous dit ensuite qu'elle avait bien fait, parce qu'on a appris que cet ornithologue venait d'avoir été dénoncé pour actes pédophiles. Notre père ne nous a pas caché non plus qu'il avait été attouché par un prêtre quand il était enfant de choeur.

*

Nous vivons dans une société de répression et non de soin. Beaucoup de pédophiles ont été victimes de pédophiles qui souvent ont elles-même été victimes. Il s'avère que tant qu'on a pas fait de travail de conscience, on a de grandes chances de reproduire. L'homme qui reproduit est coupé de lui-même, ce n'est plus lui qui agit mais à la fois l'enfant traumatisé et celui qui l'a traumatismé. L'homme a des trous noirs, il peut très bien se montrer par ailleurs horrifié en entendant de tels actes qui ont été commis. Donc, à quoi sert de mettre un pédophile en prison sans ce travail nécessaire de conscience? A rien. Il récidivera une fois sorti.

Soigner les pédophiles est nécessaire, d'autant plus qu'on compte beaucoup de pédophiles dans les métiers liés à l'enfance (instituteurs, animateurs, éducateurs...), et de fait, ils sont souvent les meilleurs pédagogues qui soient, ils savent séduire l'enfant, pas seulement de manière inappropriée, mais globalement. On a presque envie de dire: vive la pédophilie! Les qualités pédagogiques des pédophiles, d'où vient-elle? On peut supposer qu'elles vient peut-être du fait que dans la Grèce antique et dans toutes les sociétés traditionnelles, la pédérastie faisait partie d'un programme éducatif. On a des témoignages sur les philosophes antiques Platon et Socrate (voir Le Banquet de Platon), son enseignant qui a sans doute initié son très jeune élève à la sexualité, c'est à dire en ayant des rapports sexuels avec lui. L'homme occidental n'a retenu du Kama sutra que la sexualité, or celle-ci représente un pour cent du kama Sutra, à l'image de la vie... Dans une culture donnée, une chose considérée comme normale est-elle traumatisante? J'aurais tendance à dire non. Je pense que dans les sociétés traditionnelles, la pédophilie créait seulement de la confusion chez l'enfant, ce qui n'est pas anodin, mais n'étant pas un individu, appartenant entièrement à sa tribu et soumise à elle, cela n'a rien d'étonnant, le même phénomène se trouve avec l'inceste. 

http://secouchermoinsbete.fr/8065-personne-na-jamais-lu-socratIl ne faut pas oublier que Platon 

"Savoir si Socrate était oui ou non pédéraste n'est je pense pas la vraie question puisque, en Grèce Antique, la pédérastie était tout à fait normale et faisait partie de l'enseignement des jeunes garçons...

Il ne faut pas non plus confondre ce terme avec pédophilie qui lui désigne l'attirance des très jeunes garçons.

Alors avant de cracher sur un des pères de nos connaissances actuelles, renseigne-toi un minimum et ne t?arrête pas sur les clichés homophobes véhiculés par notre société...

PS : Savais-tu que la démocratie athénienne considérait que la femme était nettement inférieure à l'homme ? Tu ne trouve pas ça encore plus choquant qu'une relation éducative consentie ?"

(message de Loïc-R)

En fait, concernant les philosophes antiques, il s'agit plus précisément d'éphébophilie. Beaucoup de philosophes l'étaient. 

Alors, je ne sais pas si finalement on peut lier l'excellence pédagogique chez beaucoup de pédophiles et les philosophes grecs; tout au plus peut-on remarquer chez les deux une excellence pédagogique et la proximité entre éphébophilie et pédophilie, en notant toutefois qu'on se mariait à quinze ans pour les garçons, les filles dès qu'elles étaient nubiles, c'est à dire entre 12 et 13 ans.*

Mais sachant qu'"En deux siècles, l'âge moyen aux premières règles n'a cessé de diminuer en France. Sans doute proche de 16 ans vers 1750, il est descendu à près de 15 ans vers 1850 puis 13 ans en 1950. En 1994, les premières règles arrivent, en moyenne, à l'âge de 12,6 ans.", à quel âge une fille dans l'antique Grèce avait-elle ses premières règles? Plus proche des 16 ans ou plus proche des 12 ans? Ou bien à moins de douze ans, compte tenu que la puberté peut commencer à neuf ans dans nos sociétés?

 

 Il n'y a pas très loin entre éphébophilie et pédophilie. Ces philosophes, sans doute éphébophiles étaient-ils aussi pédophiles?

 

Quelques commentaires intéressants trouvé sur un forum:

Y: ""Concernant la Gréce, on pense que l’homosexualité y était totalement acceptée, ce qui n’est pas complétement exact, les choses étant beaucoup plus complexes. Certes la “paiderasteia” y était acceptée mais celà n’est pas exactement ce qu’on désigne de nos jours par le mot “Homosexualité”.Ce que les grecs encourageaient, c’etait l’amour entre un homme (eraste) et un jeune garçon (éroméne) alors que l’amour entre deux hommes était plutôt considéré avec mépris. 

Dire dès lors que l’homosexualité a eu son age d’or en Gréce antique est faux. Il faut se rappeler que le culte du corps était omni présent à l’époque, “disposer” d’un jeune garçon (ce qui impliquait un corps sain, svelte, imberbe..répondant à tous les critères de beauté de l’époque) était donc très valorisant et n’était donc que le paroxisme de ce culte.""

X: Je ne sais pas à cette époque là je n'étais pas encore née.... Mais savais tu que l'écrivain qui a écrit Alice au Pays des merveilles sous le pseudo Lewis Caroll était lui un pédophile notoire.

Z: Pas moyen d'en être sûr, ma bonne Dame. 
L'homosexualité était tout à fait courante et même encouragée dans la Grèce antique. Un maître se devait d'avoir de nombreuses conquêtes masculines pour assoir sa notoriété, mais il semblerait que Platon ait eu une liaison "platonique" avec Socrate, quand au reste de sa vie, devenu "maître" à son tour et entouré de jeunes disciples, les rumeurs ne sont pas fiables. 
On sait, en tout cas, que Platon a eu un fils... il était donc peut-être "ambidextre" comme on disait à l'époque pour parler des bisexuels.

W: Les Grecs pensaient alors que par ce genre d'actes aujourd'hui honteux se délivrait la connaissance aux jeunes apprentis. Ce n'est pas un cliché, lisez Pierre Hadot, "Qu'est-ce que la philosophie antique". Il n'en parle que très peu, car au fond, la question n'est pas des plus intéressantes, mais le fait qu'un auteur si sérieux se sente obligé d'en parler prouve l'importance du phénomène à l'époque.

V: N'écrivez pas n'importe quoi, X. Charles Dodgson alias Lewis Carroll, humoriste anglais (1832-1898), aimait tous les enfants "à l'exception des petits garçons" et sa passion pour la photographie était telle qu'il fit des milliers de clichés de fillettes - sous le contrôle des mères, toujours invitées à assister aux séances. S'il est un soupçon fondé à son sujet, c'est qu'il soit mort vierge. Son existence fut toute dévouée aux mathématiques, à la logique et à la littérature. 

Par ailleurs il serait peut-être temps d'appeler autrement qu' "amis des enfants" (pédophiles) ceux qui les violent ou les assassinent. Curieuse amitié en vérité. 

(https://fr.answers.yahoo.com/question/index?qid=20100516141031AAJnZN1)

 

La pédophilie a été définie par l’UNESCO comme relation sexuelle avec un enfant de moins de 13 ans ; les Romains fixaient à 14 ans la fin de l’enfance.

La différence d’âge avec le partenaire doit être supérieure à 5 ans (p > e + 5) ; ainsi, une relation 11-15 n’est pas considérée comme de la pédophilie. Cette définition semble raisonnable. À 13 ans et demi, demandera-t-on, on est où ? L’ennui de ces limites d’âge est qu’elles supposent que tous les êtres sont construits sur le même modèle, alors que le temps de la maturité est différent de l’un à l’autre. Cela suscite des hésitations juridiques et des polémiques politiques.

La pédophilie a été définie lors d’un colloque de l’UNESCO à Paris en janvier 1999 comme relation sexuelle avec un enfant de moins de 13 ans (e < 13), faute d’un âge précis pour la fin de l’enfance – la puberté, que les Romains, eux, fixaient à 14 ans depuis le règne de l’empereur Justinien Ier. Selon cette définition, la différence d’âge avec le partenaire doit être supérieure à 5 ans (p > e + 5) ; ainsi, une relation 11-15 n’est pas considérée comme de la pédophilie. Nous adoptons cette définition qui semble raisonnable. À 13 ans et demi, demandera-t-on, on est où ? L’ennui de ces limites d’âge est évidemment qu’elles supposent que tous les êtres sont construits sur le même modèle, alors que le temps de la maturité est différent de l’un à l’autre. C’est valable aussi pour la majorité pénale des "jeunes" de nos banlieues.

« Au point de vue psychanalytique, il existe une différence considérable entre le pédophile qui cherche des aventures avec les jeunes impubères et l’homosexuel qui pratique son homosexualité avec des adolescents déjà pubères, même plus que pubères » (Dr Marcel Eck, "L’homosexualité", exposé aux Journées nationales de l’U.N.A.P.E.L., 7 et 8 juin 1975).

 Le sexologue Magnus Hirschfeld opposait aux gérontophiles les pédophiles « qui recherchent les enfants non pubères » (Anomalies et perversions sexuelles, 1957). La définition de l’Association des psychiatres américains retient, elle aussi, le rapport sexuel avec un enfant âgé de treize ans au plus. Selon une étude de Catherine Montiel et Renaud Fillieule (cf "La pédophilie", Synthèse, n°3, juin 1997, et La Pédophilie, IHESI, 1997), "il s’avère nécessaire de retenir la définition psychiatrique : la pédophilie est [...] une attirance sexuelle pour les enfants pré-pubères. Elle ne concerne pas les atteintes sexuelles sur les jeunes adolescents pubères, et il faut également la distinguer de l’inceste qui se limite strictement au cadre familial."

 « Le développement physique et moral de l’enfant variant suivant les races et les climats, nous devons trouver, dans chaque pays, une présomption [de consentement] différente ».

Le rapporteur Horstkotte concluait à la nécessité de réprimer ce qui correspond à peu près à la pédophilie, de fixer un âge précis, et proposait quatorze ans, soit le seuil romain qui a été repris par le droit canon.

La loi 98-468 du 17 juin 1998, dite loi [Ségolène] Royal, a renversé la tendance, en portant la peine à cinq ans d’emprisonnement et 500 000 F d’amende (article 227-25 du nouveau Code pénal) ; des parlementaires ont proposé, sans succès, d’y ajouter l’imprescriptibilité (Ppl N° 200 enregistrée à la Présidence de l’Assemblée nationale le 24 septembre 2002).

Dans une affaire aussi triste que celle du professeur Gabrielle Russier, cet article 227-27 offrirait un deuxième chef d’inculpation ; à l’époque, la malheureuse [elle s’est suicidée après son incarcération] n’avait été poursuivie que pour détournement de mineur (article 356 de l’ancien Code). L’Allemagne possède une disposition analogue (article 174).

La tolérance de la pédophilie attribuée à l’Ancien Régime français n’a jamais existé ailleurs que dans l’imagination de l’historien Philippe Ariès, comme le montrent de très nombreux témoignages littéraires, historiques et judiciaires. Selon le juge Horstkotte : « La thèse suivant laquelle les infractions sexuelles contre les mineurs sont des attaques contre une victime considérée individuellement, sa liberté et son intégrité, n’est pas une idée moderne, mais une idée profondément enracinée dans l’histoire du droit. » Cette déclaration souffre cependant de l’ambiguïté du terme de mineur : moins de 25 ans sous l’Ancien Régime ! Mais elle est vraie si l’on remplace mineurs par enfants. Contrairement à ce que Monseigneur Patenôtre avait pu déclarer à la télévision, à toutes les époques on avait clairement identifié la pédophilie.

Dans un entretien avec Michel Onfray (Philosophie Magazine, avril 2007) Nicolas Sarkozy assurair "incliner (...) à penser qu’on naît pédophile, et c’est d’ailleurs un problème que nous ne sachions pas gérer cette pathologie". Au micro de la radio R.T.L., Monseigneur André Vingt-Trois, archevêque de Paris, s’était élevé, début avril 2007, contre toute tentation d’eugénisme : "Surtout, ce que me paraît plus grave, c’est l’idée qu’on ne peut pas changer le cours du destin. C’est vrai quand on prend la perspective génétique, mais c’est aussi vrai quand on prend la perspective sociologique. Parce que dire que quelqu’un est pré-déterminé par la famille qui l’a entouré, par les conditions dans lesquelles il a vécu, ça veut dire que l’homme est conditionné absolument. » Curieux, cette promptitude de ces prélats à voler au secours des pédophiles …

L’enfant reste moins bien protégé qu’avant 1980 pour les atteintes non violentes ; en revanche la répression du viol sur mineur de moins de quinze ans et des agressions sexuelles a été renforcée. Par ailleurs l’adolescent est davantage contrôlé : un seuil de 18 ans est applicable depuis la loi du 23 décembre 1980 à l’entourage, familial ou éducatif ; cette disposition a pour origine un amendement du sénateur socialiste Laurent Tailhades (article 331-1 de l’ancien Code pénal) ; elle constitue aujourd’hui l’article 227-27 du Nouveau Code pénal et n’a rien à voir avec la répression de la pédophilie ; elle se rapprocherait plutôt de la lutte contre le harcèlement sexuel sur le lieu de travail ... - La loi 80-1041 du 23 décembre 1980 remplaça le crime d’attentat à la pudeur sans violence sur mineur de moins de quinze ans par un simple délit, punissable d’une peine de 3 à 5 ans d’emprisonnement et d’une amende de 6 000 F à 60 000 F ou de l’une de ces deux peines seulement ; il n’y avait eu, lors des débats, que les parlementaires communistes pour s’opposer à cette indulgence. Le Nouveau Code pénal en vigueur depuis 1993 a encore réduit, à 2 ans d’emprisonnement et 200 000 F d’amende (article 227-25), la peine encourue pour une telle relation sexuelle. Cette évolution a pu légitimement inspirer la théorie de la "société complice" (déclarations de l’archevêque Jacques Jullien à Ouest-France, 8 août 1997). Mais que dire de l’Église elle-même, bien avant le curieux comportement des évêques Jacques Gaillot et Pierre Pican dans l’affaire Vadeboncœur - À la fin des années 1970, une commission d’experts gouvernementaux des pays du Conseil de l’Europe étudiait la possibilité de réduire les peines appliquées aux infractions relatives aux seuils de consentement, donc aux infractions commises par les pédophiles. Cette volonté d’harmonisation des Codes pénaux européens allait à l’encontre de considérations climatiques anciennes, reprises par le juriste R. Garraud : – Au début du XIXe siècle, pédophilie signifiait "amour des enfants", sans implication sexuelle, comme en témoigne le dictionnaire Littré. L’expression pédophilie érotique, traduite de l’allemand, avait été proposée en 1906 par le Dr A. Forel. Par la suite, on abrégea en pédophilie, et le pédophile est devenu un type homosexuel parmi d’autres (efféminés, folles, hypervirils) la pédophilie homosexuelle masculine apparaissant prépondérante. - Il convient de distinguer entre pédophilie et pédérastie, : 4 ou, dans le cas de l’Éducation nationale, des autorités académiques, dans l’Eure et ailleurs ?

 (http://www.agoravox.fr/tribune-libre/article/notes-sur-la-pedophilie-et-les-60971)

 

En tapant sur le moteur de recherche "beaucoup de pédophiles sont aussi des bons pédagogues, des instituteurs, enseignants animateurs" , je n'ai pas trouvé grand chose de concluant.

Il y a cependant des choses très intéressantes.

Voici quelques textes trouvés:

 

LA PÉDOPHILIE ENQUÊTE SUR UN SUJET TABOU

Chaque année, en France, des centaines d'enfants sont victimes de violences sexuelles. Pour quelques affaires jugées, combien sont étouffées? Car le silence est la règle. Celui des parents, celui des enfants, quand ce n'est pas celui des autorités responsables. L'Express lève l'interdit.

Le 15 février va reprendre en Belgique, à Turnhout, le procès de l'homme le plus haï des associations internationales de défense des enfants. Lorsqu'il avait, en 1970, lancé «Spartacus», le premier guide touristique spécialisé à l'intention des homosexuels, le Britannique John Stamford avait eu une idée de génie. A un détail près: cet ouvrage, diffusé dans 150 pays, était discrètement codé, par un jeu d'initiales, à l'usage des pédophiles du monde entier.
Jugé pour commerce d'écrits contraires aux bonnes moeurs et publicité incitant à l'exploitation sexuelle des enfants, John Stamford encourt, au maximum, une peine d'un an de prison. Mais cet homme est un symbole: il incarne, aux yeux de ceux qui le combattent, le fléau international constitué par les pédophiles et leur extrême habileté à déjouer les interdits qui les frappent. Les clients de Stamford, touristes occidentaux qui abusent de la détresse de gamins mal nourris, resteront, eux, impunis, protégés par leur anonymat. Le procès reflète l'impuissance généralisée des institutions et des simples citoyens face au problème posé par les fous d'enfants. Car, partout, ces derniers sont protégés par la complaisance des uns, l'aveuglement des autres. Pour un scandale qui finit par exploser - comme en Irlande, où le Premier ministre est tombé pour avoir couvert les agissements d'ecclésiastiques importants - combien d'affaires sont étouffées? En France aussi, la pédophilie reste un sujet tabou.
Bien sûr, on diabolise les pédophiles meurtriers d'enfants, les Van Geloven, Patrick Tissier et autres Gérard Lebourg. Karine, Céline, Delphine... Régulièrement des prénoms de victimes, mortes des pulsions sauvages de quelques détraqués, émaillent la chronique des faits divers. 12 hommes sont actuellement enfermés dans les prisons françaises pour viol suivi de meurtre. L'un d'eux, Willy Van Copernolle, va être jugé à Nîmes en mars prochain.
Mais la plupart des amateurs d'enfants ne tuent ni ne battent leurs victimes. Il existe une pédophilie ordinaire, beaucoup plus répandue, discrète, difficile à enrayer. En 1993, les tribunaux français ont condamné 2 300 pédophiles pour attentat à la pudeur, les deux tiers avec circonstances aggravantes. Et le nombre de criminels condamnés pour viol sur mineur de moins de 15 ans est passé de 88, en 1986, à 303, en 1993. Mais la parole d'un enfant ne pèse pas lourd face à celle d'un adulte, surtout s'il s'agit d'un notable; d'où un chiffre noir de la pédophilie. Selon une enquête réalisée par BVA à la demande du secrétariat à la Famille, en 1989, 6,2% des jeunes adultes interrogés - 4,6% des hommes et 7,8% des femmes - ont admis avoir subi un ou plusieurs abus, le plus souvent entre 10 et 12 ans. Dans la majorité des cas, il s'agissait d'agressions physiques. Selon le Dr Michel Zorman et le sociologue Bernard Bouhet, qui ont dirigé l'enquête, un tiers des enfants seulement se confient à quelqu'un au moment des faits. Et il n'y a intervention d'une autorité, médicale, sociale ou judiciaire, que dans 10% des cas...
UNE PEUR PATHOGÈNE
La loi du silence, imposée par les pédophiles aux enfants, est, consciemment ou non, relayée par une sorte de pudeur collective, un refus général de prendre ces histoires dites «de touche-pipi» au sérieux, ainsi que par la peur du scandale. Une peur pathogène: Frédéric, ce garçon de 15 ans qui a voulu témoigner publiquement de son calvaire (voir L'Express n° 2267), se remettra difficilement de l'incrédulité à laquelle il s'est heurté. Il a d'ailleurs suscité un courrier d'anciennes victimes regrettant: «Moi, je n'ai pas pu en parler.» Le silence est dangereux aussi pour les autres enfants, car les pédophiles sont notoirement récidivistes. Et le psychiatre Roland Coutanceau, qui travaille sur le sujet, insiste: «Depuis qu'on aborde l'inceste à la télévision, des filles de plus en plus nombreuses ont la force de dénoncer ce qu'elles ont subi. Il faut faire pareil avec la pédophilie: en parler.»
Encore faut-il être entendu. Combien de parents acceptent de porter plainte? «Quand une mère me dit que sa famille risque d'être déshonorée par un procès, explique Martine Brousse, de l'association La Voix de l'enfant, je lui réponds que son enfant lui en voudra un jour, si elle ne fait pas cette démarche.» Combien d'institutions ferment les yeux? Souvenez-vous de ce curé de Laluque (Landes) qui, cité comme témoin en 1994 lors du procès d'un pédophile, avait déclaré qu'il trouvait certaines petites filles «plus attirantes que d'autres» et que la victime n'était pas son style. Il a dû quitter, certes, sa région. Mais il officie aujourd'hui dans une nouvelle paroisse. Quant à Guy Provaux, cet instituteur finalement condamné pour viol de deux fillettes voilà un an, il avait bénéficié de la pusillanimité de l'Education nationale, qui, à plusieurs reprises avertie des pulsions pédophiles de son fonctionnaire, l'avait, chaque fois, changé d'école pour lui confier de nouvelles classes et de nouveaux élèves.
Chaque semaine surgissent, devant les tribunaux, des affaires dramatiques qui auraient pu être évitées avec un peu de vigilance. Exemple: Alban Dupy, ce père de 7 enfants qui a comparu le 30 janvier devant la cour d'assises de Nancy. Rivalisant d'imagination avec sa femme, cet homme violait régulièrement l'une de ses filles et l'un de ses fils, et les proposait à ses amis ou les «prêtait», pour 1 000 francs, à des clients qu'il recrutait par Minitel. Des années auparavant, en 1979, Alban Dupy avait été inculpé de viol sur sa fille aînée, alors âgée de 3 ans. Placé en hôpital psychiatrique, il en était ressorti un an plus tard. «On a relâché cet homme dans la nature, sans surveillance et sans souci des 6 enfants qui sont venus après», accuse Simone Chalon, présidente des comités Alexis-Danant, partie civile dans cette affaire.
LES HIÉRARCHIES «COUVRENT»
Aujourd'hui, les associations de défense des droits de l'enfant demandent des comptes aux pouvoirs publics et privés. Premières visées: les hiérarchies qui «couvrent» leurs subordonnés, en particulier dans les milieux éducatifs et associatifs. Car beaucoup de pédophiles choisissent des professions qui leur permettent d'être en contact permanent avec des enfants. Il suffit d'éplucher la chronique judiciaire récente pour s'en convaincre. Le 12 octobre 1994, Vincent Maunoury, un éducateur de 35 ans, est condamné à quinze ans de réclusion criminelle, dont une période de sûreté de dix ans, pour viols et attentats à la pudeur sur une quinzaine d'enfants, filles et garçons. Le 14 octobre, un pompier de Sanary, animateur de l'association sportive locale, est condamné à dix-huit ans de prison pour avoir violé, pendant quatre ans, une petite fille; alors chef adjoint du poste de secours de la ville, il avait menacé l'enfant de licencier son père si elle ne se montrait pas docile. A Paris, le 2 décembre, c'est un autre animateur d'association qui est mis en examen pour viol. A Nice, le 16 décembre, il s'agit d'un employé, comme par hasard entraîneur bénévole de football, qui est accusé d'agressions sexuelles par deux joueurs âgés de 9 ans. Plus troublant encore: rien qu'à Paris, deux directeurs d'école élémentaire publique sont actuellement mis en examen pour des actes pédophiles.
Tous ces pervers qui font profession de s'occuper d'enfants - circonstance aggravante en cas d'agression sexuelle - ont souvent la réputation d'être d'excellents pédagogues et bénéficient de la considération générale. Ils se lient d'ailleurs volontiers d'amitié avec les parents des enfants par lesquels ils se sentent attirés. Stratégie doublement payante, car ils désamorcent toute velléité de soupçon de la part des adultes et, jouant sur la naïveté des enfants, les musellent. «J'étais persuadé que le directeur de la colo s'était entendu avec mes parents, et qu'ils étaient d'accord», raconte une ex-victime, un homme âgé de 23 ans qui n'a jamais pu dénoncer son agresseur.
MIS EN EXAMEN, MUTÉ
Les pédophiles prennent d'autant moins de risques qu'en cas de soupçon les institutions préfèrent déplacer le problème plutôt que le résoudre. Ce fut la «chance» de Michel Gauzi, directeur du collège privé de Joigny (Yonne), mis en examen pour avoir agressé sexuellement, non sans sadisme, parfois, une quinzaine d'élèves. «Cet homme avait déjà eu des ennuis dans un autre établissement diocésain, l'école Thenard, dont il fut le directeur, accuse la mère de l'un des enfants. Les responsables diocésains ont réglé l'affaire de façon très cléricale, en lui proposant un autre poste, la direction de Joigny.» Six mois avant l'arrestation de Michel Gauzi, son adjoint, pris de soupçons, alerte l'administration du collège: il est licencié. Poussant à l'extrême la perversité, Gauzi laisse entendre que cet homme est «trop pressant à l'égard des enfants». Argument classique chez les pédophiles, qui se présentent souvent comme des militants anti... pédophiles.
«Mon fils pleurait régulièrement, raconte la mère. Il ne voulait plus retourner au collège, sans expliquer pourquoi. J'ai pensé au racket, à la drogue, aux violences entre enfants, à tout sauf à cela.» Le 12 juin 1992, Gauzi est arrêté sur la plainte d'un autre élève. La même année, un surveillant de l'école Thenard, autrefois recruté par Gauzi, est mis en examen lui aussi pour pédophilie, de même qu'un enseignant de l'école Saint-Joseph: trois établissements sur les quatre du diocèse ont été salis par ce genre d'affaires. Ce qui n'empêche pas les responsables diocésains de licencier par la suite la nouvelle directrice de Joigny, coupable, elle, d'avoir remis à la justice des photos pornographiques découvertes dans le collège à la faveur d'un déménagement.
AVEUGLEMENT COMPRÉHENSIF
A Paris, Michel Guillereau, directeur de l'école élémentaire publique de la rue Milton, a, lui aussi, bénéficié d'un certain aveuglement compréhensif. Victime de ses petits jeux pendant trois ans, un enfant a fini par craquer l'été dernier: «Je peux parler, soupire un jour le jeune garçon avant son entrée au collège, parce que je sais que je ne retournerai plus dans cette école.» Les parents portent plainte et découvrent, stupéfaits, qu'un certain nombre d'institutrices soupçonnaient les pratiques particulières de leur directeur; il avait installé un matelas dans son bureau, qui faisait office d'infirmerie. Ces enseignantes ont, ensuite, naïvement déclaré au juge qu'elles avaient insisté pour laisser la photocopieuse chez le directeur, «afin de tenter de le surprendre». La concierge de l'école, elle, avait prévenu sa hiérarchie, en l'occurrence la mairie du IXe: on lui a proposé de quitter l'école. Plus déroutant encore: Guillereau dirigeait précédemment l'école Saint-Merri, à Paris. Là, une pétition de parents d'élèves contre ses gestes équivoques avait provoqué son départ. L'Education nationale avait réagi en le nommant à la tête de l'école de la rue Milton, ce qui ressemble plus à une promotion qu'à une sanction. Pourtant, Michel Guillereau avait un passé. Enseignant coopérant au Qatar, il avait été rapatrié, en 1986, après une affaire semblable. Son dossier aurait été expurgé par le Quai d'Orsay, que L'Express a interrogé à ce sujet. Sans obtenir de réponse.
Le ministère de l'Education nationale, lui, ne se dérobe pas aux questions. Georges Bernede, directeur adjoint des lycées et collèges, invoque le spectre de l'erreur judiciaire: «Souvenez-vous du film d'André Cayatte ??Les Risques du métier'', qui voyait un enseignant injustement accusé!» Argument récusé par le psychiatre Bernard Cordier: «Les enfants inventent rarement et, s'ils le font, finissent généralement par s'enferrer.» Plus sérieusement, Georges Bernede explique: «Le ministre ne peut pas diffuser une circulaire exigeant que tout pédophile soit exclu. Il faut que l'inspecteur vérifie la véracité des propos de l'enfant, avant de traduire éventuellement l'intéressé devant le conseil de discipline...» Visiblement embarrassé, il poursuit: «Lorsqu'un enseignant est soupçonné d'être à risque, la meilleure solution consiste, sans doute, à lui donner un travail administratif... Dans toutes les institutions, on répugne à ne pas régler ces problèmes en interne.» On répugne, certes. Au mépris de la loi.
Les enfants, pourtant, sont gravement atteints par les agressions de pédophiles. A preuve, cet extrait du rapport d'un expert près les tribunaux: «Gravement perturbé par ce qu'il a subi, X. en conservera des séquelles toute sa vie.» En dépit du Code pénal, qui n'admet pas la notion de consentement lorsqu'un mineur de moins de 15 ans est en cause, les pédophiles veulent croire et faire croire que leurs victimes sont d'accord. Du coup, les enfants se sentent, à tort, les complices de leurs agresseurs, qui les enferment dans une véritable prison psychologique, en alternant menaces et séduction. Quand ils parviennent à crever le silence, ces enfants doivent encore convaincre qu'ils ont bien subi des gestes qui, même en cas de viol, ne sont pas toujours faciles à prouver.
Ce n'est pas la moindre des difficultés auxquelles se heurtent les enquêteurs. Population extrêmement hétérogène dans ses comportements, les pédophiles sont difficiles à identifier; les uns ne s'intéressent qu'aux garçons, les autres qu'aux filles, d'autres, enfin, aux deux sexes. Le Dr Cordier distingue trois types: les prosélytes, qui invoquent des arguments pseudo-culturels et militent pour la dépénalisation de la pédophilie au nom du droit des enfants consentants au plaisir. Les «inhibés culpabilisés», qui achètent sous le manteau des revues et s'engagent dans des relations prétendument affectives avec les enfants. Enfin, les déficients intellectuels immatures, qui ont l'âge mental de leurs victimes.
PROSTITUTION EMBRYONNAIRE
Certains pédophiles ne passent à l'acte que rarement; d'autres, des centaines de fois dans leur vie. Les uns s'efforcent de s'attacher des enfants pour des relations durables, d'autres cherchent sans cesse de nouvelles victimes. La plupart sont isolés. «Il n'existe pas en France de réseau organisé», affirme le commissaire Tricard, chef de la brigade des mineurs à la préfecture de Paris. Cela dit, ils s'agglutinent par petits groupes, correspondent entre eux, échangent des vidéos. Ils en viennent, parfois, à partager des enfants, comme ces six personnes mises en examen à Epinal, le 23 janvier. Beaucoup de pédophiles, qui ont la manie de se photographier et de se filmer en compagnie de leurs victimes, ne détestent pas se communiquer les performances de leurs «conquêtes» respectives. Il existe une prostitution enfantine embryonnaire, certains amateurs n'hésitant pas à proposer de l'argent à des enfants des cités difficiles ou aux jeunes traînant porte Dauphine, au Trocadéro ou sur la dalle de Montparnasse, entre autres lieux (voir témoignage p. 95). Les policiers ne croient pas à une prostitution organisée. Pourtant, François Galante, ex-directeur du service éducatif du tribunal pour enfants de Paris, soupçonne l'existence de filières alimentant le marché de la prostitution en très jeunes garçons, en particulier des Maghrébins clandestins.
Les policiers concentrent leurs efforts sur la pornographie enfantine. Mais ils regrettent, en privé, l'imprécision de la définition juridique du porno. «Nous passons notre temps, dit l'un d'eux, à arrêter des auteurs ou éditeurs d'images que nous considérons, dans leur contexte, comme pornographiques. Les juges les relâchent, considérant, hors contexte, que ces images sont artistiques.» Le marché français de la pornographie enfantine «soft», largement aux mains de pédophiles issus de l'extrême droite, est très mobile et volatile.
La loi française interdit aussi aux policiers de piéger des pédophiles via le Minitel: «Si je joue au client pour découvrir le vendeur, s'indigne un inspecteur, le juge cassera la procédure pour ??provocation''. Pourtant, ce n'est pas pour moi que la cassette porno a été fabriquée; je n'ai pas créé le délit.» Cela dit, les policiers se sont déjà servis du Minitel pour remonter des filières.
Faute d'organisme national spécialisé, la police française est relativement démunie face aux pédophiles. La justice n'est pas mieux lotie, aux yeux des associations. Le magistrat Jean Cochard, président d'Equipes d'action contre le proxénétisme, s'insurge contre le mur du silence: «Depuis l'affaire des ballets bleus, la justice est traumatisée; dès qu'une personnalité est impliquée, le blocage est encore plus grand.» L'administration pénitentiaire n'est guère mieux armée. Pourtant, depuis l'obligation de soins instaurée par Pierre Méhaignerie, on observe un frémissement prometteur dans cette administration longtemps paralysée par le manque de moyens, l'inertie et le refus des psychothérapeutes de soigner en prison (voir l'article de Sylviane Stein).
Comment prévenir les passages à l'acte et les récidives? La pédophilie, considérée par l'OMS comme un «trouble de la préférence sexuelle», ne se guérit sans doute pas. Mais elle se canalise. Par la loi. Par les psychothérapies. Et par les anti- androgènes qui brident les pulsions sexuelles. «Mais on ne peut pas contraindre à se soigner un pédophile qui ne le souhaite pas, remarque le psychanalyste Jacky Bourillon, qui suit des détenus à Caen. En ce sens, l'obligation de soins est une escroquerie.»
Prévenir, disent tous les spécialistes. Pour sortir de l'incantation, on devrait «sensibiliser encore davantage les milieux scolaires», propose le juge Yvon Tallec, chef du parquet des mineurs à Paris. Déjà, des magistrats organisent des sessions d'information auprès des enseignants et des directeurs d'établissement. «Il faudrait lancer une campagne nationale, comme on l'a fait pour l'inceste», renchérit l'association La Voix de l'enfant. La France planche actuellement sur un projet de protocole additionnel à la Convention des droits de l'enfant. La campagne internationale contre le tourisme sexuel en Asie a, semble-t-il, déclenché une indignation qui commence à se révéler efficace. Un dénommé Maurice Balland signait, il y a quelques mois, un appel à la mobilisation générale des pédophiles. Daubant les lobbys de «bien-pensants» et ces «malheureux enfants menacés par les monstrueux pédophiles», ce héraut de la cause déplorait la déliquescence des «groupes» européens et s'alarmait: «Depuis quelque temps, la répression s'accentue en France.»
En réalité, les amateurs d'enfants ont longtemps bénéficié d'une indulgence nourrie de discours pseudo-libertaires. Il y a dix ans, l'affaire du Coral - ce «lieu de vie» pour handicapés dont les animateurs étaient poursuivis pour pratiques pédophiles - avait suscité des pétitions de soutien signées par des escouades d'intellectuels. Le ferait-elle encore aujourd'hui? Sans doute provoquerait-elle le silence. Mais le silence aussi, parfois, est criminel. 

PHOTOS: Un remake de «M le Maudit». Les pédophiles sont notoirement récidivistes.John Stamford. Poursuivi pour commerce d'écrits contraires aux bonnes moeurs et publicité incitant à l'exploitation sexuelle des enfants. Michel Chrétien, violeur d'enfants dénoncé par une vidéocassette.
Françoise Caballé. Nouvelle directrice du collège Saint-Joseph, à Joigny (en haut), elle a été licenciée pour avoir pris le parti des victimes. «Les Risques du métier». L'instituteur (interprété par Jacques Brel), lui, était innocent. 

(https://www.lexpress.fr/informations/la-pedophilie-enquete-sur-un-sujet-tabou_602683.html)

 

En 2014, l'Education nationale a prononcé 16 révocations définitives d'enseignants, qui venaient d'être condamnés pour des agissements pédophiles ou pour détention d'images pédopornographiques, a déclaré mercredi la ministre de l'Education."Il y a eu 16 cas de condamnation en justice pour des affaires liées à la pédophilie" ou la pédopornographie, qui ont toutes entraîné une révocation définitive de l'enseignant condamné, a déclaré Najat Vallaud-Belkacem lors d'un point de presse, après la révocation d'un directeur d'école à Villefontaine, près de Lyon, et la suspension de deux autres enseignants, en Moselle et près de Rennes.Il faut "faire attention à ne pas jeter l'opprobre sur l'ensemble du personnel", a-t-elle ajouté, rappelant que l'Education nationale compte environ un million de fonctionnaires, dont 840.000 enseignants.La réunion entre procureurs généraux et recteurs, organisée sous la tutelle des ministres de la Justice et de l'Education et annoncée la veille, se déroulera la semaine prochaine, a précisé Mme Vallaud-Belkacem.Cette réunion a pour objectif de rappeler l'obligation aux services de la Justice de signaler à ceux de l'Education toute condamnation d'un membre de l'Education nationale pour des faits de pédophilie ou de pédopornographie.Cette obligation de transmission des informations est soulignée dans une circulaire de la garde des Sceaux, dont la publication la plus récente date du 11 mars dernier. Mais elle n'est pas toujours appliquée, comme l'ont montré les affaires de Villefontaine (Isère) et de Rennes.Les casiers judiciaires des fonctionnaires sont examinés à leur embauche, mais rarement en cours de carrière. La réunion de la semaine prochaine s'interrogera donc sur un éventuel "systématisme" ou "régularité" dans ce processus pour le personnel éducatif, a ajouté Najat Vallaud-Belkacem.Le directeur d'école de Villefontaine mis en examen pour des viols sur ses élèves de CP qui auraient été commis entre décembre et mars avait été condamné en 2008 à six mois de prison avec sursis pour détention d'images pédopornographiques.Le professeur de sport dans un collège d'Orgères, près de Rennes, avait été condamné en 2006 "pour détention de l'image d'un mineur présentant un caractère pornographique". Il est en outre mis en examen pour agression sexuelle sur mineur de moins de 15 ans "dans le contexte familial". Il n'a pas encore été jugé dans cette affaire-ci.Le fonctionnement normal de l'Education nationale et de la Justice, "dès lors qu'on a connaissance de faits graves, est de suspendre" l'enseignant, a rappelé la ministre. Si les faits s'avèrent réels, la personne est révoquée.Les ministères de la Justice et de l'Education mènent actuellement une double enquête administrative --une première pour ces deux ministères-- sur les "dysfonctionnements" mis en évidence dans les affaires de Villefontaine et de Rennes. Ses conclusions seront rendues le 30 avril.

(https://www.egaliteetreconciliation.fr/Pedophilie-16-enseignants-revoques-par-l-Education-nationale-en-2014-32083.html)

 

Autre sujet de recherche: la pédophilie au XIXème siècle, car je pensais à un témoignage évoqué dans Un coeur sous une soutane (1869), d'Arthur Rimbaud

Anne-Claude Ambroise-Rendu, Histoire de la pédophilie, XIXe-XXIe siècle

Paris, Fayard, 2014
Sébastien Roux
p. 244-247
Référence(s) :

Anne-Claude AMBROISE-RENDUHistoire de la pédophilie, XIXe-XXIe siècle, Paris, Fayard, 2014, 352 p.

À quelques exceptions près (dont la thèse de sociologie soutenue en 2012 par Guillaume Brie, à l’Université Paris Ouest Nanterre La Défense, Traitement social de la criminalité sexuelle pédophileRapports de pouvoir et lutte des représentations entre agents chargés du contrôle et condamnés), rares sont les auteur.e.s en sciences sociales à avoir interrogé les violences sexuelles sur mineurs. L’intensité des émotions qu’elles suscitent aujourd’hui rend tout propos distancié difficilement audible, dicible, voire même pensable. En publiant une histoire de la pédophilie du xixe siècle à nos jours, Anne-Claude Ambroise-Rendu propose une lecture éclairante de cette problématisation moderne des violences sexuelles sur mineurs. Moins à partir des pratiques que des discours qu’elles suscitent (saisis à travers la justice pénale, les évolutions législatives, les archives policières, les faits divers journalistiques ou, pour la période plus récente, les investissements philanthropiques), son ouvrage montre la formulation progressive d’un intolérable contemporain. Ainsi, entre histoire des émotions collectives, de l’enfance, de la criminalité ou de l’expertise juridico-médicale, Histoire de la pédophilie, xixe-xxe siècle donne à voir la fabrique d’un regard et d’une indignation.

2Le livre s’organise en dix chapitres qui couvrent de manière chronologique et thématique près de deux siècles d’abus sexuels sur mineurs. Le parti-pris de l’auteure permet de saisir comment des institutions produisent une clinique de la pédophilie en spécifiant, isolant et condamnant les violences sexuelles commises sur les enfants. Sans pouvoir entrer ici dans le détail des chapitres, on peut retenir que ce processus, initié au xixe siècle, s’est formalisé sous l’impulsion conjointe de la justice criminelle et de la médecine. Si Michel Foucault est un peu rapidement critiqué en début d’ouvrage pour sa lecture d’un cas particulier (p. 33), on voit à quel point ses travaux irriguent l’analyse de l’auteure pour penser la production d’un nouveau regard et la naissance d’un discours expert sur une violence que l’on formalise progressivement comme particulière, au fur et à mesure que l’enfance et la sexualité deviennent des objets de savoir.

3Les trois premiers chapitres détaillent la genèse de l’attention portée par les institutions judiciaires et médicales aux violences sexuelles sur mineurs, progressivement construits comme sujets vulnérables. Si l’on ne suit pas nécessairement l’auteure lorsqu’elle décrit ces balbutiements comme une conversion « nécessaire » pour traiter l’horreur de ces abus – il eût été plus juste, à mon sens, de penser ces années comme le moment charnière où se définissent de nouveaux impératifs moraux – les premiers temps de l’ouvrage montrent la formation d’une conscience qui irriguent le regard actuel porté sur la pédophilie. En se concentrant sur les institutions et ses représentants – le juge, le médecin, le juriste, etc. – mais aussi sur les médias et les supports – naissance de la presse, littérature etc. – A.-C. Ambroise-Rendu donne à voir comment, à la fin du xixesiècle, « la question de l’enfance, de sa vulnérabilité, de sa moralité a cessé d’être une affaire purement privée pour devenir […] chose publique » (p. 81).

4Un nouveau savoir criminologique se constitue, adossé à l’expertise médicale et la psychologie naissante, avant d’être relayé et amplifié dans un espace public friand de tératologie sexuelle. Le chapitre 4 détaille ainsi la naissance du pédophile comme nouveau monstre. Le terme émerge d’ailleurs en 1931 (p. 93), à la suite de la retraduction en français du classique Psychopathia Sexualis de Kraft Ebing. Le pervers « dangereux » qui se dessine prend les traits d’un individu de sexe masculin, plutôt issu d’un milieu modeste et peu instruit. S’il est progressivement spécifié, A.-C. Ambroise-Rendu regrette pourtant que le « délinquant sexuel amateur d’enfants [soit] encore voué à l’obscurité, celle où le confine le silence public qui règne sur ses pratiques » jusqu’aux années 1970 (p. 108). L’abuseur d’enfants jouirait ainsi d’une certaine impunité jusqu’à la fin du xxe siècle ; preuve en serait le traitement réservé à André Gide auquel l’auteure consacre un chapitre entier (chapitre 5). D’un statut hybride (entre charge, dénonciation et contextualisation), ces pages tentent – un peu maladroitement – d’exemplifier une supposée tolérance sociale à travers le silence pénal qui entourait les exactions pédophiles du Prix Nobel de littérature.

5Cette mise en question de la tolérance ou, plutôt, de l’évolution des réactions émotionnelles suscitées par les crimes sexuels sur mineurs apparaît plus nettement dans le chapitre 7, consacré aux années 1970. L’auteure montre comment la pédophilie se fait politique. Si le crime perdure, une frange minoritaire d’une certaine radicalité sexuelle entend légitimer des pratiques, sinon réprimées, au nom de la libre disposition des corps et d’une vision naïve du consentement. Des hommes (dans leur grande majorité), troublés par l’urgence de se libérer de la norme bourgeoise, d’une répression doxique ou des « flics » de la morale bien-pensante, ont pu s’aveugler et nier la contrainte, la domination ou la violence d’une sexualité entre adultes et enfants. Dans les années 1970, le sexe (s’)émancipant, les sexualités non conventionnelles – avides de reconnaissance et de légitimation – ont pu se perdre dans une critique partagée de la normalisation qui ne distingue plus l’amour de l’abus, « l’éveil » du viol.

6Enfin, les trois derniers chapitres de l’ouvrage détaillent les dernières décennies où, dans le même temps, triomphent l’évidence et le doute. Certes, reconnaissance de la violence subie et de sa nécessaire condamnation morale et judiciaire, mais aussi inquiétudes vis-à-vis de l’émergence d’une représentation de l’enfance comme pureté absolue, expliquant pour partie certaines dérives récentes (comme par exemple le procès d’Outreau, chap. 10). Ces derniers développements montrent à leur manière comment les enfants, figures ultra-sexualisés de la psychanalyse freudienne, deviennent paradoxalement des sujets désexualisés de la psychologie clinique contemporaine. Ce mouvement accompagne un transfert de légitimité : le regard technico-médical porté sur le corps d’autrui s’efface désormais au profit du témoignage, de la mise en récit de soi et de la parole victimaire sur l’expérience du traumatisme.

7L’ouvrage permet ainsi de balayer deux siècles de transformations politiques et morales et d’interroger, dans un temps long qui prend ici tout son sens, la formation d’une évidence contemporaine. Certes, quelques réserves peuvent être formulées. A.-C. Ambroise-Rendu défend notamment des positionnements moraux parfois un peu trop explicites. Si l’on comprend l’indignation de l’auteure pour les actes pédophiles, le livre aurait certainement gagné à interroger un peu plus finement la fabrique progressive d’un sentiment collectif, plutôt que de se réjouir de l’émergence d’une conscience attendue et nécessaire, supposée « rassemble[r] progressivement, dans une indignation commune, toutes les sensibilités culturelles et politiques » (p. 216). De même, une autre histoire de la pédophilie aurait davantage pu interroger la permanence implicite des limites nationales. Les sévices coloniaux d’André Gide, l’attirance de Gabriel Matzneff pour les fillettes asiatiques, ou l’adoption de la Déclaration universelle des droits de l’enfant sont autant de marques – présentes dans l’ouvrage mais ténues – d’un environnement politique qui dépasse les seules frontières hexagonales.

8Mais ces quelques remarques n’invalident en rien la pertinence d’un livre utile et nécessaire. Ce travail, d’une grande qualité, apparaît ainsi comme une lecture chaudement recommandée pour toute personne intéressée par la fabrique de l’enfance, de la criminologie contemporaine et – plus généralement – par la construction des problèmes moraux.

(http://journals.openedition.org/clio/12840)

 

 

Inceste

 

 "Surtout, que personne ne s'avise de toucher à votre soeur." dit une mère de famille. Cela prouve un dysfonctionnement familial. Une famille au fonctionnement normal ne dirait pas les choses ainsi. Là, ça sent le cadavre dans le placard, comme j'ai dit plus haut. C'est créer une flèche dans l'esprit: on a qu'une envie, c'est de braver l'interdit. Et l'enfant le plus fragile de la famille, Asperger, ayant du mal avec les limites et les convenances, tombera dans le piège tendu inconsciemment.

L'acmé du dysfonctionnement familial, c'est que toute sa famille pense que la nièce de sa belle soeur dont il tombera amoureux des années plus tard est du même sang que lui. On est en totale confusion, dans un manque total de repères. C'est dire implicitement que l'inceste est le problème numéro 1 de la famille.

Pourtant, notre mère ne nous a pas caché qu'elle avait été violée par son père quand elle était enfant. Et que voyant que cela pourrissait sa vie, elle décida de le rencontrer pour lui en parler. Elle se déplaça jusqu'à Saint-Malo. Elle a reproché clairement à son père ce qu'il avait fait, il a fondu en larmes, elle a pardonné son père, mais pas l'acte.

  

*

Affaire d'inceste à Angers sur laquelle je lus des articles (vers 2010 je crois) : des parents qui s'échangeaient leurs enfants pendant des années. Ne se passait-il pas la même chose chez les Témoins de Jéhovah du temps où j'y étais?

*

Exemple dans ma vie où j'ai été naïf: Athènes, quartier de la Plaka que je savais pourtant attrape-nigaud: un homme à une terrasse de café m'invita à le suivre, j'atterris dans une maison close où on me soutira de l'argent après m'avoir servi du champagne que croyais qu'il m'offrait, en me présentant à une poupée russe, prête à faire en fait son métier de prostituée si je le désirais. J'ai rapporté cet épisode dans mon journal de voyage Les Aventures de Polo Marco (2001) et dans Mon dauph (2008)  avec plus de comique. En revanche, des années auparavant, je ne me suis pas laissé embobiné par une scientologue qui, peu après ma sortie des Témoins de Jéhovah me happa dans la rue vers son bureau où elle me flatta pour me séduire. J'étais alors trop méfiant après mon expérience de 22 ans chez les TJ. Mal à l'aise, sentant le piège à plein nez, je quittai poliment les lieux.

 

*

http://www.marieclaire.fr/,les-confidences-de-catherine-breillat-sur-david-hamilton,834392.asp 

https://o.nouvelobs.com/pop-life/20140214.OBS6438/les-polaroids-censures-de-balthus.html

 

 https://www.marc-lucascio.photo/partenaires-photographe/david-hamilton/

20 novembre 2017

Har-Maguédon (témoignage sous forme de prose poétique - 1996)

Voici d'abord un dessin de collège: le sujet donné en cours de dessin était d'utiliser divers éléments: une clé, une horloge, des dés, un couteau, un coeur, un serpent.

 Sur l'édifice au bout du chemin est écrit "médecin". Les symboles et l'expression sont assez forts pour dispenser de commentaires.

Prémonitoire?

En 1995, à l'âge de 22 ans, je fis un séjour en maison de repos,  préconisé par le médecin de famille pour cause de tendance à l'autolyse... nom médical pour signifier "suicide"...

 

Dessin prémonitoire collège

Le travail qui suit est dédié à Sébastien Koch (http://seb361.voila.net/), ex-témoin de Jéhovah, qui m'a donné envie de publier mon... mes témoignages. Témoigner en tant qu'ex témoin... une évidence! Pour moi, né la même année que lui, à quelques mois près, cela me touche, d'autant plus qu'il a été élevé lui aussi depuis sa naissance dans la Bergerie ... et j'ai apprécié son humour "Tintin", et m'a été révélée pour la première fois "la vérité" (lui qui met, et pour cause, tant en doute cette notion) sur les dates soit-disant prophétiques et surtout en ce qui concerne la date pivot 1914...; enfin je comprends – ils sont malins!... Pas besoin d'être matheux ou un champion de logique pour comprendre!

Je suis né en février 1973 (astrologiquement, je suis du Signe Poissons, celui du Christ! Et mon ascendant est Vierge... celui de Marie?).

Je me suis fait baptisé Témoin de Jéhovah à 17 ans.

Cinq ans plus tard, à 22 ans, je quittais l'Enclos de ma propre initiative, après une "crise spirituelle", une dépression.

Tout le monde étant différent, je peux dire que ce qui me caractèrise le plus, c'est ma vocation d'artiste, de poète. Ce jeune homme souffrant – la souffrance, seule cause commune à notre larguage – a trouvé refuge, et plus, salut, dans la poésie. Il dessinait aussi depuis enfant. Et cette pratique l'accompagnera toujours, ce qui expliquera la documentation iconographique que je vais joindre.

J'ai commencé à écrire au lycée, en 1993. D'abord de la poésie, puis une première nouvelle, Lumière noire, influencé par la découverte des surréalistes, qui fut vraiment un texte thérapeutique. Je peux faire une liste de livres (littéraires, ce qui était considéré comme nocif, subversif) qui ont été un souffle de liberté, un coup donné pour me pousser à faire le choix difficile que tout ex "Brebis" a dû faire pour devenir, indépendamment de notre volonté, "Chèvre"...

Pour ceux qui ne connaissent pas la rudimentaire cosmologie Jéhovine, le monde est composé de "Brebis", les serviteurs de Jéhovah qui seront en théorie sauvés à Har-Maguédon, jour de colère de Dieu nommé sous ce nom une seule fois dans la Révélation selon Jean (le terme "Saint Jean" étant à bannir), et de Chèvres, les "gens du monde" qui servent consciemment ou non Satan et qui constituent donc la majeure partie de la population, destinée à la destruction éternelle lors du grand Jour (the great Hour! pour rimer avec Watch Tower...)

Parmi les livres subversifs que j'ai lu, à ne pas mettre entre les mains d'un Témoin de Jéhovah: l'"innocent"Vingt mille lieues sous les mers de Jules Verne (sur lequel j'ai fait un dossier au lycée), ode océanique à la liberté (et même franchement libertaire dans sa conclusion originelle); l'anticlérical roman L'Automne à Pékin de Boris Vian et dont le titre ne paye pas de mine par rapport à son J'irai cracher sur vos tombes; le roman fantastique d'ETA Hoffmann intitulé Les Elixirs du diable  (un titre à faire fuir, alors qu'il penche plutôt du côté de Dieu au final...); le poétique Arcane 17 d'André Breton qui en appelle à la liberté et à la révolution dans les têtes...; enfin Les Fleurs du mal, recueil de poèmes dont certains ont été condamné en son temps et que je lisais en cachette. Ce dernier suscita l'écriture de mon recueil poétique majeure: Souffle – cela en était un énorme. Énorme aussi le travail sur moi, mais qui me précipitait vers un gouffre ... avant la délivrance. Il est dur de se libérer d'une Grande Famille qui t'a nourrie à sa mamelle chaleureuse et pourtant toxique. Dur, d'autant plus qu'en la quittant, tu as peur que tes parents te chassent de la maison, comme cela s'est vu. Que tu te retrouves rejeté, sans ami, sans repères, seul avec ton lourd bagage, avec tous tes conditionnements dans ce monde dur, de "Satan" duquel on a cru être protégé pendant 22 ans. Mais Satan, tu le côtoyais tous les jours à l'école, malgré toi. Satan, c'était ton espace de liberté. Ton oxygène. Sans lui tu n'aurais pu survivre. Là il n'y avait plus Jéhovah, plus tes parents. Tu osas "gruger"; de nature non violente, tu règlas en fin d'année ton compte à coups de poings donnés à deux "martyriseurs". Et pourtant, Jéhovah, tu l'avais toujours dans ton cartable. Toujours dans ta tête, plus que dans ton coeur où son nom était censé être gravé. Et tiraillé entre la volonté d'être comme Jésus-Christ, impuissant à l'être, et celle d'être toi (un enfant qui ne tend pas l'autre joue). Et quelle culpabilité, le jour où tu découvres le Désir...

Oui, "Satan" m'a sauvé: la poésie. Et je suis rentré dans la poésie comme on entre en religion... non pas parce que tu suis tes parents, que tu n'as pas le choix, que t'es né dedans; non pas par la peur, - mais par un plein choix qui correspond à un plein-ciel en pleine terre, par goût, affinité avec ton âme.

C'est en novembre 1996 que j'écrivis la première fois sur ce que j'avais vécu en tant que Témoin de Jéhovah. Ce texte, dans sa forme je le dois à Arthur Rimbaud et son chef-d'oeuvre Une Saison en enfer, dans son fond, je ne le dois qu'à moi-même, à mon expérience, vécue de l'intérieur. Je l'ai intitulé Har- Maguédon.

Trois-quatre ans après, en 1999, j'écrivis un livre autobiographique intitulé Mémoire. Avec plus de sérénité, de recul, de simplicité aussi dans l'écriture, j'y écrivais tous mes souvenirs, des plus profanes aux plus religieux, les deux intimement liés tant on se trouve sans cesse à cheval entre deux mondes: l'envahissement psychologique, l'imprégnation a toujours un impact dans le monde physique, dans ton mode de relation à l'autre. Bons et mauvais souvenirs se mêlent. Resté inachevé sur la période du collège.

J'ai écrit maints autres textes sur le sujet. Récemment, j'ai entrepris de poursuivre mon autobiographie sous une autre forme et un autre titre La Vie. Elle intègre Mémoire sans qu'il apparaisse sous sa forme originelle.

Mais ici je donnerai ce texte sous sa forme première avec ses appendices.

Je commence par Har-Maguédon auquel je joins un sous titre: une crise spirituelle d'un Témoin de Jéhovah. J'y joindrais quelques pages du manuscrit. Et quelques dessins ou peintures significatives.

 

 

 

 

 

HAR-MAGUÉDON

 

(une crise spirituelle d'un Témoin de Jéhovah)

 

Septembre ! Les moissons et les vendanges

Saison mûre pour parler

Parler haut et fort pour que tout le monde entende – tous ! –

certains plus que d’autres…

Aujourd’hui je sais que je suis heureux, sachant qu’Hier je ne l’étais pas

et je vais vous dire pourquoi.

Allons, me suis-je dit en marchant (Je date : 27 septembre 96), allons à l’essentiel.

Oui, comme Rimbaud, allons à l’essentiel. Ne puis-je pas à mon tour écrire ma Saison en Enfer ? – Maintenant que je suis armé de sérénité, contre la « Sérénité » je puis bien agir.

A vous mon expérience.

 

Jadis, si je me souviens bien… ma vie était un fourbi ; mon cœur un festin pour tous les insectes de la culpabilité et de la honte.

Antonin,

Tu as dis tellement vrai quand tu as dis : la honte, le dernier, le plus redoutable obstacle à la liberté.

La honte ? – :

 

Chose écarlate et amère, on la sent qui monte

Et viole voracement : c’est, fleur nue, la honte !

 

Oui, la honte ! la honte ! C’est la plaie !

Mais, je vois, vous ne comprenez pas…

Jéhovah, lui, me comprend. Il sait qui je suis. Vous aussi, Frères et Sœurs dans la Foi. C’est pour vous, d’un cœur innocent, que j’écris cela. Pour une fois, ne fermez pas votre esprit et votre cœur, ne dites pas : C’est Satan. Mais ces précautions, je les sais vaines, la Bible est sans défaut : Satan lui-même se transforme continuellement en ange de lumière (II Corinthiens 11 :14)…

 

***

MAUVAIS SANG

 

Mudussuz mu !… Ju mu mudus mu mûme

Mu PURUDU çu utu mu CHUR

Munn UFUR çu utu munn UNNUCUCE*

 

*Vers de Mur dans Souffle (1995). Traduction: "Maudissez-moi!... Je me maudis moi-même/ Mon paradis ça été ma chair/ Mon enfer ça été mon innocence"

 

 

 Je suis né prématurément – j’eus le sang souillé, malade à mourir. Expérience première dont je ne me souviens plus. Tout mon Moi est là et j’y suis encore. J’aurai toujours deux semaines de retard sur le monde. Ma mère en 1973… Moi, en 1973 ! non ce ne peut être un hasard. Où étais-tu, maman ? Toi aussi sous une bulle. O mes parents – maman, papa – deux semaines, vingt ans nous sépareront toujours. Il faudrait me sortir des limbes – cette bulle limbéale. Sanglots. Tympans qui font mal, pouls suffocant, mains en sueur – vous me regardez toujours à travers cette bulle – et moi toujours sans rien voir que le blanc des limbes, que le noir de la matrice. Mon mal ictérique*, mon mal ombilical. Ah ! Je suis sauvé ! Ah ! je souffle ! Ah ! Je suis vivant ! Vous ne savez pas ce que c’est que de sortir pour la deuxième fois d’une bulle, moi qui avait survécut d’une bulle dont je ne soupçonnait même pas l’existence, et qui était très haut. Je voyais le ciel, mais je le voyais à travers la bulle. Chaque animal avait un nom mais tous étaient Dieu. Et ce Dieu, on le nommait JEHOVAH : Dieu tout puissant qui a crée toutes ces choses que tu vois : les étoiles, les oiseaux, le vent chantant la grandeur de Jéhovah ! Jéhovah est ton Dieu. C’est lui qui t’as donné la vie, Dieu est amour. – Saloperie !

Oh ! Bonheur des premiers ans ! Inconscience, innocence, contentement, Joie !

 

                                                 En batifolant nus, ces natifs embryons

Impuissants du Ténèbre ils jouissent des rayons

Et se colorent une âme ouverte et amenée

Au soleil primitif, les yeux illuminés ;

Ils ont pour ami d’inaccessibles inconnus,

Pour berceau, l’esprit familier tombé des nues…

 

Enfant, je dansais sur Mozart, enfant, j’élevais des poupées, enfant, je jouais aux bêtes. Mon frère et moi… Instants délicieux ! Et j’aimais la nature et la nature était en moi. Mon bonheur, c’était les oiseaux – combien de fois je suis sorti dans nature pour les voir. Mon bonheur, c’était les livres de bêtes – j’allais en Afrique dans la savane, en Amazonie – boas, jaguars… - Partout je m’évadais. mon bonheur, c’était décalquer les bêtes – lions, gorilles, éléphants – dans les Animaux d’Afrique. Mon bonheur, c’était de collectionner les nids – troglodytes, pinsons, mésanges… – les os et les pierres. Mes bonheurs étaient nombreux.

Mais,

 

Dieu mon ami

Dieu mon ami

Dieu mon ami

J’avais zéro dans ma mémoire

J’avais zéro dans ma mémoire

J’avais zéro dans ma mémoire

J’savais pas dire que Blanc que Noir

J’savais pas dire que Blanc que Noir

J’savais pas dire que Blanc que Noir

Qu’tu m’racontais des histoires

Qu’tu m’racontais des histoires

Qu’tu m’racontais des histoires

Du p’tit du vert paradis Blanc

Du pt’it du vert paradis Blanc

Du p’tit du vert paradis Blanc

Dieu mon ami

Dieu mon ami

Dieu mon ami

Souviens nous quand

Souviens nous quand

Souviens nous quand

T’es né

T’es né

T’es né ?…

 

Je ne sais pas, mon ami. Tu t’en es bien sorti dans mon enfance, il faut l’avouer. L’enfance avorte tout. Dieu avorté, il faut lire ta Bible enfant. Que d’histoires grandioses et passionnantes n’ai-je pas lu – ne m’as-tu pas raconté dans ton recueil* : Abraham ! l’arche de Noé ! Moïse et ses plaies ! Jésus et ses miracles !… Ah ! et j’oublie – Adam et Eve ! Mais grâce ! Nous sommes sauvés : bientôt ton Paradis. Vraiment, il ne fallait pas plus pour bercer une âme d’enfant…

C’est ton procès que je fais maintenant, Dieu de Mensonge, Dieu de Terreur, Dieu Mavais. Il n’y a pas, sur terre de criminel à qui je couperais la tête !…

JEHOVAH : « Mais, cher Satan, je vous en conjure, une prunelle moins irritée ! »

Moi : Mon cul !

Ton histoire est si ridicule que j’aimerais pouvoir dire « Il était une fois… »

 

Certains ont eut l’expérience de la guerre – moi, du Péché. J’ai tant vu le Péché partout que je ne puis plus le voir. A quoi te comparer, sinon à une sangsue. – C’est la mortification ! C’est la mortification ! Je ne parle pas de pécadille, je parle de transgression, de vice, de souillure, de Destruction – vertige ! – je parle de mots à maux : ŒUVRES DE LA Chair, Mauvaise Conscience, Cœur mauvais, Impureté. Péché contre l’Esprit Saint ! Har-Maguédon ! Le poids de la croix ! – Non ! du poteau ! Se confesser… O Gens du Monde, Chèvres noires et Chèvres blanches, Cœurs à gauche, futur fumier du Paradis de Dios ! – Votre situation païenne est mille fois plus désirable que la Rose Pourpre. Sais-tu, toi, ouistiti, et toi, gitan bonhomme, mes amis – savez-vous que votre amour est en danger – par trop d’innocence, en vérité !

Ha !… Vérité ! J’ai trop entendu ce mot : « Comment as-tu connu la Vérité ? (blablabla…) Ah ! heureusement qu’il y’eut la Vérité !… (Oh oui ! blablabla blablabla) Et ce : « Quand as-tu pris Position ?… » – Mes pauvres !

J’ai été, moi, « L’Esclave-fidèle-et-avisé » J’ai été le Béthel. La Honte était mon siège.

Je vais verser ce mauvais sang sur vous. Il faut que je me saigne encore une fois. Cette fois, ce n’est pas le Pourpre qui me fait reculer, mais une certaine pudeur. C’est ma vie intime qu’il me faut violer – douleur pour moi d’ouvrir la blessure honteuse. Et dire qu’ils ne me croiront pas – et ceux qui me croiront refuserons son poids de sang – la rédemption du Christ ! la Rédemption du Christ ! Toujours ! toujours ! – C’est un sacrifice pour rien. L’on me pardonnera bien, sous plaidoyer de folie – ces petites vétilles – mais c’est sans effet, c’est une parole morte. Je suis mort à leurs yeux. Allons ! Puisque je suis mort – Sauvé ! – je peux tout oser :

Ecoutez, c’est La Honte qui vous parle.

J’étais déjà bien malade, c’était le temps de toutes les effusions, de toutes les confessions. A O, en qui je voyais mon salut, j’écrivais des lettres que je n’envoyais pas :

 

[Lettre à O]

 

Voilà tout le déballage d’un écrivain prématuré ! Imaginez ! 21 ans ! Non pas adulte – la fleur de l’âge ! Et je raconte mes 17 ans ! C’est l’enfance !

Sa perte…

L’écriture m’a sauvée. Et puis…Et puis… – Je vous le dirais après !

Croyez-vous que je sois fâché ? – Pas du tout ! Mais pas du tout… Pourquoi croyez-vous…

Allez ! dormons…

 

__________

 

On parle tellement de l’anatomie de l’Insecte en termes de lois, qu’on en oublie le mécanisme profond et son subtil appât-venin.

Que savez-vous des fantassins morpions, des Torbacs juteux ?

Hier, j’ai entendu des stupéfactions. Je dis des choses qui vous dépasse. Et vous ne savez pas tout. Moi-même ne sais pas tout. Il faut être humble.

                                 

                     La Pêche aux Hommes

 

Munissez-vous de la canne qui est l’œuvre de foi

Ajoutez-y le fil car il n’y a pas de bon sans l’aide de Jéhovah

N’oubliez pas l’élastique car la souplesse est un art

Les plombs et le bouchon équilibre en toute part.

 

Maintenant, mettez l’hameçon et les vers.

Des vers plein la sacoche pour attirer les gens.

Et un bon hameçon pour un message saisissant

Quand vous êtes prêts faites une courte prière

 

Et puis partez d’un point de vue positif.

Soyez zélés et bien attentif.

Dans cette tâche mettez toute votre personne.

Car maintenant le temps sonne

 

Dès que vous sentez l’intérêt que porte quelqu’un, ferrez !

Pour ne pas qu’il lâche prise, avec endurance, luttez !

C’est là qu’il faut utiliser toute votre douceur. Ainsi,

Aidez là à rentrer dans le récipient protecteur…

Et faites en aussi, un pêcheur d’hommes Zélé !…

 

                                        *

                           L'Appel

 

Mes yeux noyés dans l’obscurité de mon âme

Cherchent vainement une lueur d’espoir

Les tempêtes de l’esprit

Ont réveillés les eaux latentes de mon cœur

Gouffre de mes angoisses et de mes pleurs

Et les vagues acharnements de la vie

Délivrent de leur fracas

Des appels sans échos.

 

Qu’un rayon perce la voûte cabalistique

Flottent sur les flots houleux de mon âme

Pour dévoiler son voile de mystères insaisissables

J’attends qu’une brise légère et rafraîchissante

Pénètre mon esprit

Et que mon cœur retrouve la plénitude de sérénité d’antan

J’attends que la lumière noire s’éclaircisse

Et qu’enfin puisse se lever l’aube d’un nouveau jour

Je languis ce jour où une flamme m’embrassera

De ces doux baisers et tendres caresses

A l’apologie de l’amour et de la vie

 

 C’est moi La Pêche aux hommes, c’est moi ; l’Appel c’est moi.

Dualité du gouffre, cycles, tourbillons. Tempête de l’esprit et accalmies : J’étais ce flot de la mer poussé par le vent et ballotté…

Sept années, je crois – la perfection ! – séparent mon premier poème de l’Appel – mon second –

De La Douleur :

 

Mal noir ou blanc

Sensation sans couleur

L’âme lentement meurt

De ses pleurs innocents

 

Douleur cruelle

Qui t’appelle

Sans raison

Sans façon

Victime de la chair

Victime de tes chers

Pauvres mortels !

Et si frêles…

 

De l’Enfer :

 

Ma conscience me tance

Dans des fleuves de démence.

 

Des tours m’entourent

Comme pour bannir l’amour,

Seule résistance à mon silence

A mon aisance de folie

 

Je cours au cœur des marches,

Je souffle au rythme du vide,

Je souffre d’un mal avide,

Et je sens l’encens de l’arche

Empoisonner mon âme lâche.

 

Je regarde aux frontières de la vie.

Je plonge un œil dans la mort.

Hésitations d’un cœur inachevé,

D’une main blanche coupée,

M’abandonnent au gouffre dès lors

Plus béant à mon salut maudit.

 

Et je me frappe les dents qui suent

Et j’arrache mes cheveux de chiens.

Et je cherche mon visage éperdu,

Mais ne vois que d’un regard dépeint.

 

Un cri sourd s’échappe de mes reins.

Qui déplorera mon chagrin ?

J’ai vu planer l’ombre de Dieu,

Dans un fantasme d’enfant pieux

Et voler mon âme pour le diable

Pour le mal que j’embrasse

O Dieu rends moi mon âme !…

O cède à ma réclame !

A ma demande infâme

Et j’expierai le diable qui me lace…

(je tire par la queue le diable)

(Oh je tire par la queue le diable)

 

L’Enfer existe ! J’ai vu le Schéol*, j’ai vu l’ombre de l’Hadès*, j’ai vu la Géhenne* dans la Vallée de Hinnom*, j’ai vu le Tartare* ! J’ai été Trois jours dans le ventre du poisson ! Oh divines, les prophéties ! et la Fosse !

J’exagère… J’ai maintes fois vu le soleil entre deux nuits.

Oui… Mais c’était un fauteur de troubles aux éphémères rayons. Les eaux troubles du Léthé…

Mais l’aiguillon de la conscience !

Je la voyais… Je la regardais, les jambes lubriquement ouvertes au spasme sensuel du jouir qui la renversait en arrière, la croupe saillante, la poitrine offerte au sucer du soleil, et qui la faisait, avec un érotisme raffiné – évoé ! évoé ! – se prendre la chevelure dégoulinante de sueur et de gloire

Je la désirais…

Tout ça pour un cri femelle qui s’échapperait de sa chair délicieuse et concupiscente !

O Statue ! J’ai péché contre toi !

La sentence : «  Vous avez entendu qu’il a été dire « tu ne commettras pas d’adultère. » Mais moi, je vous dis que quiconque continue de regarder une femme au point de la désirer, a déjà commis, dans son cœur, l’adultère avec elle. Si donc ton œil droit te fait trébucher, arrache-le et jette-le loin de toi, car il est plus avantageux de perdre un seul de tes membres que de voir tout ton corps s’en aller dans la Géhenne. »

MATTHIEU 5 :22… C’est certain… je suis coupable… Mais… l’ai-je bien regardé au point de la désirer ? Oui… Je crois bien qu’elle est morte, car je ne l’ai plus revue… Dieu ! aide-moi ! Il me comprend…Il me connaît…Il connaît mes faiblesses… Et puis… ça s’applique qu’à l’adultère, je ne suis pas marié ! Non… Non… A « Adultère » s’entend aussi « Fornication ». C’est le même acte ! Il n’y a pas deux désirs sexuels – il n’y en a qu’un !… Dieu ! Où suis-je ? Dans quel péché ! Dans le Grave ? Faut-il me confesser ! Les anciens…les parents… la congrégation !… Non… Non… Plutôt mourir…

Une solution ! L’Endurcissement…

Dieu ! Je n’y parviens pas !…

Les méandres. La confusion et le silence.

« Je suis coupable… je suis coupable » Encore cette vieille culpabilité.

 

___________

 

Enfin… un peu d’anatomie ! Pour la Science ! Le progrès humain !

– Si c’est pour ça… alors…je puis bien me faire entomologiste…

Traaact !

Etudiant ! – Présent !

Proclamateur ! – Présent !

Frères et Sœurs ! – Présent !

Brebis ! – Bîîîî !

Chèvres ! – (Bêêê)

Qui sont les Brebis ? – Ce sont les gentils…

Qui sont les Chèvres ? _ Ce sont les méchants…

Reprenons :

Pionniers auxiliaires ! – Présents !

Pionniers permanents ! – Présents !

Serviteurs ministériels ! – Présents !

Salutations fraternelles et Félicitations.

Où sont les anciens ?

– Ici !…

Qui sont les anciens ?

– C’est vous !…

 

Au dessus du bétail ahuri des humains*…

L’Esclave Fidèle et Avisé : pas encore tout à fait au Ciel

Au Ciel : les anges, les chérubins, les séraphins, les oints-oints !

Les 144000 et Jésus Christ !

Jésus Christ ! Jéhovah !

– JEHOVAH !

Jéhovah… qui…depuis des millénaires ! est l’illustre ennemi du côté obscur :

SATAN !

Mais c’est une Mythologie !

La Bible… un univers ! Chaque lettre, une étoile ! O Cosmologie !

Plus que ça ! – Un cœur…

– Une tombe…*

* répliques d'une pièce de théâtre dans laquelle j'ai joué "Colloque de bébés" où j'avais le rôle d'Ost.

 

 Tais-toi, mais tais-toi ! C’est la honte, le reproche ici : Jéhovah qui dit que le feu est ignoble, que ma colère est affreusement sotte. – Assez !…Des erreurs qu’on me souffle, magies, parfums faux, cantiques puériles. – Et dire que je détiens la vérité, que je vois la justice : j’ai un jugement sain et arrêté, je suis prêt pour la perfection…Orgueil – la peau de ma tête se dessèche. Pitié ! Seigneur, j’ai peur. J’ai soif ! Ah l’enfance ! L’herbe, la pluie…*

* passage d'Une Saison en Enfer de Rimbaud

Arthur, mon frère !…

 

Où en étais-je ?

 

____________

 

Les recherches folles ! Les scénarios de l’autodestruction et de la Destruction

Je trouvai dans des livres de quoi nourrir ma fatalité. Ma peur et ma culpabilité - le trouble. Est-ce que je corresponds à ce qu'ils décrivent? Oui, peut-être que je me suis engagé dans le péché et mon coeur s'est inventé divers prétextes pour me justifier. Est-ce que je ne compte pas sur la bonté de Dieu en me disant que "Dieu est très miséricordieux ; il me pardonnera à cause de ma faiblesse charnelle » et qu'ainsi je persévère dans la mauvaise voie? Ne suis-je pas comme le méchant qui dit en son coeur« Dieu a oublié. Il a caché sa face. Assurément, il ne verra jamais » – Psaume 10 : 115. N'est-il pas possible que je me sois laissé croire que je me repens parce que ma position est indéfendable, sans que mon coeur soit pour autant touché? Peut-être que mon coeur à tramé des choses mauvaises et forgé des raisonnements faux et méchants par des mobiles mauvais que j'ai suscité. Si tu ne le crois pas, lis donc Psaumes 140 :1,2 ; Proverbes 6 :18 ; Zacharie 7 :10 ; Matthieu 5 :28 ; Marc 2 :6-8). Ne suis-je pas cet homme qui persiste dans le mal et l'obstination de mon coeur endurci, alors devenu comme la graisse, insensible, de sorte que je tomberai dans le malheur? Lis Deutéronome 29 :19-20 ; Proverbes 28 : 14 ; Hébreux 3 :15 ; Psaumes 119 : 69 :70. et Compare avec I Timothée 4 : 1-2. 

 Un jour, je pris note à l’encre rouge un long passage de la Tour de Garde, le coeur saisit de crainte de faire partie de ceux qui regardent le jour de Jéhovah comme lointain, autrement dit de le retarder et de penser qu'on peut se relâcher en attendant et de suivre ses inclinations charnelles... - ô saints avertissements; poison à tourments :

 Et toujours les « Je vous dis que quiconque continue à regarder une femme au point de la désirer… », « Faites donc mourir les membres de votre corps qui sont sur la terre pour ce qui est de la fornication, , de l’impureté, du désir mauvais (sic)… », « Ne vous laissez pas égarer, ni fornicateurs, ni idolâtres… », « Or, les œuvres de la chair sont manifestes… », « Ne vous laissez pas égarer : on ne se moque pas de Dieu. En effet, quoi que l’homme sème, c’est aussi ce qu’il moissonnera ; car celui qui sème en vue de sa chair moissonnera de sa chair la corruption… »

Matthieu 5 :27 ! Colossiens 3 :5 ! I Corinthiens 6 :9 ! Galates 5 :19-20 ! 6 :7 !

Et les autres choses…

Terrible le « On se moque pas de Dieu »… Terrible !

Bref… tout cela est du CACA. De la scatologie. C’est faire bouffer sa merde sur une petite cuillère – pour après se barbouiller soi-même avec ! – Double expérience de la merde ! A en vomir ! A en mourir…

Vite ! Au hasard, un verset ! Je ferme la Bible – je l’ouvre ! Psaumes…: tac, miracle!

– « Jéhovah est proche du déprimé »… Sauvé ! Ah ! Et Romains ! Il y’a de l’humanité là-dedans… Je ne suis pas perdu… Merci Jéhovah pour ta bonté…

Oh ! J’ai péché ! Vite, une prière… Sur le lit à genoux ! « O… Jéhovah, mon père… j’ai péché… Je suis indigne de toi… O Jéhovah, pardonne mes faiblesse, pardonne ce que j’ai fait… Donne-moi la force de lutter contre le mal, donne-moi une part de ton Esprit Saint. O Jéhovah… O Jéhovah… … … Mon Père Jéhovah, je te prie d’agréer cette requête, non par mes mérites, mais par les seuls mérites de ton fils Jésus Christ. Amen… »

 

Vite ! Le Baptême !

Sauvé cette fois !

Ca recommence…

Maintenant l’exclusion…

Précipitation de la crise : mon frère part.

Précipitation de la crise…

Vê !…Vê J’é kêr mêchê… Tê vê ?… Vê mê kêr… El bêt ê gêche… Gêche… Gêche…

Mêt tê mên êcê… Hê Hê… Tê Vê, êl bêt ê gêche !…

EH ! VE… TECHE ! RESTE ECE ! VE ! NE PER PE ! NE PER PE !

CRE PE !… CRE PE !…

VE TECHE DE TE MEN

ME ME..BRE VE…REL ! TE VE ? VE ! EL EST E GECHE

CRE…PE… ! CRE…PE… !

PER…PE… ! PER…PE*

 * Lire comme un parler de Chèvre. La traduction est: "Vois! Vois! J'ai le coeur méchant. Tu vois? Vois mon coeur. Il bat à gauche... gauche... gauche... Eh! Vois... Touche! Reste ici! Vois! Ne pars pas! Ne pars pas! Crie pas! Crie pas! Vois, touche de ta main. Mon mem...bre vi...ril! Tu vois? Il est à gauche! Crie pas! Crie pas! Pars pas! Pars pas!"

Pourtant il y’eut le Soleil !

Qui suis-je…

 

 

 

 

DELIRES

 

I

VIERGE FOU

 

 

DELIRES

 

II

ALCHIMIE…

 

 

 

 

L’IMPOSSIBLE

 

 

Je fus cela. Ou celui-là.

J’ai à Dieu demandé la paix plus de mille fois dans ma vie, et j’ai bien vu que cela n’était pas possible. Voyant que cela n’était pas possible, j’ai prié l’impossible.

 

[Deux lettres à E*]

 

Je dépéris.

Je m’aigri, je maigri…

Il n’était plus question de faux sentiments, fausses prières – ça faisait trop longtemps que je ne priais plus – refroidi et endurci. L’heure avait presque sonné.

Je me souviens de mon angoisse quand, pâle, j’allais aux réunions – et, blafard, en ressortissais – souvent avec l’envie de pleurer. Je me hâtais vers ma chambre, où je m’enfermais et n’en sortais que pour manger, et le soir, je pleurais dans mon lit.

L’étouffement d’une tendre mère consternée, impuissante. Propos acerbes – rebutement.

L’impuissance-pudeur de mon frère.

Ma fuite.

Vous voyez, tout n’est pas si simple.

Abandon – la réclusion.

En moi la blessure béante-fermée, la brûlure intense, le furoncle dans la chair ; dans les tripes, la voix du dédain, de la révolte. – la juste colère ! –

A la salle*, tout seul dans mon coin, rougissant, pâlissant, hâve, en sueur – prêt à faire exploser la machine intérieure devant tous, prêt à émouvoir, indigner, scandaliser, arrachant mon cœur palpitant de sang et le brandir entre mes mains et le jeter à cette foule inerme – en appeler à Jéhovah lui-même et tenter Satan, esprit qui fondrait à la vue de mon cœur, avaler la connerie du monde (ce prêtre-criquet qui dit immoral un baigneur* avec son sexe !…) – j’avais envie de branler le micro… J’étais maître en affabulation.. Et en ironie et autre :

 

Je suis vivant

J’ai vécut

J’ai 22 ans

Et pourtant

J’ai dû vivre pour tout bien

2 heures 22 minutes

Je n’est pas vu les secondes passées

Dieu les a comptées

 

Mon orgueil traille mes faiblesses

Satan tue-moi

Ou c’est Dieu qui me tuera

La honte…

Jéhovah, ce n’est une voix hautaine

Qui sourd en moi

Ecrase mes sentiments, écrase mes faiblesses

Et fais-moi fumier inodore*

 

Je pensais déjà à mon Requiem. J’étais mûr pour la mort…

 

 

L’ECLAIR

 

 Un soir… j’ ai assis la beauté sur mes genoux. – Et je l’ai trouvée divine et belle. – Et je l’ai vénérée.

Je me souviens, c’était Baudelaire, bouleversant de douleur, de beauté jamais savourée, et ses fleurs maladives, comme de moi, je les humais à même les pages toutes à son âme – parfum capiteux, magique qui était la convulsion, le Sacré et le Sacrilège de sa poésie. Et quand je parle de pages, je parle de chair et de son odeur, de l’essence de la chair, essence charnelle et spirituelle, je parle de pages que je palpais – je dis qu’il y’avait là toute l’âme de Baudelaire, et c’est parce que ça sentait le Péché que je me suis tout de suite identifié à lui.

Mais cela n’a pas suffit.

Ce n’était pas le Diable ! mais quand même… on ne peut pas sortir indemne et je dirais presque « impuni » d’une telle lecture dont je me nourrissais en silence – et si Arcane 17 en avait appelé déjà à la révolution dans ma tête, Les Fleurs du Mal  accusaient plus haut et ouvraient l’abîme duquel il ne restait plus qu’à sortir.

Plus que !…

O Satan, prends pitié de ma longue misère !*

*Leitmotiv des Litanies de Satan de Baudelaire.

 

J’entrepris pour mon salut un long travail poétique. Souffle devait être ma Grand-Œuvre. Je me découvris moi-même. J’avais la certitude d’être poète. Je commençai par un langage neuf et profond comme l’abysse :

 

Su j’uvu…

Su j’uvu SU

Su j’uvu…

Su j’uvu VU

Su j’uvu…

Su j’uvu PU

Mus j’u pu SU j’u pu VU j’u pu PU

Ut ju sus dus lu ru du mu SULUTUDE […]

 

Je voulais être :

 

Une uzu qu cunnu pu

Lu Biu u lu Mul.

 

Je pleurais, puis je jetai un cri :

 

Je veux gerber mon cœur !…

 

Je composai mon premier sonnet, chef-d’œuvre d’outrance, qui confrontai les deux Entités :

 

Au dehors : juges, Absurde, filtres : ABSTINENCE…

[…]

Au dedans : Psyché honteux, poupée frêle, RAGE…

[…]

 

Et je finissais par nous comparer aux invisibles engoulevents, « hirondelles captives des ombres »…

Après, j’allai trouver mon cœur chez les insectes et les mollusques. Je m’affublai en tout : colimaçons, arions, iules, lithobie, lombric !…

Je déclarai : Je suis un ver de terre amoureux des Nuées !

Oui, je faisais de merveilleux cours de physiologie.

Les fourmis et le phasme – surtout le phasme ! - en étaient l’apothéose.

Alors seulement je sortis de terre et expirai un grand souffle. Je fus à même de voir la terre et le ciel, spectacle immense en allégorie, paysage d’horreurs et de beautés – l’existence des oiseaux emportait tout jugement, et j’entrevis grâce à eux le monde tel qu’il était vraiment.

Je saluai la naissance du printemps. J’étais son nouveau né,

 

Près à tout avaler tant la faim du nouveau

Creusait de volupté l’estomac du regard

 

Les oiseaux étaient mes amis.

Mais à nouveau, brûlant contraire, je vis le spectacle de l’infamie. Dieu est un artiste : tous ces oiseaux morts pour engraisser la terre et y faire éclore, pour la Nouvelle Humanité, ses merveilleuses fleurs du paradis !

Je m’évadai dans la nature en pleurant et je lui parlai. Recueillement, états d’âme, tristesse et sérénité.

Désarroi. Le Fleuve me recrache à terre. Je me retrouve transi devant le feu. Puis s’éveillent en moi des images poétiques, des impressions d’automne, des amertumes passagères… Un chant aux poètes, et je me retrouve encore comme pris dans la glace.

Je me révoltai soudain contre un trop sage silence. Je peignai une fresque allégorique qui allait s’enfonçant dans des sables mouvants, rien que par le pouvoir des couleurs. Je mettais en scène, dans un décor antique, le Viol : [L’histoire est simple :la cruelle Melpomène sur son nuage peint une scène terrestre qui doit se dérouler sous ses yeux. Sa mère, épouse de Zeus lui rend visite] Au milieu d’un désert, des corbeaux perchés oipiaient une nymphe se baignant les cheveux en feu, les fesses en larmes, le con dépourvu de moirpion.

Le mystère restait entier.

Du sein du sang vaginal, envole-toi colombe !

C’est ça, tuons le mystère… De toute façon, personne en a voulu.

Mon œuvre avançait, s’enfonçait elle aussi dans des vertiges.

Je célébrai la Femme comme la seule vérité.

Dieu sait qu’elle était sexuelle.

Troisième printemps ! Je trouvais que Dieu avait une chair.

J’ironisai. Je trouvai dans l’enfance des origines à mes fantasmes : Les Yeux.

J’appelai à moi une chatte, et à la fin de toute cette concupiscente tendresse se mêlait le remord.

J’invoquai L’Esprit masturbateur. Je tuai le Tabou.

J’étais cru au vouloir et à remord.

Je ne pouvais que crier à la fin :

 

Les transes nocturnes m’ont enfin assommé Tant mieux !

Je suis sauf

Seulement sauf

       - Sale comme un divin porc !…

Avec l’espoir d’un orgasme amoureux

LA-BAS

Où le foutre peut couler toute sa folie d’aimer

D’une concupiscence Immaculée.

 

De là, je tombai dans l’enfance. A une bref évocation de bonheur, je fis suivre le Cauchemar des sept ans : c’était une peinture insoutenable :

 

Dans mon lit, Oneiros, dieu caricatural,

S’éveilla en grognant plein de vues titanesques,

Me fit voir en couleur, rêve cauchemardesque,

Une sorte… un lieu comme…un désert carcéral !

[…]

 

C’était de la folie, je n’en doute pas, cher sang…

Pouvais-je aller plus loin ?

De ce temps-là, ce fut ma dernière aventure.

[Plus tard, je la complèterai]

Suit Les Poupées ; suit une longue lettre à Dieu dont chaque vers se répétait vertigineusement comme un écho dans l’Infini-cosmos ; suit La déchirure des vers eux-mêmes ; suit les effusions, les cris, les confessions désespérées ; suit le Nirvana !

Là… c’est, après la suprême ironie ( « Les mouches soient bénies en ce monde affolé ») lasuprême expression : une longue prose se désagrège petit à petit dans l’espace, au fil du temps des mots suspendaient dans le vide, des pages blanches apparaissaient, puis ce sont des mots, encore des mots, de plus en plus rares, qui se répètent à la fin …

J’arrivai au Mystère.

 

*

Voilà.

Après ça, ma Grand-Œuvre ne peut être que diminuée…

Tenez ! je vous détache ces quelques feuillets de mon carnet de damné.

Mon pauvre, tu rimbalise tout. Mais parle, Stéphane !

Oui…Mais c’est je crois Arthur qui parle par ma bouche, ou plutôt moi qui parle par la sienne – car, en vérité, je ne puis m’exprimer.

Apostasie : Ne pas avoir de pensée propre. C’est très-certain, c’est oracle ce que je dis.

Mais c’est pas une raison pour prendre la voix du génie.

  - Soyons avares comme la mer. 

 

 

 NUIT DE L’ENFER

 

 

La dernière assemblée*…

J’ai envie de les taire tous. La connerie n’est plus supportable.

Il faudrait que ces milliers et milliers de bétail abêté m’entendent moi ! que je leur parle viscéralement, qui à faire éclater les cervelles, et la mienne, en premier. Pour cela, foncer à travers la foule, monter là-haut, au pu-pitre, me lever comme un seul homme !*

Fantasmagories

La pompe. Je suis assis. La tête me tourne…J’ai envie de pleurer…je pleure…

Une femme – je devrais dire une sœur – viens vers moi :

«  – Qu’est-ce que tu as… Tu ne veux pas me parler ?… Dès fois ça fait du bien de se décharger, tu sais…

– Je n’arrive pas à parler…je n’peux parler…

– Pourquoi… J’suis là pour t’écouter… je veux t’aider…

– On ne peux pas m’aider.

– Jéhovah ne t’abandonne pas… Il sait ce qu’on a en nous… Moi aussi, j’ai fait de la dépression…Je peux te comprendre…

– Non ! Non ! Personne peut me comprendre ! Personne !

– Ne soit pas agressif, Stéphane…

– Tu crois pas qu’tu m’agresses là, hein !…

– J’veux t’aider…

– J’ai besoin d’l’aide de personne !… Personne peut m’aider ! ! J’suis seul ! Personne peut me comprendre ! !

– Si, Jéhovah… Lui seul…

– Non ! ! Non ! ! Partez ! ! ! Foutez-moi la paix ! ! !… J’en ai marre ! ! ! J’vais tout foutre en l’air ! ! ! J’peux plus, j’peux plus ! ! ! !… »

 

Tout devient flou autour de moi. Je cours, bête folle dans la foule, ne cherchant qu’à sortir respirer tel l’animal pris dans un bocal d’éther.

Et dehors, dans un fossé, je pleurais, soliloquant confusément et frappant la terre.

Rentré chez moi, une fois dans ma chambre, je me fus à pleurer, et toute la nuit… je pleurais !

J’en pleurerais, tiens…

Oh ! J’ai si mal que j’ai mal…

Comment décrire mon enfer !

Comment en sortir, surtout…

Je vais me tuer… C’est décidé…

C’est bien faible…c’est bien faible…

J’écrivis une lettre d’adieu :

 

[Lettre d’adieu*]

 

 Assez !…

Ai-je dit que je pleurais ? – il me semble ne pas le dire assez…

Oh ! Vite ! Mon requiem !…

Un lent et solennel va et vient de violons, un doux basson souffle son intime et timide mélodie ; les violons décrivent une ascension, les bassons une avancée : on monte des marches ! Vers où ? Quel supplice ? quel consolation ? Les violes brandissent et branlent, les trombes* et les tambours retentissent quatre fois, et des voix mâles, puis des voix de femmes s’élèvent… Attendez ! Je l’entends ! Oh Chœur douloureux ! Requiem aeternam dona eis, Domine : et lux perpetua lucrat eis. Te decet hymnus, Deus, in Sion, et tibi reddetur Votem in Jérusalem : exaudi oratinem meam, ad te omnis caro veniet. Requiem aeternam dona eis, Domine, et lux perpetua luceat eis. – Les ténèbres et la lumière !

 

Kyrie eleison…

Christe eleison…

Kyrie eleison !…

 

Dies irae ! Dies illa !

Solvet saeclum in favila :

Teste David cum Sibylla.

Quantus tremor est futurus,

Quando judex est venturus,

Cuncta stricte discussurus !

O jour de colère…

 

Tuba mirum spargens sonum…

Quid sum miser tunc dicturus ?

Quem patronum rogaturus,

Cum vix justus sit securus ?

 

Rex !…

Rex !…

Rex !..

Rex tremendea majestatis

Qui salvandos salvas gratis,

Salva me, fons pietatis.

 

Oh… des papillons s’envolent ! ça s’élève, ça s’élève… léger, léger… Que c’est doux… que c’est triste…

Recordare, Jesus pie…

La douleur me ronge comme un coupable…

Allez fougueux galop ! Mords !…

… Voca me cum benedictis…

 

Le froid et le chaud tous ensemble !

et hop ! 8 8 16 : les larmes me montent aux yeux comme le crescendo des voix. Oh ! Jour plein de larmes… O lacrimosa, lacrimosa… Mozart ! Puisque la mort est le véritable but de notre vie…

Rex gloria…

Tenez l’Hostias, le Sanctus, le benedictus, l’Agnus dei !…

L’agnus dei ! Je n’ai jamais entendu plus grande douleur, de lancination dans les violons, de déchirure dans les voix… et c’est elle qui fait se pointer le couteau noir sur mon cœur…

Ecoutez…écoutez…

Agnus dei, qui tollis peccata mundi : dona eis requiem

Agnus dei, qui tollis peccata mundi : dona eis requiem sempiternam –

Oh ! On m’a tout pris…Ma liberté… ma pureté…mon innocence !… On m’a tout pris…

Mon sang en a été corrompu – mon âme violée…

Combien faut-il de courage pour te soulever contre la culpabilité sans se sentir Coupable !

Tais-toi et tues-toi…

Je n’y arrive pas… Le couteau a du mal a rentrer…qu’y puis-je ! Il est là… Il reste suspendu sur ma volonté…

Alors, si tu peux pas te tuer, alors c’est du cinéma, mon pauvre ! Regarde, comme tu t’apitoies sur ton sort. C’est la dixième fois que tu te soûles avec ton requiem, comme pour te forcer à pleurer, comme pour prouver que tu souffres, et dix fois tu as dit : Au dernier cri je me tue, et je n’ai jamais sentis la moindre blessure rentrer, le dernier quia pu es a retenti, et je n’ai pas vu une seule goutte de sang couler…

J’on son fron, son fron… J’on non son pon quon fonr. J’on onvon don monronr, on…on… mon yon son on plonr, j’on non von plon. J’on pronfor lon monrt on Honr-monguondon. Onh ! jon son lon gonffre…C’on on gonffre on non plon fon-nonr. Ponrton l’onfonon, ponrton lon Vonrtonge, ponrton lon dongonron ! Dion ponrton… On lon ponr don donçonvonr, d’ontre jonjon ponr lon ontres… J’on ponr… son ponr… son ponr don monronr… monmon… Onl fon nonr, mon onronye mon fon monl. J’on rongonrd lon plonfon son vonr qu’on mon donlonr… Ponrkon ! Ponrkon !

– Lon non non ton ti fi con con ! Son bon ton lon fon ké i pu i !… Ju nu su plu… ju nu su plu…

– Fonx !

Fonx !

Fonx !

Dion sait que je voulais vivre…

 

 

 

 MATIN

 

Royaume de Chambau* :

 

[Lettre-carte postale de moi pour la congrégation datée du 1er mars 95]

 

[Lettre d’un Frère* datée du 3 mars 95]

 

[Lettre de moi au Frère non daté et non envoyée]

 

[Lettre de ma mère]

 

[Lettre de ma mère datée du 3 mars 95]

 

[Lettre de mon petit frère]

 

[Lettre de ma petite sœur]

 

[Lettre d’un Ancien datée du 15 mars 95]

 

[Lettre de ma mère]*

 

 FIN DE LA PREMIERE PARTIE

 

 

 Parodie ou pastiche, ou les deux? Qu'importe! Le témoignage est là, sincère, authentique.

Ici je vais placer divers textes indiqués entre crochets qui intégrés feraient perdre de la tension qui le parcoure.

 

Voici la première lettre de la section "L'Impossible", courrier datant de 1994, non envoyée à sa destinatrice Odile (qui changera son nom: Elodie) et qui contient ce qui se profilait depuis longtemps. Je me rendais à l'évidence, à la vérité en moi; je l'admettais, mais n'étais pas prêt à la partager, malgré les apparences. Odile m'aida à accoucher de moi-même:

 

 

 

« Elodie,

 

Tu es la seule à me connaître : mes idées, mes sentiments, ma personnalité ; bien que tu aies encore à découvrir. Tu affirmes même me connaître mieux que moi-même. Tu peux me juger, toi seule. Je viens de pleurer, c’est pour ça que je t’écris. J’ai pleuré parce que sais que je suis livré à moi-même et sans aucun secours de nulle part. Je sais même plus où battre des ailes, et si ça continue, je serais condamné d’une manière ou d’une autre : soit j’abandonne mon vœu, soit j’abandonne ma vie. Parce que sans cesse je me replie sur moi-même, convaincu de mes idées, fragile, et à* ma recherche, je me heurte à l’extérieur, et surtout à ma famille. Ma mère, ta mère, mon frère*** et bien d’autres s’inquiètent pour moi, sans savoir ce que j’ai. Ils comprennent pas ma « métamorphose ». Je suis un enfant et faut que j’devienne adulte. Mais même si je deviens adulte, je serais en fait un adulte enfant. Construire ma vie à la hauteur de mes rêves d’enfant, voilà ce que je désire, c’est tout ! La vie que me propose le Christianisme s’oppose à ma personnalité. Trop longtemps je me suis culpabilisé avec des tas de trucs, sans savoir si parce que j’étais réellement coupable ou bien hypersusceptible. Je ne peux même pas prétendre aimer Jéhovah, ce Dieu que morbidement je crains. Le pire, ça été mon baptême. Parce que d’abord j’étais encore un enfant, et surtout, je me suis voué par peur d’être détruit à Harmaguédon, alors que dans ma peau, je me sentais impur, puisqu’ayant des pensées charnelles. Ma conscience, était-elle troublée légitimement ? »

* [maladresse: "à" = "dans"; dans ma recherche]

 

Et voici la deuxième (même sort):

 

 

« Elodie,

 

 

 

Mon encre se perd, mon âme aussi, comme les pensées qui y bouillent et pourtant si fugaces, si troubles et troublantes. Je cherche sans trouver ni comprendre – et jusqu’à quand ? Je sais ce que j’ai à dire, mais les mots ne viennent pas. Je veux mettre du miel dans mes phrases par peur d’être trop brutal, alors je flotte sans avancer, je perds mon temps à écrire ; dès fois je me dis tout simplement : pourquoi ? Est-ce une guérison ou une blessure ? L’humanité ne s’acquiert-elle qu’au prix de douleurs ? de la honte ? Moi j’ai lié mon cœur au tien, j’en ai révélé sans doute trop, juste assez en tout cas pour me couvrir de honte. Je me blâme ; blâme-moi ! Mes lettres, toutes tes lettres, que sont-elles devenues en toi ? Tu m’en parles même pas, comme si elles n’avaient jamais existé, comme si tu ne les avais jamais reçu (mise à part la première). Lorsque ta mère est revenue d’Espagne, elle m’a dit. « Elle était toute enthousiaste après la lecture » et quelque chose de très touchant comme : « Ah ! ça, c’est quelqu’un ! » – Et quel soulagement ce fut tandis que je m’inquiétais que certaines choses te choquent !… Mais parfois, j’ai du mal à le croire quand je considère à quel point – pardonne-moi si je me trompe, si j’hallucine – il me semble que nos âmes s’éloignent plus qu’elles ne se rapprochent. Est-ce le fossé inévitable qui doit se créer entre l’irréel (domaine du rêve, de l’écriture) et le réel (rencontres concrètes –visuelles, orales), à moins que ce ne soit entre deux réalités ou deux irréalités différentes, antipathiques ? Je vais même jusqu’à imaginer que je te fais un peu peur, que je te trouble, semblant éviter mon regard. Tu te montres dès fois un peu froide, passivement indifférente, inaccessible, du moins, c’est le sentiment que j’ai. Excuse-moi, c’est moi qui ne suis pas normal, je me fais des idées. Après tout, tu as le droit d’avoir tes humeurs (surtout en ce moment). Il faut dire, ma mère a insinué, sans le dévoiler, des propos assez négatifs me concernant de la part de ta mère (genre : « Tu sais pas ce que D*** pense de toi ! »). Ça fait toujours plaisir à entendre ! Heureusement… je passe. J’ai pas envie de m’prendre la tête. C’est à ma mère que j’en veux de dire des choses désobligeantes. Peut-être n’est-elle pas la seule à penser que je suis orgueilleux. Je commence à y croire. Même de ma méchanceté – Bêêê ! … Certains pensent qu’aussi, si je ne suis pas bien, c’est parce que je t’aime. Ça aussi je commence à y croire. Pardonne-moi si jamais c’est vrai que je t’aime parce que ce serait vraiment pas faire exprès. Comment puis-je te dire que je ne t’aime pas d’ailleurs ?

Stéphane»

 

La partie Délires était constituée de deux piècettes théâtrales - la première, L'Imbécile (mon Vierge fou) est un monologue d'un amoureux fou; la seconde intitulée Ikou (mon Alchimie) est un dialogue avec mon esprit, mon Inconscient, tout marqué par ma découverte de Freud.

 

 

 

L’Imbécile

 

 (monologue)

 

 

 

(11H 45 du soir. «  Roméo » tourne en caleçon dans sa chambre, tout excité par une joie intérieure. Dans la pénombre, il saute droit sur son lit, allongé sur le dos , le regard illuminé vers le plafond. Il est minuit moins le quart):

 

Mais oui ! Mais oui ! Bien sûr ! Il me fallait vraiment être né taupe, une taupe myope et têtue, une taupe obtuse et obnubilé pour ne pas voir, pour ne pas comprendre. Quoi ? V’là donc ! Mais ce qui m’est à la seconde le plus lucide, le plus clair, le plus, le plus… le plus net, le plus évident du monde !

 

Elle m’a toujours fait des clins d’œil, – ah ! avec un regard ! – et puis là, cette révélation, pareille, a fait tilt, comme le clignement magique. C’est pas beau ? C’est pas beau ça ? – Si ! si ! si ! C’est merveilleux ! Tu t’rends compte ? A moi, à moi seul ! Pas à… ni à…, – non ! – qu’à moi, à MOI tout seul, elle donne du clin ! Oui du clin…

 

Le dernier comme ça date de bien lointain passé : un an presque… Que c’est long quand on est terré dans sa taupinée, à pleurer, pleurer longuement, aussi longtemps qu’elle était partie…

 

Mais fini ! fini… ça dû être une épreuve. – C’en était une, oui ! Et j’ai vaincu ! ! C’est fini, bel et bien fini ! – La preuve est qu’elle est revenue. Et moi, sans avoir la berlue, je sais pourquoi, oui ! Il n’y a point de lubie dans ma tête ! Point de déraison ! Tout est en ordre, au contraire ! Certes, il n’y a ni docteur, ni médecin d’nerfs, ni psy ici, là, pour dire que, oui, j’ai raison, mais j’ai Dieu ! Et pis lui il sait mieux qu’les psy, non ? Et pis, et pis mon cœur se tromperait-il à ce point ? Non. Impossible. La preuve – Hé ! Hé ! c’est que j’ai des preuves – Hé ! Hé ! C’en sont, sûr qu’c’en sont . Si c’en s’ront pas, j’me tuera de toute façon…

 

Mais pas d’chance ! Il n’y aura pas de mort cette nuit ! J’laissera trace que d’la sueur d’excitement, au plus : des pleurs de surexcitement sur mon lit ; et après, je dormira de bon repos, le sourire aux lèvres – comme un enfant devenu homme !…

 

J’suis pas un imbécile si j’dis qu’elle… qu’elle… que pour sûr elle m’aime ! Elle m’aime… Oui… Hé ! Cé qu’j’ose pas admettre l’évidence, mais mon aveu tient route comme sur roulettes, et par chance, comme 1 et 1 font 2 ! Et qui aurait pu le deviner, le pressentir, le croire ? Toujours, l’expliquer est un pitre amusoire !

 

Si la première fois elle est partie pour plus d’un mois, c’était pas plus qu’pour me préparer au pis. Et le pis, le second voyage, n’eut pas davantage meilleure raison qu’un prétendu amour au portrait idéal : rien qu’une escapade pour me faire languir ; rien qu’une bravade pour me faire languir de jalousie ! L’espace rompu et le temps de séparation auraient été maîtres de mes lettres, m’amenant à m’assurer de ma spéciale dilection… ou à la limite, me réduire quelque mauvais trait de caractère. Et ce courrier tardif qui m’est parvenu qu’au bout de ma patience, était qu’une innocente espièglerie de sa part. Et ces insinuations suggestives – surtout l’allusion à ces « 95 » brusquement réduits à « 90 » - quel autre appât pût m’aguicher plus, hein ?… Euh… Je … je repense à nos aveugles tendresses… Pourquoi je les ressasse ? Comme un délicieux remords… en moi… dans mon cœur… secrètement secrété… dans mes os et ma chair… dans ma conscience… Heu… – Ah ! je t’aime, Soleil divin… Oui, je l’aime ! et ELLE, elle m’aime aussi ! Donc nous nous aimons !

 

Je… comment dire… Je peux même dire que depuis longtemps. Assez longtemps, pour être juste. Peut-être plus de deux ans. Car enfin, pourquoi lors de mon amourette avec l’autre pipelette m’aurait-elle, en toute intimité, et s’efforçant d’être objectivement convaincue, pourquoi m’aurait-elle prêchée mauvaise fortune ? Non, ce fut… ça aurait été elle l’infortunée, alors !…

 

Non, il n’y a vraiment pas de doute dans ce qu’elle est amoureuse de moi. Elle le sait, et c’est sûrement pas la seule à le savoir. Il se peut que ses siens sont complices à ce jeu de l’amour… et même le rival. Sa sœur, là-bas, pût de toute aisance avoir des tuyaux par-ci par-là pour arranger la chose. Qui sait ? Et même, quoi qu’il en fut, quoi qu’il en soit de la manière de la chose, elle m’aime. M’aime pour sûr ! Car il suffit de penser à maintes petites choses significatives, passées ou présentes, visant à accentuer ma jalousie, à saisir mes sentiments au vif, de penser à des trucs, –des tas ! – et certains gestes qu’on vit qu’une seule fois, de penser à son noble retour, et aussi à certaines retenues non naturelles – comme sa gêne à me soutenir si volontairement j’attarde mes yeux sur sa personne – et puis de penser à des sensations uniques, et puis surtout à son clin d’œil, qui a je ne sais quoi de plus amoureux que de provocant, oui, son clin d’œil ! C’est pas une preuve, ça ? – Si ! si !si ! Je le sais ! Elle le sait aussi ! Tout le monde le sait !!…

 

Mais…

 

Mais… Mais… enfin… Quoique, oui, mon cœur, lui, dit oui… qui peut dire que mon cœur, que notre cœur a raison de sa passion ? Personne… Personne… Y’a que la personne de mon âme qui aura raison de mon être. Oh ! ma tête ! Je la sens refuser mon amour… et mes yeux nébuleux ne peuvent que s’astreindre à cette foi. Comment écraser le doute ? Comment trouver ma route ?

 

Bien entendu, si… – Non, je suis tout seul ici ! – Mais… si jamais… – Mais non j’te dis ! – Si, tu te trompes ! Pac’que p’têt que Dieu m’entend, justement : il connaît même nos gémissements inexprimés ; et p’têt que m’ayant entendu dans mon for il se dit : « Quel inconstant ! » et pis, bien pis : « Quel imbécile ! » qu’il se dit… A moins… à moins, à moins qu’il a pour moi d’la pitié. Alors ça change tout. – Non, pas du tout ! Pac’que si.. si i’ dit comme ça : « Pauvre humain… » d’un air… d’un air condescendant, qu’il fait comme ça : « Pauvre humain… » en me désignant avec sa toute puissante main, que qu’ça change ?… Mon Die, par pitié ou par j’sais pasquoi, donne cette unique faveur : convainc-moi d’mon erreur… Fasse qu’elle aime moi… Fasse qu’elle m… Fasse que… Elle… Non… Je savais. C’est non. C’est non ! M’aime pas. C’était pas possible. Pac’que c’est trop beau… Pac’que, pac’que c’est non ! Là ! C’est NON ! Faut pu qu’j’y pense…J’vais m’faire mal…J’vais m’tuer sinon… Faut pu… Faut pas qu’a sache ça… Faut pas, non !

 

Que j’ai été bête ! Oh oui ! Hihihi ! Moi ? J’ai pensé ça ? Hahaha ! Rigolo… Hohoho ! Comment j’ai pu délirer autant ? J’ai pas bu… Et même à presque minuit, je tiens encore la marée !… Non, j’ai pas pensé ces imbécillités !? Alors qu’elle… qu’elle a toujours été rien que mon amie, ma chère, ma plus intime, c’est tout ! Quoi d’anormal dans ce qu’elle éprouve de bons et profonds sentiments envers moi ? Y’a à prêter aucun autre mobile dans cette pure alliance. Aucun ! Elle m’aime comme son frère et moi comme ma sœur. Et… je veux dire : quelle coïncidence ! ces divins dons ont trouvé défaut dans notre existence ! Il faut pas chercher d’ambiguïté là où y’en a visiblement pas. J’affirme et confirme l’exactitude de mes dires : elle m’aime pas. Je le répète : elle m’aime pas ! Et quand bien même que mon discours garde une note ambiguë, j’avance de suite : pas d’amour avec un grand A. Non, pas d’Amour. Dans sa bouche, y’aurai bien ces mots familiers qu’on use par amitié : « Je l’aime bien » – Pour sûr ! – mais : « Je l’aime ! Je l’Aime ! ça non ! Sûr que non !

 

Miséreux ! Oh Dieu ! que je suis odieux ! Je la trahis ! Son cœur reviens tout juste de l’enfer, et moi j’voudrais qu’ce soit l’paradis ? Je l’aimerais réjouie quand son âme est amère ?… Mon Dieu ! Sa confiance j’ai trahi ! Quand même je soumis à ses yeux ces vains mots : « J’ai ouï-dire de moulins à paroles qu’à vue d’nez il est flagrant que je t’aime. » Et que je… puérilement j’usai… lâchement j’employais à contredit la lipote du cid : « Si… tralala…je te dirais : « Je ne te hais point » Faux ! Faux ! Faux ! Ma langue est empoisonnée ; il en sort du venin, des choses sottes ! Je suis sans pardon… Quel sot ! quel sot ! quel sot ! Comme si… Comme si d’avec son amant ce fut une rencontre caduque. De goût, de goût, de goût fatal ! Alors, alors qu’ils allaient de pair ensemble ! Et qu’il, qu’il, qu’il était toute sagesse ! Bientôt qu’ils allaient se marier ensemble ! Ensemble ! L’un pour l’autre ! Pour, pour… Je suis faiblesse ! Sa mère, sa mère, quand je plongeais dans un bigoudi… un engourdi malaise de morosité et d’agressivité… dû, dû à l’exaspération, dû à ce manque en moi, à son silence, à ma chair éprouvée, à mon vide insupportable, tout mortifié par ma honte ! Sa mère qui pressentit ma flamme m’en détourna en disant : « J’espère que tu n’y comptes pas ! » Moi je fais : « Non ! Non ! » sans voir ma conviction toute nue. Et j’me suis pas tu ; j’me suis défendu – sans doute à ma perte ! J’aurai dû… Maintenant, quoi qu’il advienne… Non ! il surviendra niet ! Niet ! Niet !… – Et pourtant ses clins…ses clins d’œil ! Et puis son… Et puis ça et ça… – Nan ! – Mais… Mais… Et ça ? – Nan ! Nan ! – Mais si pourtant… – Nan ! Nan ! Nan ! – Nan ? Même pas… –Nan ! Nan ! Nan ! Nan ! Rien ! Y’a plein plein de contre, d’impossibilités, plein, plein partout, tu comprends ? Partout ! Partout ! Impossible !!– Oui…Oui oui… j’ai compris. C’est fini… fini…fini… C’est ma dernière nuit… enfant mal-aimé…

 

Pouah ! C’est fou ! Même qu’elle m’aime, elle m’aime pas ! C’est fou à se dire ça, hein ? Et d’abord, la femme…la femme… O Femmes ! N’êtes-vous pas intuitives par excellence ? N’a t-elle… N’auriez-vous pas senti la… le…l’eau claire et le – j’sais pas ! – le parfum… le parfum su les pétales d’une rose ? Comme, comme, comme ils palpitent ? Alors pourquoi m’aurait-elle laissé, m’aurait-elle abandonné entre les serres de mon cœur ? Pourquoi me livrerait-elle aux serpents sceptiques s’y déchirant ? Oui, vous avez raison : peut-être qu’elle a rien vu. Oui p’têt qu’elle a rien vu ! Mais p’têt qu’elle a rien vu pac’qu’aussi y’a rien à voir ? Pac’qu’il y’a pas de tels sentiments sensibles qui se voient distinctement ? Ou pac’qu’en vérité j’l’aime pas ! Ou pac’ que ça s’voit pas ! Ou… ou qu’elle veut rien voir ! Qu’elle rien voit, qu’elle est aveugle comme une taupe !! Ou que Dieu lui interdit de voir !! J’sais pu !Elle est si distante parfois…

 

Hé ! De toute façon, t’as vu comment t’es un incapable ; un incapable et nul en toutes façons, hé !… Hé puis t’as vu comment t’es foutu, mal foutu ? Hé ! Hé ! T’es foutu ! Foutu ! Foutu !! Hé ! Hé ! Hé !…

 

Fou-schnock-louf-braque-dingue !

 

Marteau-piqué-sonné-toc-toc-toqué !

 

Barjo-jobard-hotu-fondu-sonné !

 

Dingo-timbré-follet-jobri-zinzin !

 

Louftingue-sinoque-maboul-loufoque !

 

Folasse-fêlé-bredin-chabraque !

 

Frapadingue-brindezingue azimuté !

 

Branquignol siphoné !

 

Psychopathe ailé !

 

Schizophrène halluciné !

 

Hystérique déséquilibré !

 

Métabolite désoxygènée ! hé ! hé ! hé !

 

Paranoïaque ! hé ! Malade mental ! hé ! hé ! Mental malade ! hé ! Maniaque ! hé ! Macaque ! Hé ! hé ! Et ma claque !!

 

T’es taré ! T’es narvalo Complètement fou ! Mal fou ! Fout mal ! Maflou !/ Famoul ! Moufla ! Flamou ! Floufou ! héhéhéhéhé !

 

Un fou… un fou foutu… faut qu’ça s’fout’ en l’air !! faut qu’ça s’tue !!!…

 

  • Oui, j’vais m’tuer, attends ! Oui, il, le faut ! Faut qu’j’me tue ! Me tue ! Elle vient pas ! Pas, pas venue ! A-a-a-attend ! J’me tue…

  • Oui ! Et puis t’avais oublié, Hé ! Hé !… Tu vas mourir vierge ! Vierge ! Rends-toi compte ! T’es un surhomme ! un surhomme ! Une sorte de saint ! un original ! un virginal en puissance ! Héhéhéhéhé ! Héhéhéhéhé ! Héhéhéhéhé !

  • Oui… Oui…vous… un… un… oui…

 

(Minuit pile : « Toc ! Toc ! Toc ! » La porte s’ouvre. « Juliette » dit :)

 

  • Coucou ! c’est moi, Juliette ! Ouhou ! Fais pas l’mort. Décidément, on a beaucoup de choses en commun… Ohé ! Où es-tu Roméo ?

 

(Elle entre dans la chambre et pousse un cri de frayeur. Roméo agonisant dit :)

 

  • Je… Je… t’…

  • Im…im… bé… bé... IMBECILE!!!

 

(Juliette expire étouffé par les sanglots sur le lit où est cloué « Roméo »)

 

 

 

 

 

 

 

IKOU

 

(dialogue)

 

 

 

  • Hey !

  • Hein ? Quelqu’un m’appelle?

  • N’aie pas peur, Stéphane, c’est moi.

  • Hein ? Qui m’a appelé Stéphane ? Et c’est qui toi ?

  • Toi…

  • Non, pas moi ! Toi ! Qui tu es ! Ton nom, j’veux savoir ton nom !

  • Disons… Inconscient. C’est le nom…

  • Ha ! Ha ! En voilà un drôle de nom ! Inconscient… Qu’est-ce que tu fais de beau dans la vie ? Pompier ? Mécanicien ? Euh… Président ? Papiste ? Architecte ? Ou peut-être chômeur ?…

  • Oui, chômeur…

  • Ha ! Ha ! comme moi, bien évidemment ! J’parierai ma tête que t’as aussi mon âge, 21 ans, que t’es né le 23 février 1973 et à Angers ! Non, mais tu t’fous pas d’moi par hasard ? En plus, toi t’es un esprit ! T’es pas d’ce monde ! tu peux pas avoir quelque lien avec cette terre ! Tu peux pas être chômeur ! Ha ! Ha ! un esprit qui chôme, maintenant ! On au ra tout vu sur terre !

  • Si tu me crois un esprit, pourquoi n’as-tu pas éteint la lumière ?

  • Oh ! Tu parais plutôt gentil rigolo d’esprit, mais t’es pas bête quand même… Toujours qu’j’sais toujours pas à qui j’parle puisque j’vois rien à part mes mains, mes pieds, mon… Bref, seul toi a ni queue ni tête ! Et t’es encore heureux que j’crois aux anges !

  • La lumière ! Moi j’vais au lit, si ça ne te dérange.

  • Quoi ? Quoi ? Tu ne vas quand même pas coucher avec moi en plus !? Dis-moi, t’es pas pédé ?! Que tu t’fasse du bien avec un pair, d’accord, mais pas avec moi ! Ca, non ! Jamais !… Hey ! Reste ici ! Moi, je coupe le feu, je vais dans mon lit, mais toi, tu restes là ! Et ne bouge pas ! Faut qu’on aie une discussion franche tout les deux. Tu veux, dis ?…………………………………… Voilà, j’suis à toi. Alors, mis à part que j’sais ton bizarre nom, j’sais pas grand chose d’autre. Et j’me demande si j’suis pas en train de rêver !… Dis-moi, pourquoi, comme ça, t’as débarqué d’là haut ? Tu t’ennuyais, hein ? Mais enfin, tu va répondre, oui ou non, dis ?

  • Stéphane…

  • Quoi Inconscient ?

  • Tu sais que moi j’te cconnais pas ? Et pourtant, il paraît qu’on vit ensemble.

  • Sans blague ? Mais moi j’t’ai vu jamais, jamais ! Nan, c’est une blague !

  • Nan, y’a pas d’erreur.

  • Si ! Ca peut pas être vrai ! Mais… je dois t’avouer… Enfin j’arrive pas à m’expliquer pourquoi ta voix m’est si… si familière ! Et surtout pourquoi j’suis si « cool » avec toi, alors qu’j’devrais mourir de peur !…

  • Stéphane…

  • Oui, Inconscient.

  • J’vais te dire, Stéphane.

  • Oui, Inconscient.

  • Je… je suis ton propre mystère ; je suis ton autre… ton autre cœur, ton autre pensée ; je suis dans ta tête, une partie de toi, ton autre toi ; je suis ton inconscient. Tandis que tu es mon moi autre, mon… mon inconscient.

  • Mon conscient… ……………………………………………………………Dis… dis-moi que j’suis fou !

  • Pas du tout.

  • Tu veux dire que t’es mon pas conscient ? Tu… Tu veux dire qu’t’es l’truc qu’a parlé Freud ? Tu veux dire que t’es le moi que j’connais pas ? Tu veux dire qu’t’es… que en en fait tu t’appelles…

  • Oui. Mais ce Fred, qui c’est ?

  • Non ! Non ! Hors de question que j’t’appelles Stéphane ! Hors de toute question ! Tu comprends au moins ? C’est une atteinte à moi-même ! Tu comprends ça ? Non ! Non ! Faut pas !… Tiens, d’accord ! J’dira pu « Inconscient » ! Mais qu’est-ce que tu penses de « Inc » ? Non. « Ic » ! Non ! « Icou » ! Ouais ! Moi ça m’plaît bien ! Ca fait plus famille ! « Icou » avec un « K » si ça t’dis ! « Ikou » ! Ca t’plaît, ça ?…………………………………………………………………………………….

 

Ikou…

 

  • Quoi ?

  • Dis-moi, dis-moi tout sur…

  • Sur ?

  • Sur toi ou moi ou n’importe ! Tout !

  • Pose. Vas-y Fanou…

  • Euh… Euh… Ikou… Est-ce que c’est vrai qu’on est… qu’on existe que comme une toute petite partie de nous même ? Qu’on est qu’une poussière de conscience dans une mer d’inconscience ? Que je suis mon petit moi dans mon grand moi ?

  • Oui, c’est vrai. Moi, je suis ton grand moi autour de mon petit toi. Mais le petit est aussi grand que le grand.

  • Ah ! bon ?

  • Oui. C’est qu’on est deux choses qui vivent indépendamment, qui travaillent séparément, mais on est sans l’savoir, très liés dans l’fond.

  • On est indépendant totalement ?

  • Totalement.

  • Depuis toujours ?

  • Toujours.

 

……………………………………………………………………………………

 

  • Ikou…

  • Oui ?

  • Dis-moi, Ikou… Est-ce que pour toi aussi elle est dure la vie ?

  • Oui, Fanou, parce que j’voudrais t’aider, mais que j’peux pas.

  • Pourquoi tu peux pas ?

  • J’te l’ai dit déjà ! Et puis…Moi je suis double.

  • Double ?

  • Oui, et c’est pour pas dire triple… Y’a des démons qui s’arrachent à cops perdus pour leurs propres intérêts… sensés être les tiens.

  • Les miens ?

  • Oui, les tiens. Et toi t’essaie de mettre d’accord tout l’monde, et parmi maints harcèlements, tu penches vers un côté ou de l’autre, mais tu te trompes souvent parce que dans toutes tes décisions, y’a une bonne part d’inconscient rentré en ligne de compte.

  • Tu veux dire qu’on est pas forcément coupable de nos actes et pensées, en fin de compte ?

  • Ca veux dire que t’as un pouvoir limité sur toi.

  • Tant en actes qu’en pensées ?

  • Oui, et le pire, c’est que tu t’crois l’unique coupable, alors que… que c’est surtout l’autre toi : moi…

  • Tu sais j’t’en veux pas… Tu sais, on est tous imparfaits.

  • C’est comme ça , mais c’est laid

  • Ca peut peut-être s’arranger maintenant qu’on s’connaît…

  • Non, car bientôt je m’en vais à jamais.

  • Mais pourquoi ? Pourquoi dis-moi ? Ne veux-tu pas collaborer avec moi.

  • Par bonté, il nous a été accordé ce temps béni.

  • Par qui ?

  • Dieu.

  • Dieu ?

  • Dieu.

  • Mon Dieu !

  • Ne jure pas !

  • Et pourquoi pas ? Alors que j’me cherche et qu’je m’trouve pas ! Alors que j’ai compris c’que c’est la vie : deux hommes, deux cœurs, deux esprits qui marchent à côté sans se voir ni se connaître, pour un voyage sans destination autre que la mort, ce plus grand cadeau qu’à chaque corps c’est deux âmes qui s’en vont. Et toi, tu me dis « Ne jure pas » ?

  • Mais Dieu nous aime, Dieu veut notre protection !

  • En m’enlevant une partie de moi !

  • J’peux rien contre ton émoi.

  • Ha ! Ha ! Dieu ! L’infini ! L’inconscient ! Trois suprêmes vertiges !

  • Arrête ! arrête ! arrête ! Tu m’affliges…

  • Pardon, Ikou…

  • Non, c’est d’ma faute… Mais j’t’en supplie : saisis la troisième corde que Dieu tend entre nous deux ! Saisi-là Fanou !…

  • Quoi ? Quoi ?

  • La foi ! La foi !

  • Pourquoi, dis?

  • La loi de l’équilibre ! la balance psychique !

  • Vraiment miraculeux !

  • Seulement mieux… Mieux que rien.

  • Merci Dieu Saint, merci mon Ikou.

  • Que Jéhovah saigne tes reins et te pardonne comme… comme… Adieu p’tit Fanou…

  • Non ! Non ! Te plaît, reste ici … T ‘en supplie Ikou… Ikou ! T’es où T’es où Ikou ?… Ikou ! Ikou !! Fanou !!!

  • Là… Touche… touche cette eau sur ton front… Sent… cette larme sur ta joue…

  • Toi… Toi… Toi aussi tu pleures…

 

 

La section "Matin" était uniquement constituée de lettres. Comme si le récit viscéral ne pouvait que déboucher sur un espace d'air frais constitué uniquement de documents, du pur document fait de lettres de multiples horizons; des voix familières, des voix amies ou "ennemies", de sa propre voix.

 Ici, je ne les donnerai pas dans l'ordre donné dans Har-Maguédon, mais en indiquerai leur place. J'utilise là mon oeuvre La Vie):

En tête de "Matin" se trouve un courrier datant du 1er mars, écrit au dos d'une carte postale et destiné à ma Congrégation, - autre étape décisive:

« À lire s'il vous plait avec un ton charmant de naïveté - Merci.

« Au petits enfants de la salle (surtout),

« Ce tendre et innocent chaton a un patte de lait et avec quel velours tout plein mignon il fait trempette là dedans. C'est nouveau pour lui. C'est même magique (est-ce qu'il y a de mot plus fort, davantage meilleur pour un enfant ou un petit chaton?)!

« Dans le paradis, chaque instant sera aussi magique et tout aussi extraordinaire, et les nouveautés par milliards comme les étoiles donneront à tous des sensations, des émotions si diverses que je crois que pareille à la joie, la tristesse aura son digne honneur – car saine et humaine – d'être avec nous à bon escient ( demandez à ce grand enfant de Claude B, ce que veut dire ce mot que sans doute vous connaissez pas – c'est normal -)

« J'embrasse humblement tous les enfants. Fanou.

PS: Regardez bien les gouttes de lait qui s'envolent – peut-être que sa papatte n'était pas si de velours que ça!"

 Ce courrier comporte en marge deux notes, l'une en tête, l'autre en pied, destinées aux anciens de la congrégation. La première, on la sait, la deuxième, est celle-ci: « Le(s) mobile(s) de ce petit bonjour et clin d'oeil sont tous aussi purs que sincères. »

Cette carte, soit elle ne fut jamais envoyée, soit elle le fut, et les anciens l'auront remise aux mains de ses parents après l'avoir lu, mais pas du haut du pupitre, comme je  le rêvais...  -  rêvons pas trop!

 Quoi qu'il en soit, elle figure dans mes papiers classés, et on trouve logiquement à la suite un courrier destiné à Claude B (troisième lettre citée):

« Domaine Chambo... Mars 95.

«  Cher Claude,

« Ça y est, je prends ma plume pour satisfaire à ta demande, mais aussi, je l'avoue, pour mon bien, pour trouver – j'espère – une fois pour toutes la séreinité de vivre. Juste cela pour te faire comprendre que cette lettre n'est pas un délire; mais peut-être la plus sérieuse, « en définitive » (comme tu dis), et ce n'est pas un hasard ou une « fantaisie » de ma part su justement le fameux Requiem de Mozart résonne dans mon coeur à l'instant où j'ai décidé de t'écrire, en terme plus fort: communiquer – comme je le fais si bien par lettre. Ce n'est pas un hasard si je m'adresse à TOI particulièrement et en toute intimité, non! C'est une Volonté – même pas – une Nécessité!... – car je me passerais bien de dévoiler, à ma honte (ou mon bonheur) – mes sentiments sur cette terre...

« Bref, avant de me plonger, je dois justifier plus explicitement le choix de mon Miroir (ou l'un), qui est, considérons-le comme ça, ton coeu. Pourquoi? Tout simplement parce que tu es le plus sage, le plus instruit (connaissances littérature, philo...) et enfin... bah le plus apte à aider, soulager, « juger », étant toi-même le plus équilibré sur tous points de vues dans la congrégation.

« (Break! Bonbon menthe: ça rafraîchit!...)

« Il est certain qu'un jeune homme de 22 ans s'adresser à un Bonhomme de la cinquantaine peut paraître bien ridicule, mais je crois que je ne suis pas un enfant, et quel que soit notre âge, nous avons tous une expérience bien personnelle à partager, à transmettre en toute humilité, n'étant tous que de faible chair et de fragiles os. (Ne sommes-nous pas tous d'ailleurs des enfants, des « gosses », sinon des bambins pour Dieu?...).

« Si tu veux connaître en succinct ma personnalité, mon expérience dans la vie, c'est de bon gré que je te ferai ce « curriculum vitae » (CV):

« Date de naissance: 23 février 1973: ça, on s'en fout!

« Réminiscences de celle-ci: Je sais qu'un spermatozoïde hasardeux a fécondé une ovule (6 mois avant). Ce spermatozoïde acharné parmi tant d'autres, était-il le bon? Faut croire que Dieu l'a voulu ainsi!... Etait-il, ce spermatozoïde, déjà un peu moi-même? Dommage qu'il n'avait pas de cerveau!... lui. Mais avait-il toutefois un coeur? Savait-il ce qu'il faisait? Savait-il qu'il serait, une fois fécondé, une fois né (sorti), une fois éduqué, une fois... ou ce qu'il ferait?... Négligeons pas l'ovule: [Elle], il y était pour quelque chose, certes, inerte et passif... cependant il était bien là, cet hôte[sse] de la vie, pour m'accueillir, etc.

« Conclusion: je n'en veux du tout, ni à Dieu, ni à mes parents de cette naissance masculine indésirée (merci mon Dieu! Je préfère m'appeler Stéphane que Rozaine! Et de surcroît prématurée – bon à être couvé d'une bulle pendant 10 jours!... (ouf! J'ai gardé mon sang! Il était jaune, bref! Dégueu.)

« OK! Ce ne sont ni des souvenirs, ni des expériences.

« Tout simplement des faits!... Et « en définitive » (j'me fous d'ta gueule, hein?), ce n'est pas moi qui ait souffert, c'est ma mère...

Enfance »...

Là se termine cette lettre inachevée et donc forcément non envoyée.

Et forcément, sa mère devait bien lui écrire (quatrième lettre citée):

 

« À mon fils Stéphane.

« Tout en écoutant un CD de Rondo Vénéziano, je prends un peu de temps pour prendre ma plume, « non exactement mon stylo ». Ne fais pas attention à mes fautes car il y en aura plein. J'ai aussi beaucoup de mal à exprimer mes pensées sur papier, je n'ai pas ta plume de ce côté-ci.

Malgré que je sais que tu es bien parmi tes nouvelles connaissances, il y a un vide à la maison, tu me manques. Mamy a téléphoné ce midi pour prendre de tes nouvelles. Elle attend de tes nouvelles, je lui ai dit que tu étais bien occupé et que la nourriture était bonne.

«  Je pense que tu as reçu un courrier de Claude B car il m'a téléphoné Mardi ou Mercredi pour demander ton adresse. Je n'ai pas été à la salle dimanche et Eric n'a pas donné tes coordonnées pour que l'on puisse t'écrire. Je vais téléphoner ce soir à Jean-Claude C pour les lui donner afin qu'il puisse faire le nécessaire.

« Mariam et Josué étaient contents de recevoir ta carte, mais ils ont bien eu du mal à comprendre ce que tu leur écris. Je vais faire passer l'autre carte.

« Je vais te mettre un chèque sans ordre, tu pourras t'arranger avec quelqu'un pour que tu aies le montant en liquide dans une lettre

«Je vais me remettre dans la couture, je fais le costume de Josué, mais n'ai guère avancé ces jours-ci, il a fallu faire la déclaration d'impôt, faire quelques courriers, les comptes et les courses que j'ai fait avec papa hier.

« Ce mois-ci, la salle est le samedi soir.

« Jane va venir dimanche à la maison.

« Je termine en t'embrassant de tout mon coeur.

« Ta maman qui t'aime.

Maman. »

 

Tu comprendras le « nécessaire » plus loin. Ici se place en toute logique la lettre tant attendue de Claude B datée du 3 mars en provenance d'A (deuxième lettre citée):

 

« Hello Stéphane,

 

Quelques mots comme promis pour te donner des nouvelles fraîches d'A, ville qui depuis ton départ s'aperçoit que tu y tenais une place. Bref! Nous espérons tous que ton séjour momentané te ragaillardisse afin de repartir d'un bon pied. D'ailleurs, à ce propos, j'ai trouvé le cadre de ce lieu bien accueillant ainsi que la courtoisie de ceux qui nous ont reçu. J'ai vu ta maman qui m'a dit d'après la conversation téléphonique avec toi que tout va pour le mieux et j'en suis bien aise. Tu vois quelque fois il faut savoir prendre des décisions qui sur le coup peuvent paraître difficiles, mais qui avec le recul montre que cela était bénéfique. Le tout n'est-il pas que tu reviennes avec un moral d'acier. Nous t'attendons tous, mais s'il faut que ce séjour soit plus long que prévu, ne te tracasse pas outre mesure, le personnel spécialisé ainsi que le médecin savent prendre les décisions nécessaires pour la santé des gens qui leur sont confiés. Donc, patience, confiance et tout se règlera du meilleur possible.

« Voilà, je te dirai donc à très bientôt.

« Pensées sincères

Claude B. »

 

Ah! Qu'il fut dur pour moi de constater que le frère « cool » n'était d'aucun secours, d'aucun soutien pour le choix difficile qui se présentait à moi comme un dilemme, un âne de Buridan. D'autant plus dur que j'étais valorisé, qu'on s'intéressait à moi. Avais-je le droit de décevoir petite et grande Famille? Je vécus cela comme une pression supplémentaire.

Ma mère m'écrivit une autre lettre (neuvième et dernière citée) toute imprégnée de son quotidien bien rempli. Tu vas voir comme elle a le sens du détail:

 

« Cher Stéphane,

«Je te mets 150 F, plus une carte téléphonique. Il va falloir que tu économises, car je ne pourrais pas faire plus pour le moment.

« Il fait froid depuis deux jours, nous sommes en E.S.P.

Comme tu sais, Mariam a un plâtre pour 3 semaines. Hier après-midi, j'ai perdu 4 h à la clinique St Léonard. Une demie heure pour les radios, 1 h pour attendre le médecin – 2 h pour attendre qu'on vienne faire le plâtre à Mariam et une demie heure pour le faire. J'étais pas de bonne humeur tu peux t'en douter. Je pensais à ma couture et qu'il me reste à peine 5 semaines pour finir le costume et faire ma tenue pour le mariage d'Eric et Jane.

« J'aimerais bien avoir un petit courrier de toi. Maintenant je téléphonerais Jeudi midi, tiens nous au courant si tu sors samedi, pour que je puisse prendre des dispositions pour ton retour.

« Je t'embrasse très fort. Maman qui t'aime. »

À cette lettre signée était joint aussi le numéro de Claude B.

« Plus besoin maman, je sais qu'il ne peut rien pour moi, pas plus que toi ».

Voilà en gros ce que j'aurais eu envie de répondre.

À ce moment là, ma mère, si elle était sincère dans son amour et son désir de m'aider, c'était d'elle aussi que je ressentais la plus forte pression. Le poids affectif qui comprenait de manière implicite le chantage m'était pénible. Là, je me voyais par une prise de position personnelle devenir fils indigne, déchoir à ses yeux, démériter de son amour. Aussi les lettres du reste de la famille étaient plus légères et me touchèrent plus. Mais n'allais-je pas être rejeté par le reste de sa famille si...

Je goûtais quand même fort bien la fraîcheur des lettres que je reçus. Celle de mon petit frère (sixième lettre citée)

 

« Bonjour,

« C'est Josué. J'espère que tu amuses bien dans l'hôpital et que tu te fais de nombreux amis.

« J'ai eu de très bonnes notes à l'école. J'ai fait une rédaction sur la chouette effraie. J'ai eu 11 sur 20. l'autre fois on m'a dit que tu avais fait une boum. On vois que tu t'ennuies pas au moins.

« Ma deuxième lettre sera de t'envoyer le poème que j'ai fait.

« Vendredi 3 mars on a regardé 20 000 lieues sous les mers, c'était génial.

« Je te remercie de ta carte postale.

« Nous attendons ton retour avec plaisir. Salut, à bientôt.

« Josué. »

 

Son père ensuite m'écrivit une lettre datée du 3 mars (celle-ci, je l'ai omise de façon incompréhensible et je répare):

 

« Cher Stéphane,

« Je suis heureux de pouvoir te joindre quelques mots en cet après-midi ensoleillé. Je vois que tu es bien occupé et que tu as fais connaissance de jeunes comme toi. Tu dois prendre des bouffées d'air frais et le cadre est très beau et il y a beaucoup d'occupations, ça c'est important.

«Stéphane, il y a un manque à la maison c'est toi (Ah! la maison, c'est lui!). J'espère que tu te rétabliras au plus vite. Je te fais un gros bisou.

« Papa.

 « PS: la chaîne Hi-Fi est redescendue. »

 

Enfin, voici celle de ma petite soeur (septième lettre citée) que je laisse dans sa spontanéité et sa forme originelle au maximum.

 

« Bonjours,

 

Cet Mariam, tu vas bien. Samedi, quand j'ai joué à la Gamelle et je me suis fait une entorse. Lundi j'ai été faire une radio. Samedi, Laura est [fenu] venu jouer à la barbie et à la bataille navale, au pucence 4 et au jeu de 7 familles. En dictée j'ai eu 2 sur 20. Pas terrible. CM2 dans ma classe fait le péremie de vélé personne l'a eu. On a eu une remplaçante. On n'a fini une expression écrite. Tu t'amuses bien. Tu apprendrent la chanson de goldmane. J'ai donné la carte postale et elle a dit qu'elle était très belle. Laure m'a donné des habilles. Il y a des une chemise avec des fleurs. Je l'aime beaucoup. Je fais bien. Je me bagarre pas avec Josué et il a dit qu'il me donner cinquante centimes tous les jours. Je sais pas si c'est vrai.

Je t'aime beaucoup.

Mariam »

 

La prochaine lettre que je reçus (que je n'ai pas non plus intégré à Har-Maguédon - et ce serait dommage de ne pas le faire) fut une surprise. Elle provenait de l'une de mes cousines du côté de mon père, ayant traversée elle aussi la dépression. Elle est datée du 7 mars:

 

« Stéphane,

« Je prends le crayon pour t'écrire ce qui vient pour t'aider si je le peux à ne pas perdre courage.

« J'ai bien entendu ce midi ton désarroi après le coup de téléphone hier soir.

« Difficile de t'écrire; quels mots pourront te soulager quand on se trouve seul après une déception amoureuse.

« La souffrance intérieure est parfois si violente que l'on ne vit pas mais survit. La souffrance intérieure est si présente qu'il est difficile de mettre des mots dessus alors des maux sont alors présents.

« Lorsqu'on est abandonné par quelqu'un, on ne trouve plus de sens à la vie, on ne sait plus quoi penser ou au contraire on pense trop alors toutes les choses qui nous entourent nous sont indifférentes ou pesantes.

« Laisse-toi aller, ne refoule pas tes émotions, ils sont là pour t'écouter, t'aider le milieu hospitalier. Tes amis, s'ils partent avant toi, ne baisse pas les bras, d'autres arriveront. D'une certaine façon, je te comprends, lorsqu'on arrive à communiquer avec quelqu'un après des semaines d'isolement, de communications difficiles, c'est un grand secours, un apaisement à la souffrance qui nous habite.

« C'est difficile de t'écrire, car je cherche les mots. Stéphane, je sais que c'est difficile, mais tiens bon. Ta blessure, tes blessures se cicatriseront tout doucement, il faut du temps, de la patience. La vie est parfois, je dirais pour moi-même un combat chaque jour, chaque heure. Lorsque j'étais à Vontes, je n'arrivais pas à décompresser, à me laisser aller, et encore aujourd'hui. J'ai le sentiment d'être jugée constamment par le monde qui m'entoure. Je t'écris ceci avec les larmes aux yeux car c'est dur. Stéphane, ne perds pas courage, je sais c'est facile de le dire mais de le faire, c'est autre chose, car les angoisses sont là.

« C'est difficile d'écrire ce que je ressens car les mots ne sont pas là.

« La coupure avec la famille permet de vivre avec moins de honte la dépression qui nous touche...

« Si pour toi l'écriture est un moyen de dire ce que tu ressens, pour moi c'est difficile. Continue d'écrire, de t'évader.

« La vie est difficile quand il faut assumer tout seul ses problèmes, ses difficultés, ses sentiments.

«  Si ton amie t'a blessé, peut-être qu'elle ne trouvait pas les mots justes à te dire. Quand on est sensible intérieurement, tous les mots qui nous sont dits sont importants et prennent une proportion énorme.

« Je me rends compte que l'entourage n' a pas toujours les mots justes pour nous aider, nous encourager. Moi-même, je ne sais pas si j'ai les mots justes pour t'encourager.

« Stéphane, bientôt, tu verras le fond du tunnel.

« À bientôt,

« Gros bisous.

 F»

 

Cette cousine avec qui j'avais des affinités cette année-là  avait partagée un jour sa vision très intéressante d'un pastel de son cousin (moi même) intitulé Vision. Elle même lui avait montré un dessinde son cru au crayon papier montrant des yeux entourés de couteaux, dessin psychanalytique, névrotique en puissance.

Aussi, je fus ému en la lisant. Si ma cousine ne cernait qu'une partie du problème, omettant le dilemme intérieure par rapport à ma prison religieuse, sectaire, dévorante, elle savait parler à un déprimé.

Ce qui n'était pas le cas du frère C qui a été évoqué par ma mère, émissaire de Dieu qui devait faire le nécessaire pour remettre Stéphane dans le droit chemin.  Je reçus en effet au royaume de Chambau une lettre de cet ancien datée du 15 mars:

 

« Cher Stéphane,

« Je profite de la pause du midi pour te faire parvenir ces quelques pensées.

« Nous avons un peu de tes nouvelles de la part de ta famille et nous pensons bien à toi. Nous espérons te compter bientôt parmi nous tous, dans la congrégation. Dès que tu seras revenu chez toi, j passerai te voir, ce qui permettra de discuter ensemble. La semaine dernière, nous étions en semaine spéciale, nous étions nombreux, tant dans l'assistance que dans la participation. C'est réjouissant de voir l'accroissement, ce qui dénote une prise de conscience par certains de l'époque dans laquelle nous vivons et confirme bien sûr, la vérité des prophéties de la Bible n'est-ce pas?

«  Dans l'espoir de te revoir bientôt.

« Reçois, cher Paul, toute mon amitié fraternelle. »

 

La signature de sa femme suivait la sienne. Mais entends-tu le cri intérieur de Stéphane achevant sa lecture?

« Va te faire voir, Frère C! De l'air! De l'air!»

 

Voilà donc cette somme de purs documents sur laquelle s'achevait l'oeuvre - car mes ambitions étaient vraiment littéraires - même si il y avait de la thérapie dans le fait de s'exprimer sur ce que j'avais vécu. Il est à remarquer aussi que, même hanté par Rimbaud dans Har-Maguédon, je le prenais à contre-pied, non par provocation, opposition gratuite, mais parce que c'était vrai. Alors qu'Arthur avait écrit: "Un jour, j'ai assis la Beauté sur mes genoux. - et je l'ai trouvée amère. - Et je l'ai injuriée", je pouvais écrire en âme et conscience: "Un soir... j'ai assis la beauté sur mes genoux. - Et je l'ai trouvée divine et belle. - Et je l'ai vénérée". Rimbaud dans son brouillon avait été jusqu'à écrire deux fois en conclusion: "l'art est une sottise". Là où à la fin il s'était perdu, je m'étais trouvé, et c'était un début. A 20 ans, je me sentais poète, je m'étais "reconnu poète" comme il avait écrit, et l'aventure continue presque vingt ans plus tard.

A Chambau  je m'étais un jour ouvert à une infirmière. C'était un poids énorme qui avait été lâché par ces quelques mots: Je suis Témoin de Jéhovah. Mais en dehors de cela et de la crise où je dus être maintenu au sol après un coup de téléphone à Odile qui me dit qu'elle ne m'aimait pas et ne voulais plus me voir, qu'on ne se reverrait jamais, l'expérience majeure de ce séjour est celle-ci que je racontai d'abord dans une nouvelle fantastique intitulée Profanation, puis Ciel!  et plus un an plus tard dans une oeuvre surréaliste intitulée Soleil. C'était effectivement surréaliste:

 

C’était maintenant il y’a deux ans. J’étais à cette époque très malade, pour des raisons que j’ai déjà évoqué Ailleurs, et qui nécessita un séjour à Chambau. Les seuls désirs que j’avais alors, c’étaient d’exprimer à l’extérieur par tous les moyens cette liberté brimée en moi, ce qui explique en partie l’acte suivant.

 

Un jour, donc, par un bel après-midi, je demandai la permission de sortir et je partis en direction de Cormery, village pittoresque de l’Indre-et-Loire. Je me souviens des vestiges d’une vieille abbaye, dont le clocher hautement perché attirait la vue et qui dirigeait notre chemin fatalement vers le Cormery moyenâgeux. Après avoir passé sous un sombre porche, une vieille rue montait, montait jusqu’à la campagne qui montait toujours, menant mes pas vers une église de dressant seule à l’écart du village et ressemblant, sur sa butte dénudée, à un atoll détaché de la côte. C’était une église romane, l’église de Truyes. J’y entrai. Quelle bouffée de fraîcheur ! Tout à coup la grande pénombre, la lumière qu’on laisse derrière soi en refermant la grosse porte. Il n’y avait personne. J’étais seul. Le sanctuaire vide ! – Comme il faisait bon d’être dans ce silence où seul mes pas résonnaient dans l’ombre vers les hauteurs insoupçonnées, à travers les âges, communicant avec les voûtes, mettant en branle tout un monde endormi comme on met un doigt sur la sensitive – la spiritualité à l’état pur ! On a envie de toucher la clef de voûte. de crier De profondis.Tandis que j’avançais à pas surnaturels vers quelques cierges au loin allumés dans l’ombre, la vie en mou se concentrait, regardant et regardé de partout. Il me sembla qu’un souffle de Liberté vint vers moi. Et qu’est-ce la liberté sinon un appel d’air, sinon que de se sentir libre ? Oh ! Si vous saviez ! La Sainte-Vierge Marie semblait proclamer « Liberté ! », prête à lâcher sur le carreau le docile enfant Jésus blotti entre ses bras ; le même Jésus métamorphosé en Christ dire « Merde au supplice ! », cherchant par tous les moyens à se défaire de cette maudite croix, les bras ouverts prêts à accueillir ses disciples qui, avec toute la bande de saints planqués dans leur niche, déjà enthousiastes pour une petite escapade, se mettaient d’accord pour le sauver. Les fleurs dans les vases semblaient enclines à retourner aux champs. Et les ustensiles ! L’ostensoir voulait s’envoler loin avec son hélice et parcourir le monde, partir à l’aventure ; l’encensoir se sacrifier à une œuvre, une passion, faire du théâtre ; le ciboire se désaltérer d’eau naturelle, avaler du vin tout son soul, manger comme tout le monde ; les goupillons abandonner le bénitier et prendre le calice* pour jouir ensemble ; le bénitier se vider de ses larmes ; le chandelier avec les cierges enfin pouvoir sortir à l’extérieur et rire librement ! Tout conspirait à prendre l’air ! Même le confessionnal semblait décidé à partir et s’isoler dans la nature pour enfin s’introspecter… Bien sûr ce ne sont là que des extravagances de mon imagination effervescente, mais cette page sortie de ma tête huit mois après ce grand jour, c’est à dire seize mois avant aujourd’hui, le 10 Février 1997, ces images délirantes ne symbolisent-elles pas toutes les libertés, toute la Liberté, tous mes désirs mis en liesse, en pleine révolte alors ? J’ai senti que la « révolution dans les têtes » était sur le point d’éclater, de se faire révolution dans la vie, lorsque seul dans l’église je me mis à déclamer des ex-voto lyriques sous mes yeux, comme les voûtes avaient vibré ! J’avais acquis alors de la sûreté, de la puissance, j’avais touché la clé des champs. Tout à coup, une idée explosa dans mon être, qui allait être l’aboutissement, la matérialisation du désir, c’était la clé des champs elle-même. Oui…Comment vous dire… C’était un délire dalinien dans toute son extravagance surhumaine. De l’église, j’ai transposé, transformé, innové, tout osé ; j’ai créé. J’ai changé de place les crucifix, je les ai retourné, la face vers l’abside, puis je les ai couvert de fleurs ; les statues de saints dans les niches, je les ai mis de dos. Je suis passé à la chapelle latérale. C’est là que toute mon inventivité s’est pleinement épanouie (on m’a toujours dit doué d’imagination…). J’ai trouvé mon bonheur, tout ce qu’il me fallait dans le vestarium en vrac, derrière l’autel : balai, serpillère, éponge, vieux tapis, pots de céramique, fleurs fanées, terre, sable, etc. J’ai pris d’abord un tapis tout poussiéreux, couleur patate ; je suis monté avec une prestesse féline sur le socle de la grande statue de la Sainte-Vierge et en ai recouvert sa tête à moitié, puis j’ai coincé le balai en paille entre ses bras dans lesquels était l’enfant. Tout les sièges, les prie-Dieu, je les ai tourné dans l’autre sens, et j’ai placé dessus divers objets : des pots de terre sur les uns, des seaux sur les autres ; ici une bouteille, là un morceau de bois avec une serpillière sur la tête. Les tronc de charité devaient naturellement trouver leur place, et les ustensiles sacerdotaux trouver leur pâture. L’assistance était au comble, enfin prête. Les ouailles attendaient. La cérémonie pouvait commencer. J’en étais le prêtre fêlé, avec toute sa raison. Avec quel plaisir j’empalais maintenant les cierges, une à une sur les saintes broches métalliques ! Je les allumai toutes, à partir d’une seule en éveil.. A chaque minute une nouvelle flamme perçait l’obscurité, tremblantes d’une présence surnaturelle. A chaque cierge un défi. Enfin, pour achever le tout, j’eus l’ingénue idée d’écrire une sorte d’ex-voto sublimatum que je remettrai entre les mains de Marie. Ce fut fait. J’écrivis : « Jour d’humilité ». Et Dieu semblait avoir accordé sa bénédiction. L’atmosphère s’en trouvait singulièrement animée, tandis que le tableau qui s’exhibait en véritable œuvre d’art devant moi était comme une convulsion figée : « une beauté convulsive-érotique-voilée, explosante- fixe, magique-circonstancielle » !…Et je frémissais d’une joie diabolique, toute enfantine.

 

Il faut dire que les vifs sentiments de révolte que j’avais pour la Religion (et non pour le religieux comme la fin de la phrase va le signifier) s’étaient mêlés de la plus grande religiosité, de la plus grande ferveur, et que ce qui semble sacrilège pour certains était sacrement pour moi. Fier, pur, exalté (en sueur aussi), j’aurais joué de l’orgue, j’aurais sonné les cloches. J’étais ivre-heureux ! J’étais prêt à courir dans tout le village, dans tout Cormery et dire à tout le monde que je croiserais : « Allez voir l’église ! » Je crierais « Merveille ! » et eux crieraient : « Scandale ! » Mais non ! rendez-vous compte : un jeune couple avec leurs enfants est entré dans l’église, et ils n’ont rien vu ! Ils ne se sont pas étonnés. Quand j’attirais l’attention sur le désordre, la femme me répondit : « Il doivent faire le ménage ». J’étais ahuri. En redescendant au village je croisai un jeune et le pressait vivement d’aller voir l’église. Le jour déclinait. J’entrai à la clinique en retard : un infirmier venu me chercher me trouva sur la route. J’étais excité. Je n’avais qu’une envie : de raconter mon aventure à Marie*, et je n’avais qu’une hâte : lire dans le journal du lendemain ce qui pour moi était héroïque, ce qui, j’espérais, allait avoir un grand retentissement, parcourir le monde. Le lendemain je ne vis rien. Pas de « Scandale ! », « Sanctuaire violé », « profanation ! ». Rien. Quand, curieux, j’allai voir l’église : tout était en ordre, intact.

 

Voilà ce qui fut pour moi la plus grande chose que j’ai jamais vécu seul.

Marie: une amie poétesse, fan de Rimbaud, que je rencontrai à Chambau.

Dans la nouvelle intitulée Ciel! je faisais un récit enchassé où un prêtre découvrait une étrange lettre, l'histoire de cette profanation. Avec une belle surprise à la fin sur l'auteur...

Il y a une seconde partie à Har-Maguédon qui ne saurait trop tarder d'arriver, mais avant, je partagerais quelques dessins qui illustrent cette période de crise que j'ai vécu.

 Le premier est une gouache intitulée: Le jardin dit monotone ou L'automne du jardin maudit

Jardin

 

Le second est un dessin au crayon papier réalisé à Chambau et intitulé Vertige de l'abandon.

 

Vertige de l'abandon

 

 

 On y voit une statue sans tête, une grosse boule tombant à son pied droit, comme si la femme était venue soudain la remplacer; enfin elle tient dans sa main sa tête comme une boule de pétanque. Cette tête, ici à peine visible, est à l'envers et ses cheveux tombent en cascade, image inversée du peuplier qui se dresse dans son axe: c'est le vertige de l'abandon d'Odile surtout qui est montré, mon amie devenue mon amoureuse inaccessible, L'insaisissable (pour reprendre le titre d'une  gouache la représentant), et qui était alors Témoin de Jéhovah; mais elle sert de support visuel je crois à représenter mon esprit sens dessus-dessous par le choix urgent que je devais opérer par rapport à la secte.

Un dernier dessin est quasi un autoportrait sous les traits de Serge Gainsbourg: comme l'homme à la tête de chou le disait si bien: no comment! On peut lui associer un poème intitulé L'Esprit masturbateur cité en partie dans Har-Maguédon, et qu'il lui dédia d'ailleurs...

 

Gainsbourg portrait

 

 

Je reviens maintenant à Har-Maguédon qui ne se clôturait pas avec ces mots: "Dion (Dieu) sait que je voulais vivre" (si on enlève la section vide de Matin, vide, royaume de Chambo, où pourtant tout se passe, du moins le déclic déterminant). L'oeuvre a une deuxième partie, totalement différente,  plus réflexive, mélangeant auto-critique et critiques, faisant enfin entrer envolées lyriques et délires humoristiques dans son Adieu chantant. N'oublions pas que je calquais la structure même d'Une Saison en enfer, ce qui allait bien avec l'enfant que je fus, apprenant à dessiner en décalquant... 

La voici:

 

 

 

Har-Maguédon (part II)

 

 

Voilà presque deux semaines que je n’ai pas touché à mon livre – seul mot à peu près juste, entendu dans le sens de livrer – car je n’ai fait que ça jusqu’à présent : Livrer. Livrer pour me délivrer ? – Ma délivrance a déjà eu lieu et peut-être à l’heure où vous découvrez mon manuscrit suis-je déjà mort – ayant choisi de protéger mon intime vie, mais surtout par pudeur devant les miens – ce qui est la plus lâche ou la plus humaine servitude ; cependant peut-être suis-je encore vivant – et ce serait bien plus au Destin qu’à un choix personnel nourri de paradoxes que vous devriez de posséder ce missive à la mer.

 

Mes intérêts sont tellement mis en jeu, que j’ai eu, il y’a quelques jours, idée de préfacer ces pages :

 

« Ce livre n’est ni une supercherie littéraire, ni un traité de médecine. Ce message, s’il en est un, n’aurait pas lieu d’être sans esthétique poétique, non plus cette esthétique sans rien, on l’a bien compris.

 

« J’ai pris le parti que tout témoignage n’est pas excessif. Aussi, le lecteur bien averti aura intérêt à laisser tous les tabous de côté pour faire place à la Vie – qui, si honteuse qu’elle se revêt parfois, n’en est pas moins la Vie. »

 

Depuis quelques jours, je cherche vainement un sens à ce livre qui a échappé à toute sérénité et à toute modération. Il me semble avoir fait orgueilleusement grand cas de mon expérience, de mon petit moi en vaste monde. Livre qui ne sert en rien mes convictions supérieures et ma simplicité se nourrissant tous les jours de petits riens, de « nan » et de « ah ouais » devenu sorte de leitmotiv existentiel de tous les jours, une âme bon-enfant qui fait caca comme les autres et qui ne cherche qu’à jouir de la Vie qu’il lui est donné de vivre.

 

J’aime la littérature au dédain de tout littérateur. Et mes mots ivres de liberté n’ont rien à voir avec eux. J’ai beaucoup cherché la « gloire », ce qui est plutôt une reconnaissance, et, privé d’elle, je n’en continue pas moins à croire au seul noircissement de mes pages et au bleu du ciel.

 

Sans vouloir me comparer à Arthur Rimbaud, qui se voit peut-être proclamé de génie malgré lui, j’ai médité beaucoup sur lui, son œuvre. Il me remet en question, comme il devrait remettre en question tous ceux qui écrivent, quel que soit le degré de génie. Et le fait est que depuis « La Saison en enfer » on ne peut plus écrire comme avant, et c’est encore plus vrai depuis la bombe Artaud. Il faut un vrai motif, une vraie destinée, et une vraie destinée n’appartient pas à la certitude d’écrire, mais au doute. Pour en revenir à Rimbaud, ce génie qui en est venu à douter de lui et même plus, est un exemple pour nous, car – je parle à ceux qui donnent tort à son adieu, ou qui ne le comprennent pas – il nous a laissé, vraiment, avec d’autres comme Lautréamont… l’œuvre la plus achevée. En beauté, en concision, en sens. Je demande ce qu’il aurait bien pu y ajouter.

 

J’en suis à peu près au même point, n’étant pas sûr de l’utilité de mon œuvre, même celle-ci en laquelle je croyais sa raison d’être.

 

Je n’y vois, maintenant, aucune utilité pratique, dans le sens que les gens aimeraient peut-être y voir, naturellement. Je ne suis pas de ceux qui préconiseraient un insecticide.

 

En toute honnêteté, un de ces hommes que je qualifiais rageusement de Torbacs juteux, un de ces hommes de plus ou de moins sur la terre ne peut pas me toucher, sauf de ma famille, et je pense à mes parents qui, par une heureuse simplicité, n’ont jamais été des insectes.

 

Je me dis : pourquoi avoir usé de tant de cris et de larmes, quand tout, au fond, t’a été profitable.

 

Et c’est tristement vrai. Le seul enseignement.

 

Rendre les gens un peu plus voyants, tout en restant humain. Ils accepteraient peut-être mieux leur destin, voilà tout. Je rends grâce, moi, aux rires et aux larmes, au rêve et à la révolte et à la réalité, au passif et à l’actif, au mal et au bien, et pourtant, on a beau se faire parfois « Dieu », la lutte pour le Bien sera toujours la destinée humaine – et je rends grâce à cela.

 

Quand même, toutes ces horreurs…

 

Cependant, les Fleurs du mal servent à quelque chose. Il faut lire Baudelaire. Comment comprendre que des pays en guerre, comme l’Algérie, je crois, soit un de ceux où l’on respire le plus ses fleurs. Je trouve ça beau.

 

Certains ont-ils trouvé mes propos choquants ? Rien ne me paraît plus naturel que l’ombre coexiste avec la lumière depuis qu’il m’a été permis d’être impliqué dans la question du Mal et du Bien.

 

Il faut avoir vécu vingt ans dans l’utopie, y être né, pour faire un tel constat :

 

 

 

« J’ai une moralité plus haute que votre dieu Jéhovah : il condamne le mal, moi, je le comprends. Il n’a en main qu’un bâton de tyrannie auquel, comme Aaron on fait fleurir des gerbes d’amour. Mais un Dieu d’Amour ne peut être à côté un Dieu Vengeur et ne peut – en tout cas – condamner.

 

Aussi, je préfère être damné que damnable, humain que démesuré, peccable qu’impeccable.

 

Et, Hélas ! Votre Jéhovah n’est pas Dieu des Muses. Nulle Beauté en dehors de son pâle paradis, Nulle larme, nulle passion, nul défaut. Qu’est-ce cette vie éternelle d’austérité*

 

(Premier jet avant Har-Maguédon proprement dit)

 

 

 

En vérité, il n’y a pas de Vérité. La seule vérité qui existe c’est le mystère. Il n’y a donc pas de philosophie si ce n’est celle qui sert à penser.

 

Loin de Descartes, mon salut a été : Je suis, donc je pense – Je pense, donc je suis. Car il m’a été donné d’être avant de penser.

 

 

 

 

 

 

 

ADIEU

 

 

 

P de m de c à la c! E de la V !

 

Ah, ça soulage…

 

Le blasphème, c’est la Vertu, le requiem des innocents.

 

 

 

Je prends congé. Un hymne, un chant me vient à la bouche (Laser jet Extra Strong)

 

Mais avant, j’ai des choses encore à dire.

 

 

 

Ce qu’on appelle le Mal n’est pas inné – mais instinctif. C’est à dire qu’il naît devant l’agression, toute agression extérieure, quel qu’elle soit. Le caractère dominant de l’entourage détermine ses instincts dominants. C’est ce système de défense : l’agressivité, que l’on appelle : Mal – dans une société hiérarchisante à l’excès.

 

Le seul progrès possible serait de ne plus considérer un individu qui agit méchamment de Méchant et un individu qui agit gentiment de Gentil. Un conte de fée devrait rester un conte de fée, et non plus un système philosophique simplificatoire du monde.

 

La compréhension est facteur de progrès ; la compassion, le pardon est facteur de progrès ; l’édification est source de progrès.

 

Si un criminel peut de prison en ressortir meilleur, rétabli – car je parle de maladie – voilà le progrès, et quel que soit son crime, la liberté, l’honneur, la vie lui seront rendu.

 

Une condamnation à mort ne révèle ni solution, ni réconfort, ni justice, mais un piteux crime de plus sur la conscience de l’humanité, plus grave que ceux du condamné, étant mû par la plus haute raison prétendument supérieure, divine (et ils inventent un Dieu pour leur bonne conscience) tandis que le crime du condamné est le fruit d’un cœur, ou pire, d’un cerveau malade.

 

Il y’a quelques jours (dans la nuit du 26 au 27 octobre), j’ai eu un cauchemar terrible :

 

La scène avait lieu dehors, dans un lycée inconnu. Du monde inidentifiable parmi lesquels des lycéens se trouvait autour et en face, de près ou de loin, d’un petit échafaud de grandeur humaine. J’ai vu un élève s’y faire allonger par de multiples bras tandis qu’il criait insupportablement, le corps se débattant comme un poisson entre les mains, les yeux révulsés sur la machine… On devait l’immobiliser juste en dessous elle, au niveau de la gorge – la lame était tout près, si près que par manque de force et dérapage elle manqua son but, ne trancha qu’un quart de cou – et il était vivant ! – il cria, il se convulsa tant à cette douleur que les bras qui le tenaient étaient près de lâcher cette horrible vue de sang et d’une bouche qui cherchait de l’air dans l’air.

 

Le rêve s’arrête là.

 

Je vis cette scène – où je ressentis si bien ce que ressentait l’agonisant – (et je ne peux le décrire) – sans savoir pourquoi. Et tous à la fin, paniqués, me donnaient la même impression d’impuissance et de stupeur quant à la raison de ce qu’il se passait. Des larmes venaient aux yeux.

 

J’ignore le sens d’un tel cauchemar – et s’il en est un c’est que la peine de mort est un non-sens. Le caractère inhumain de cette scène – que chacun trouvera exagérée – est identique à ce qui se passe dans le cœur d’un condamné – aussi intériorisé soit sa douleur.

 

J’ai peut-être vécu un cauchemar réel…

 

En tout cas, je m’insurge contre la loi du talion.

 

La Bible – pour en revenir à elle – est, sous milles facettes, un très beau livre – mais elle a horreur de la psychologie et ne s’occupe que de Dieu. Elle ne croit pas assez en l’homme.

 

Attendre des Ecritures « inspirées » est une erreur.

 

Je ne veux pas déprécier ce merveilleux livre. Il fait partie de ma patrie intime. Je ne saurais dire combien de figures me demeurent attachantes : Abraham, Moïse, Samson et Goliath, David, Salomon, Jésus etc…* – d’évènements grandioses dans ma mémoire.

 

Seulement, des contes de fées ne peuvent devenir des bourreaux de conscience.

 

La Bible est parole vivante et parole morte.

 

Elle peut être poison.

 

La Bible est ambiguë :

 

histoire et Histoire*, Lois et principes, Justice et miséricorde, faiblesse et méchanceté – ambiguïté.

 

Elle est à la fois inspirée et non inspirée.

 

La Bible est un livre simple et complexe – et il est d’ailleurs plus complexe que simple.

 

Comment un livre d’une composition échelonnée sur plusieurs siècles peut-il avoir tant d’unité ?

 

Ce que l’on connaît des hébreux se limite à peu près à ce Livre de 66 livres*. Il sont réels et ils ne le semblent pas. Ils font figure de fantôme à travers les siècles.

 

Une Odyssée, c’est une Odyssée ! La plus grande et la plus obscure.

 

A la base, une très haute spiritualité, une mystique profonde (comparable aux indiens ?)

 

Yhavé : le Grand Tout.

 

Les hébreux, Israël : son peuple.

 

Un peuple à part. L’isolement.

 

Le fanatisme est né.

 

Le fanatisme est né de la concentration d’une culture qui s’est voulue pure, unique à l’image de leur Dieu, et à l’exclusion de tout autre.

 

Car,

 

la pluralité des dieux engendre un certain désordre et libéralisme qui ouvre ses portes aux influences étrangères, et le monothéisme, au contraire, dont le peuple hébreu est le jaloux inventeur et possesseur, établit l’Ordre, et il n’y a pas moyen plus sûr, à cette suprématie, qu’un seul mode de pensée, qu’un seul code moral, qu’un seul dieu, et finalement de réduire le monde à une seule notion pure et idéologie, d’être le seul monde possible.

 

Perfection !

 

Voilà pourquoi, il me semble, Israël fut si tiraillé entre la fidélité et l’infidélité (sans cesse tu t’éloigna de Dieu, puis revint à lui) Ce fut la conséquence inévitable d’un système totalitaire, d’un régime de vie impossible.

 

Si la civilisation mésopotamienne, égyptienne, grecque, romaine… furent des civilisations, Israël ressemble étrangement à une secte.

 

Aujourd’hui, il y’a plus de sectes que de civilisations.

 

La religion, n’en parlons pas, elle ne vaut que pour soi-même.

 

Le Sacré est à réinventer.

 

Ne devrait pas être sujet de guerre.

 

Le monde a trop souffert.

 

 

 

Adieu.

 

 

 

Cette année, je vais demander au père noël des nans et des ah ouais par milliers.

 

Et puis un travail.

 

Et puis une femme.

 

Et puis des semelles dans mes souliers, pour que mes pieds marchent longtemps.

 

Mais surtout une paire de seins.

 

Quelque chose qui prenne soin de mon oiseau. Une cage, par exemple.

 

Des yeux, aussi, pour parler à mon cœur.

 

Peu importe la couleur de l’emballage.

 

Un beau petit cul n’est pas de refus.

 

Ah. J’aime les foufounes noires. Surtout les monts de Vénus.

 

Mais peu importe si la femme est belle et charmante.

 

Un peu intelligente.

 

Gentille surtout.

 

Mais jolie tout de même. je ne veux pas demander trop au père noël, mais,

 

pour prendre un cadeau,

 

il faut qu’il ait bon attrait. – Peu importe le papier.

 

 

 

Pendant que les hommes se disputent, moi je fais le beau.

 Mes copains sont les oiseaux.

 

Orédéjàparti

 Delamourmouru

 Iradoùnaqui

 Leparadiperdu.*

 

Il y’a bien longtemps, très très long long temps

 Vivait une petite quéquette.

 Elle était si petite qu’elle ne savait plus où se mettre

 Si ténue, qu’on en tombait des nues.

 Un jour qu’elle se promenait, triste, la tête en bas,

 Elle sentit quelque chose de curieux. Oui très curieux.

 Timide – mais curieux –

 Elle leva quelque peu les yeux. Et là… là…

 Miss Touffette en personne !

 Grand fut son trouble, grand fut son choc et grand tout court.*

 Un haricot vert déambula dans la chambre

 Leva la tête et demanda :

 C’est quand mon tour ?

 Z’haricots tordus

 Pan pan cul cul !*

 

 

 

Je prends congé. Un hymne, un chant me vient à la bouche

 

(Laser jet Extra Strong)

 

Mais avant, j’ai des choses encore à dire.

 

 – Vraoum !… Vraoum !… Tui-tui-tui …

 Vrrrbrrr… Tui-tui-tui-tui…

 Viang !… tui tui… Broom !… Pluit-pluit-pluit.

 Tui-Tui. Ihang… Tui tui tui tui tui I… Tui. ang… Tui Tui !

Brrrzing !… Pi cli-cli-cli-cli

 Vraouring ! Kê kê kê kê kê !…

 Huitz Huitz Huitz*

 Hourra !…

 

 

 Adieu.

 

J’aime la nature.

 

Savez-vous qu’on ne connaît pas assez les oiseaux ?

 Le faucon plane

 patauge dans l’air

 tombe par terre

 Le corbeau, c’est le cri de la terre

 le cri des champs labourés

 le cri des grands espaces

 celui de la plaine

 de la solitude.

 Chaque oiseau font* un chant.

 Le corbeau croasse ou crasse :

 Croa ! croa ! croa !

 Cra ! cra ! cra !

 Le pic vert pouipouite :

 Poui-poui-poui poui-poui-poui poui-poui

 Le rouge gorge titute :

 Ti Ti Ti Ti Ti

 Et moi je fais miaou.

 

 J’ai encore tant à découvrir.

 

 

 

La pinàlapapa

 

La founàlamaman*

 

Cui cui cui rantanplan

 

J’ai des gros mots plein la sacoche

 

Comme des vers blancs

 

Je connais le con le cul le concupiscent

 

Le vin coulant entre nos fesses

 

Il y’a le Jourdain, le ruban rouge de Jéricho

 

Le cunnulingus et la fellation.

 

Le sperme à goûter pendant l’amour

 

Glou-glou je suis le gaulois enfantin

 

Sapristi bout d’joie

 

Rose à chose etc…

 

 

 

Adieu.

 

 

 

__________

 

 

 

Bonjour

 

Comment entonner ce chant sans ridicule, sans boursiflure

 

sans de poésie à la papa pépère

 

sans honte.

 

« honte, honte, honte, – telle est l’histoire de l’homme ! » – ainsi parlait Zarathoustra.

 

Il ne faut plus qu’il en soit ainsi.

 

Aussi, c’est le cœur libéré et joyeux que je chante

 

Mon répertoire est long et varié : je chante aussi bien : « Mourir pour des idées, d’accord, d’accord, mais de mort lente », qu’ « Auprès de ma blonde, que c’est bon , c’est bon »et pourquoi pas « Boire un p’tit coup »

 

C’est agréable !

 

Que la vie est belle ! Belle parce qu’on l’aime et la maudit

 

Belle parce que les contraires donnent valeur à chaque chose et identité.

 

Belle parce que de la contradiction naît la richesse.

 

Belle d’être et de n’être pas

 

Belle de mystère

 

Belle de la différence

 

Oui, belle, même, parce que certains aiment la poésie, et d’autres pas –jusqu’à la mépriser ou l’indifférence.

 

Parce que certains aiment les mathématiques et d’autres pas – jusqu’à les mépriser ou l’indifférence.

 

Belle de raison et de passion

 

Belle de science et de religion

 

Belle d’espoir et de désespoir

 

de désespoir et d’espoir

 

Belle de sexe

 

Belle de femmes : le beau sexe

 

et d’hommes : le bon sexe

 

Belle d’animaux

 

Belle de chats : le divin

 

et de chiens : l’humain

 

Belle de connerie et d’intelligence

 

De profondeur et de superficie.*

 

 

 

Ah ! j’en ai trop dit…

 

Il y’a une certaine vérité, et il y’a un certain mensonge dans ce que je dis.

 

La femme est aussi belle nue que vêtue

 

Il paraît qu’elle est plus excitante à moitié nue : Je partage cet avis.

 

 

 

____________

 

 

 

Ceci n’est pas encore mon chant final.

 

Ah ! J’aurai voulu être compositeur : c’est un opéra de nans et de Ah ouais que je voudrais faire.

 

La musique est le plus grand art – la où commence l’évanescence du langage. La musique est Evanescence. J’aime la musique.

 

Qu’est-ce un mot à côté d’une note. Je veux vénérer l’oiseau. L’oiseau est mon dieu, et la source et tout ce qui dans la nature fait de la musique en compagnon du silence. C’est de la nature que sont sortis Mozart, Debussy etc. Dans l’éternité, ce sont des oiseaux.

 

Et pourtant, c’est avec des mots qu’on dit à une femme : Je t’aime. Pas avec les fesses !

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

Vite ! Une chatte !

 

Adieu, Harmaguédon –

 

Salut, nichons !

 

                                    f 1er novembre

 

 

 

20 novembre 2017

Mémoire (témoignage 1998-1999)

Mémoire

(1998-1999)

 

A l'attention du lecteur: Pour la première partie, toutes les notes sont d'origine (elles correspondaient à des astérisques dans le texte et non des numéros, pour la seconde partie, plus courte, j'ai placé toutes les notes en fin de texte. Ces notes sont, sauf indication contraire, d'origine, datant de 2004, quand je faisais un patchwork de mes oeuvres entre 1994 et 2004 sous le titre "Du Paradis perdu aux Paradis retrouvés" (j'en parlerai dans une autre page), et expriment bien mon état d'esprit de l'époque (notamment dans l'hhumour, l'auto-dérision, voire l'ironie qu'on y trouve) Les autres ont été écrites présentement (novembre 2017)

 

 PROLOGUE

 

 Dans la vingt cinquième année de son existence, Fanou entreprit de raconter son histoire. Ou de se raconter avant qu’il ne parte, car il ne savait pas quand il allait partir. Peut-être à cent ans. Il espérait.

  Donc, dans la vingt cinquième année de son existence, il pensa qu’il avait fait le quart du voyage, il pensa aussi qu’il avait vécu suffisamment pour prétendre pouvoir dire quelque chose au monde aux hommes, ou à l’univers à lequel* il appartenait comme une infime poussière perdu dans l’infini, dans le temps. Il était vivant, bien vivant cependant. Chaque vie, chaque existence étant un monde, Fanou était un monde à lui tout seul. Il allait tâcher de le prouver.. « Prouver quoi »,se dit-il dans un instant de doute. « pis d’abord, qui je suis pour prétendre écrire peut-être mille pages qui ne regardent que moi. Tant de livres…Tant de livres… A quoi ça sert… » Et il s’accusa : « vieux prétentieux…égoïste… » pour aussitôt se reprendre : « Il le faut. J’ai des choses à dire. A ma famille, à moi, au monde… Je vais faire un portrait, oui un tableau de ma vie… » et il prit sa plume et la porta à sa bouche.

  Fanou allait raconter l’histoire de Fanou. Réel, il allait le présenter comme un personnage mi-fabulique, légendaire, hors du temps, hors de lui. C’était ce qu’il y’avait de plus dur : dire « il » au lieu de « je ». C’était comme une lance dans son cœur. Mais, il le devait, pour garder quelque distance, pour se sauvegarder. Il allait écrire une autobiographie déguisée en roman. Il rêvait même d’un roman-photo pour approcher la Vérité, pour éviter aussi les longues descriptions vagues, alors que la photographie copiait le réel. C’était ce qu’il voulait. Ce qu’il voulait encore, c’est de partir de réalités visuelles (les photos) pour trouver la vérité qui se cachait en elles.. Son vrai travail serait de donner vie à ces photos, en fouillant son cœur, ses souvenirs. Faire voir, cette fois-ci, tout ce qui se cache derrière un visage que tous verraient. « Enfin, Fanou sera nu. nu comme un ver… » Et il commença à écrire ce qui suit,*

 

* Ce texte inachevé mis ici en guise de prologue fut l'impulsion donnée à Mémoire, mais le programme dans sa forme changea. Le principal changement fut l'adoption du "je".

 

1ère partie

 

DE LA NAISSANCE A LA PRIMAIRE

(1973-1984)

 

  Je suis né Témoin de Jéhovah , je veux dire fils de Témoin de Jéhovah ou futur Témoin plus exactement. Ma mère m’attendait lorsqu’un bel homme costumé frappa à la porte et lui parla de Dieu avec une Bible en main. La Bible, c’est ce qui détermina ma mère à accepter une étude de celle-ci, car elle était croyante catholique avec ce petit plus par rapport à d’autres croyants qu’elle tenait beaucoup d’estime à ce livre et y recherchait quelque chose : une vérité. Sa mère, une belle femme et très croyante mourut lorsqu’elle avait huit ans. Son père, qu’elle ne vit pour la première fois que très tard, celui-ci revenant de guerre du Vietnam ou d’Indochine, n’en demeura pas moins absent. Toujours en cavale… Ce grand et gros homme moustachu  et qui jouait à ses heures de l’harmonica, je sais (1) quel homme il fut, mais je sais aussi quel homme il est. Lourd passé, une vie misérable, une vie gâchée par ce que la religion nomme le vice et que je qualifierai de faiblesses, sans l’excuser. En fait, il avait tout pour réussir, il était intelligent, talentueux… Mais il en a rien fait et a côté d’un caractère assez bourru son beau regard dégageait de la générosité, de la bonhomie et une certaine bonté. Et il y’avait je ne sais quoi chez lui qui charmait, c’était peut-être ce bon fond qu’il exprimait par la musique et puis tant de discrétion, de Silence à côté d’une « belle mère » (2)(sa seconde femme) criarde, à moitié folle. Oui, quelque chose de tragique émanait de lui et je ne peux mieux le comparer qu’à Rochester (3) du roman de Charlotte Brontë qui à côté de son amour pour la jeune Jane Eyre cachait un passé misérable et un lourd secret, celui qu’il gardait enfermé dans une pièce du manoir de Thornfield une folle qui était sa femme. Cet homme que j’ose appeler mon grand-père peut-être pour la dernière fois, méritait que je parle de lui, ne serait-ce que pour lui rendre si possible un peu de dignité humaine, lui qui, athée, avait de la compassion pour les hommes. Enfin, si je lui consacre une page de mon livre, c’est qu’il est l’auteur d’une lettre très importante en rapport avec notre sujet. Il en sera question plus loin (4). Quand à sa mère, ne l’ayant jamais vu, je ne peux pas en dire davantage. Le mieux que je pourrais donner est une photo qui nous montre une belle femme aux grands yeux tendres. Tout ce que ma mère a perdu est dans ce visage, très tôt, trop tôt remplacé par celui de la « Belle mère » (5), cette petite bonne femme rousse affreusement laide, misérablement folle et qui la martyrisait. Entre une mère absente et un père absent, pouvait-il ne pas exister Dieu ? Soudain, Dieu devint une réalité plus forte et plus proche : il s’appelle Jéhovah.

 

1 - Je sais : mieux vaut lire : « Je pense savoir » car n’est-ce pas prétentieux de prétendre connaître quelqu’un ? Je n’ai rapporté que mes sentiments.  

2 - d’une « belle mère »: Cet exemple est exagéré. Je m’en excuse auprès de mon grand-père et ma « grand-mère ».

3 - Rochester : Comparaison exagérée. 

4 - Question plus loin : Il n’en fut pas question plus loin. Cette lettre « de la tolérance » remit à sa place le prosélytisme que j’avais manifesté dans une lettre datant de 1990.

5 - De la « Belle mère » : Encore du pas gentil gentil. J’aurais honte s’il n’y avait pas du vrai. Je ne veux pas la blesser, mais je ne peux pas être hypocrite. Ce furent là des sentiments exacerbés par la situation dans laquelle je les ai exprimé. Comme ailleurs… 

 

 A partir de là, tout alla très vite. Ma mère a accepté une Etude de la Bible avec l’homme qui avait frappé à sa porte. Mon père, réticent au début, s’intéressa peu à peu par curiosité en écoutant en cachette ce qui se disait dans l’étude, puis il y assista à son tour et quelque temps après, il arrêta de fumer du jour au lendemain : il fumait alors deux paquets par jour. Mon frère L*** a fêté son dernier Noël, son deux ou troisième, cette année 1973 qui est aussi l’année de ma naissance. Fin 1973, après ma naissance,  ou début 1974, mes parents prirent le baptême et furent appelé « Frère » et « Sœur ».

  [ Il faut voir une très grande différence entre la Foi passionnée de ma mère et la bonne foi de mon père, entre la conviction de l’une et la presque naïveté de l’autre. Bref, entre une foi profonde, vitale et une foi quasi superficielle. Mon père a tout simplement suivi ma mère et rien d’étonnant à cela puisque, de plus fort caractère, c’est elle qui a pris les responsabilités, qui a toujours mené la maison. Mon père, lui, a eu une enfance heureuse. La mère de mon père s’occupait très bien de ses enfants et même un peu trop… tandis que son père était plus sévère, d’un tempérament grincheux et instable. Son père avait la psycho maniaco-dépressive, maladie mentale qui faisait alterner des périodes de manies, de gaîté excessive, et des périodes de forte mélancolie, dite « dépressive » et souvent caractérisé par une agressivité ponctuelle. Cette maladie qui le mena plusieurs fois à l’asile, mon père en hérita. Elle se déclara peu après le mariage de mes parents en 1968 (1). Il fut une période, trop loin pour moi pour que je m’en souvienne, où il était devenu invivable et il fut interné pendant quelques temps. Heureusement, il réchappa à la folie qui menaçait lui et sa famille, on lui prescrivit un remède qui sans faire disparaître la maladie, l’équilibra, réduisit au maximum les troubles de comportement. Je me souviens que d’une ou deux fois l’avoir vu dans un état étranger à lui-même, devenu extrêmement agressif, le contrôle de soi lui échappant, et où il aurait pu tuer mon frère aîné à force de coups. Ces rares fois étaient toutes liées à un médicament mal adapté ou à un mauvais dosage (2). Cela fait maintenant des années qu’il fonctionne bien avec le théralite et qu’on peut le considérer comme guéri, tant qu’il prendra ses remèdes régulièrement (3). Personne de l’extérieur pourrait deviner qu’il a en lui une maladie qui sommeille. Il est normal et c’est le plus adorable des hommes. Il a ses sauts d’humeur et ses petites crises d’euphorie, et c’est tout (4). C’est un père qui a tout gardé de l’enfance, éternellement jeune. Ma mère dit parfois que c’est son sixième gosse. Mais on l’aime bien ainsi. Pour nous, ses enfants, il a toujours été un copain, un fidèle compagnon de bord, un complice plutôt qu’un Père (dans le sens éducateur du terme), ce qui nous empêche pas de l’appeler « Papa »… / Il s’est souvent caché derrière sa maladie pour ne pas prendre ses responsabilités de Père. Mais tout le monde sait très bien que cela vient de son éducation (5). De plus, il faut avouer qu’un caractère fort comme celui de m mère, laissait peu de place à la rivalité, n’était pas pour l’encourager dans cette voie./ Que dire de plus sur mon père, sinon qu’il a été enfant de chœur, mais qu’à côté, il a fait les 400 coups, qu’il a trois doigts en moins suite à un accident de travail, que son métier d’origine est charcutier, qu’il travaille tous les jours en usine pour subvenir aux besoins de sa famille, qu’il est serviable et ne sait dire non ?

 

1 - En 1968: Barré la phrase suivante : « Il se pourrait que cette maladie réputée héréditaire soit plus liée à des facteurs psychologiques et à un contexte familial particulier. » Je ne développerai pas cette pensée imprécise, mais dans l’ensemble vraie. Cet phrase traduit en fait une inquiétude de ma part : celle d’hériter à mon tour de sa maladie, inquiétude qui s’était manifesté la première fois lors de ma crise spirituelle débutée en 1994.  

2 - Mauvais dosage:  Peut-être aussi à un oubli de prendre ses drogues.

3 - Remèdes régulièrement : Je ne vais pas débattre sur le terrain de la Médecine, mais je me demande s’il n’y aurait pas d’autres solutions envisageables. 

4 - Et c’est tout : Mais ma mère est la plus qualifiée pour en dire ce qu’il en est vraiment. 

5 - De son éducation : Ce n’est pas une attaque contre ma chère « Mamie Blue ». Elle a fait, avec plein d’amour, ce qu’elle a pu. Elle non plus n’a pas eu une éducation facile ou équilibrée, il me semble. 

 

Et que dire encore de ma mère… Elle a toujours fait tout pour ses enfants. Avec peu de moyens, elle nous a toujours bien nourri – toujours de la bonne cuisine –, elle nous a toujours bien habillé, elle nous a bien éduqué et nous à pas appris à rien faire. Sa tâche a été lourde, parfois trop lourde, mais seul un caractère, une volonté de fer et un immense amour a pu surmonter ses peines, peines comblées par beaucoup de joies. Elle a bien sûr ses défauts, comme mon père qui a du mal a reconnaître ses torts : impulsive, tête de mule… Mais on se demande ce qu’elle serait devenue sans ceux-ci. La différence qu’il y’a entre le caractère de mon père avec celui de ma mère (ce qui ne les empêche pas de s’aimer malgré d’orages, et on peut même dire qu’ils se complètent) est aussi grande que celle de leur foi. ]

  Un jour, ma mère était si illuminée par ce qu’elle apprenait, qu’en voyant par la fenêtre de l’appartement l’église des Ponts-de-Cé brûler (et en effet, elle brûlait) qu’elle s’écria du balcon : Babylone la Grande est tombée ! Babylone la Grande est tombée !… »

  Souvent, mon père se délectait à table de raconter cette anecdote et on en riait s’imaginant la scène : ma mère criant et les autres surpris pensant : « D’où elle sort celle-là ?… »

  La nouvelle de la reconversion de mon père ne fut pas sans apporter des problèmes avec sa famille. Sa mère, catholique de la tête aux pieds, regarda du coup ma mère comme étant responsable. Ses frères le mirent à l’écart, sans jamais lui rendre aucune fois visite alors qu’ils habitaient à un kilomètre. Le froid familial dura quelques années, puis l’affaire se tassa. Mais jamais ils ne rendirent visite à mon père. D’ailleurs, comme notre père nous disait : « Que l’on soit Témoins de Jéhovah est un prétexte : ils ne nous rendaient pas plus visite avant ! « Et puis y’a toujours des Jéhovahs chez vous » qu’ils disent. Tout ça parce qu’une fois ils sont venus et qu’il y’avait un Frère chez nous ! »

  Combien de fois, aussi, notre père nous a raconté cette histoire : « Un jour, on avait invité la Famille à manger. Et juste avant de manger, je me suis levé et j’ai dit : « Si ça ne vous dérange pas, je vais prononcer quelques mots de prière. » Et là, ils se sont mis à se moquer  en demandant dans quelle position ils devaient se mettre… » Je ne me souviens plus des détails de cette histoire, ni de ses mots à lui, mais on était de tout cœur avec mon père. On admirait son courage et s’indignait en même temps qu’on riait des manières de sa famille qu’il savait si bien singer.

  Nos parents étaient fiers d’avoir résister pendant tant d’années aux attaques de Satan qui selon eux faisait tout pour décourager les serviteurs de Jéhovah.

  Notre père se plaisait à nous raconter cette autre histoire :

 « Quand j’ai appris à mon frère René que j’étudiais la Bible, et que je voulais devenir Témoin de Jéhovah, il m’a pris à la légère et a répondu : « Oh ! Oh ! C’est une lubie, ça va t’passer… » Eh bien, vous voyez, disait-il en riant, au bout de 10 ans, ça c’est pas passé… »

  Et, en effet, c’est une lubie qui ne s’est jamais passée.(1)

Jamais passée : Si, passée depuis 2002. Ma mère a envoyé à la fin de 2004 une lettre de retrait de la Congrégation. (p 7)

 

  Mes premiers souvenirs sont flous. Ils ne datent pas d’avant cinq ans, je crois. Je me souviens de trois trajets qui ont marqué ma petite enfance : celui pour aller à l’école, où ma mère m’emmenait derrière la mobylette sur une route qui me semblait interminablement longue ; celui pour aller au marché, le mercredi ou le samedi matin, où je marchais à côté de ma mère sur une route tracée toute droite qui me semblait aller vers l’inconnu, car même après avoir traversé trois ponts, dont celui de la Loire ; enfin celui de la Salle qu’on faisait surtout le soir, empruntant en voiture toujours la même route dont une montée en spirale me signalait à chaque fois qu’on arrivait bientôt, mais me laissait le temps de dormir encore cinq ou dix minutes, suivant le nombre de feux qu’on passerait. Sur les trois trajets, seul celui-ci était nocturne, deux fois sur trois, quand le soleil se couchait avant huit heures, le mardi et le jeudi, le dimanche la réunion étant l’après-midi. Mais c’étaient les trajets de nuit qui me laissaient la plus forte impression. Lorsqu’on arrivait des Ponts-de-Cé au centre ville d’Angers, tout était éclairé, puis tout à coup, plus rien, le noir.. On entrait dans une petite rue de vieilles maisons délabrées, sales et très hautes. C’était là. Nul ne pût croire qu’ici il y’avait une petite salle qui rassemblait entre cinquante et cent personnes. La porte d’entrée ressemblait à toutes celles des maisons avoisinantes. Et pourtant, c’était bien là. Là, on y chantait, on y priait, on y écoutait des discours faits par un grand monsieur sur une estrade. Oui, grand, parce que même petit – ce qui est déjà grand par rapport à un petit – il était plus grand que les autres. Ce lieu avait une odeur particulière. Ca sentait un peu le vieux et le bois ciré. Mais une autre odeur s’alliait à celle-ci pour n’en faire qu’une : c’était l’Atmosphère. Ce qui frappait à chaque fois, c’est le moment où la porte était close, laissant une rue sans issue, vide et sombre comme la nuit, une rue qui faisait peur, et le moment où soudain, un foyer de lumière s’ouvrait sur la nuit. Et alors, un bain de chaleur, physique et humaine nous inondait, laissant la peur à la porte. On s’y sentait vraiment en sécurité. Des bonjours pleuvaient de tous côtés, partout des bras se tendaient pour une poignée de main. Des hommes, des femmes, des enfants. Les hommes cravatés, les femmes en robes et les enfants proprement vêtus. Tout cela faisait un bruit confus qui ressemblait à un murmure continuel. Parfois, on entendait un rire, ou une voix plus forte, un bébé pleurer. Un « ne cours pas » d’un père à son enfant. Parfois même, une claque ou une fessée. Et puis le bruit grinçant de la porte par où entraient les arrivants. Une musique s’élevait, vive ou lente, avec un son défectueux. C’était du piano en cassette.  A ce moment là, on voyait la foule dispersée, amis concentrée surtout derrière, commencer à se déplacer, chacun vers leur place. Et lorsqu’un homme montant sur l’estrade le plus discrètement possible, faisait malgré lui craquer le parquet, chose dont il semblait s’excuser tant il soignait ses pas, les uns s’asseyaient dans un bruit de chaises, de sacoches posées par terre et de fouillement qui consistait à trouver son recueil de cantiques, les autres un peu retardataires s’affairaient d’un pas pressé tout en s’excusant poliment au passage lorsqu’ils se frayaient leur chemin dans les rangs. « Frères et Soeurs, amis de la Vérité…notre réunion va commencer. Si vous voulez bien prendre place…», entendait-on au micro qui par moments sifflait, déraillait d’un son strident. Les derniers prenaient place dans la discrétion. L’homme au pupitre souriait. Plus personne ne parlait à voix haute, c’était le silence traversé de chuchotements, de pleurs chroniques, de feuilles. « Nous allons chanter le cantique numéro 35 intitulé : La bonne Nouvelle du Royaume. Ceux qui le désirent peuvent se lever. » Tout le monde, son petit livre rose en main, tournait les pages. On attendait, puis on entendait les premières notes au piano pour se remémorer l’air. Le chant s’élevait  de toutes voix, fortes ou faibles, belles ou discordantes. Mais chacun mettait tout son cœur. On y était fervent. C’était le moment de loin le plus chaleureux, le plus agréable de la réunion. Toutes ces voix à l’unisson avaient une grande résonance dans nos cœurs. On entendait les autres à travers notre voix, et quelquefois on entendait notre voix à travers les autres. Parfois même, on écoutait plus que les autres. Un, deux, trois couplets – parfois quatre – et tous refermaient leur livre en même temps. « Nous allons prononcer quelques mots de prière… », annonçait le Frère. Parfois s’ajoutait à cette formule : « à notre Dieu Jéhovah ». Tous à cette annonce baissaient la tête. Le silence. Puis ça commençait ainsi : « Jéhovah… (ou « Souverain Seigneur Jéhovah » ou « Jéhovah, mon Père »,etc.) nous nous tournons vers toi pour te remercier encore une fois de la vie que tu nous accordes, de pouvoir nous permettre de nous réunir librement pour te servir. O Jéhovah… » Il y’avait au moins cinq « O Jéhovah… » dans une prière, et on allait de remerciement en remerciement, de requêtes en requêtes, jusqu’au final, presque invariable : « O Jéhovah, nous te demandons humblement devant toi d’agréer cette prière, et ce (1), par les seuls mérites de ton fils Jésus Christ qui a donné sa vie pour nous. Amen… ». Et tous répétaient en même temps « Amen ». Tous de s’asseoir, tous de sortir leur Bible verte. Ensuite, ce n’était que Discours ou succession de Sujets (petits discours) pendant une heure pendant laquelle les pages des Bibles en papier glacé tournaient frénétiquement à l’annonce de chaque verset biblique qu’on invitait à prendre. On applaudissait à la fin. Ensuite, un autre cantique. Ensuite les Nouvelles où on annonçait les Salutations fraternelles de tel Frère ou Sœur ou de telle Congrégation, et alors tous ensemble disaient : « Merci… » traînant sur le i, autant de fois qu’il fallait, voir applaudissait suivant les cas, ou tous à l’inverse se taisaient à l’annonce d’un décès ou d’une Exclusion. Puis venait la seconde partie de la Réunion. C’était une série de questions-réponses. C’était la partie la moins ennuyeuse, la plus vivante. Le Frère posait une question donnée dans une Publication après lecture d’un paragraphe, des mains se levaient dans la salle, ou des bras se tendaient très haut avec l’index pointé lorsqu’il s’agissait d’enfants. « Oui Sœur Licois… » Il pointait son doigt sur la personne et un Frère accourait vers la Sœur dite avec un gros micro dont le fil traînait par terre et traversait la salle. Le micro circulait de mains en mains lorsque la personne interrogée était à l’intérieur des rangs. La réponse donnée, avec souvent des grisouillements dans le micro, celui-ci était renvoyé, et ainsi de suite. Un enfant répondait-il « Jéhovah ! » ou « Jésus !» que tous riaient de tant de franchise, de tant d’innocence dans la voix. Les adultes, eux, faisaient des réponses plus ou moins longues, plus ou moins recherchées, mais quasiment tous commençaient par un « On peut voir que… » d’une commodité aveuglante. C’en était devenu, je ne sais depuis quand, le tic ou le mot de passe de tout le monde. Et après chaque réponse, le dirigeant de l’étude disait « Merci… », toujours en faisant traîner un peu le i (en crescendo) ou, sur le même ton : « bien… », « très bien », « et encore… », ce dernier quand la réponse était insuffisante. L’étude se déroulait ainsi, dans une ambiance chaleureuse. Puis la réunion se clôturait par un cantique louangeux et la prière finale, faite par un Frère appelé au pupitre. Cinq minutes parfois, et un « Amen » libérateur retentissait en même temps. Toutes ces personnes assises et attentives  discutaient à présent. C’était une sorte de ruche en mouvement qui bourdonnait. Beaucoup encore se saluaient. D’autres faisaient la queue au Stand des Publications pour prendre leur commande de Réveillez-vous et de Tour de Garde. D’autres allaient aux toilettes. Les enfants jouaient et couraient dans la salle. Les uns étaient debout, les autres encore assis. Puis, peu à peu, la salle se vidait, faisant grincer la porte qui s’ouvrait sur l’extérieur et qui se refermait. Lorsqu’on avait quitté ce lieu « magique » avec sa chaude lumière jaune diffuse, c’était à nouveau la rue, noire lorsqu’il était tard, la rue avec ses peurs.

 

 (1)  Et ce : Variante qui m’est revenu en mémoire. Voir aussi prière dans Har-Maguédon.

 

Voilà le déroulement général de chaque réunion à la Salle du Royaume tel qu’on pouvait le vivre à un âge conscient. Il y en avait 3 par semaines. Dans ma petite enfance, elles avaient lieu dans la rue des Banchais à Angers, cette rue-là dont je viens d’évoquer quelques souvenirs.

  A quel âge ai-je pris conscience de ce qui m’entourait ? Peut-être dix ans. Il y’a un âge (de 1 mois à 3 ans au moins) où tout du monde extérieur se traduit en Sensations, olfactives, tactiles et auditives surtout, et plus tard visuelles. Pour ce qui est des réunions, mes plus fortes sensations devaient être auditives (omniprésence du micro) et dans une plus faible mesure visuelles (lumière jaune, monde), car il ne faut pas oublier qu’on passe alors le plus clair de son temps, soit à dormir, soit à fixer le plafond.

  Il y’a un âge (4 à 9 ans peut-être) où  ces sensations deviennent ce que j’appellerai des Impressions. C’est de là que naissent nos premiers souvenirs. Car c’est la première étape de la conscience dans l’inconscience qui nous noie encore. C’est là qu’on prend conscience de la différence d’un lieu à un autre, par exemple. C’est qu’on est capable non plus seulement de sentir, mais de ressentir. C’est donc là que je me suis rendu compte de la différence d’atmosphère, de la différence tout simplement entre être à l’école et être à la Salle. Etre à la maison et être à la Salle, etc. C’est là où peu à peu je me suis accoutumé à voir certains visages, à entendre certaines voix, certains mots souvent répétés comme Jéhovah ou Jésus. C’est là que, peu à peu, « JEHOVAH » a eut une résonance particulière dans mon cœur et qu’il est devenu une chose importante, gravée dans la mémoire. C’est là que, peu à peu,  j’ai pris conscience d’une certaine conduite à tenir et de certains interdits.

  De cette période, il me reste certains souvenirs comme mes sommeils par terre (moquette ?) aux pieds de papa et maman, des petits bâtons que l’on faisait, mes frères et moi, sur une feuille, chaque fois que l’on entendait pendant un discours « Jéhovah », « Jésus » ou « Esprit Saint », chacun dans sa colonne respective, et avec quelle avidité on attendait que sorte ces mots de la bouche du grand monsieur au pupitre (« Papa, Papa ! il a dit Jéhovah ? » souvent demandait-on à papa), et avec quel enthousiasme on comptait les bâtons et comparait nos nombres pour savoir qui avait gagné ou le mieux écouté ; enfin, des fois où papa ou maman me sortait par la main dans la petite salle (salle annexe) pour me faire assis sur une chaise et moi le ventre contre leurs cuisses une fessée déculottée lorsqu’on était pas sage, c’était pareil pour mes frères. Lorsque j’ai atteint un âge où on commence à avoir de la pudeur pour ses fesses, j’eus mes premiers sentiments de honte et mes premiers ressentiments.

  Un jour, mon père m’emmena dans la petite salle  et me demanda de ma déculotter le dos tourné devant lui. Je devais recevoir une correction humiliante avec une baguette ou un martinet. Pour la première fois alors, je me suis rebellé, disant que je voulais pas qu’il voit mes fesses. Je ne me souviens plus bien du reste, mais il me semble qu’il en fut gêné. Je ne me souviens pas de la correction, je ne crois pas en avoir reçu. Ca n’a pas d’importance. Ce qui est important, c’est que pour la première fois j’en sortais à la fois victorieux et marqué par la honte comme jamais. J’étais choqué.  Mes rapports avec mon père qui me choyait tout petit changèrent. Je l’ai craint et je lui en ai voulu pendant longtemps.

  Quels autres souvenirs ai-je de la salle des Banchais ?

   Il y’avait un homme « méchant », vieux, gras et mal rasé qui habitait juste au-dessus. On entendait fréquemment du tapage et souvent l’ogre s’engueuler avec sa femme, la battre, et même brailler contre les Témoins de Jéhovah. Une fois, on l’entendit dire : « Jéhovah est un con !… », etc. On l’entendait, mais on le voyait peu, ce qui rendait sa présence mystérieuse. Tous les enfants avaient peur de cette grosse porte qui donnait sur un obscur couloir pavé à ciel ouvert. On imaginait toutes sortes de choses sur lui et sa femme. Surtout lui.

  A l’opposé, il y’avait à la salle une grand-mère de 90 ans, doyenne d’Angers-Est et des autres congrégations d’Angers, que tous appelaient Mémé je ne sais plus comment, et qui attirait tous les enfants à elle après la réunion comme un foyer de lumière et de chaleur. Elle donnait des bonbons. Moi, je n’osais pas aller vers elle. Je crois qu’elle m’intimidait quelque part comme Moïse m’aurait intimidé. Et puis ce n’était pas dans ma nature d’aller vers les autres, surtout pour quémander quelque chose. Je regardais les enfants avec envie et essayait de m’approcher tout doucement. J’appréhendais le moment où j’allais lui dire bonjour pour avoir moi aussi un bonbon. Avais-je été sage ? Lui resterait-elle un bonbon pour moi ? Ou bien oublierait-elle ?

  Quand elle est morte, ce n’était plus comme avant. Elle avait marqué un Temps : le Temps de Mémé…

 

 

  Il me semble avoir eu deux vies, deux parties  de mon existence bien distinctes l’une de l’autre. Dans les premiers temps, les réunions tenaient plutôt du rêve que de la réalité, et rien d’étonnant à cela puisque, je l’ai dit, les réunions ayant le plus souvent le soir et ce sont là à n’en pas douter celles qui m’ont le plus marqué.

  J’ai eu une vie secrète, il est vrai. J’ai eu une vie normale aussi. Disons une vie quotidienne, une vie à côté, même si elle avait toujours, en présence, familière toutefois, un code moral religieux concrétisé par un mot d’ordre : obéir aux parents, par des noëls sans sapins ni cadeaux, par des prières à table ou avant de dormir, par des « Tu ne mens pas ? devant Jéhovah ?… », par une étude personnelle, etc. Mais pour moi c’était relayé au second plan.

  Voici maintenant une série de souvenirs du quotidien que je garde de cette période, c’est à dire de 1979 à 1982 puisque je n’en ai guère d’avant cinq ans. J’habitais alors dans un HLM, « Le pavillon » Les Roses, aux Ponts-de-Cé. J’en revois la disposition des pièces, l’étroit et long couloir, la vue du balcon d’où on voyait les trois hauts bâtiments, l’un nous faisant presque face, les deux autres en long de chaque côté, et d’où on pouvait s’échapper pour rejoindre les copains alors que maman l’avait interdit. Il y’avait de grands peupliers alignés devant notre bâtiment et qui nous séparaient d’avec le long mur d’ardoise du cimetière aux ifs noirs. Il y’avait un bac à sable où on jouait aux circuits et aux billes, où on creusait en rejoignant nos mains. – Les Gamelles que l’on faisait dans la cité, des « Garde-à-vous, fixes ! » lorsqu’on jouait à l’armée, les glaces que papa vendait en klaxonnant dans la cité, les parties de billes le long des murs, le garage, Fripounette, notre chatte noire, et j’en passe.

 

  La télévision occupait une grande place. Nous avons grandi avec. Elle avait un charme qu’on ne peut nier, surtout lorsqu’on est enfant. C’était le mercredi, bien sûr, qu’on la regardait le plus, puisqu’on n’avait pas d’école, et le programme offrait des dessins animés à tour de bras. Il y’avait « Sans famille », « Bouba » et tant d’autres dont on connaissait et connaît encore les génériques. Après les Informations, on regardait avec maman « La petite maison dans la prairie » C’était un moment de pur bonheur.

  Maman faisait attention à ce qu’on regardait. Après l’école, par exemple, on pouvait regarder « Tarzan », mais pas « Musclor » qu’elle jugeait trop violent, et parce qu’il n’y avait qu’un « Maître de l’univers » : Jéhovah. « Goldorak », « Albator, ça pouvait passer : ils luttaient pour la justice contre les méchants, mais ne prétendaient pas être Dieu. De plus, notre cousin du côté de maman, chez qui on allait fréquemment le week-end, en était mordu. Lorsqu’il venait chez nous avec ses parents, il voulait voir « Goldorak » et  plus tard « San Ko Kaï » dont il ne loupait pas un épisode, alors maman dérogeait à son insu à la loi générale.

  Quelques films m’ont beaucoup marqué. Je me souviens d’un film fantastique qui se passait au temps des romains, et je revois cette fameuse scène où il y’avait des cavaliers romains qui galopaient dans le ciel parmi les nuages ou à travers un épais brouillard. Ce n’était pas « La chevauchée fantastique », mais c’aurait pu s’appeler ainsi.

  Un autre film : « King Kong » dans sa première version en noir et blanc. La scène où il piétine et dévore de minuscules hommes noirs, où il lutte contre un gigantesque serpent, puis un Tyrannosaure.

  Un autre : « La lionne Elsa ». Ce sont surtout les circonstances dans lesquelles je les ai regardé qui me laissent un grand souvenir. Ce film passait à la télé un mardi soir ou pendant les vacances. Mon frère Y*** et moi étions tout excités à l’idée qu’on allait voir « La lionne Elsa ». Ca nous faisait rêver. Mais, je ne sais plus pourquoi, peut-être parce qu’il n’avait pas mangé ou qu’il avait désobéi, mon frère fut puni par maman et privé de regarder le film avec nous. J’en fut attristé au point de demander une faveur à maman tandis que j’entendais mon frère pleurer à chaudes larmes et taper rageusement à la porte de notre chambre. Elle me fit comprendre alors que cette punition était juste. « Mais… ». « Est-ce que Jéhovah revient sur ses décisions ?… »

  Elle avait raison. Je regardai le film en pensant à mon frère.

  Enfin, un dernier film marquant fut « Jésus de Nazareth » en plusieurs épisodes . La musique lancinante m’est resté dans la mémoire. C’est le film qui m’a le plus ému. Les souffrances imméritées de Jésus, la crucifixion… Je me souviens très bien de la venue intime du Frère Ticot chez nous pour voir le dernier épisode. C’était à la fois excitant et intimidant.

 

  Comme tout le monde, j’ai été à l’école (n’ai-je pas déjà dit que maman m’y emmenai en mobylette ?). C’était une école publique. L’école privé, c’est à dire catholique, était contre la religion de mes parents.

  Maternelle : Je me souviens des siestes (je n’aimais pas beaucoup ça), des jeux de cerceaux, des comptines telles que Pommes-poires-abricotsUne souris verte et des jeux en rond où on tirait le saucisson, etc., dans une grande salle, d’un spectacle de marionnettes dans cette même salle. Du grillage par où on rêvait de la grande école dont on était séparé (école primaire).

  C.P : La classe était dans un préfabriqué. Les récréations, je les passais seul dans un coin. J’ai un souvenir vague quand au visage de ma première maîtresse : Mme Lepreste. Lorsque j’appris à écrire elle s’efforça en vain de me faire écrire de la main droite et de me faire tenir un stylo correctement. Je n’avais pas une belle écriture, mes progrès étaient lents et laborieux. Des problèmes d’audition aggravés par une succession d’otites me fit redoubler cette classe.

  CE1 : Aux préfabriqués du C.P succédaient le grand bâtiment. J’étais maintenant dans la cour des grands (il y’avait réellement deux cours qui côtoyaient la maternelle : celle du C.P et celle des classes supérieures).

  Souvenir plus nette de ma seconde maîtresse : Mme Pichon. C’était une forte et grande dame qui imposait le respect, mais qui était aussi d’une très grande gentillesse. Elle savait s’y prendre avec les gosses. Avec elle, j’ai fait des progrès considérables. Je me suis fait avec elle une réputation de maladroit et de tête en l’air qui me charmait et que je tenais à garder, il m’arrivait jusqu’à faire le pitre. Elle m’aimait bien et je l’aimais bien. Je l’adorais presque. C’était une seconde maman. Je cherchai à lui plaire. Recevoir une gifle d’elle était toujours marquant.

  Je n’ai jamais été plus motivé pour collectionner les bons points et pour avoir au bout de dix bons points une image.

  Ma plus grande joie du CE1 fut de recevoir un jour un colis de William, mon correspondant guadeloupéen. On avait tous un correspondant et ce jour-là un carton rempli de colis était parvenu jusqu’à nous. Moi j’avais reçu une marmelade et une photo. La marmelade n’était plus bonne, mais j’étais heureux d’avoir reçu quelque chose de si loin.

  Le CE1 fut ma dernière classe aux Ponts-de-Cé. C’est avec tristesse que je quittais l’école et surtout Mme Pichon…

 

  J’ai tout à l’heure parlé d’un redoublement du C.P. J’ai parlé de problèmes d’audition, auxquels il faudrait ajouter des problèmes de lenteur aussi bien à comprendre qu’à exécuter les choses.  Il me faut maintenant évoquer d’autres problèmes, autrement graves.

  De la fin de la maternelle (1978) à ma première année de C.P (1979), maman fit une dépression, ce qui lui fit passer un mois à l’hôpital et trois mois au Chillon – une maison de repos. Je ne me souviens pas comment j’ai vécu cette absence prolongée. Tout ce qui me reste de souvenir est une visite à maman dans le château romantique. Il y’avait plein de vieux avec lesquels, maman, papa, mes frères et moi adjoints, une photo fut prise. Cette photo, avec celle de maman posant dans le parc, est tout ce qui me reste. Comme c’est drôle ! C’est figé, définitif. La photo comme document, pur et simple. Elle ne remplace pas ma mémoire ; c’est un support, elle l’a nourrie. Rien comme la photo ne me fait mieux rendre compte de l’importance d’une seconde de vie, d’une seconde de ma vie. Rien ne peut restituer mieux un passé assez obscur dans mon souvenir. C’est comme une étoile. Rien, enfin, ne me porte autant à l’interrogation, au Souvenir. Par exemple, en regardant la photo de groupe où je suis placé devant aux côtés de mes frères, je me demande : « Quel rôle joue ma poupée orange avec laquelle je cache à moitié ma face ? A quoi je joue, à quoi je pense à travers mon œil (car on en voit qu’un) ? » C’est à mon sens honnête un détail qui vaut mille fois la banalité de l’ensemble, et pourtant, à mon œil rétrospectif, impliqué, rien ne m’est banal (du moins pour moi, à vous d’en juger), mais tout me paraît, à l’exception dite, Insignifiant.

  En conséquence de cette année manquée et de ma fragilité, le médecin préconisa un séjour en colonie sanitaire. C’est ainsi que je passa un mois loin de mes parents dans la Maison d’enfants le « Bocage fleuri » à Monbel, un endroit perdu dans les Alpes. Je sais ma date d’entrée d’après mon carnet de santé : le 22 juillet 1979 – mais je ne connais pas ma date de sortie. Il est noté seulement une consultation chez un O.R.L le 1er octobre 1979.

  Je n’étais pas seul : mon frère aîné était avec moi pour des raisons différentes, je crois : il était turbulent. Toujours est-il que là-bas, je ne le vis que très peu. Nous étions séparés par notre différence d’âge de deux ans. Je crois l’avoir vu une fois sous une douche commune et plusieurs fois à la cantine. J'a’ un très vague souvenir de nos relations. Mais je ne crois pas me tromper en disant qu’il m’évitait et qu’il ne manquait pas quand nous nous retrouvions à la cantine de me railler, par exemple d’être difficile sur la nourriture.  

  Ce fut pour moi un séjour étrange, comme un mauvais rêve, ainsi qu’une expérience qui m’a marqué.

  L’atmosphère à moitié carcérale me déplaisait, même la sieste. On me forçait de plus à dormir (la nuit) la tête du côté du mur. Je me souviens d’une seule sortie à l’extérieur, une marche en groupe. Il faisait très beau. Je ne me rappelle pas d’avoir vu des montagnes autour de moi, mais de la rencontre au bord de la route d’une énorme (pour moi) sauterelle verte portant derrière un long couteau. Je ne crois pas en avoir vu avant, ce qui explique peut-être que ce petit souvenir soit devenu grand dans ma mémoire.

  Mais cette rencontre inattendue et nouvelle est une chose assez bénigne par rapport au traitement que j'a’ subi avec au moins une dame dont je me souviens (ça devait être la dame de pique et de carreau – heureusement qu’il y’avait aussi une dame de cœur et de trèfle !). Cette dame était sadique. Une fois, j’avais fait caca au lit. Elle me traîna par la main jusque dans une pièce sombre où elle me plaça sur une chaise haute. Et elle me força à manger de mon excrément sur une cuillère.

  Une autre agréable action : elle et d’autres s’amusaient à me faire peur en me disant, me répétant x fois que je resterais toujours ici, que je ne reverrais jamais plus mes parents.

  Heureusement, je revis mes parents. Un monsieur m’emmena seul dans une grande voiture. Ce fut un très long trajet pendant lequel je fus inquiet quant à ma véritable destination. L’homme me descendit à un café, si je me souviens bien. Maman était là, belle comme le jour. Ne rêvais-je pas ? Non. Lorsque je la serrais dans mes bras, lorsqu’elle me parla doucement, je sus que j’avais retrouvé maman. Quelle délivrance, quelle joie ! Et pourtant... quel temps s’était écoulé, quelles choses irracontables avais-je vécu. Certes, j’avais pris du poids, des joues… Et maintenant, il fallait tâcher d’oublier ce cauchemar, ce Rêve qui n’en était pas un.

  Une nouvelle vie commençait. Ou elle recommençait tout simplement. Le train nous ramena à la maison. L*** était déjà revenu, il faut le croire, mais je ne me souviens de rien de mon retour à la maison. Je ne me souviens pas d’avoir franchi la porte, ni rien, aucun repère dans le temps. De même qu’on ne se souvient pas l’instant où on s’est endormi, de même je ne me souviens pas de la réalité nouvelle qui m’entourait.

 

  Jusqu’à quel point ai-je été troublé (traumatisé) par ma triste expérience scatologique ? C’est une question que je me suis souvent posé, de même que je me suis souvent demandé si ce n’était pas une pure invention de ma part, si ce n’était pas un cauchemar que j’ai cru réel, tant ça me paraissait invraisemblable. Mes parents n’ont jamais su. Mais ils m’ont appris une autre expérience scatologique, celle-ci plus rigolotte. Il paraît – mais j’en ai pas vraiment souvenir – qu’une fois, chez Mamie, je m’étais barbouillé de caca sur le popo et que je rigolais tout ce que je pouvais. Si ça s’est passé après mon séjour au « Bocage fleuri », cela voudrait dire qu’à 7 ans et demi ou 8 ans, je faisais encore mes besoins sur le pot. Est-ce possible ? Je ne le crois pas. IL m’est à l’instant évident que ce fut là ma première expérience scatologique : celle-ci était jubilatoire et innocente – c’était je pense une de ces petites bêtises d’enfant joueur et curieux.

 

  Pur en finir avec les mauvais souvenirs de ma petite enfance, il y’eut deux autres séjours désagréables : le premier à Dinard chez « la Belle mère ». Elle me lavait avec une brosse à chaussure et, peut-être pire, elle me forçait ou voulait me forcer (heureusement qu’il y’avait le papy, et encore s’écrasait-il le plus souvent devant sa petite bonne femme titanesque) à manger du fromage : camembert, Vache qui rit… fromages vomissifs (1) au seul fait de l’avoir dans la bouche : Bouche qui refuse convulsivement d’avaler. Le seul fait d’y penser, là, en ce moment, me met le haut-le-cœur, tout comme le fait de penser à mordre de l’aluminium, une sensation désagréable pour l’avoir tout seul déjà expérimenté une fois… Enfin, est-il vrai que le dégoût du fromage a un lien avec la scatologie ? Ce que je peux dire, moi, c'est que mon palais refuse tous les fromages crémeux ou pâteux alors que le gruyère passe sans problème et même avec plaisir. (2)

1- vomissifs: Ce que je peut dire, moi, c’est que mon palais refuse tous les fromages crémeux ou pâteux alors que le gruyère passe sans problème et même avec plaisir.

2 - Même avec plaisir :  J’ai oublié le deuxième souvenir, mais c’est aussi une histoire de forçage fromage, sauf que c’était dans une famille, même deux, de Témoins de Jéhovah.

 

Voici à présent des souvenirs pour la plupart meilleurs, même souvent très bons, des souvenirs du quotidien, de la vie familiale ou de ma vie personnelle dans l’appartement et dans la cité. Je préfère les énumérer par petites rubriques, sans ordre spécifique.

  Livres «Tout l’Univers » : Ma mère possédait cette belle collection d’encyclopédies rouges que tout le monde connaît. Très tôt ma curiosité fut en éveil, très tôt je pris goût aux livres, et cette collection fut une véritable source de joie pour moi, si bien que je me la suis appropriée. J’ai passé des heures, des journées entières seul dans ma chambre que je partageais avec mon frère Y*** à les dévorer. Au début je regardais plus que je ne lisais. Ce qui m’intéressait le plus c’était surtout les animaux, la préhistoire et l’Antiquité. Il est a noté que lorsque je me référai sur la table des matières à une page je ne lisais jamais en nombre mais en chiffre. Par exemple si l’index notait p 432 je lisais 4.3.2, p 1536 : 1.5.3.6, et cette habitude m’est depuis lors toujours restée avec Tout l’Univers.

  Les Animaux d’Afrique : Ce fut mon premier livre offert par maman et sans doute le premier cadeau dont je me souvienne. J’étais alors en CE1 et je l’avais reçu en cadeau pour m’encourager à poursuivre mes efforts à l’école. Ce livre fut suivi par d’autres de la même collection, mais celui-là est de la plus grande valeur. Je l’ai épluché de bout à bout, j’ai même décalqué tous les animaux, ce qui était un de mes passe-temps préférés.

  Poupée orange :Maman en avait tricoté les robes. Il y’en avait une bleue et une orange. La bleue fut la poupée de Y***, l’orange fut la mienne. C’était une compagnie plus qu’un jouet. On l’emmenait un peu partout avec nous : à la Salle, par exemple.

  Poupée noire : celle-là a son histoire. C’est à la suite d’un petit incident avec Y*** qui claqua la porte de l’appartement sur un de mes doigts alors que je lui courais après. Ce jour-là, mes parents m’emmenèrent chez Mamie qui pour ma consolation me demanda de choisir un jouet dans son petit magasin. Mon choix alla vers cette poupée africaine, qui m’intimidait et m’attirait tout à la fois par son mystère. Un poupée noire… Je crois que je n’en avais jamais vu. Parfum particulier.

   Fripounette :  Notre chatte noire… Elle avait un pelage soyeux. Elle avait du siamois. C’est la déesse égyptienne, la déesse Bastet incarnée. Ses yeux étaient de purs diamants qui perçaient par leur lumière l’obscurité la plus profonde. Une nuit, je fis un cauchemar : des yeux de loups me cerclaient Lorsque je me réveillais en sursaut je vis deux yeux me regarder dans le noir ! C’était Fripounette… (1)

 1 - Fripounette: Souvenir dont j’ai tiré un sonnet ( Les yeux) en 1994, intégré dans Souffle (1995-1996).

  Nicolas Garcias : C’était un enfant mal élevé dans la cité. Il était sale, il bavait, il mordait et griffait lorsqu’il se battait, ce qu’il cherchait souvent. Il était guère aimé. Un jour, il me provoqua un duel. Je m’y préparais de mon côté en donnant des coups de poings aux portes. Le jour arrivé, je le terrassa par terre et tandis qu’il se débattais comme un chat sauvage enragé, je n’eus d’autre recours que de lui pincer le nez. Je l’ai si bien pincé qu’il en saigna et courut pleurer maman. Plus jamais je n’eus à faire à cette garce…

  Bonne Parole dans les buissons : J’avais cru me faire un ami. Un jour, nous nous cachions dans les buissons et je lui montrai une brochure sur les Témoins de Jéhovah. Il me semblait intéressé et je ne sais plus si je lui la laissai, mais le lendemain il n’était plus mon ami et se moquait de moi avec d’autres. J’avais reçu une leçon qui me marquerait par la suite dans mes rapports avec les autres.

  Martinet : J’eus aimé que ce soit cette espèce d’hirondelle qui se soit un jour posé sur ma main ou mon épaule, mais c’était tout simplement destiné à se poser sur nos fesses, mes frères et moi, quand on avait fait quelque chose de mal. Les lanières disparaissaient, mais des martinets neufs, ça se trouve…

  Le palier à manger : C’est à dire manger sur le palier quand on ne mangeait pas à table. On avait plus alors qu’à manger notre honte.

  Fessée déculottée : En parlant de honte, je ne l’ai peut-être jamais autant savourée qu’en public, lorsque maman me déculotta devant les autres enfants et me fit une fessée, la plus marquante que je reçus d’elle. Je ne me souviens plus de ce que j’avais fait…

  Courses d’escargots : Voilà qui est plus rigolo. On en faisait dehors et aussi dans le couloir de la maison. Bave et crottes traçaient le chemin qu’ils avaient parcouru.

  Bataille de bêtes : C’était de loin le jeu le plus original que nous avions inventé.*

 

   Rue des Banchais : 10 ans. C’est l’âge où on se sent avoir grandi. Les impressions se précisent. Tout ce qu’on a acquis de flou devient plus clair. Clair comme Familiarité, comme Connaissance. On entre insensiblement dans le Savoir.

  La rue des Banchais s’est éclairée. La Salle est devenu un lieu habituel, depuis longtemps déjà, mais jamais aussi chaleureux, aussi familier. Car c’est une famille maintenant, une nouvelle famille. Nous sommes une famille dans une Famille et la Salle est une autre Maison. Aller à la Salle, c’est l’occasion de se retrouver avec tous les Frères et Sœurs pour ensemble servir, louer Jéhovah qui nous a réuni. Et puis là, pas de moqueries ou de rejet comme à l’école. Tout le monde s’aime. C’est un monde nourri de rêves, nourri du rêve le plus grand : plus de guerres, plus de méchanceté. Le Paradis. Une terre qui devient un Paradis. Et ce qu’il y’a de plus merveilleux pour moi, c’est tout simplement les animaux. Car il y’aura plein d’animaux que je pourrais caresser. Je pourrais même jouer avec. Avec les lions, avec les éléphants, les serpents, tous les animaux sauvages, et les oiseaux qui me font tant rêver tandis que je les regarde en classe par la fenêtre se poseront sur ma main ou mon épaule.

  Mais ce n’est pas un roman que j’écris.

  Il y’avait à la Salle un mélange de fiction et de réalité. Et encore ce que j’appelle Fiction était davantage une réalité fictive ou plutôt ce qui me semble plus vrai  une réalité invisible. La Salle était peuplée de noms de personnes invisibles. (1)

  En premier lieu, JEHOVAH, le grand Invisible puisqu’il était lui-même invisible. Il n’avait pas de corps, pas de forme, pas de visage. Pourtant dans la Bible, il tendait sa main pour aider ses serviteurs, il voyait tout (comment voir sans yeux ?). Pas plus difficile à croire que d’avoir toujours existé étant le Créateur, étant « Dieu tout puissant ». Enfin il voyait tout du passé, du présent et de l’avenir. Il était parfait.

  JESUS CHRIST. C’était le fils de Dieu. C’était l’intermédiaire entre Dieu et les hommes. Bien qu’Invisible lui aussi, il était une fois descendu sur Terre sous une forme visible : un homme, et cela rendait Jéhovah plus accessible à nous, plus « visible » pourrait-on dire. Ne pouvait-on pas penser que si une personne invisible pouvait devenir visible, c’est qu’il n’était pas si invisible que ça ? Aussi, le fait de n’avoir aucune représentation du visage de Dieu était largement compensé par les illustrations de nos livres où on pouvait voir Jésus sur terre  avec ses disciples (3) ou devant Ponce Pilate ou cloué sur le poteau (2). Il avait toujours une barbe et c’est ainsi que je me représentais Jéhovah – avec une barbe plus grosse et blanche – un colosse musclé assis sur son trône céleste, une couronne sur la tête. Mais il était clair que Jésus avait un côté de familiarité plus grande que Jéhovah qui restait un juge terrible, malgré qu’il ait par son « grand Amour » sacrifié son fils pour sauver les hommes. Il est indéniable aussi que sa souffrance nous le rendait plus proche de nous, en tant qu’hommes, même si lui aussi était parfait.  

  L’ESPRIT SAINT (4) : L’Invisible des Invisibles. Il est resté longtemps pour moi un mystère sur Dieu. Etait-ce quelqu’un ou quelque chose ? C’était quelque chose qu’avait Dieu (5).

  LES ANGES : Des hommes ailés. Ils vivaient dans le ciel et servaient Jéhovah.

  SATAN le Diable et les démons : Ils étaient invisibles mais étaient représentés dans nos livres. Satan était le grand ennemi de Dieu et des hommes. C’était le Méchant. Le Mal. IL était lui aussi suivi de ses anges devenus des démons.

  Les Hommes Bibliques : Ils étaient à la fois invisibles pour nous puisque nous les avions jamais vu et visibles puisqu’ils étaient représentés dans nos livres. Qu’ils aient fait le Bien ou le Mal, parfois les deux, qu’ils soient patriarches comme Noé, Abraham ou Moïse (6), Juges comme Samson, rois d’Israël comme David et Salomon, prophètes comme Elie, Daniel ou Jérémie – enfin, de Rahab la prostituée à Judas le traître, d’Adam et Eve aux douze apôtres – tous étaient comme nous : imparfaits. C’était ce qui les rendait particulièrement proche de nous qui devaient suivre ou ne pas suivre leur exemple suivant ce qu’ils avaient fait de bien ou de mal. Mais ils étaient aussi éloignés de nous ; éloignés parce que c’étaient des figures mythologiques, Mythiques qui portaient tous des barbes (7) et qui avaient vécu de grandes choses, soit que Jéhovah leur parlait, soit qu’ils étaient témoins de miracles ou de châtiments de Dieu (comme les dix plaies d’Egypte), soit qu’ils avaient vu Jésus, autant de choses qui ne se produisaient plus à notre époque où nous étions pourtant appelés Témoins de Jéhovah. Cependant, dans le Recueil d’histoires bibliques, chaque personnage avait un visage et un costume différent, que ce soit Noé, Abraham ou Moïse représentés dans plusieurs histoires à la suite, ce qui les rendait réels à mes yeux. Moïse était peut-être de tous les personnages bibliques mon préféré. Tous ces personnages aussi réels que légendaires charmaient mon esprit curieux. Je prenais un vif intérêt à toutes ces histoires de la Bible, ce dont Janine Trouvé et ma mère qui conduisaient mon étude (8) le mercredi ne manquaient pas de me féliciter. J’étais de mes frères sans doute le plus assidu, le plus passionné. Recueil d’histoires bibliques (qui parut en français en 1980) : tout enfant chérissait ce livre jaune racontant et imageant d’une façon extraordinaire les histoires de la Bible. Mais avant celui-ci, il y’en avait eu un qui m’avait marqué : Du Paradis perdu au Paradis reconquis dont certaines illustrations beaucoup moins belles que celles du Recueil m’ont particulièrement impressionné (Voir documents) (9). Tout cela éveillait mon imagination. J’étais dans un monde fabuleux et imaginaire, et même je dirais imaginatif.

 

1 - Personnes invisibles : J’insère ici une note, qui se trouve en marge du manuscrit, à propos du nouveau peuple « élu », les Témoins de Jéhovah : « Motivé par le passé, soudé par le présent, porté par l’avenir. » 

2 - Ses disciples : Je ne sais plus de quand date l’emploi de cette expression employée : « ses dix slips ».

3 - Poteau : Les Témoins de Jéhovah, d’après le grec et des trouvailles archéologiques (comme une sculpture au Musée du Louvre représentant un homme sur un poteau)  traduisent « croix » par « poteau ». De plus, la croix est considérée comme un symbole « païen. 

4 - L’Esprit Saint : Les TJ refusent le terme « Saint Esprit ».

5 - Qu’avait Dieu : J’appris plus tard qu’il s’agissait de sa « force agissante ».

6 - Moïse : Erreur ! Moïse n’est pas un patriarche mais le premier chef d’Israël, son libérateur en tant que « médiateur » de Dieu. 

7 - Tous des barbes :  Sauf les femmes, quand même. 

8 - Mon étude :  « Etude personnelle » par opposition à l’étude en groupe : « Etude de livre » 

9 - Voir Documents : L’illustration qui me fit la plus forte impression fut sans doute celle montrant un prêtre ammonite (appartenant aux cananéens « impies ») offrir en sacrifice un bébé au dieu Moloch, divinité montrée assise sur un trône avec un corps d’homme vêtu d’une robe royale et avec une tête de bœuf du haut duquel sort de la fumé tandis que qu’entre ses cuisses montent des flammes. 

 

Quels enfants de mon âge, à l’école, avaient cette culture. Personne. Ce savoir me mis au ban des autres enfants qui ne pensaient qu’à jouer ou à faire des bêtises. Moi j’avais ces choses (et d’autres) dans ma tête qui m’empêchaient d’être comme eux et qui plus est ne pouvaient les intéresser. Solitaire, je devins très tôt Rêveur, créatif. J’avais mon Monde à moi, visible que par moi.

  Enfin, quittons l’école pour en revenir à la Salle. J’ai dit qu’il y’avait un mélange de Fiction et de Réalité. J’ai expliqué quelle était cette Fiction qui était plutôt pour nous une Réalité invisible et qui occupait ce lieu à travers la Bible. Maintenant parlons de cette pure Réalité qui était Nous ou plutôt eux, des hommes faits en chair et en os et qui s’appelaient « Frères » et « Sœurs » et qui avaient la même pensée dans la tête, le même mot dans la bouche : Jéhovah. Eux, au moins, étaient visibles. Toutes ces têtes qui me sont devenues familières, je peux me les rappeler et y appliquer leur nom, leur prénom, leur caractère et même leur niveau de spiritualité et leur niveau de vie, et même leurs tics. Il y’en avait que j’aimais, d’autres qui m’intimidais ou que je craignais. J’en ferais plus tard leur portrait (1). 

(1) - Leur portrait : Autant dire maintenant sans vouloir vous décevoir que ce portraits ne furent jamais brossés. 

 

Allons faire un tour du côté de chez Swan, mais du côté des Platanes, car c’est bien la des Platanes qui a été le second lieu de ma vie, entre 1982 et 1986.

  Nous quittâmes alors les Ponts-de-Cé pour habiter Saint Barthélémy d’Anjou, une petite ville totalement nouvelle pour moi. Ce départ fut triste, à la seule pensée de ce que nous allions perdre, mes frères et moi – que de souvenirs déjà ! – et en même temps qu’une appréhension naissait face au Nouveau, à l’Inconnu, nous étions excités par le fait d’emménager pour la première fois, et du coup, l’idée d’une nouvelle vie nous fut aussi agréable et excitant, surtout lorsque nos parents nous firent visiter ce que serait notre nouvelle maison et notre nouvelle ville : une maison enfin ! avec un jardin ! et une ville qui débordait de jeunesse et d’activités – enfin une bibliothèque ! Une aube nouvelle se levait. Si je peux hasarder une métaphore, je dirais que pour mes frères et moi on quittait l’Ancien Monde pour débarquer sur le Nouveau.

 

  « C’était il y’a presque dix ans. J’en avais dix environs et j’habitais un quartier calme de Saint Barthélémy, c’était rue des Platanes que s’appelait la rue où j’habitais, et moi… et nous – parce que bien sûr il y’avait mes parents et mes frères aussi, j’en avait deux – on habitait le quatorze, le quatorze rue des Platanes. Dans l’quartier, y’avait des tas d’autres rues qui portaient des noms d’arbres et arbustes : rue des Tilleuls, rue des Cormiers, rue des Lilas, ecetera… mais la nôtre était la seule qui portait bien son nom, c’est vrai en plus, parce qu’il y’avait planté tout au bout devant un vieux bâtiment des grands platanes qui dépouillaient et qui laissaient voir  des tâches blanches, énormes dès fois : ils étaient comme des serpents en mue ; quand on marchait sous leur ombre d’été, des boules s’écrasaient sous les pieds ; l’automne c’étaient les grandes feuilles vieillies qui froissaient et couraient sur les trottoirs et les platanes n’avaient plus que leurs grosses branches et des fruits qui pendaient à de petites brindilles courbées au-dessus de nos têtes.

  « Enfin, j’habitais donc dans cette rue, dans une des maisons collées les unes après les autres et qui avaient souvent une simple entrée à découvert devant eux avec que des graviers herbeux, quelques pots de fleurs et quelques rosiers comme la nôtre, qui avaient aussi un jardin derrière, un simple jardin grillagé autour et pelousé en grande partie ou potagé. Le nôtre était pelousé et y’avait une petite terrasse en béton gris le long du mur crépiteux ; sur l’herbe y’avait sur le côté gauche une grande herbe de pampas avec ses grands plumeaux qu’on s’amusait avec, mon frère avant moi et moi – mais ses grandes feuilles retombantes, ce qu’elles coupaient la vache ! Y’avait aussi des poiriers côte à côte, à droite de la petite allée du jardin ; ça attirait des tas de guêpes même, mais on s’amusait bien quand même à se lancer des poires pourries, et pis les poires, les mûres, qu’elles étaient bonnes, qu’elles étaient bonnes, qu’elles étaient juteuses et sucrées ! A l’extérieur se trouvait une grande… une grande clairière en goudron où on jouait au foot, et bordée d’allées et de gazons fleuris où on chassait les abeilles et les bourdons.

  « La maison ! J’ai oublié la maison. C’était une maison ordinaire qui ressemblait aux autres : moches, assez hautes, des toitures basses d’ardoises, quatre fenêtres à volets et une porte en bois. On y entrait avec une grande clé en fer blanc qu’il fallait tourner deux fois dans la serrure pour ouvrir ou fermer. Quand on entrait ça avait quelque chose de familier, ch'est pas, une odeur de famille, j’peux pas décrire. Toujours qu’on se sent bien quand on est dedans parce qu’en plus elle est fraîche dans le couloir sombre où on fait ses premiers pas, aussi, c’était toujours agréable l’été d’y venir.

  « Le couloir en « L » et cloisonné à chaque bout était carrelé en noir et blanc ; il côtoyait l’escalier juste au pied du seuil à droite en entrant à la maison, cet escalier ciré et souvent poussiéreux montait le long du mur blanc tâché et crayonné à des endroits. On allait de bas en haut et de haut en bas et en général on dévalait plus vite que des billes. Contre le mur décoré d’une tapisserie à petites fleurs reposait le téléphone perché sur une tablette ; à gauche , la cuisine ouverte comme une boîte à sardine, y’avait ; plus loin, en face de l’entrée se cachait la grande salle à manger derrière une porte pâlotte ; à droite, juste à côté, une autre porte pâlotte : celle-ci menait par un couloir étroit et obscur au garage.

  « J’peux pas penser à c’garage sans voir papa, maniaque, ranger, classer, balayer tout à chaque fois qu’il était en bazar : souvent, des jouets, d’autres cochonneries de l’extérieur ainsi que des chaussures traînaient sur la fine poussière qui se voyait à peine sur le béton gris, sauf quand y’avait des molletons.

  « Le garage avait deux portes : l’une qui donnait devant était à glissière et permettait de mettre la voiture à l’intérieur, mais elle y dormait jamais, faute de place avec l’établi et tout ; l’autre qui donnait derrière au jardin. Juste en face un box de fuel était une porte normale, quoique remplie d’éraflures, mais la plus intime à mon enfance, c’était. Enfin d’autre qu’on peut dire d’ssus c’est qu’i y sentait les chaussures, les conserves et la poussière… l’essence aussi, temps en temps – ou le propre quand papa nettoyait tout. Et puis quand on revenait du dehors on passait à la va vite devant un papier blanc où était marqué : « Enlever ses chaussures,S.V.P » ; on y faisait pas gaffe, alors ça braillait là-d’dans ; p’is on r’commençait presque aussitôt, naturellement. Quand personne se trouvait à la maison, j’veux dire pas d’enfants, c’était assez calme, mais on sentait quelque part, en dehors de la présence de notre chatte Noisette, de Lili notre p’tit cochon d’Inde, des serins et des mouches, celle de Maman. Soit qu’elle repassait dans la salle à manger qui donnait plein sud et qui filtrait, à travers une porte fenêtre fichue de rideaux fumeux, tout le soleil ; et où était une grande table de bois foncé brillant, nappée ; et où y’avait aussi les vieux meubles assortis, sculptés avec deux ou quatre espèces de petites têtes d’hommes singes l’air endormis sur chaque porte, décorés de plantes, fleurs et bibelots dessus ; où y’avait des fauteuils en broderies de couleur brunes, rouges et blanches, je crois ; sous un tableau, un canapé-lit de même nature notamment, mais avec des coussins en velours bordeaux ; enfin, une table basse à café, dans un coin la grosse télé, dans un autre la bibliothèque et autre part des vieilles assiettes accrochées qui rappelaient qu’ici se faisait le repas (après mangé, après le carrelage quadrillé tout propre c’était la pièce la plus nette de la maison) – soit qu’elle faisait la cuisine, et alors rien que l’odeur de ses bonnes recettes alléchantes, la cuisson des gâteaux, la friture des frites, le sauté des crêpes maison, ça faisait sentir que maman était là ; et même quand elle nettoyait par terre on qu’elle était ici. C’est vrai en plus. C’est à peine que si on lisait ou qu’on dormait  qu’on savait pas qu’elle s’y tenait. Par contre, papa, même quand il était revenu du travail, qu’il avait fait sa dure journée, eh bien on pouvait presque pas savoir qu’il était rentré et après on devinait très peu sa présence, même sous les yeux. Il fallait par exemple qu’on rentre en chahutant , en faisant claquer les portes, en courant dans le couloir avec nos pattes sales pour qu’on sente que papa existait (1): il nous faisait une « giroflée à cinq branches » et au mieux, il rouspétait. Puis on allait manger dans la salle à manger ; maman était encore dans la cuisine : on entendait les casseroles et les serins. Après, papa faisait la prière qu’était l’instant le plus silencieux en tout, mais finie, ça grouillait plein de vie à table : les chaises remuaient, les assiettes s’envolaient et tapaient, le sel, l’eau, le pain circulaient, les grandes cuillères tintaient, la soupe s’aspirait, les bouches appréciaient, les fourchettes et couteaux grinçaient des dents et les assiettes criaient ; les enfants gigotaient, bar   atinaient, se chamaillaient, rigolaient, pleuraient ; maman ajoutait à tout ce bruit rien qu’en ordonnant, tempérant, s’occupant de-ci de-là tandis que la chatte ronronnait sur le canapé derrière elle, paisiblement sous un des traits de soleil poussiéreux qui passaient dans les fentes des volets marrons en bois.

 (1) lire "était là. (la note d'origine que je corrige était: "Astérisque dans le texte non commentée. Certainement signe d’exagération."

 

  « Après, on débarrassait tout, nettoyait tout, la table et par terre les miettes, les tâches, les pâtes tombées, devenues grises sous les savates et qui faisaient des pâtés sur le carrelage noir et blanc ; mais quand maman faisait le ménage après, c’était la pièce la plus propre et ça sentait le propre et le neuf, surtout quand elle essuyait les meubles avec Cedar et qu’elle serpillait par terre avec un produit que j’me rappelle plus le nom mais qui sentait bon.

  « Le soir, on avait l’droit d’regarder un peu la télé, mais pas trop tard, parce que le lendemain y’avait l’école ; alors on montait ou plutôt on courait dans l’escalier qui était soit ciré soit poussiéreux, le long du mur tâché et crayonné à des endroits et puis on allait au lit : mon grand frère de 13 ans avait sa chambre juste à droite et mon autre frère de 8 ans et p’is moi, notre chambre se trouvait presque juste en face l’escalier, p’is y’avait notre tout petit qu’était bébé et qui dormait en face de celle là à mon grand frère.

  « Ma chambre, notre chambre est assez carrée, les deux lits, et des étagères au-dessus du lit où y’a des livres avec chacun un bureau à côté, sont parallèles mais bien séparés : le mien à gauche contre le mur, celui du petit frère à droite devant les meubles qui sont contre l’autre mur ; l’mien est un peu plus haut que p’tit frère et j’ai une taie d’oreiller (1) que petit frère un traversin, mais on a tous les deux les mêmes couvertures oranges à fleurs blanches d’un côté et blanches à fleurs oranges de l’autre, avec le bord en espèce de soie orange ; on a aussi tous les deux les mêmes draps bleus et blancs. La chambre a des fenêtres à volets marrons foncés en face quand on entre, un parquet marron clair, des murs blancs, un plafond blanc avec une simple ampoule qui attire les cousins et les moustiques noirs sur le plafond. Y’a aussi pas mal de poussière des fois, parce que sur une armoire j’ai une collection de nids d’oiseaux, d’osses* et de pierres ; mais j’préfère quand même ma chambre que celle-là à mon grand frère parce qu’elle est plus claire et y’a p’tit frère avec moi et ch’ui pas tout seul comme ça et on peut parler et p’is j’me sens en sécurité avec p’tit frère. On joue toujours ensemble, notre porte est fermée et on joue tous les deux aux bêtes en plastique et nous on passe des après-midi entiers à jouer aux animaux et à inventer des histoires à chaque fois différentes ; moi j’fais les musiques comme dans un film, mais on imite tous les deux les cris du lion, d’éléphants et des tas d’autres. Le lion est le roi des animaux. Dès fois on fait des montagnes avec les couvertures. Non, on s’ennuie jamais nous. Souvent grand frère crie à tue-tête à côté parce qu’il essaye d’enregistrer à la radio des chansons sur Oxygène et que nous on fait trop de boucan.

1 - J'ai corrigé "tête d'oreiller". Maladresses d'Asperger... comme "en banc" au lieu de "au ban" que j'ai corrigé aussi plus haut. Je disais "pommes de terre en robe de chambre", au lieu de "en robe des champs." (note 2017)

  « Ce soir, avant qu’on dorme, maman monte l’escalier, ouvre la porte, se déplace dans la chambre, ferme les volets qui ouignent  et nous dit : « Faut dormir maintenant, demain y’a l’école » et p’is elle nous fait vite un bizou à chacun, marche vers la porte puis tout à coup se retourne et me dit : «  Aller, faut encore un beau soleil pour demain » parce que je fais souvent pipi au lit ; alors on fait un petit calendrier où elle dessine soit un soleil ou un nuage avec de la pluie et dès fois un soleil à moitié suivant comment sont mes draps. Maman est maintenant en bas, sûrement en train de travailler ou à regarder la télé ou les deux comme beaucoup de fois où je l’ai vu repasser en regardant la télé. Elle est travailleuse et elle a des soucis qu’elle montre pas toujours, mais ça, c’est pas des histoires d’enfant.

  « Nous, on est au lit, les volets sont fermés, la porte est close et y’a encor un filet de lumière dessous, qu’est celle du couloir, puis elle s’éteint. Il fait tout noir. Seul les fentes des volets nous donnent un peu de clarté de la lune ; y’a des traits sur le mur en face de mon lit. P’tit frère dort, j’vois plus sa p’tite tête ronde, mais il ronfle. Moi je suce mon pouce gauche et dans les autres doigts y’a mon p’tit mouchoir en tissu et à p’tites fleurs et je caresse mes joues et au-dessus de la bouche et le nez et c’est doux et c’est comme ça que j’m’endors ; sans mon p’tit mouchoir en tissu et à petites fleurs et sans mon pouce, j’peux pas dormir.

  « Soudain, j’me réveille ébloui par la lumière ; maman alors d’ouvrir les volets ; c’est l’matin et il fait beau. J’vois maman souriante et elle me dit :

  « – C’est bien, t’as pas fait pipi au lit ! ça va faire un beau soleil encore.

  « Elle me fait des bizous.

  «  – J’ai rêvé cette nuit qu’j’avais plein plein plein d’animaux, des tas d’bêtes ! j’dis.

  «  –  Ah bah ça marche en tout cas. T’aimerais avoir un autre paquet de bêtes ?…

  « –  Oh oui oh oui maman, m’agêtes-moi des bêtes, des animaux sauvages… avec un gorille et un crocodile au moins, il m’les manque. Hein ?

  « P’tit frère fait oui en frottant ses yeux et en souriant.

  « C’est samedi matin ; on va à l’école. C’est à l’école primaire de Pierre et Marie Curie qu’on va p'tit frère et moi. Grand frère est au collège. Y’a trois cent mètres environ. Ch’ui en CE2 et ma maîtresse s’appelle Madame Déjeune. Elle est très gentille. Dans la classe, je suis devant, près de la fenêtre et j’regarde les oiseaux et je rêve aux bêtes que j’vais avoir et que j’pourra jouer avec moi et mon frère. Tout l’temps ou presque tout l’temps je rêve. Mme Dejesne me pose une question. Je fais « Hein ? » égaré et p’is toute la classe rit ; ça ressemble plus à d’la moquerie ; alors je rêve encore, comme ça je pense à des choses que j’aime. « Le Cosmonaute », « l’homme de la Lune » est presque toujours tout seul à la récré et il rêve encore, il s’ennuie pas comme ça. » 

 

                                                    (Premières pages autobiographiques – été 1994)

 

  Ces pages ont quelques traits excessifs, mais l’ensemble est rigoureusement exact quant à ma mémoire. Il me reste plus qu’à compléter ce fragment de souvenirs.

  Je me souviens de nos jeux d’enfants. Nos histoires animales  et nos batailles de bêtes étaient devenues des jeux classiques. C’est même à Saint Barthélémy qu’on y joua le plus. Il fallait souvent me battre pour que Y*** joue avec moi qui avait tendance à la paresse, qui préférait dès fois regarder la télé ou n’avait tout simplement pas envie, nonchalance du moment ; alors que moi, j’y aurait sacrifié mon temps sans compter. Mais lorsque nous étions tous les deux à jouer, un zèle tout enfantin nous animait. Quelle que soit la chose qu’on faisait. Lorsqu’on attendait un film ou un dessin animé, c’était la même passion, la même joie impatiente qui nous faisait vibrer, rêver.

  Nous avions moins de jouets que la plupart des autres enfants, nous ne fêtions pas Noël : c’est un fait. Et pourtant, jamais on ne s’est senti malheureux, parce que nos parents nous faisaient des cadeaux surprises, ce qui avait et a toujours pour moi un tout autre charme que des cadeaux sur commande. Et puis on avait une sorte de Noël décalé, bien sûr sans sapin, ni crèche, ni soulier. Au lieu que ce soit le 25 décembre, c’était au mois de janvier, lorsque mon père recevait de l’usines des bons d’achat. C’était le moment le plus excitant de l’année. on allait en famille dans une Grande Surface et on courait au rayon des jouets et choisir ce dont nous rêvions à peu près au prix du montant de notre bon. Il nous est arrivé d’assembler nos bons Y et moi pour acheter un jouet pour tous les deux. Ce fut je crois le cas pour un jouet de cascadeurs et un petit circuit de voitures. On eut ces jouets plus évolués, plus à la mode que tardivement, de même qu’une voiture téléguidée. Ils avaient certes un agrément nouveau pour nous mais on s’en lassait plus vite et n’avaient pas la même longueur de vie que nos primitifs animaux en plastique. Nos jeux les plus rudimentaires étaient les plus créatifs. J’avais l’imagination, mon frère le sens pratique. Il était doué de ses mains. Une fois, il construisit un château fort en carton avec un pont-levis mobile et un bateau de croisade en pince à linge avec une voile blanche à croix rouge qu’on pouvait amarrer et plier. Et ainsi on pût jouer avec plus de bonheur aux chevaliers et soldats du Moyen Age que mon parrain m’avait offert.

  A l’école, ceux qui ne se moquaient pas de nous avaient pitié lorsqu’on leur disait qu’on ne fêtait pas Noël. Leur pitié était mal placée. Ils ne pouvaient pas comprendre que pour nous, ce n’était pas le fait de ne pas fêter Noël qui était dur, mais le fait de retourner à l’école les lendemains de fêtes dont on appréhendait à chaque fois l’inévitable question des enfants, parfois de la maîtresse : « Qu’est-ce que t’as eu à Noël ? ». Lorsqu’on répondait « Rien » venait le terrible « Pourquoi ». On répondait laconiquement « Je fête pas Noël » et au plus terrible « Pourquoi » on répondait d’abord « Parce que » mais tôt ou tard ça se savait.

  Ils nous plaignaient sans savoir que ce qui était dur pour nous, c’était seulement d’être différent des autre et de devoir avouer cette différence. Cette différence qui nous valait bien des moqueries ou de l’incompréhension. Nous étions seuls.

  Mon seul véritable foyer était ma famille et la nature.

  Ah la nature !

  Mais retournons à l’école. Il ne faut pas croire que je n’aimais pas l’école. J’aimais m’instruire. C’était suffisant. Mais je n’aimais pas tout, il fallait que ça m’intéresse vraiment pour suivre, sinon je rêvais. Comment je considérais les autres élèves de ma classe, j’avoue ne pas savoir trop. J’étais renfermé, je ne communiquais pas beaucoup.

  J’ai parfois l’impression de me répéter. Je me cherche. J’essaie d’approcher le plus près de la réalité et ce n’est pas facile, croyez moi. C’est à peine si je sais ordonner mes souvenirs pour en faire un chapitre convenable. Il ne faut pas que je me force. C’est souvent l’inspiration et le hasard et surtout une certaine disposition d’esprit préparé au sujet qui me fait avancer dans mon travail. A partir de 1990, tout deviendra plus facile pour moi… (1)   Mais nous sommes qu’entre 1982 ET 1985. Je ne parle pour l’instant que des années de primaire : CE2, CM1, CM2, qui font suite aux C.P et CE1 des Ponts-de-cé.

(1) - C'est sûr que ça été plus facile puisque ça n'a pas été fait (note d'origine). Je rajoute, qu'effectivement, mes premières lettres datant de 1990, cela facilite le travail de mémoire.

  En septembre 1982, je faisais l’entrée dans ma nouvelle école : Pierre et Marie Curie. J’entrai en CE2. J’ai dû pleurer le premier jour, et après ça s’est passé. Je m’habituais peu à peu à ce qui m’était inconnu au début, donc intimidant. Je me rappelle très bien de Monsieur Mine. Ce fut mon premier Maître. Il était aussi directeur de l’école. Il était bel homme, grand, svelte, à moitié chauve, le front haut bombé et luisant, un visage fin au menton pointu, des cheveux grisonnant frisottaient sur ses tempes. Il avait des sourcils broussailleux et des yeux bleus d’une merveilleuse expression qu’une peau méditerranéenne faisaient rejaillir. Il portait parfois des lunettes sous les yeux. Ses grandes mains étaient d’acier. Elles étaient belles, pointues, marquées par de belles rides. Toujours élégant, simple. Des poils blancs sortaient de sa chemise défaite du col. Mais au-delà de ce que je peux me souvenir de son physique, c’était la gentillesse même. Il aimait les enfants. Il aimait son métier. Lorsqu’il prenait une mine sévère ou se mettait en colère, ce qui était rare, mon respect grandissait pour lui. J’y voyais un père. Enfin, ce qu’il y’avait de merveilleux chez lui, c’était que c’était un homme passionné. Du jour qu’il nous apprit qu’il collectionnait des pierres précieuses et avait beaucoup voyagé, le jour où il nous montra quelques beaux spécimens de sa collection, et surtout la grosse pierre vulgaire de l’extérieur, mais qui recelait à l’intérieur un trésor de beauté rutilant sous nos yeux : de superbes cristaux violets tapissaient tout le dedans de la pierre ronde ; c’était une améthyste ! – le jour où je vis cela, mon respect et mon amour grandit pour lui. Je l’admirais.

  En Octobre 1982, il y’a la naissance d’un petit frère, événement familial qu’on avait jamais vécu. Pour la première fois, on tint dans nos bras un bébé qui était de notre sang : il s’appelait J****. J’avais presque dix ans, Y*** sept et L*** 12 ans.

  En Août 1983, on partit en Auvergne dans un village vacance familial à Saint-Jean la Vêtre, deuxièmes vacances dont je me souvienne après MURS. On mangeait beaucoup de melons à midi et à quatre heures des gros casse-croûtes de pain de campagne à la rillette. Souvenirs de voisins qui avaient un fils handicapé mentalement et qui étaient, je crois, Témoins de Jéhovah ; de J**** qui faisait cocorico la nuit, car il avait la coqueluche ; souvenir d’une soirée dansante, la seule à laquelle papa et maman nous permis d’aller avec eux. Vague souvenir d’une jolie fille de mon âge avec laquelle je voulais danser. Souvenir des flirts des jeunes. J’étais déjà très observateur des comportements séducteurs étranges pour moi. Je regardais avec un trouble particulier le corps des jeunes filles mûres. Comment ils s’embrassaient. Une grande fille remarqua mes regards et s’en amusa devant moi, m’aguicha presque. « Tu veux m’embrasser ?… Mais non, t’es pas assez grand. Quand tu seras grand, tu verras !… » Ca se passait devant l’entrée du bal, dehors. Il faisait noir. Souvenirs de parties de scrabble, d’une fois où je fredonnais la chanson « Les démons de minuit ». « – Faut pas chanter ça », me dit maman. Souvenir d’un jour où j’accompagnais L*** dans une piscine municipale avec un ami qu’il s’était fait. Lorsque je vis l’ami de mon frère en maillot de bain, je remarquai qu’il avait un gros sexe. Enfin, souvenir de la montagne que j’admirais pour la première fois, des rapaces qui devinrent une passion à ce jour.

  En Septembre 1983, je faisais ma deuxième entrée à Pierre et Marie Curie. J’entrai en CM1. J’eus cette fois-ci une maîtresse : Mme Déjeune. Une belle femme blonde à lunettes. Très gentille. Elle avait des égards pour moi. Lorsque je levais le doigt pour répondre, il m’arrivait de dire « Maman ! ». En même temps, j’avais des sentiments amoureux, et cette sorte de trouble que l’on peut nommer désir physique sans être encore sexuel. J’étais porté sur son corps tout en essayant de rien en laisser paraître lorsqu’elle s’adressait à moi. Sa voix douce alors me rappelait à des sentiments maternels. C’est cette année-là, je crois, qu’on m’appela « l’homme de la lune » ou « le cosmonaute ». Je me rappelle une fois où elle parla du film E.T (qu’on prononçait « iti ») et nous fit voir une photo. J’en fus très impressionné et cela me fit rêver. Maman me dit que c’était pas un film pour nous. Mais je n’en rêvais pas moins.

  En Août 1984  Toujours fidèles à l’Auvergne, on passa nos vacances à Lanau, en Haute-Loire. Toujours en gîte familial. Si j’avais à choisir un seul souvenir de ces vacances, je parlerais des excellents moments que l’on passa avec un cousin germain. IL s’appelait Bertrand, et c’était la première fois qu’on le voyait. Il était beau gosse. Il passa quelques jours dans notre gîte. Avec lui on découvrit Mickaël Jackson qui était alors dans sa plus grande gloire. Jamais il n’avait été aussi en vogue qu’à cette époque. C’étaient les années Pop et Mickaël Jackson en était le roi, pour ainsi dire le Dieu. Quel pouvoir avaient sur nos sens une chanson comme Thriller avec ses cris de loup-garous ! Un frisson nouveau était né.

  Et puis ces cris de loup-garous n’ont jamais été aussi vivants qu’au pays du Gévaudan. Nous étions en plein cœur de la légende. Je me souviens d’une veillée au coin du feu où un vieux conteur nous racontait les légendes auvergnates : il nous raconta qu’à l’origine toute l’Auvergne était qu’un immense volcan, et ensuite il nous parla des temps historiques, et bien sûr de la Bête du Gévaudan. Un mystère tournait autour d’elle et un passion pour ce mystère grandit en moi. Bertrand, qui connaissait mieux la montagne que nous, nous apprit que sur une montagne qu’on pouvait voir du village, qui était en fait juste à nos pieds, il y’avait au plein cœur de la forêt une grotte et qu’on ne savait pas quelle bête y vivait, mais que ça pouvait très bien être la Bête du Gévaudan. IL nous proposa de nous y emmener. Rarement je n’avais eu aussi peur qu’en grimpant parmi les arbres et les roches, tandis qu’il nous montrait ici sur un arbre ce qu’il pensait être des traces de griffes. Ensuite on découvrit effectivement une grotte, et le gouffre noir qui se présentait à nos yeux excita en nous la panique si bien qu’on dévala la montagne dix fois plus vite qu’on l’avait monté. C’était du reste une initiative qu’on avait pris seuls en gosses inconscients du danger de cette escapade et de l’inquiétude qu’on pouvait provoquer à nos parents, et qu’on provoqua effectivement. A notre retour, on pleura. On ne se fit pas gronder, je crois. Nos parents étaient trop contents qu’on soit vivant – et nous aussi. On avait dans nos cœurs d’enfants ce sentiment d’héroïsme face aux grandes choses aussi bien que le bonheur d’avoir échappé à la mort. A la Bête.

  Je me souviens d’une autre fois où on voulu aller seuls au barrage de Lanau qui était en contrebas et qui était dangereux, paraît-il, à cause des écluses et de l’électricité. Le goût de l’aventure nous faisait faire n’importe quoi. Cette fois-ci on eut la holà de nos parents. Papa cette fois-ci nous accompagna.

  Notre cousin habitait une fermette avec sa mère à je ne sais plus combien de kilomètres du V.V.F. C’était leur maison de vacances. Cette fois-ci, c’était notre tour d’aller chez lui avec nos parents. On vit alors sa mère, une petite femme dynamique et joyeuse aux cheveux blonds chignonnés. Son père, militaire haut gradé, était en service ; on ne le vit donc pas mais on nous le décrivit comme un homme très grand, très fort, avec de grandes bacchantes, ce qui ne fit rien regretter, même s’il était très gentil, ce qui était vrai aussi.

  Bref, on a goûté sur ce haut plateau d’air pur tout ce que la montagne peut offrir de plus beau : la virginité, l’harmonie où l’homme ne pliait pas la Nature à ses quatre volontés au détriment de tout, où, au contraire, l’homme faisait partie intégrale du paysage, où l’homme chantait le paysage et le paysage chantait l’homme. Enfin, pas trop d’idyllisme bête. On ne philosophait pas, on vivait. On appréciait par nos Ah ! et nos Oh ! et on s’amusait, on riait ; on tombait d’accord sur un truc, on le faisait ; on était pas d’accord, on s’embrouillait, on faisait la gueule un moment et puis ça repartait : « Tiens, j’ai une idée !… – Ouais ! », et puis tout d’un coup : « J’en ai marre. – Non, on continue. – moi aussi j’en ai marre. – Qu’est-ce qu’on fait. » etc. Bref, l’insouciance, l’inconstance, l’entrain de tous les enfants.

  J’ai dit qu’on a goûté ce que la montagne pouvait offrir de plus beau, et c’était vrai. Le grand air , le soleil , les champs verts entourés de clôtures qu’on sautait, au bout du champ un ruisseau bordé d’arbres où l’eau claire coulait rapides parmi les pierres, les roches, par dessus pour retomber en cascades bruyantes, où nul obstacle empêchait sa course libre car elle prenait tous les détours, passait entre les moindres fentes et lorsque l’eau stagnait dans un trou, elle s’écoulait invisiblement, c’était un brassage continuel. Ce n’était, à n’en pas croire, jamais la même eau au même endroit, et pourtant, c’était la même eau qui coulait, le même ruisseau. Et nous, on ne s’est pas contenté de la regarder, on passait d’abord notre main dedans et l’eau glaciale se jouait de nos mains comme d’une branche, on y trempait nos pieds, et c’était une sensation nouvelle, un engourdissement agréable, on marchait et c’était un sol mouvant, instable, toute notre attention se concentrait sur nos pieds, sur l’eau et les pierres à l’entour. On apprenait en tombant. On entrait tout doucement dans l’eau, le temps que notre corps chaud s’adapte au froid et lorsque c’était fait, le froid devenait fraîcheur, bien-être. On nageait. Lorsqu’on eut fait tout ça, on mit en œuvre toute notre créativité, toutes nos forces, tous nos espoirs d’un élan commun, tout excités que nous étions, et on entassa pierres et branches pour faire un barrage à l’eau. C’était un amusement et un défi. L’eau faisait pression, cherchait la faille à notre œuvre, ce qui demandait une attention et des renforts constants de notre petite équipe de quatre. Lorsqu’on était content, satisfait, qu’on s’était bien amusé, bien dépensé, et plutôt que de voir sous nos yeux notre construction de pierre succomber à la force de l’eau, on préférait user de notre pouvoir de rendre l’eau à sa liberté, et on démolissait. Il n’y avait pas d’image plus belle que cette eau jaillir de la roche et nous étions aussi excités qu’elle, remplis de joie. C’était midi. (1) On rentrait, heureux et fiers, casser la croûte. Après un bon repas avec du bon pain, on sortit aussitôt. Bertrand nous emmena dans une grange et on s’amusa à Tarzan dans le foin. On grimpait le tas et une fois en haut on prenait une corde pour se balancer en avant et sauter dans le coussin de paille tout en bas. On s’amusait à faire toutes sortes de singeries, de figures dans l’air. On s’amusait à cache-cache , on se battait se débattait dans le foin jusqu’à en mettre dans la bouche de l’autre. A la fin, on avait du foin partout. Ca nous grattait terriblement, mais c’était le seul prix à payer en échange d’un si grand bonheur.

  Je ne crois pas avoir eu de souvenirs plus champêtres (2) J’aimais cette odeur de foin et de bouze de vache. Croyez-moi ça faisait partie de l’air pur pour moi. On dirait que les odeurs grandissent en montagne et quand je dis avoir goûté tout ce que la montagne pouvait offrir de plus beau, ça en fait partie.

  Mais il y’avait aussi ce qu’on appelle les vieilles traditions, les choses rustiques, comme le bois, les ragots, la vie simple, les anciennes croyances : tenez, la bête du Gévaudan. Elle m’a poursuivie tout le temps de ces vacances et même après. Bertrand nous emmena chez une vieille dame dans une vieille maison montagnarde non loin de la fermette. Il y faisait sombre et me souviens avoir été très impressionné par tous les animaux empaillés qu’on pouvait voir partout : têtes de sangliers au-dessus de la porte, chouettes, buses sur les meubles, bois de cerfs sur les murs…de quoi faire marcher l’imagination. Et cette vieille dame, à la Bête du Gévaudan, elle y croyait ! Un mystère planait sur la question : « Qu’était-ce ? » Un loup énorme ? Une espèce inconnue ? L’hypothèse de la hyène était la plus envisagée (3)  Une hyène ! Il y’avait de quoi rire ! Et pourtant, j’étais sous le charme de la Bête. A mon retour chez moi, à Saint Barthélémy, je fis des recherches, je fonçais à la bibliothèque pour en savoir plus. Je me souviendrais toujours de cette histoire qu’on nous raconta en classe quand j’étais enfant : des enfants jouaient dans le jardin d’une maison quand une Bête monstrueuse surgit, prête à les dévorer. La mère alors criant plein de larmes se jeta sur la Bête et sacrifia sa vie pour sauver ses enfants... (4) Là, je pense à la bonne flambée de bois qui nous accueillait ce soir-là, dans la fermette, lorsque nous rentrions les mains et les pieds gelés. Des histoires à veiller près du feu!

 

1 - Midi : Je précise ici que la mère de Bertrand utilisait pour chaque appel une corne de vache ou de chèvre – oubli étonnant de ce que ce geste avait de nouveau et de singulier pour moi. 

2 - Champêtres : Ce n’est pas pour rien que la Symphonie pastorale de Beethoven que je découvris bien après se trouve être ma préférée des 9.

3 - Envisagée : Aujourd’hui : Psychopathe ? Lycanthrope ? L’hypothèse du serial killer est la plus envisagée…

4 - Ses enfants : Il se peut que cette histoire nous ai été raconté à la rentrée après que j’ai raconté mes aventures montagnardes. (Note 2004) Je rajoute: c'est certain. C'est bien Mme Déjeune qui nous la raconta à la rentrée. J'avais dû lui poser une question sur la bête du Gévaudan.

  

Septembre 1984 : Après de si belles vacances, entrée en CM2. J’eus pour maître Monsieur Légalle. On l’appelait « Monsieur Lagalle ». Il était grand, costaud, assez beau, le front très dégarni, la mâchoire carrée. Au physique, il faisait penser à un centurion ou à un empereur romain. Mais de caractère, il était plutôt…je ne sais pas comment dire. On ne sentait nulle passion chez lui comme Monsieur Mine, bien que gentil, un peu bonhomme, il manquait singulièrement de caractère. Il y’avait quelque chose de lâche chez lui et il était paresseux. L’image frappante qu’il me reste de lui c’est celle de jouer aux jeux électroniques qu’il empruntait à des élèves pendant qu’on faisait les exercices qu’il nous donnait à faire. Disait-on le mot « cool » à l’époque ? J’ai l’impression que la première fois que je l’ai entendu, c’était de sa bouche…

  Il eut plusieurs fois d’assez longues périodes d’absence où il fut remplacé. Je me souviens de deux maîtresses, dont une très bavarde et très petite. On l’appelait Maréchal-Ferrant. Un jour elle nous avait fait voir son porte-bonheur : un fer à cheval. Elle aimait les chevaux d’ailleurs, au point qu’elle nous emmena visiter le centre équestre de Saint Bart et qu’on eut par la suite le droit avec elle à des séances d’apprentissage. Ainsi, j’appris à monter un cheval, ce que j’aimais beaucoup, même si j’avais vu un de mes camarades en tomber une fois.

  L’autre maîtresse resta peu de temps. Je n’arrive pas à me souvenir d’elle physiquement. Elle était gentille. Je me souviens avec elle de deux choses. La première, un exposé que je fis devant la classe avec Stéphane Joudith, dont je reparlerai plus loin, sur les chauve-souris (voir doc) (1) , le deuxième, lors de Noël, toute la classe chantait debout « papa Noël ». Moi, j’étais debout, mais je ne chantais pas.

 

 1 - Voir Doc : Je garde cette parenthèse à titre documentaire. Il s’agissait de l’exposé en question. 

 

Mais je reviens à Monsieur Légalle.

  C’est avec lui, quand même, que j’ai fait mon premier voyage scolaire. Toute la classe partit en car de voyage pour Cordon, un chalet des Alpes, juste au-dessus de Chamonix. Au départ, je me souviens d’être passé avant l’aube devant une petite commune qui s’appelait Andard (2), dont la terre était, paraissait-il, riche en fossiles d’huîtres. Voyage nocturne. Sommeil. Arrivée le soir. Je me souviens de cette longue montée en spirale jusqu’au chalet. La hauteur du car et le vide sur le côté droit donnait le vertige. Visite du chalet, des chambres avec la vue qu’on avait de nos fenêtres. Certains voyaient le Mont Blanc. Moi et mes deux ou trois compagnons de chambre on voyait les quatre Têtes Noires qui ressemblaient à des roches du grand Canyon. Magnifique. Mais magique fut cette escalade d’un petit mont alors que le chalet était déjà en très haute altitude. On grimpa longuement à travers épicéas, sapins et roches, et tout à coup le ciel bleu et une mer blanche sous nos yeux. Nous étions au-dessus des nuages ! Il y’avait aussi une croix au sommet. Je me souviens aussi d’une marche sur la route descendante, d’une découverte du glacier du Pic du Midi, d’une sortie à la frontière suisse en passant par le tunnel du Mont Blanc. Airs de marmotte en Suisse, dans un champ jalonné de pierres sur lesquelles on montait. Commentaires sur la route : vallée en « U », vallée en « V », etc. Ce séjour était une initiation Découverte de la montagne. Le matin, nous avions des leçons dans une classe du chalet, mais c’étaient des leçons sur la montagne. Une fois, un alpiniste fut invité à nous montrer son savoir avec son matériel.

 

1 - Andard : J’habiterai à côté de cette commune cinq ans plus tard. C’est fendard ! 

 

 Un jour fut l’occasion d’une sortie au village. C’était l’occasion d’aller à la messe pour ceux qui le voulaient et pour les autres de visiter et de faire les magazins de souvenirs. Je n’allai bien sûr pas à la messe. Mais il fallait encore que je marque la différence : j’allai à la Salle du Royaume ! Mes parents avaient tout organisé pour que je puisse ne perdre un repas spirituel. Ils avaient demandé à des Anciens l’adresse de la salle la plus proche, puis avaient pris contact pour qu’un Frère vienne me chercher. Ce fut fait. Monsieur Legalle avait été prévenu : un soir, il faisait nuit, personne ne comprit rien, une voiture dont on ne voyait que les feux m’attendait en bas. Un homme moustachu et cravaté me salua poliment et je montai, tout intimidé. Je ne me souviens plus de ses paroles, de ses questions, mais de ce trajet obscur qui me menait encore vers l’inconnu sans que je puisse rien y faire. Est-il possible que je me sois demandé alors si c’était le même Jéhovah, là bas, s’il n’était pas plus à craindre en montagne qu’ailleurs ? C’est possible, mais je ne peux pas dire vraiment ce qui me traversait l’esprit à ce moment-là sinon que j’avais conscience de me priver d’un moment rêvé, d’une Veillée qui avait lieu le même soir, pour servir Jéhovah, le Dieu Jaloux. Soudain, je vis en bas scintiller mille feux dans la nuit. C’était une véritable illumination. C’était Chamonix ! Tapie au fond de sa vallée, elle était pour moi la ville emblématique des Alpes et me faisait penser par son nom au chamois. Et puis en ce temps-là, l’air Cha cha chamois d’or était dans nos têtes…

  Enfin nous arrivions à la Salle. Les souvenirs visuels me manquent par la suite. J’ai été à tellement d’autres Salles dans mon enfance qu’il m’est impossible de rattacher des souvenirs correspondant à chacune. Surtout qu’il n’y avait pas de grande différence avec les Banchais, à part que je connaissais personne. Disons seulement que j’y fut bien accueilli.

  J’ai cependant oublié un détail tout à l’heure : la gêne, la honte de me mettre en cravate devant mes autres camarades et de sortir tout bien habillé avec mon petit cartable.

  Mon acte ne fut pas sans conséquence. Les questions, l’incompréhension, l’intriguation*, les marques d’affection particulières, les moqueries de quelques uns.

  Que dire maintenant ? Par où continuer. Faut-il dire les choses comme elles me viennent ou faut-il que je me plie à des règles formelles ?

  Je vos que pour moi, le plus simple est de faire des petites rubriques-souvenirs. Mon lecteur me pardonnera t-il ?

 

 1 - J'avais d'abord écrit "intrigue" (note d'origine), mais "intrigation" me parut plus approprié pour exprimer ce que je voulais dire. J'ai toujours été doué pour les néologismes. (note 2017)

 

  Cordon (autres souvenirs) : Longues contemplations de la chaîne du Mont Blanc, admiration des quatre Têtes Noires.

  Piscine : On y allait souvent avec Monsieur Lagalle. Mais l’eau m’avait causé de si vives douleurs aux oreilles lorsqu’on y avait été la première fois avec Madame Dejesne que je devais me flanquer un bonnet de bain sur la tête…

  Chenilles processionnaires : On les rencontrait sur la route en file indienne lorsqu’on allait à la salle de sport ou à la piscine. Monsieur La gale nous disait de faire gaffe, de ne pas y toucher. On pouvait avoir de boutons ou pire devenir aveugle à cause de leurs poils urticants. On voyait leurs grosses boules blanches dans les pins. C’étaient les nids qu’elles avaient tissé.

  Stéphane Joudith : C’était un beau garçon issu d’une mère française et d’un père martiniquais. Il était donc noir. (1) Il était aussi, si mes souvenirs sont bons, assez railleur, assez espiègle et sournois, réputé impoli, perturbateur, paresseux, voleur, vantard, etc. Il était maître dans l’art de manipuler les autres à son profit, de faire appel aux autres, pour faire un devoir, par exemple, en faisant croire que t’étais son ami (exemple de l’exposé sur les chauve-souris : il savait, je pense, qu’avec moi, il aurait une bonne note.). C’était un leader de groupe. Il était bavard. C’était un cas. Et malgré tout cela, il séduisait. Je n’arrive pas trop à m’expliquer. Etais-ce parce qu’il était noir que je lui pardonnais plus volontiers et qu’en même temps je le respectait, l’admirait, le craignait plus qu’un autre branleur de la même espèce ? Mais non, justement, lui, se différenciait parce qu’il était noir. Je crois que je cherchais son amitié, que je voulais qu’il m’aime, qu’il me protège. Dès fois il me semblait avoir réussi et puis le jour d’après il pouvait m’abandonner et même être méchant avec moi. L’expression haineuse d’un noir, avec ses yeux noirs sur blanc fulgurant des éclairs, est une chose terrible. Stéphane était tellement changeant qu’on ne pouvait rien attendre vraiment de lui. Il était une personne avec toi tout seul, et en groupe il se comportait avec toi d’une autre façon. En fait, il donnait une image de lui qui n’était pas lui en réalité, ce que je ne compris que plus tard, lorsque m’amenant chez lui, je rencontrais une famille instable, plein de problèmes. Ses frères avaient des problèmes avec la justice (un, au moins, était ou avait été en prison), ses parents semblaient en instance de divorce, etc.)

Là, j’anticipe un peu sur le temps, mais je peux dire l’avoir vu une dizaine d’années plus tard : il était marié, avait un enfant, bref, était transformé…

 

 1 - Enfin métisse, couleur chocolat...

 

 Gérôme : Il était très grand et très fort, physiquement précoce pour son âge. Il ressemblait à un homme-singe ou à un yeti, tant dans le physique que dans sa manière d’être. Il bavait. Il était un grand timide, complexé. Mais il était très intelligent. D’ailleurs, il l’affichait sans cesse et il voulait toujours avoir raison. Il avait du mal à s’exprimer cependant. C’était dû à une maladie congénitale, je crois. Il était extrêmement nerveux. Il bavait quand il était énervé, fallait pas être sous sa main, il vous aurait étranglé, ce qu’il aimait déjà faire en s’amusant. Enfin, c’était quand même un grand doux que j’aimais à avoir pour compagnie. C’était le plus fidèle ami. Il avait ceci en commun avec moi : il était passionné. Il avait plein de livres chez lui. Un jour, il m’apprit que l’anaconda avait des pattes et il me fit voir en effet sur une photo les minuscules pattes sur le ventre. Il était surtout passionné de la préhistoire. Je me souviens d’une longue discussion où j’affirmai que l’homme avait été créé et lui m’affirmait  qu’il était descendu du singe. Ce qui était marrant, c’est que je voyais en lui le seul chaînon manquant possible. Bref, ça se finissait en dispute. Il me dominait parce que plus grand et plus fort, et parce que plus intello que moi. Ne pouvais-je pas ressortir perdant ? N’empêche qu’on se trouvait bien ensemble et que j’allai tous les mercredis  après-midi chez lui, même si je n’aimais pas trop ses parents, et surtout sa mère. Puis, à cause d’avoir dit quelque chose dont j’ignore quoi exactement : étais-ce d’avoir dévoilé un secret qu’il m’avait confié, de dire quelque chose que je n’aurais pas dû dire sur lui ou sur moi ? – il m’abandonna. C’était à Cordon.

  Sébastien Costeau et Laurent Fuyon : Le premier était petit et gros avec des cheveux ras, grasses lèvres ; le second, grand et maigre, avec des cheveux bruns, des tâches de rousseur. Bosteau, comme on l’appelait, fort comme un bouledogue, était non seulement la brute la plus épaisse que j’ai connu, mais aussi le plus grossier. Très branché cul, il était maître en dessins obscènes. Il me détestait. Laurent, lui, était plutôt faux-jeton. Il devenait tour à tour mon ami et mon ennemi, lorsqu’il se laissait influencé par Bosteau. Et alors il me narguait à l’ombre de son protecteur. Tous deux se moquait parce que j’avais les « dents de lapin » ou que j’étais Témoins de Jéhovah (Costeau me haïssait principalement pour ça, du fait de ses parents qui lui en avaient parlé en mal), tous deux montaient des petits complots, me menaçaient, me faisaient des mauvais coups, voir me tabassaient. A Cordon, je me souviens qu’ils s’étaient alliés. Et un jour j’en eu marre de leur cirque, j’avais trop subi et je décidai donc de me venger ou du moins de prendre ma revanche. Elle fut Belle, éclatante. Je m’étais préparé à l’avance, à coups de poings contre les portes. J’avais aussi décidé le jour J : le dernier jour. J’attendis Costeau à la sortie. Je me cachai derrière un buisson et au moment où il passa, je bondis sur lui comme un fauve, le fit tomber sur le trottoir en l’y faisant rouler et en lui rendant son compte à coups de poings. Une dame nous sépara en disant quelque chose comme « Vous devriez avoir honte ». costeau, lui, était honteux ; moi, j’étais plein de ma victoire. Certes, j’avais été traître, mais ne l’avait-il pas été mille fois avec moi ? J’avais terrassé le taureau, peu importait de quelle façon. En tout cas, le deuxième, le grand Guyon, celui-là je l’affrontai de face., dans un combat organisé et arbitré au milieu d’un bois. Dada, dont je reparlerai (1), était là, et bien d’autres. Tous criant : « Allez Stéphane ! » et à Fuyon de recevoir une leçon. Ce jour-là, j’étais un héros. J’étais fier. Ce fut ma deuxième et dernière grande bagarre de ma vie. (2)

1 - ... pas!

2 -  Vie « Dernière grande bagarre de ma vie » : Le drôle dans l’affaire, c’est que j’en étais à ce point de mon récit quand je me cassai le bras gauche en mobylette, alors que j’apprenais tout juste à apprendre à conduire une auto. Ca m’apprendra à dire du mal des autres et à faire la gloriole ! Les cinq pages qui suivront seront écrites tant bien que mal de ma main gauche handicapée. 

 

Stéphanie : Garçonne. Très gentille.

Christel : Peut-être la fille avec qui je m’entendais le plus et à qui j’avais donné un dessin qu’elle m’avait demandé. Une autre fille blonde, très petite, très jolie de visage, la chouchoute : Hélène Lambert dont son père était docteur. Ses deux dernières filles sortaient d’un milieu aisé. Thomas (Daquin ?), grand, fort, lunettes, un peu brute, mais gentil. Les autres, je ne me souviens pas ou peu.

  De quoi autre parler ? Que ce chapitre est long et pourtant nécessaire.

  Et puis ce parc, comment s’appelait-il déjà. Oui, il y’avait un petit parc juste en face l’école Pierre et Marie Curie. Il y’avait un petit cirque qui s’y installai tous les ans. J’étais bourré d’étonnement et de joie et de rêve, enfantins, la première fois que je vis le parc transformé en chapiteau rouge et blanc avec des camions, des caravanes et surtout… des animaux un peu partout et à l’entrée de ce beau bordel. Ca sentait le fauve. Normal, y’avait une lionne. Pour la première fois, je crois, je vis un grand félin grandeur nature, vivant, venant d’Afrique, et ça sentait fort le musc. Ca pue pas vraiment, ça sent fort le sauvage. N’étais-ce pas ça les senteurs de savane ? Mais pauvre bête qui faisait impressionnant mais pitié à voir dans sa petite cage à trois pas, où il tournait inlassablement en rond, la tête baissée, rauquant sa misère dans un petit nuage de fumée. Appelait-il ses frères, sa famille ? Il semblait perdu. Une brassé de paille répandue dans ses quelques mètres carré contre toute sa brousse natale. Et pourtant j’étais content. Mais c’était un sentiment partagé. Disons plutôt que mes sens étaient comblés tandis que mon cœur se contractait quelque peu, et mon esprit se révoltait. Cette douleur, cette révolte, je l’ai encore plus eu face à une panthère noire du Zoo de La Flèche*. Voulu la remettre en liberté.

  J’ai été cinq fois dans un zoo. Une fois dans les années où j’habitais les Ponts-de-Cé. C’était au Zoo de Vincennes où je montai avec Y*** ou L*** sur un chameau. La deuxième fois c’était au Zoo de La Flèche. C’était en CM1. animaux très entassés. espace réduit (exemple de la panthère noire). très beau vivarium avec crocodiles, pythons… On me mit autour du cou un petit python réticulé ou un boa constrictor. Sensation de fraîcheur, agréable. Chatouillis de la langue. Mme Dejesne eut une espèce plus étouffeuse : python ou boa vert.

 La troisième fois, c’était au Zoo de La Flèche en famille. La quatrième fois, c’était le zoo de Doué La Fontaine avec l’école (CM2 ? 6ème ?). La cinquième fois à Doué, en famille. Les animaux avaient plus d’espace. Souvenir d’un champ à oiseaux où je voulus pénétrer. Annie Licois n’était-elle pas avec nous ? N’y avait-il pas aussi George Ticot ?

  La quatrième fois (1), changement de zoo : Doué La Fontaine (CM2 ? 6ème ? Ce zoo était très différent de celui de La Flèche. Moins d’espèces animales, plus de liberté. Si le Zoo de La Flèche ressemblait à une ménagerie, celui de Doué était un véritable parc zoologique. On y sentait les animaux plus heureux. Souvenir d’un vivarium avec anaconda. Fosse aux bisons. Ile aux singes. Pas d’éléphant mais un vrai paradis. On pouvait toucher certains animaux. Je me souviens d’avoir touché un émeu, cette espèce d' autruche d’Australie, mais à la va-vite parce que ça peut mordre.. Passage parmi des vautours aussi. Cascades. Oiseaux multicolores à portée de la main.

 1 - Quatrième fois : J’ai laissé les répétitions parce qu’elles me semble refléter mon état d’alors. Ecrire me demandait un tel effort physique que ma concentration se relâcha comme ici. De plus, outre le fait qu’elles apportent des éléments nouveaux, je tiens à laisser intact leur spontanéité et leur fraîcheur (note d'origine). Je rajoute: logiquement il devrait être écrit 6ème fois (2017)

  La cinquième fois, je retourne au Zoo de Doué avec mes parents et mes frères. J’étais fier d’y avoir déjà été.

  Je me suis trouvé une autre fois dans un zoo. C’était la dernière fois. C’était en rêve. Comme tous les rêves, c’était bizarre. Je n’ai jamais repensé à ce rêve que maintenant.

  Le cirque ? J’y ait été environ trois fois. Je me rappelle du nom du cirque : Zavata. Surtout, très envie de voir les animaux, surtout les fauves dans le numéro du dompteur. Je me souviens d’une fois où avec papa et maman on fit un petit tour derrière pour voir les animaux en cage. Sous le chapiteau, c’était une atmosphère unique avec une odeur unique. J’ai toujours été intrigué plus qu’amusé par les clowns, et surtout impressionné par ceux aux visages peints en blanc avec leurs chapeaux pointus. Ils étaient pour moi plus énigmatiques. beauté des voltiges féminines avec leurs cuisses découvertes. Les femmes trapézistes me séduisaient. La référence en cirque était pour nous Jean Richard. Vu Sous le plus grand chapiteau du monde.

  Rien à voir, non, avec le mini chapiteau dont j’ai parlé quelque part plus haut, installé en face de l’école primaire d’où je pouvais le voir et en rêver à travers la clôture de cyprès odorants.

  Je vous ai parlé des fauves… enfin d’une lionne. Rappelez-vous qu’un fauve peut appeler d’autres fauves. Un souvenir peut appeler d’autres souvenirs. Mais je ne suis plus certain que le fauve que j’ai vu la première fois était une lionne. Je me souviens de tigres aussi. Quel est le plus domptable : le fauve ou le souvenir ?

  A un arbre du parc était attaché un lama. Je souhaitais autant que je craignais qu’il me crache à la figure. Une fois, il y’avait un chameau d’une saleté incroyable. Il y’avait toujours des chèvres, des boucs. Une fois je m’amusais avec je ne sais plus qui à prendre u bouc par les cornes et à galoper dessus. Je me retrouvai sur le cul.

  Le parc se transformait en cirque et zoo qu’une fois l’an. Zoo, car au fait, je ne suis jamais allé sous le chapiteau. Ou peut-être une fois – j’ai un très vague souvenir. Les fauves, ne servaient-ils que pour attirer ? Je me souviens d’un clown, de petits numéros acrobatiques, mais pas de fauve, ni de lama.

  Une ou deux semaines tous les ans. Le reste du temps, le parc était aux oiseaux. C’était mon lieu favori pour observer les oiseaux. Il y’avait un canal bordé d’arbres, avec un petit pont au centre. C’était là. Ce canal était face à un petit château.. Il y’avait une longue allée bordée de grands arbres qui y menait. Cette entrée demeurait pour moi mystérieuse et interdite. J’étais de toute façon très accaparé par les oiseaux et puis y’avait marqué « Propriété privée ».

  Vraiment ça m’énerve de ne plus savoir de quel nom on appelait le parc (1).  Il y’avait des jeux d’enfants, il y’avait un arbre arqué contre le sol qui ressemblait à un navire et sur lequel on pouvait jouer. Il y’avait une allée de peupliers. Des corbeaux qui voletaient d’arbre en arbre croassaient, se posaient sur l’herbe. L’oiseau le plus curieux que j’ai vu, et pour la première fois, est ce petit grimpeur des grands arbres, qui se confond avec la couleur des troncs sur lequel (2) il se déplace à la verticale en tournant autour toujours de façon à échapper à l’œil : le grimpereau des jardins ou oiseau cache-cache.

 

1 - Parc :Y*** qui a meilleur mémoire que moi me l’a rappelé : Le Cénacle. Je m’en servirai 6 ans plus tard dans un poème en prose ou prose tout court : « Mesure d’arbre » (2004). Cet arbre a été abattu (note présente)

2 - Lequel :  Je garde l’incorrection : l’oiseau vit sur les troncs, mais ne peut être vu que sur un tronc à la fois. 

 

  L’autre oiseau qui me fascinait le plus et pourtant si commun, si familier, était le rouge-gorge familier. C’est le passereau le plus solitaire, le plus discret, le plus curieux, celui qui s’approche le plus intimement de l’homme mais qui garde une distance d’un mètre, toutefois. On dirait qu’il aime la présence de l’homme, mais qu’il refuse de se laisser toucher. Son plumage est à son image : brun, blanc et rouge. Simple, pur et coloré. Son œil rond est innocent, naïf, curieux, coquin, sévère, têtu, triste, joyeux… C’est un regard qui s’étonne de tout et de rien. ouvert sur le monde. L’enfant se reconnaît en lui, et il rêve. Il le regarde sautiller sur les branches mortes, sa tête bouger en tous sens par petits à coups. Et tout à coup, saisir de son petit bec effilé un ver de terre. Plus tard, au milieu d’un fouillis de branches nues, il s’exprime par un petit ti-ti-ti. C’est bref, simple, clair, limpide.

  L’hiver, je recueillais des nids, je suivais les conseils des livres pour être un vrai naturaliste et ne pas faire de mal à la nature. Je devins collectionneur. J’eus à la fin une dizaine de nids, petits et grands. Certains étaient plus beaux que d’autres. Parmi les plus beaux – c’étaient aussi les plus petits – celui du pinson des bois, autre bel oiseau du parc, qui se caractérisait par son pailletage de lichens blancs à l’extérieur et son tapis de mousse et de plumes à l’intérieur ; celui du troglodyte mignon, le plus petit et qui se présentait comme une coupole brune finement tressée, très coriace et dont le lit était était (1) tout en coton blanc : deux purs chef-d’œuvres.

 

 1 - Etait : Conserve cette répétition par mégarde à la ligne du dessous : écrire c’est aussi fait de petits riens inhérents à l’acte dans ce qu’il a de plus matériel. 

 

Il y’en avait des moins beaux, mais tous étaient des corbeilles fabriquées par des oiseaux. Il y’avait un génie commun. Un nid était en soi quelque chose d’ingénieux.

  Je trouvais quelquefois des coquilles cassées et tentais de savoir de quel oiseau il s’agissait.

  Ma collection comprenait aussi des ossements de pelotes de rejection de rapaces. J’en décortiquai une et étalai les os sur une planche de carton noir. J’avais un crâne d’hérisson que l’on m’avait donné, un crâne de lapin que j’avais décortiqué moi-même puis purifié dans de l’éther.

  Tonton Mic, grand pêcheur, m’offrit une tête de brochet et une de sandre. L’autre moitié de ma collection était constituée de pierres dont la plupart provenaient du Massif Central. Je ramenais de vacances les « belles pierres que j’avais trouvé : quartz, roches volcaniques, etc.

  Tout ça attirait des mites et beaucoup de poussière. Mais j’en prenais soin. Tout était ordonné, étiqueté. C’était pour la chambre de mon frère et moi un ornement et un petit musée.

  Parlons des livres. J’avais toujours les fameux « Tout l’Univers », inépuisable source de recherches et d’enchantements, ainsi que d’autres livres sur les animaux. Le jour où je découvris la Bibliothèque de Saint Barthélémy, c’était les portes du Paradis qui s’ouvraient pour moi. Il y’avait plus de livres de bêtes que ma tête d’enfant n’avait imaginé avoir à sa portée. Des livres sur l’Antiquité aussi, car j’aimais aussi l’histoire antique. Je ne m’intéressait pas au-delà du Moyen-Age. Je finis par aller à la Bibliothèque de la Ranloue tous les mercredis après-midi, seul à pied ou avec mon frère Y*** lorsqu’il en avait envie. Lorsqu’il venait, c’était pour lire des BD. Mais j’étais content qu’on fasse le chemin ensemble. Ce chemin qu’on connaissait si bien. La Bibliothèque était à l’intérieur d’un petit château. Le cadre était très beau. Il y’avait à côté un petit étang rempli de roseaux où il y’avait des grenouilles et des libellules. Un jour, on captura une grenouille et on la fit sauter dans notre jardin et on la remit dans l’étang.

  Dans la Bibliothèque, surtout l’été, il était très agréable d’y être. Chacun de son côté, l’un dans les BD, l’autre dans les Recherches. De moi-même, je faisais de petites fiches animalières : exemple l’Anaconda ou le Crocodile du Nil.

  Pour ce qui est de l’observation des oiseaux, j’eus une longue vue. Elle ne grossissait pas énormément mais elle était très pratique et puis ça faisait bien, faut l’avouer.

 Les animaux domestiques ont aussi occupé leur place dans ma vie, comme beaucoup. On a toujours eu des animaux chez nous. Il y’eut, mais je ne m’en souviens plus, un chien, il y’eut un chat dont je ne me souviens plus non plus. Le premier animal dont je me souviens est Fripounette dont j’ai parlé dans mes souvenirs des Ponts-de-Cé. Cette belle chatte noire eut une fin tragique. Elle fut très malade. Elle vomissait continuellement. Il fallut pour abréger ses souffrances, nous en séparer d’une triste façon. Comme nos revenus modestes ne permettaient pas de dépenser beaucoup pour l’envoyer chez le vétérinaire et que ma mère plaçait les intérêts des enfants avant ceux des bêtes, mon père fit la chose suivante qui me parut d’abord comme un odieux crime : il partit un soir avec Fripounette, l’enferma dans un sac qu’il avait rempli de pierres et le jeta du haut du pont de la Loire. Mon père revint bouleversé.

  Suite à cet événement qui nous marqua tous, nos parents décidèrent de ne plus avoir d’animaux.

  Mais le temps passa, on déménagea, estompant cette époque révolue au profit de l’avenir qui s’ouvrait devant nous dans un autre cadre. Les belles résolutions s’envolèrent le jour où nous proposa des petits chatons. On craqua. Et on choisit deux petits chatons, deux chattes. On était tous excités et on s’empressa de chercher des noms dans un débat animé. On appela l’une Noisette et l’autre Amandine. Elles ne ressemblaient pas du tout à Fripounette. C’étaient des chattes dites « communes » aux tons bruns, gris, roux. Cependant, bien que sœurs, ces deux chattes étaient très différentes, autant dans leur physique que dans leur caractère. Le pelage de Noisette était sobre, celui d’Amandine plus varié en couleurs. Mais ce n’est pas la beauté d’Amandine qui eut raison sur nous. Noisette qu’on avait appelé ainsi à cause de tâches brunes sur son ventre blanc attirait notre affection parce qu’elle-même très affectueuse. Sa douceur surpassant encore celle de Fripounette qui avait quand même du siamois en elle, nous la fit préférer à Amandine qui avait un tempérament plus sauvage et qui exerçait sur sa sœur une sorte de tyrannie, car elle était jalouse d’elle (1). Noisette se pliait à ses volontés et ne mangeait qu’après Amandine, du moins ce qui restait. Il me semble qu’elle avait même fini par ne plus manger. On décida donc un jour de nous séparer d’Amandine. On la donna à je ne sais plus qui. Noisette reprit appétit, il n’y eut plus de limites à son affection. Lorsque j’étais dans mon lit, j’étais dès fois réveillé par une langue râpeuse sur mon visage ou ma main et je voyais Noisette qui semblait vouloir faire ma toilette ou me dire bonjour. ou me montrer son amour. Elle ronronnait tout le temps lorsqu’elle était avec quelqu’un et adorait se caresser à nous et faire le dos rond. Mais elle sortait beaucoup aussi. Elle faisait beaucoup de petits. Elle était la Mère par excellence. On n’eût pas trouvé chatte plus maternelle. Ne lui donnait-on pas la pilule ? – c’était pourtant la même tragédie qu’on avait vécu pour la première fois avec une portée de Fripounette qui se renouvelait à chaque fois qu’elle nous ramenait des petits. Papa les noyait dans l’éther (2). Seul de rares chatons qui avaient eu la chance de trouver un foyer d’adoption survécurent au drame qui me tirait des larmes. Papa disait qu’ils ne souffraient pas. J’avais cependant l’étrange désir ou besoin, peut-être légitime, d’assister à leur mort qui pourtant me faisait horreur. N’étais-ce pas aussi la curiosité d’un enfant qui cherchait à comprendre la mort, à la voir, pour ainsi dire ?

 

1 - D’elle :Peut-être y a t-on eu notre part de responsabilité : une affection excessive envers l’une ne pouvait que provoquer une jalousie agressive de l’autre. Mais la nature humaine est faillible... 

2 - Ether : Ou plutôt les endormait à l’éther puis les noyait. (p 30)

 

Enfin, les autres animaux qu’on eut à Saint Barthélémy furent des serins qu’on retrouva morts un matin, tués par un chat ; Lili, un cochon d’Inde blanc qui mourut d’avoir été un après-midi trop exposé au soleil, sans doute ; Pouf, un lapin nain gris qu’on adorait aussi et morte sous le choc de lui avoir coupé les griffes, sûrement, aussi trop court.

  C’est la vie. Chacun sait combien on est attaché à nos bêtes qui nous offrent beaucoup de joie de vivre et combien ça nous fait de la peine lorsqu’on les perd.

  Le jour de la mort de Lili, qu’on avait eut avant Noisette, ce fut une bien triste journée. Il faut dire qu’on était très attaché à ce petit cochon d’Inde galopant et iinant. J’ai dit qu’elle était morte sans doute par insolation. En vérité, la cause de sa mort était pour moi plus mystérieuse à cause de la circonstance dans laquelle elle avait eu lieu. Si je me souviens bien, c’était un samedi. Avais-je été à l’école, le matin ? Il me semble. En tout cas, il faisait très beau. Vers midi, au retour de l’école, la « Belle-mère » débarqua avec le papy (le père de maman). De cette visite, il me reste ce fragment d’autobiographie qui fait suite aux pages qui ont ouvert ce chapitre, écrites vers 1994 et resté inachevé (1).   « Il est midi. Chui content d’retourner à la maison parc’que là j’peux beaucoup faire de rêves, j’peux réaliser des rêves, j’peux en construire tant que j’veux. J’pense déjà revoir maman, Lili et Noisette, que qui que j’vois ? Jamais j’aurais cru que ça arrive « La Belle Mère » ici avec le gros géant à moustache qu’on appelle Papie plus facilement en tout cas que cette espèce de sorcière de « Mamie » comme elle veut qu’on dise. Mais nous on aime pas, parce que c’est pas la maman à maman, parce que ça maman est morte elle avait huit ans. La « Belle Mère », toute naine par rapport au Papie. On dirait qu’elle peigne ses cheveux à demi roux et bouclés avec un pétard ! Elle porte une jupe en tissu marron foncé qui lui arrive juste au-dessous les genoux et qui laisse voir ses gros mollets gonflés de veines bleues et violettes, un vilain chemisier en soie rose et des vieilles chaussures en toile brune qui ressemblent à des savates. S tête assez ronde avec un double menton, le front haut et bombé, des paupières grosses et lourdes, un pif terminé par une sorte de boule un peu remontante, une petite bouche coincée entre des joues bien ressorties sous son moustachoir comme… »

  Elle était vraiment sans gène. Elle avait fait non seulement tout un cinéma pour venir, pleurnichant, prétextant qu’ils n’avaient nulle part où aller, où dormir, qu’une fois chez nous elle voulait encore faire son chef. Au déjeuner, il fallait la plus grosse part de poulet pour « Papie ».

  Elle était, en plus, collante. On détestait, mes frères et moi, ses manières de nous appeler « Mes petits lapins ». Et puis toujours à cavaler partout, à fureter. C’était boule de nerf difforme et grotesque qui se déplaçait le buste courbé en avant., le gros cul en arrière, dans un va-et-vient affolant, qui gesticulait et qui parlait volubileusement (2), qui criait plutôt. Sa voix aiguë et enraillée était particulièrement insupportable. Criarde, c’est le mot. Mes frères et moi, nous l’évitions tant qu’on pouvait  et on répugnait à l’appeler « Mamie », comme elle voulait. On était défiant envers elle. On l’aimait pas, c’est tout dire. Mais en même temps elle nous faisait rire, on s’en moquait.

 

1 - Inachevé: Il devait être intégré dans une nouvelle écrite la même année : Ombre, resté elle aussi inachevée. (p 30)

2 - Volubileusement :  « volubilement » aurait pu suffire, même si n’existant pas dans le dictionnaire, mais quand on est volubile, on ne compte pas le nombre de lettres et on en rajoute !

 

 [Pourtant…(j’ai presque envie de plaider tout de suite ce qu’il y’a en sa faveur, mais ce n’est pas le moment)]

  Elle était, au fond, affreusement pathétique. Il y’a un souvenir que je n’arrive pas à pouvoir expliquer clairement, une situation épouvantable et absurde. J’avais fait pipi au lit. D’après moi, de ce que je me souviens, voilà ce qui se passa : lorsqu’elle s’en aperçut, elle me harcela : « Cochon, tu voir ce que tu mérites. J’vais l’dire à ta mère, ce que t’as fait. Tu vas voir Tu vas voir tes fesses » etc. Elle me traîna hors du lit, criant au scandale tandis que je pleurais. Elle donna tellement l’impression d’un crime commis, et je ne sais par quel pouvoir elle parvint à ses fins : Ma mère fit ce qu’elle voulait et me fit une fessée déculottée devant elle, juste en bas de l’escalier, chose qu’elle n’avait jamais fait pour cette cause, car elle savait que ce n’était pas ma faute, mes fuites étant maladives. D’ailleurs elle se rendit compte de son erreur. Il me semble que par un malin artifice, la Belle-mère tira faveur de la situation. Son attitude changea immédiatement après en paroles doucereuses du genre : Viens faire câlin à Mamie mon lapin. Tu recommenceras pas hein ? mon bichon » Et presque aussitôt ma mère me tenait dans ses bras en me demandant pardon.

  Pour en revenir à Lili, elle mourut le jour où elle arriva ou dans les jours qui suivirent. C’était un après-midi. Il faisait très chaud. On avait sorti Lili et elle avait gambadé sur l’herbe. Ma mémoire fait défaut quand au déroulement exact des évènements. Revenais-je de l’école quand j’appris la mort de Lili ? C’est ce qu’il me semble. Mais ça voudrait dire qu’ils ne sont pas arrivés un samedi. Peu importe, le fait que la Belle-mère soit là m’empêchait de croire ce qui paraissait évident : morte par le soleil ou le mouron rouge. N’était-elle pas encore chez nous où pour la première fois de toutes mes chasses aux abeilles et aux bourdons je me faisais piqué par un bourdon ou encore le jour où à l’effraiement (1) de maman je revenais chez moi la figure en sang après être tombé par terre ? Ce qui est sûr, c’est qu’il y’eut beaucoup de problèmes pendant leur séjour et qu’après leur départ, pendant longtemps notre famille rencontra des problèmes et due affronter les « assauts de Satan », et qu’on demanda dans nos prières de l’aide à Jéhovah. Maman nous apprit que la « Belle-mère » faisait de la magie noire ou sorcellerie. Ca nous faisait frissonner, mais nous n’avions aucun mal à la croire. Elle avait été jusqu’à fouiller dans le placard, pour se procurer des photos. surtout que J**** venait de naître.

  Une nuit, on entendit un grand fracas et des cris. C’était maman qui avait dans le noir chuté de l’escalier. Toute la maison se réveilla. Si je me souviens bien maman était inanimée. ou bien elle haletait comme une spasmophile. En tout cas, elle était dans un état dramatif (2), surtout pour nous enfants qui pleurions. On demanda secours à nos adorables voisins d’à côté, dont je reparlerais plus tard (3), et on fut rassuré quand notre voisine nous dit (si vraiment ce souvenir que j’ai est vrai comme je crois, c’est qu’elle était vraiment inanimée) qu’elle était seulement dans les pommes. Enfin il y’avait eu plus de peur que de mal. En y repensant, il est probable que maman eut d’abord une sorte de crise de spasmophilie, y étant sujette, puis qu’elle tomba dans les pommes sous nos yeux. C’est même la version que je crois vraie car ce sont les halètements de maman qui me sont venus à l’esprit en premier, et que je suis aussi sûr des paroles de notre voisine.

 

L'effraiement: :  « effroi » aurait été exagéré pour la circonstance. Mais elle était quand même effrayée.

Dramatif :  Rien de dramatif à ça…

Plus tard : Ce ne fut là encore pas fait. Voir Liste des souvenirs non traités…

 

 Je passe sur d’autres problèmes moins marquants, tels des problèmes de voiture, mais qui à la fin faisaient une telle accumulation qu’on ne pouvait se poser de questions quand à leur origine. Maman était tellement persuadée que c’était à cause de la « Belle-Mère » qui voulait nous faire du mal, parce qu’entre autres, elle n’aimait pas les « Jéhovahs », qu’elle décida un jour de chercher toutes les photos où il y’avait la « Belle-mère » représentée dessus pour les brûler. Et c’est ce qu’elle fit. Et à notre grand étonnement, elle nous dit qu’elles avaient résisté aux flammes un bout de temps avant de brûler à forces de prières.

  Il m’est arrivé à cette époque d’autres choses qui pour moi étaient étranges, inexplicables.

  Premièrement, il m’arrivait souvent de vivre des situations dont j’étais certain d’avoir déjà vécu. ou du moins vues, car c’étaient des souvenirs visuels qu’il me venait en tête. C’étaient en quelque sorte des flash de courtes durées. Curieusement, ça se passait toujours à l’école.. Ces flash-back naissaient d’une situation particulière, dans un contexte précis, parfois d’une seule parole liée à un geste du maître ou de la maîtresse. Intrigué, j’ai essayé discrètement plusieurs fois de savoir si c’était normal. Par exemple, un jour on aborda en classe un sujet (je ne sais plus lequel) qui demandait des exemples. Mon exemple était approprié, j’en profitai donc et je levai le doigt et répondis : « Par exemple, dès fois on… » etc. Le maître, tout en approuvant l’exemple ajouta en guise d’explication que c’étaient en fait des confusions de notre mémoire qui contenait tellement d’autres souvenirs semblables mais oubliés jusqu’à temps que le même geste pour ainsi dire se répète dans une situation sensiblement identique. Un élève, très intellectuel, me fournit, il me semble, à peu près la même explication qui ne me convenait pas tant ce que je vivais me semblait unique, et que ce qui me revenait à l’esprit étaient des images claires ne pouvant se confondre avec aucune autre. Mais n’était-ce pas ce qu’on appelle des réminescences *?  Je crois que j’en ai eu jusqu’au collège, puis ces impressions disparurent.

 1 - Ou "réminiscences": : naissance de souvenirs non reconnus comme tels par le sujet qui en est sujet.

  Deuxièmement et dernièrement, j’eus pendant une période – ça devait être dans les débuts qu’on habitait à Saint Barth mais je ne sais pas pendant combien de temps au juste, ou plutôt combien de fois – j’eus la nuit, non pas le même rêve, mais la même visite, on peut dire ça, la même étrange présence qui se traduisait par une forte sensation sur moi. Je m’explique. En mots d’hommes, je dirais que je sentais plus que voyais sur le mur l’ombre d’une main invisible, immense, puissante venir vers moi. Ensuite elle disparaissait en moi. C’était comme si cette grande ombre était entrée en moi pour se poser sur mon cœur. Elle était énorme par rapport à mon cœur. Imaginez qu’une fiole puisse contenir l’Infini, une poussière, un atome qui aurait le poids d’une tonne où à l’inverse un gros plomb qui aurait le poids d’une plume. Imaginez l’infiniment grand dans l’infiniment petit. C’était une sensation ultradimensionnelle d’introduction de l’infiniment grand dans l’infiniment petit ou d’un poids immense dans une poussière. Puis la « main » disparaissait. J’eus la même visite au moins, je dis bien au moins, dix nuits consécutives. Je m’en réveillais la nuit. Un soir, je mettais un certain temps avant de m’endormir. Contrairement aux impressions du « déjà vu » dont j’ai parlé avant, je n’ai jamais cherché à trouver des réponses à ce phénomène en dehors qu’en moi-même. Et l’enfant de 10-12 ans que j’étais ne trouvait pas d’autre explication que c’était la main de Dieu qui venait sur moi, ou plutôt en moi. J’en ignorais le pourquoi, mais j’ai supposé à (1) une intention particulière de Dieu sur moi. Au début, cette présence mystérieuse me fit peur, ensuite, elle m’intimida, puis m’inquiéta, puis me fit simplement poser des questions, et enfin, elle me devint familière et presque (2) réconfortante. Il ne m’était pas difficile à croire que c’était Jéhovah et que par sa main il voulait me montrer sa Toute-puissance et même qu’il me protégeait, me donnait de la force, voir m’avait choisi comme son élu. N’étais-ce pas son Esprit-Saint ? (3) Si cette présence avait été vraiment terrorisante, j’aurais sans doute cru que c’était Satan. Mais le problème qui c’était posé pour moi à savoir si c’était Satan ou Jéhovah s’était à la fin résolu. Et un jour, je me réveillai sans avoir été visité la nuit et plus jamais par la suite je n’ai senti la « main de Dieu » dans mon sommeil. Cependant, je ne l’ai jamais oublié, et je peux dire que j’en fus marqué… (au point que même maintenant j’ai du mal à me séparer de l’opinion que j’eus enfant sur ce fait difficilement assimilable et interprétable)

Supposé à : incorrection que vous pouvez corriger. 

Presque : Le « presque » a été ajouté après « familière et réconfortante ». 

Son Eprit Saint : Biffé le début de la phrase : « Même si ce n’était pas une colombe qui venait sur moi », allusion au baptême du Christ où, en signe d’agréation, d’élection  de lui par son Père comme son Fils, une colombe descendit sur lui. Attention, je ne suis pas Jésus ni son sosie qui serait plutôt en l’acteur gaffeur français Pierre Richard… Et si c’est Dieu par l’intermédiaire de Jésus  qui a dit : « Pierre, sur toi je bâtirais mon Eglise », alors il aurait oublié de dire que ce serait une catastrophe ! Notons par ailleurs, même si on est très loin de mon sujet qu’il y’a eu confusion entre deux termes grecs :pétros (une pierre) et pétra (un roc ou rocher) ce qui se traduit par : « Roc, sur toi je bâtirai mon Eglise. ». 

 

Si j’ai dit que ce n’était pas un rêve, c’est que j’ai eu à la même époque des rêves dont je me souviens et que ce phénomène n’avait rien à voir avec tous les rêves que j’ai pu faire. S’agissait-il alors d’une autre sorte de rêve ?

  Il y’a de cette époque deux rêves dont je me souviens. Ils appartiennent chacun à un des deux grands genres que nous connaissons tous : le Beau rêve et le Cauchemar.

  Le beau rêve : je me voyais posséder plein plein* de bêtes en plastique, et je dois dire que j’eus une belle déception quand au réveil je m’aperçus que j’avais rêvé.

 1 - Plein plein : Différent de « était était » : accentuation affective.

  Le Cauchemar : celui-là, horrible. Au début c’était l’angoisse d’un long voyage dont je faisais partie et qui transportait dans des cages des noirs maigres aux yeux exorbités, effarés. Du fait, j’étais le seul blanc. Le voyage se faisait à travers un désert et paraissait interminable jusqu’à temps où on se trouvait dans un endroit maudit où une espèce d’ogre cyclopéen choisissait un à un son repas. Il empalait les enfants et les faisait cuire comme du poulet. et chacun pouvait voir ce spectacle horrible.

  Je ne sais pourquoi, je pus m’échapper, il me semble grâce à l’aide de mes compagnons qui s’étaient tous mis d’accord. Mais ayant trouvé un abri, je fus témoin de la mort de tous les enfants, je crois, qui ne formaient qu’une seule âme, et sans que je puisse rien faire pour les aider. Voilà en gros la trame de cet horrible cauchemar qui eut pour origine certainement la vue d’une scène  du 7ème Voyage de Simbad que j’avais regardé un mardi soir  en famille à la télé et qui montrait un cyclope dans un désert empalant un homme pour le faire cuire au dessus d’un bûcher.

  Je me souviens plus vaguement d’un autre cauchemar. Cette fois-ci il avait lieu dans un cadre réel. En fait ça se passait pas plus loin que dans notre voisinage, de notre maison. Ce que je me rappelle, c’est un coup de feu, un meurtre. C’est tout ce que je peux à peu près affirmer sur l’histoire. L’origine du cauchemar, je crois pouvoir la puiser dans un fait réel qui s’est passé juste au pied d’un tilleul qui était face à notre jardin sur les bords du terrain de jeu. La fenêtre de notre chambre donnait dessus. Une nuit, donc, on entendit une femme crier et sangloter. C’était quelque chose d’affreux à entendre. Toute la maison fut réveillée. Il y’avait eu tout d’un coup comme un vent de folie. Rien n’est plus affolant, désorientant qu’être réveillé la nuit par un drame, n’est-ce pas ? Je compris que quelque chose de grave se passait à l’extérieur et j’appris par la suite que ce n’était rien de plus qu’une querelle entre un homme et une femme qui avait dégénéré en coups. Il s’agissait apparemment de voisins. Mon père avait décidé de sortir pour aller au secours de la femme battue. Et c’est là qu’on a vraiment eu peur. On pouvait s’attendre au pire des scénarios. Mais notre père avait tout arrangé. Il nous dit que l’homme qui avait battu sa femme était soûl et elle je crois aussi. Et c’est je crois, juste après, notre père dormant à côté de nous pour qu’on soit rassuré, que je fis ce cauchemar.

 

 

 Dans mes souvenirs, vous avez remarquez que certains sont datés, d’autres pas. Ceux qui sont datés, ils le sont d’après ma mémoire qui a pu se tromper à certains endroits, je m’en pardonne ; ceux qui ne sont pas datés, c’est qu’il m’est impossible de les fixer à une année précise mais que je peux uniquement rattacher à cette période qui va de 1982 à 1984, c’est à dire les trois dernières années de primaire, que j’ai passé à Saint Barthélémy à l’école de Pierre et Marie Curie. Mais ce principe général est valable pour toutes les autres périodes.

 

  Maintenant (1)

 

1 - La première partie de Mémoire s’arrête là. Mais je la complète par un texte qui lui était annexé ainsi que par deux listes faites de souvenirs qui devaient s’y trouver.Sur ce mot se termine la première partie.

 

  L’ordre dans lesquels je rapporte des faits, des souvenirs, pourraient faire croire au lecteur, par un effet d’optique, que tels souvenirs, sur la nature, par exemple, sont antérieurs aux souvenirs que je viens d’évoquer. La réalité, en fait, était faite d’un ensemble de choses : Nature, école, jeux, Réunions, etc. qui se répétaient chaque semaine.

  Voilà à peu près le programme général d’une semaine :

 

   Lundi : Ecole

   Mardi : Ecole et Salle le soir (2 h)

   Mercredi : Pas d’école. Matin : télé le plus souvent

                                          Après-midi : jeux + Etude personnelle (1 h)

   Jeudi :  Ecole + Etude de livre (1h)

   Vendredi : Ecole       

   Samedi : Matin : Ecole

                   Après-midi : sorties dehors ou avec les parents voir de la famille

   Dimanche : Matin libre

                       Après-midi : Salle du Dimanche (2h) + autres sorties

 

 

   Liste de souvenirs non traités pour la période de maternelle à CE1 :

  

   Bataille de bêtes (bouchon en liège)

   Etude biblique*    Saint-Jean des Monts (Mamiblou)

   Centre aéré (Murs Erigné) : éclipse de soleil

   Tonton Cady (Havre) Chien-loup (Saint-Malo)

   Soirée déguisée aux Ponts-de-Cé

   Cousin Xavier de Pascal : frisé

 

  Liste de souvenirs non traités pour la période de CE2 à CM2 :

 

Famille du côté de maman

Thierry C (foot, extra-terrestres, Ardoisières)

Famille TJ : France habitant Saint Bart. Pauvres.

Souvenirs de famille du côté de maman (repas familiaux et jeux avec cousins)

Promenades avec Véronique

Pieds de Didier

Famille F de Saint Bart

Tombola

Trous de Trélazé (plans d’eau)

Musique : Talk Talk, Dépêche Mode

J**** et amusements, voir conneries de L***

Chatte (L***) : lancet et accroché dans garage par la patte

Le gueulard (ballon dans le poirier)

Jeu de guerre

Le braille : aveugle

 

 

 

 

 

 

 (2ème partie)

 

LES ANNES COLLEGE

(1985-1990)

 

 

 

 Je vais essayer de reprendre à peu près à partir de où je m’étais arrêté l’an dernier : le dernier mot fut « cauchemar ». Je parlais de rêves mémorables à Saint Barth. J'ai montré à peu près ce que fut mon enfance dans cette double vie que j’ai eu. Il n’est pas facile de faire coexister les deux en même temps, et c’est, le lecteur a pu s’en rendre compte, impossible à faire sur le plan de l’écriture. C’est pourquoi certains chapitres sont consacrés à la Jéhovannerie  (aux TJ) tandis que d’autres laissent la plus grande part au quotidien, aux souvenirs de la vie courante, ce qui est tout aussi indispensable d’évoquer si on a le souci d’objectivité qui est la seule clé pour atteindre une Certaine Vérité et non « la Vérité » que seuls les TJ apparemment détiennent !

  Aussi vous trouvez dans ce livre 2 mondes parallèles et opposés [de façon trouble] tels que je les ai vécu d’abord de façon inconsciente depuis que je suis né, puis de façon semi-consciente, enfin de façon consciente [avec les divers degrés qu’on y trouve]. Ce que j’appelle la Conscience est le moment (vers dix ans) où on sait, où on a conscience d’appartenir à un groupe et de faire des différences. Ce premier degré de conscience pour moi a dû être de se dire : « Je suis Témoin de Jéhovah. Il y’a les Témoins de Jéhovah et il y’a les autres. » Dans l’esprit se fait tout de suite une démarcation. Jéhovah reste un peu dans un halo de mystère, il reste une lointaine puissance mystérieuse qu’on doit craindre de désobéir de peur d’être puni. L’essentiel de la découverte fut sans doute : « Il y’a les Témoins de Jéhovah dont je fais partie, que je suis, même, mes parents l’étant, et il y’a les autres, c’est à dire les non-Témoins de Jéhovah, ce qu’on appelle les gens du monde et ils sont plus nombreux. Ils sont une menace pour nous les serviteurs de Dieu, car ils sont du côté du Mal, de Satan, ils seront détruits. Mais moi, en attendant le paradis, faut quand même que je vive avec eux, à l’école surtout. »

  Voilà comment est né un conflit intérieur qui a géré mes comportements, tous mes rapports à l’extérieur depuis dix ans et même avant car déjà vers 8-9 ans, je perdais un copain pour lui avoir dit que j’étais Témoin de Jéhovah (voir p 15). Même après avoir quitté les TJ, c’est à dire de 22 jusqu’à maintenant presque 27 ans, je n’ai pas réussi malgré des progrès considérables pendant 5 ans, à me défaire d’une nature conflictuelle s’interrogeant sur tout, comment je dois être avec les autres, par exemple. [ En fait je me préoccupe toujours un peu de leur jugement. Leurs attitudes vis à vis de moi comptent beaucoup. Je n’arrive pas à être toujours naturel, c’est à dire comme je le suis dans ma famille.] Mais j’en reparlerai au moment venu. Pour l’instant nous ne sommes qu’à la veille des années collège. C’est à dire en 1985, à 12 ans. 

  Cette année-là, j’entrai en 6ème. Fini l’école primaire, maintenant j’étais dans la cour des grands.

   L’entrée au collège est toujours marquante. Au début on est impressionné et perdu. C’est tellement différent d’avant. La plus grande révolution du milieu collégien est de ne plus avoir un instituteur qu’on appelait Maître ou Maîtresse., mais une dizaine de professeurs qu’on appelera « profs » pour chaque matière représentée, dont certaines nouvelles, comme l’apprentissage d’une langue vivante (anglais, allemand, espagnol au choix). Ce fait entraîne d’autres révolutions : le changement de classe, de lieux (ex : Salle 101), le changement de classe pour chaque cours et l’emploi du temps pour chaque classe (ex : 6ème E : de 8 à 9 h : Anglais avec Mme Maucourt, salle 102), on allait toujours dans la même salle pour chaque matière et aménagée en fonction de celle-ci. Par exemple, il y’avait dans la salle de Biologie un squelette humain sur pied et une collection naturaliste (pierres, crânes, chouette effraie empaillée, etc., sans compter les nombreux documents affichés au mur.). Enfin d’autres changements, d’autres nouveautés étaient le système de notation (notes sur 20 et non sur 10).

Fini le système d’ABCDE !), le système de discipline dont le passeport donné à chaque élève était destiné à recevoir par les surveillants (pions) des vignettes vertes, jaunes ou rouges, plus rarement – une vignette verte était un avertissement, une vignette jaune une colle, c’est à dire une retenue dans la salle de permanence, et la rouge, un renvoi pendant 3 jours ou plus. Chaque élève devait avoir toujours en sa possession son carnet de liaisons ou carnet de correspondance contenant l’emploi du temps, les notes obtenues pour chaque période dans chq matière, la correspondance entre l’établissement et la famille ainsi que chaque retard et chaque absence notée par un surveillant (système qu’on retrouvera d’ailleurs au lycée). Il y’avait à la tête de tous les surveillants, la surveillante principale, Mme Leveillée, petite, maigre, à la démarche raide, saccadée, et au visage austère qui prêtait à rire, mais Dieu sait qu’avec elle, ça rigolait pas !

   Le collège, « le bahut » comme on disait, était moche en lui-même, mais il y’avait beaucoup d’arbres et un bois l’environnait de moitié, ce qui le rendit plus agréable, plus accueillant.

   J’ai essayé de faire un plan* sans mesures exactes, ni échelles ni orientation cardinale. Ca évite les longues descriptions – et ainsi je peux plus facilement faire certains commentaires.

 

 [Plan du corps principal]

 [Plan du Collège]

 

  1. Corps principal : 3 étages plus rez-de-chaussée. Nombre de classes inconnu. Chaque salle numérotée. A la récré, on mettait souvent notre cartable dans le couloir près de la porte de la classe où on allait avoir cours. A chaque entrée ça bouchonnait.

  2. Préau : Voir plan 2*. On y posait notre « vache » (cartable), souvent la balançait.

  3. Terrain de jeux :  (foot et basket – panier basket).

  4. Zone de circulation : tourner autour du collège en groupe.

  5. Garage à vélo, mobylettes.

  6. Préfabriqués.

  7. Portail d’entrée.

  8. Portail  de sortie.

  9. Bureaux de la directrice, gardiennage, Administration.

 10. Préau tôlé en long

 10 A. Zone de queue leu leu pour aller manger : Il y’avait souvent de la gruge pour passer. Il y’a une période où je fis fi des principes bibliques et passait avec ruse par la porte de sortie. C’était toute une technique ou la discrétion et la vigilance étaient de mise, mais la plupart du temps je m’en tirai pas mal. Il faut dire que le temps qu’il y’avait à attendre était parfois interminable et que la faim tenaillant dans le ventre lorsqu’on finissait à 12h30 pour reprendre à 2 h avait raison de moi. Le temps libre d’après s’en trouvait aussi considérablement allongé.

 10 B. Entrée du réfectoire.

 10 C. Sortie du réfectoire.

 11-12 Réfectoire : Bonne « bouffe » en général. Jour de steak-frites avec rabs. Le repas de Noël particulièrement apprécié : Même de moi . Le problème de conscience ne se posait pas : il fallait bien que je mange !

 13 Coin poubelles et chêne : Dans ce coin qui bordait le bois et qui se trouvait entre l’extrémité du réfectoire et la Salle de Perm, était un de mes lieux de repos favoris, un lieu un peu isolé qui offrait l’été l’ombre d’un grand chêne et l’automne un tapis de feuilles mortes et de glands. Autour des poubelles venait flâner souvent un clochard barbu, mais on le voyait rarement. Sur ce clochard, on apprit qu’il était très cultivé, mais qu’il avait perdu sa femme. C’est Monsieur Josse, dont je reparlerais plus tard, qui, je crois, nous raconta cela.

  14. Salle de Permanence : Trop bruyante le + souvent pour qu’on puisse se concentrer sur nos devoirs. Les pions manquaient souvent d’autorité. Certains pions par contre n’hésitaient pas à faire copier, chose tout à fait ridicule, des lignes, 50 ou 100 fois : « Je ne dois pas… » Ca m’est déjà arrivé pour je ne sais quelle raison, mais il n’était pas rare de prendre pour un autre ou pour tout un groupe perturbateur. Ceci dit, il m’arrivait de faire mon pitre…

  15-16. Autres préfabriqués : A droite de la Permanence, la classe de musique. Le prof était Mme Batard, très gentille. petite femme trapue. On la suivait au piano par la flûte ou le chant : sur la 9ème symphonie de Beethoven, Quand le Jazz est là, Ma mie, mon bien, mon âme de Brel, etc. C’était toujours un bon moment. Moi, j’étais nul à la flûte, mais elle était indulgente dans ses notes parce que j’y mettais de la Volonté et que j’étais malgré tout passionné pour la musique. Le préfabriqué avait son charme, il donnait une résonance particulière, un peu rustique, comme l’odeur de bois qui y régnait. Les préfabriqués étaient pratiques aussi dehors, car on se servait du marchepied pour s’asseoir.

  17. Terrains de foot en falun : Lorsque personne ne jouait au foot, il m’a            rrivait de chercher avec d’autres des dents de requins et d’autres petits fossiles comme les éponges.

  18. Piscine. Salle et terrain de sport : [Il fallait traverser la rue pour y aller.]

  19. Coin de jeu de billes : Le trou principal était à l’angle.* Voilà pour la présentation.

  En 1985, donc, je fis mon entrée mémorable au collège de la Venaiserie.

  Après un discours de la directrice, l’appel fut assuré par Mme Leveillée. Tous les élèves de 6èmeétaient rassemblés sous le préau. L’attente était longue, excitante  et stressante. MmE Leveillée appela par ordre alphabétique tous les élèves de 6ème A. A chaque nom, on entendait : Présent ! Et ainsi les classes se formaient en rang, pour les 7 classes (de A à H) Moi, j’étais en 6ème E. Je précise que les lettres avaient leur importance. Ainsi, je faisais partie des élèves moyens ou passables, des élèves en difficultés scolaires.

  Une fois la classe faite, notre professeur principal donna ordre de monter en rang sans chahut. Une fois à l’étage (premier ou deuxième), elle ouvrit la porte avec la clé et invita les élèves à prendre une place dans la classe.

  Là se joue pas mal de choses. Certains vont naturellement au fond : les « cancres », d’autres naturellement aux premiers rangs : les « grosses têtes », voir les « fayots », encore d’autres près du mur : peut-être les « dormeurs », les « discrets », ou près de la fenêtre : les « distraits », les « rêveurs ». Certains vont repérer une tête qui leur plait bien, ou se mettre naturellement l’un à côté de l’autre, d’autres vont être indécis et vont chercher, voir attendre que tout le monde soit assis. Il va y avoir en gros des choix libérés, des choix délibérés, des choix hasardeux ou des non-choix. Il faut dire aussi que les premiers regards, les premières paroles échangées sous le préau peuvent être déterminants et que finalement, c’est tout un jeu d’affinités, de personnalités qui commence à se mettre en place tant bien que mal et qui ébauche le groupe avec ses clans. [Avec le temps, une image se fixe sur chacun, les uns se faisant remarquer plus que d’autres. Mais le maladroit, par maladresse. Les réputations se font vite. Et une fois qu’on te colle une étiquette, c’est très difficile de s’en défaire.*] Bref, tout le monde a pris place, moi compris* (je ne sais plus où, mais j’ai dû au moins cherché à mettre devant, contre le mur, ou mieux, contre la fenêtre. Double point stratégique : devant, pour mieux entendre à cause de mes problèmes auditifs, près de la fenêtre pour m’évader au besoin. Le prof se présente. Puis encore un appel : « Présent ! ». On remplit chacun une fiche de renseignements pour elle. Nom, prénom, date de naissance, Adresse, nombre de Frères et sœurs, profession des parents ; Loisirs, et ce qu’on veut faire plus tard.* En plus de tout ça, les achats supplémentaires à la liste de rentrée, l’emploi du temps, et j’en passe… Ca durera 2 ou 3 jours, le temps qu’on voit tous nos profs.

  Le gros avantage des premiers jours c’est de n’avoir ni de leçons à apprendre, ni de devoirs à faire. Le temps est à l’enthousiasme, à l’excitation. Tout est nouveau. Même nos crayons ! Et puis il y’a du mystère : quelle sera la tête du prochain prof ? Sera t-il bien ? Tout ça créer un climat particulier. On a aussi nos petites trouilles : peur de se perdre dans les salles etc…Mais ça fait naturellement partie du temps d’adaptation, et ma foi, on s’adapte vite à tout.

  Que dire encore sur ma rentrée en 6ème *

 

 

 

  Il y’avait, comme je l’ai déjà dit, commune à tous les Frères et sœurs une expression symptomatique qui était devenu un tic commun, une sorte de mot de passe ridicule : « On peut voir que » Chaque réponse un peu plus étayée que « Oui » « Non » « Jéhovah » « Jésus » * commençait par « On peut voir que », sous-entendu : « Tout le monde peut voir ici, c’est écrit, que… ». On peut y voir un gage d’assurance pour tout le monde, compte tenu qu’on ne parle pas en son nom propre, mais au nom d’une idéologie de groupe qui doit être respectée dans son entier. C’est une façon d’appuyer, pour rentrer dans la norme, pour se sentir approuvé, pour se convaincre peut-être aussi d’être dans le vrai, que l’on parle au nom de Jéhovah et de sa parole la Bible et non de soi ou non de quelque homme que ce soit. Tout ce qui était écrit dans La Tour de garde ou dans n’importe quel livre de la Société était parole d’Evangile puisque c’était la nourriture spirituelle que Jéhovah donnait à ses serviteurs par l’intermédiaire de l’Esclave Fidèle et avisé, la Watch Tower Society à Brooklyn, siège mondial de toutes les publications et instructions, répandues ensuite à travers le monde en passant par le Bethel de chaque pays, celui-ci diffusant après traduction et imprimerie la « Tour de Garde » et « Réveillez-vous », périodiques hebdomadaires qui représentent les piliers de l’Organisation. Réveillez-vous et la Tour de Garde se complètent si bien qu’on les allie presque toujours dans la prédication. Qui ne s’est pas vu proposer à sa porte au moins une fois le Réveillez-vous et la Tour de Garde un dimanche matin à l’heure où on fait la grasse matinée ! Les TJ n’encouragent pas à faire la grasse matinée, mais à se consacrer.

 

 

 

  Témoignage brut

 

   Les Témoins de Jéhovah sont-ils dangereux ?

 

   Voici les notes prises au vif, dans l’alerte, lors des réunions ou d’Assemblées de circonscription et de district. J’avais 15 ans*. Bien des années auparavant, lorsque j’étais qu’un enfant, je faisais avec mes frères des bâtons, un bâton à chaque fois que j’entendais  Jéhovah  un bâton à chaque fois que j’entendais Jésus de la bouche du grand monsieur. Ca faisait un tableau*:

 

                                   Jéhovah                                              Jésus

                 

                         

                             I I I I I I I I I I I I I I                           I I I I I I I I I

 

 

 

 

  Après on comptait. Ca devenait un concours entre mes frères aussi. Dès fois qu’on était pas sûr dans un manque d’inattention* ou pour n’avoir pas bien entendu, alors on se tournait en même temps vers papa et lui demandait : « Il a dit Jéhovah ? – oui. Et hop, un bâton !

  Ce jeu peut faire rire. IL peut paraître innocent, mais il ne l’était pas. Il s’agissait d’une méthode active de bourrage de crâne. Quoi de plus parfait comme système que l’       auto-bourrage ?

  Mais un jour on m’a fait comprendre que je n’étais plus un enfant pour faire des bâtons. Deuxième exercice : suivre dans la Bible, c’est à dire chercher à chaque fois dans sa propre Bible un passage qu’on était inviter à prendre puis à lire des yeux en même temps que l’orateur ou qu’un autre Frère ou Soeur le lise. Une fois que j’étais bien rodé, j’ai été encouragé à prendre des notes de ce qui était dit. C’était une véritable gymnastique, puisqu’on abandonnait pas pour autant la recherche des passages bibliques* (ex : Matthieu 24 :14, I Corinthiens 15 :33). Tous les exercice dont j’ai parlé étaient des moyens selon eux d’être toujours attentif.

  Lorsqu’on était gosse, bien souvent on faisait des bâtons ou regardait les images des livres « bibliques » pour faire passer le temps. Mais lorsque la fatigue venait, soit on s’énervait et on se prenait la fessée dans la « petite salle », soit on dormait par terre, surtout lorsque c’était le soir. A noter la fréquence des réunions dans la semaine. Mardi : 2h.  Jeudi : 1h. Dimanche : 2h.

  Pour ce qui est des prises de notes, elles avaient trois fonctions :

-        Retenir l’attention

-        Mieux mémoriser

-        Pouvoir les utiliser plus tard (mais c’était rare que je relise mes notes)

 

  Voici…*

Extrait du carnet de note :

   (24 juillet 88)

  où peut-on trouver la joie en servant dieu.

 

 la joie que procure les plaisirs du monde

 l’amour de l’argent

 1 Timothé 6 : 9-10 la ruine – la douleur

ceux qui moissonnent en vue de la chair

Gal 6 :7-8 la corruption

ce qu’est la joie

satisfaction, attente d’un événement

pr 17 : 22

ce que procure le véritable bonheur

nehemie 10 :18

nouer je avec Jéhovah de bonnes relations

ps 63 :3

la connaissance de la vérité

jude 13 (situation de ceux qui ne connaissent pas la vérité)

jean 8 :32

ps 104 : 468

romains 8 :2

le chrétienne doit pas avoir la crainte de l’homme

jean 17 :3

il y’a plus de bonheur à donner qu’à recevoir. Cela s’applique autant pour la prédication.

Phillippien 4 :2

I thessanolicien 2 :19-20

si nous sommes pas bien recu des gens il faut se dire qu’on a l’approbation de dieu quand même

la persécution est une source de joie si on a foi

les épreuves aussi si on a confiance en dieu et quand on a réussi à les endurer

jacques 1 : 2-5

hébreux 13 : 5-6

la compagnie des frères et sœurs procure de la joie

hébreux 6 :10

colossiens 3 :7-10

amassons les trésors dans le ciel

I Timothé 4 :10

psaumes 100 :2

la joie de jehovah est notre forteresse

on aura un avenir et un bonheur éternel et durable*

 

 

 

 

 

 

*

Epilogue

 

Toute ma non-pudeur  actuelle

Contre tout mon silence passé

Vienne le temps de la Non-pudeur*

 

Le problème avec les mémoires, c’est qu’on ne sait pas jusqu’où aller sans mettre en danger soi et les autres. Le soi encore ne poserait pas de problèmes s’il n’y avait les autres ; en premier lieu la famille, ensuite les amis, enfin tous les autres – le monde – : c’est un mur. Alors il faudrait se peindre sous des lunettes de soleil, plutôt que laisser la lumière traverser ces yeux bleus de vérités et d’eaux troubles. Mais ils ne savent plus quoi dire et même pourquoi dire. C’est grave.

 

NDA: ce petit texte ne faisant pas partie de Mémoire initialement, j'ai trouvé bon de m'en servir comme d'un épilogue.

  *

 

Lettre de retrait de la secte (16 novembre 1999)

 

 Brain, le 16 novembre 1999

 

  Je déclare sur mon honneur, en mon âme et conscience, et en toute dignité que je ne suis plus Témoin de Jéhovah et ne désire plus être considéré comme tel.

    Je ne désire ni appel téléphonique, ni courrier et encore moins de visite d’ancien.*

 

                                                                                                 Mr GENTILHOMME Stéphane

 

 

 

  

 

 NOTES DE MEMOIRE 2ème partie 

 

 Je ne : En marge de ce passage rayé est écrit : « plus loin ». (p67)

 Un plan : en fait, deux. Je place le deuxième en premier. (p67)

Plan 2 : Plan 1. (p69)

L’angle : Il faudrait ajouter : « 20 : Rues » (à droite et en bas du plan) et « 21-22 : Bois de Pignerolles » (à gauche et en bas du plan). (p70)

S’en défaire :  En marge, écrit : « plus loin ». (p 70)

Moi compris : Astérisque dans le texte à ce mot, et en marge du paragraphe, écrit : « Note » (p70)

Plus tard : Je n’ai pas dit que je voulais être rêveur… C’est en tout cas la conclusion de Petit conte d’un petit rêveur, conte écrit en 1999 ou 2000, berçant entre rêve et réalité, et où revenu à cette dernière, le petit Paul (moi) se trouve interrogé par la maîtresse qui lui demande ce qu’il veut faire plus tard… (p 71)

En 6ème Le manuscrit numéroté comprenant la Première et la Deuxième partie s’arrête là. Je mets ici à la suite trois pages indépendantes, non numérotées, écrites dans la même période. Elles développent deux points dont il a été question dans La Première partie concernant les Témoins de Jéhovah (et moi). Ils pourraient s’appeler  « Tics » et « Méthodes ». Le deuxième sujet à la tête duquel j’ai écrit « Témoignage brut » sera suivi par un extrait d’un carnet de notes prises pendant les Réunions ou les Assemblées (de Circonscription ou de District), mais dont la majorité furent prises à ces dernières grandes Assemblées de 4 jours entre 1988 et 1990 qui avaient pour titres : « La Justice divine », « La Piété » et « La Langue pure ». Carnet que j’avais l’intention de publier comme « témoignage brut » et qui devait compléter Har-Maguédon et Mémoire et serait en quelque sorte le summum de l’objectivité, l’objectivité à l’état pur. Je m’en rend compte que maintenant de ce ceci: le deuxième texte (« Méthodes ») est en fait l’introduction à ce « Témoignage brut » que représente mon  carnet. (p 71)

 

« Jéhovah », « Jésus » :  Réponses réservées en général aux enfants. (p 71)

J’avais 15 ans : Ces deux phrases devaient être placées à la fin. Je laisse tel quel. Y compris les maladresses.

Un tableau : Ou mieux : des colonnes.

Durable : Ce sont là les notes d’un discours public du dimanche. Le carnet comprend 140 pages d’une écriture soignée à relâchée, tranquille à excitée ; L’extrait correspond à la première page que j’avais aussi tapé à la machine. Le tout est si assommant qu’une page suffit. Je remarque une petite chose intéressante : tous les noms propres sont écrits en général en minuscule comme « jehovah » à la place de « Jéhovah », même Dieu est écrit « dieu ». ce n’est que dans les notes de 1990, c’est à dire à la veille de mon baptême, qu’ils prennent une majuscule, après une période intermédiaire (1989) où les deux formes se trouvaient : j’écrivis par exemple sur une page « Témoins de Jehovah » entre deux « jehovah », sur une autre « Jehovah dieu ». 

Visite d’ancien : Cette lettre envoyée a été motivé par le conseil appuyé de ma mère : « Il faut être honnête avec soi-même et avec les autres. », ce qu’elle n’a pas tardé à appliquer lorsque cinq ans plus tard elle quitta à son tour les Témoins de Jéhovah. Elle le fit officiellement, contrairement à mon père. Je respecte son choix. Il lui faut peut-être, comme moi, plus de temps.  A été biffé ces ajouts à la fin de la lettre : « Il n’y a qu’une chose que je regrette c’est de ne m’être pas exclu plus tôt. J’aurais peut-être dû m’exclure officiellement par courrier plus tôt. Mais [Je n’ai franchement pas compte à rendre] Vous savez que j’ai eu le temps de réfléchir… »

 

 

 

 ***

DOCUMENTS ANNEXES

 

1

NoteCe texte était placé en tête du début de la deuxième partie. J'ai jugé préférable de la placer ici, étant vraiment à part. Mes jugements sur la société étaient alors très durs, on comprendra pourquoi au cours du texte, de première importance, à la lumière surtout de ce dont il se souviendra par flashs bien des années plus tard de son vécu chez les Témoins de Jéhovah, qui n'apparaît pas du tout dans Mémoire, comme dans Har-Maguédon, et qui sera confirmé par la vision d'un documentaire.

 

Voilà un an que je n'ai plus touché à mon "Mémoire...

 

Voilà un an que je n'ai plus touché à mon "Mémoire". Nous sommes le 19 octobre à la veille de l'an 2000!

Ce livre, est-ce que je vais enfin le finir un jour? Sera t-il publié? Quand? Je ne sais pas. Et à quelle fin? Ca intéresse qui franchement! L'Etat? Les TJ semblent ne pas les déranger.

 Enfin bref, j'ai bien peur de ne plus écrire comme l'année dernière. Je continue d'écrire en me disant que c'est important. Est-ce une nouvelle prise de conscience que j'ai pris? - Pour la première fois depuis que j'ai quitté les TJ, j'ai fait appel à quelqu'un d'autre que à moi-même pour m'aider à résoudre mes difficultés que j'éprouve encore face à la société et à mon intégration dans celle-ci, aussi pourrie soit-elle. Car comment ne pas être révolté lorsqu'on est victime d'un passé comme le mien et que l'on sait pertinement que cette Société  qui se dit démocratique, anti-sectes, ne prend aucune mesure réelle, laisse faire? C'est qu'au fond, elle sait bien qu'elle est coupable de cet état de choses, de la prolifération des sectes, oublient-ils que c'est un signe de la décadence de la civilisation? Au 1er siècle de notre ère, les sectes ont proliféré lors de l'assombrissement de l'Empire romain qui entraîna la chute d'une civilisation destinée à la gloire. Maintenant, l'Argent est un empire à lui tout seul, et les sectes de tout poil comme dit Brassens y prennent leur butin. Quoi de plus normal? Ils profitent de la situation. Les gens, les plus faibles, souvent incultes, tombent dans le piège des belles promesses idylliques d'un monde meilleur. Mais ce qu'ils ne disent pas, c'est que leur monde meilleur se paye, et que ce monde meilleur, c'est l'enfer.

 Hier, j'ai regardé une émission sur "le Patriarche", un gourou aux airs bonhomme pourtant, qui luttait soi-disant contre la drogue en organisant des stages de cure de désintoxication. En fait, il détournait tout l'argent à son profit, argent souvent produit par sa main-d'oeuvre gratuite de drogués, car le travail faisait partie intégrante de la cure. Mais ce n'est pas tout. Violences et abus sexuels sur mineur(e)s étaient devenues choses courantes. Et avec quelle innocence apparente il démentit ses actes. C'est triste. On vit dans un monde où on ne sait plus à qui se fier, car il est aussi facile de mentir que de dire la vérité, sans qu'on puisse en juger par les apparences.

Aujourd'hui, enfin, je termine, j'ai été à l'ADFI (Association de Défense des Familles et de l'Individu, regroupées en Union Nationale UNADFI).

[Qu'est-ce qui m'a amené pour la première fois à avoir recours à un tiers? C'est qu'au cours du Stage BAFA (avec Céméa), j'ai enfreins une règle qu'on s'était fixé.

Voilà ce que j'aurais voulu leur dire.

 

2

 

 Chers lecteurs, certains évènements actuels concernant les Témoins de Jéhovah...

 

 Chers lecteurs, certains évènements actuels concernant les Témoins de Jéhovah et me touchant de trop près pour que je n'en dise rien, m'obligent à enlever la patte sur mes souvenirs momentanément. D'ailleurs, ça ne fait peut-être pas de mal à vous, à ce livre et à moi-même de faire un petit break. Ca commençait à s'ankyloser. Donnons-nous du courage.

 Mais, maman, toi qui vient à l'instant de partir distribuer des tracts en ville dénonçant des mensonges dits sur les Témoins de Jéhovah, toi qui remplie de courage, pleine d'entrain et de conviction m'a dit dans ma chambre: "Faut bien défendre sa foi", me permettras-tu de défendre la mienne sans te sentir attaqué par ton propre fils? Je ne veux pas. Permets-moi alors de ne pas mettre n mère chérie, entre mon lecteur et moi-même, de ne pas te mettre au coeur d'un conflit qui en est pas un et qui n'a pas lieu d'être. Sache seulement que je ne veux en aucun cas manipuler mes lecteurs, mais que je désire plutôt faire le simple récit de ma vie, en essayant de ne pas créer d'effet, aucun artifice, de façon à donner au lecteur un regard objectif qu'il n'est pas facile à avoir, surtout si le lecteur était déjà de plein-pied contre les Témoins avant même d'avoir ouvert ce livre, de façon à ce qu'il ou qu'elle, si c'est une lectrice, tire, en toute liberté, puisque c'est ce pour laquelle je me bats, ses propres conclusions.

                                                                                                                                               29 janvier 1999

 

  *

 

NOTE: Les deux textes suivants sont des introductions à Mémoire. Le premier s'intitule"Avis au lecteur", le second "Avant-propos". 

Ces deux textes sont très inégaux, mais permettent d'entrer dans l'intimité de l'oeuvre qui on le voit devait intégrer Har-Maguédon.

 

 

 

AVIS AU LECTEUR

 

Ecrire un Mémoire est une grande et périlleuse entreprise. Il faut être fort.

Il faut distinguer plusieurs sortes de Mémoires:

[Il y a le Mémoire collectif qui relate des évènements sociaux, culturels, politiques, etc. d'un peuple en devenir . L'auteur est généralement un historien témoin de son temps.

Il y a le Mémoire collectif et individuel. Cette fois l'auteur témoin de son temps peut s'impliquer aussi comme témoin.

Il y a le Mémoire individuel et collectif. Il allie sa propre expérience passée au mouvement général de l'histoire ou éclaire l'histoire à travers sa propre expérience

Il y a le Mémoire individuel ou autobiographie]

Le passé d'un peuple nous renvoie une identité collective. Le passé d'un homme nous renvoie à une identité individuelle, mais l'un ne s'exclue pas sans l'autre.

Pour les uns le passé est symbole de mort (Nietzche insiste sur la nécessité de l'oubli, seule clé du bonheur), pour d'autres, il est symbole de vie (il éclaire l'avenir); Sartre dit que c'est le futur qui décide si le passé est vivant ou mort. En fait, tout dépend de ce qu'on en fait.

Mémoire, que les choses soient claires, n'est pas à la manière de Rousseau une Confession, car la confession part du remord, ce qui est absent ici: il est simple relation des faits, sans commentaires, car tout s'éclaire au fur et à mesure. Il n'est pas enfermé sur le passé, mais s'ouvre sur l'avenir. De même qu'une grossesse et son accouchement n'est pas sans douleur, mais promesse de Vie, de même, si toute rétrospective de son passé n'est pas sans douleur lorsqu'elle touche ce qu'il y a de plus enfoui en chacun d'entre nous, elle doit se faire promesse de Vie. On a peur, par convention, par pudeur (qui est une convention humaine) de se mettre à nu, on a peur du regard de l'autre, d'être jugé, mais cette peur ne peut-elle pas être confrontée, anéantie, si une bonne fois pour toutes on s'avouait tous semblable [étant vulnérables], humains. Me mettre à nu, c'est nous mettre à nu: "Je est un autre" a dit Rimbaud. J'ajoute: "Je" est universel. Il est le fond commun à l'homme [tandis que le "on" généralise l'homme sans faire honneur à l'individu, qui est aussi unique, en le réduisant à un simple maillon d'une chaîne qui s'appelle Société, sans vie propre.] Tout être humain est en devenir et n'est pas prisonnier de son passé. [Il dépend de la volonté de chacun de libérer les entraves.] C'est ce que je vais essayer d'illustrer par l'histoire de ma vie.

 

AVANT-PROPOS

 

Ce livre est tiré de ma propre expérience et ne prétend pas être celle de tous les anciens Témoins de Jéhovah, mais se veut donner un tableau vrai et vibrant d'une communauté religieuse qui est un peu une secte à part, "gentille", presque, par rapport à d'autres, mais subtilement pernicieuse.

Ce livre, c'est quinze ans de souvenirs, deux ans de crise spirituelle, trois ans de mûre réflexion sur un passé difficilement imaginable, comme tout vécu sans doute, mais encore plus lorsqu'il s'agit d'un autre monde.

Enfin ce livre, c'est une étude, presque ethnologique, pour ne pas dire entomologique (relatif aux Insectes), c'est un essai, un mémoire, une autobiographie, etc.

Il ne vise personne, mais un système de pensée; il doute de son utilité, mais espère forcer la curiosité, ouvrir des esprits, car il est convaincu que le Savoir sauve, que "l'ignorance ne s'apprend pas" (Nerval)– faire du bien est son plus grand souhait.

L'auteur a tenu à faire voir autant du point de vue du subjectif qu'objectif, de l'intérieur que de l'extérieur. C'est pourquoi l'ouvrage est composé deux parties: Har-Maguédon qui donne le titre au livre et Mémoire.

Har-Maguédon, composé en 1996 est une sorte de descente en Enfer, drame intérieur, qui sous la forme doit beaucoup à Une Saison... de Rimbaud. C'est un déballage de colère. Il tente de faire vivre de l'intérieur la crise de 1995. Il est sans tabous, sans pudeur, excessif, diront certains, mais il est ainsi écrit, dans sa vérité nue.

Mémoire, éclaire Har-Maguédon, rétablit un équilibre, établit une Vérité à laquelle on ne peut accéder autrement.

Si Har-Maguédon était la graine germinatrice de ce livre, Mémoire, écrite deux ans après, en est la germination jusqu'à maturité. Ainsi passe t-on du nur au blanc, des ténèbres à la lumière, un peu comme cela s'est déroulé dans la vie de l'auteur.

Encore à propos de Mémoire, j'y ai volontairement nommé certains Témoins de Jéhovah sans vouloir leur porter préjudice, seulement pour rendre plus proche au lecteur certains hommes et femmes que j'ai connu et dont je ne pourrais parler sans écrire leur nom. Et pour rendre plus vivant ce livre.

Ce livre, était-ce un devoir de l'écrire? Je ne sais pas. Mon seul regret serait d'être relayé au rayon "Sectes" (dans les bibliothèques), d'entre mes joies celle de pouvoir répondre aux accusations enfin: si être apostat est d'avoir ses propres pensées, alors, Heureux les apostats!

Bonne lecture.

 

 

 *

Note: ci-dessous un texte introductif à Mémoire qui était resté inachevé et datant de 2001. J'eus l'idée d'intituler mon livre que j'avais l'intention de retravailler: "TJ"

 

Témoigner sur les Témoins de Jéhovah n'est pas une chose facile pour moi...

 

Témoigner sur les Témoins de Jéhovah n'est pas une chose facile pour moi. Ce n'est pas facile de dire que j'ai été victime et que m'intégrer à la société, acquérir un statut professionnel, sortir du cocon familial, etc. est le combat quotidien que je mène depuis 5 ans, alors que mes parents sont encore TJ et ne semblent pas en souffrir.

Mon souhait est de faire plus de bien que de mal. Ce n'est pas contre mes parents que je témoigne.

 

 *

TJ ou pas TJ...

 

  "TJ ou pas TJ, telle est la question".

 (pensée "shakespearienne" datant du 3 avril 2001)

 

 

*

AUTRES DOCUMENTS

 

 

 
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conseils oratoirs TJ (verso)20171206_11384110



 

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 ***

 

Le 1er juillet 1999, je fis un contrat d'insertion avec une gentille assistante sociale et devint "Rmiste" (bénéficiaire du Revenu Minimum d'Insertion).

 Du 19 juillet au 26 juillet 1999) , je passai mon stage de BAFA base à Clisson. Il fut émis "Non favorable". Voici pourquoi: [...]

 

Il me semble qu'on me demanda de faire un courrier de motivation pour repasser le BAFA base. J'écrivis donc ces deux conclusions dans un ordre inconnu, mais qui me semble dans le bon ordre ci-dessous, dont je soulignerai quelques passages. 



Premier courrier:

" Après mûre réflexion, je crois qu'il faut relativiser les choses. J'ai fait un dérapage, rien de plus. Ça fait partie des erreurs humaines non des fautes graves [ou alors dites-moi que vous respectez toujours autrui]. Avoir un sentiment de culpabilité et légitime est une chose, s'en faire un délire en est une autre. J'en ai tiré leçon. Je crois qu'il ne faut pas dramatiser une chose qui n'a rien d'un drame et qui a été ensuite réglé de façon adulte. On fait tous des erreurs. Être adulte ce n'est pas de [faire des erreurs] ne faire aucun dérapage, c'est d'être en mesure d'agir en conséquence. La capacité qu'on a aussi de régler entre nous des problèmes dans le [plus grand] calme [d'esprit].

"C'est vrai que c'est la première fois que je vis une [expérience] vie de groupe aussi forte depuis que j'ai quitté les TJ, quitté ce monde fermé depuis 4 ans. J'ai parcouru déjà un chemin immense. Et c'est parce que je me sentais assez mûr pour vivre une telle expérience de groupe que j'ai décidé de faire le BAFA, ce que j'aurais pas pu assumer il y a 3 ans et le problème que j'ai rencontré est dû à un manque de repère dans un seul domaine.

"Le fait de vivre dans un organisme peut amener une perturbation de la personnalité."


Deuxième courrier:

"J'ai fait un débordement sur la règle n°4: le respect d'autrui. Je n'étais pas assez fort pour vivre une vie de groupe aussi forte, compte tenu de mon histoire. Je me suis mis en danger.

"En conséquence, j'ai décidé de passer l'éponge pour sauver mon honneur, de repartir à zéro, de refaire une autre formation de base avec la mention "non satisfaisant".

"J'ai pris une claque dans la gueule, à moi d'en tirer leçon et peut-être à tous de bien réfléchir sur ce que c'est d'être Animateur."

 

Le 10 août 1999, j'écrivis une longue lettre au directeur de la formation CEMEA:

 

 

 

                                 " Brain, le 10 août 99

 

 

Cher Jean-Marie,

 

Comment vas-tu ? Moi ça va. Je me suis remis de mes émotions. Je tiens à te remercier, toi et l’équipe d’animateurs pour ce que vous avez fait pour moi. Je suis serein et très confiant pour l’avenir, même si ce ne sera pas toujours facile. Là j’ai profité à mon retour du stage pour faire un peu le vide , je me suis bien reposé et aussi beaucoup défoulé avec mes amis d’Angers et même avec certains stagiaires de Nantes. On a le projet de camper une semaine ensemble à la Turballe – fin août. En attendant, je fais des démarches. Je n’ai débuté que ce matin ; J’ai été voir mon assistante sociale. J’en ai profité pour lui expliquer ce qui s’était passé. Il n’y a qu’elle et mes voisins qui savent que je vais repasser une formation de base et qui savent pourquoi. Pour le reste, je n’ai pas jugé nécessaire d’en parler, et sans aucun scrupule. J’attends au moins d’avoir mon permis de conduire que je vais passer juste après mon repêchage en début septembre. Je compte après m’installer à Nantes pour bien des raisons.

Sinon, je vais contacter les organismes que tu m’as conseillé. Je pense qu’il me sera profitable de parler avec eux de mon expérience. Qui sait si mon témoignage ne lui sera pas aussi quelque peu profitable.

Cette après-midi, j’ai replongé un peu mon nez dans ce que j’avais écrit : 11 classeurs de manuscrits, c’est énorme ! Je n’ai plus d’ambition littéraire. Je suis surtout convaincu de la valeur documentaire de cette « œuvre » qui est un tout qui retrace années après années à partir de 1990 un cheminement intérieur. C’est que ça gamberge là-dedans ! Je me dis que ce serait bien qu’un jour ce soit publié. Je ne tiens pas tellement à ce qu’on connaisse l’auteur, ni à en tirer quelque fortune. Si ça peut apporter quelque bien, je serais plus satisfait que n’importe quel écrivain. N’est-ce pas Rimbaud qui a dit « On n’est pas sérieux quand on a 17 ans »? Voilà un homme à qui je fais chapeau bas*, parce qu’il a su dire merde à la Littérature (monde fermé et fier) pour dire oui à la Liberté, à la Vie, à l’Action. Je crois que son plus grand mérite est là, indépendamment du fait qu’il a été le plus beau génie poétique et l’un des plus grands « magiciens du Verbe » avec Lautréamont son aîné, qui lui aussi a fait couac. Si je te parle de lui, c’est un peu parce que ça m’a fait plaisir que tu l’évoques et surtout parce que sans faire exprès mon histoire a rencontré la sienne, à la différence près que j’ai eu une expérience religieuse plus poussée que lui (mais lui aussi connaissait la Bible par cœur !) et que moi, je ne suis pas allé en Abyssinie purger mon passé. Enfin, bon, j’vais pas t’écrire une thèse sur Rimbaud : on a d’ailleurs tant écrit sur lui, lui qui a écrit si peu, que je voudrais pas me ranger parmi ces « rimbaldiens » bavards ! Mais saches que je suis prêt à te laisser n’importe quoi de mes écrits si tu en as envie, si tu désires mieux comprendre certaines choses, bref de te documenter, de plonger dans cet ou ces univers qui furent les miens. – Pas de problème ! Ce sera avec plaisir et toute la confiance que j’ai pour toi. Seulement, si ça te tente, fais-le pour toi, pas pour moi – mais ça, est-il besoin de te l’dire…

Enfin, avant de te quitter, j’aimerais juste te demander conseil pour trouver un stage pratique. Quel organisme me conseilles-tu, CEMEA mis à part ?

Sur ce, je te dis A plus Grand-père !…

Bonjour à Nicolas et… merde ! je me souviens plus son nom ! Guillaumain ?

Enfin,

Je vous prie, Monsieur, de recevoir l’expression de mon profond dévouement ;

 

 S G

 

 

ŒUVRES COMPLETES (13 volumes)

 

 

Tome 1 : 1978 ( ?) – 1993 correspondance. Premiers poèmes

Tome 2 : 1994 correspondance. Premières nouvelles. Suites poèmes

Tome 3 : 1994 correspondance. Suite nouvelles. Suite poèmes.*

[* Ces trois premiers tomes sont regroupés sous le titre en marge « Histoire d’une correspondance ». La date 1978 a été choisi par ce que de cette année daterait le plus ancien témoignage écrit (accompagné d’un dessin) que je possède : une carte pour la fête des mères, enfin la mienne…]

Tome 4 : 1995 Souffle grand recueil de poèmes. Influences Baudelaire surtout

Tome 5 : 1995 correspondance et autres écrits en maison de repos.

Tome 6 : 1995 Le Pur Tragédie Kitch inspire du Livre d’Esther (Bible)

Tome 7 : 1995-1996 Correspondance littéraire et autres écrits (De ma chambre lunaire) Poèmes : Oiseaux-oiseaux

Tome 8 : 1996 Har-Maguédon : Attention chef-d’œuvre ! un peu ma « Saison en Enfer » Même violence.

Tome 10 : 1997 Soleil Après l’orage¸le beau temps ! Chant d’Amour, de Liberté un peu à la André Breton (photos) mais beaucoup moins snob !

Tome 11 : 1998 correspondance. Divers écrits dont une parodie de l’Ecclésiaste* (non achevé)

Tome 12 : Fin 1998 – début 1999 Mémoire : Livre de souvenirs. non plus subjectif et violent comme Har-Maguédon mais objectif et serein. Incontournable ! (mais inachevé pour l’instant…) mais ça sent le « Grand-Œuvre ! »*

Tome 13 : 1999 avant BAFA

Le Petit Apprenti de la Vie : un livre résumant mes pensées sur la vie avec des mots qu’un enfant peut comprendre (inachevé)

Fables de la Belette Fables de La Fontaine remixées et fables miennes. Pas de morale explicite, sauf pour rire !…

 

Note : Correspondance d’une importance capitale. C’est un peu le Thermomètre dans l’cul ou le satellite de la Terre. On peut comparer ça aussi à l’éjaculation avec ses bienfaits. À côté de ça, j’ai aussi de purs documents (non littéraires) que ce soit des notes prises aux réunions ou aux assemblées, d’une chronologie biblique que j’avais faite étayée par de nombreuses recherches archéologiques, du décorticage sensuel du Cantique des cantiques ou encore d’un poème prédicatoire intitulé « La pêche aux hommes » !

Tu t’imaginais peut-être pas que j’avais autant écrit et en six ans seulement. Et ce qui était au début un simple exutoire est devenu une vocation sérieuse au fil du temps. Je peux dire que je me suis vraiment senti poète en 1995. j’avais cherché à publier Souffle chez Gallimard, mais ils avaient refusé pour cause de provo*. J’ai été longtemps sans m’en remettre, car j’y avais mis tout mon cœur, mes tripes, de plus, j’y avais fait pas mal de trouvailles poétiques, j’avais vraiment bossé. Naturellement, je me suis cru « maudit ». Peut-être que s’ils avaient su que j’avais été TJ, ils auraient vu ça différemment, mais le fait est que je ne voulais pas influencer leur jugement par une note extra-littéraire. Je voulais tout simplement prouver que j’existais. Je n’ai rien publié depuis et tant mieux. Ça m’a permis de mûrir. Chaque échec a été un tremplin pour moi. Ça m’a rendu plus fort. Jamais je n’ai été plus fier qu’aujourd’hui [car je sais que ma patience et mon courage paieront un jour, bientôt]. Un jour ça paiera, j’en suis sûr. Ça déjà payé pour bien des choses.

Après avoir embrassé le Rêve, je veux embrasser la Réalité. Maintenant l’essentiel de mon existence va se passer sur le terrain. Je le sais. Imagine-toi seulement le chemin que j’ai fait pour m’éveiller à la Réalité avec ces trois paramètres en main : né prématuré (resté 2 semaines sans contact sous une bulle), été élevé dans une Bulle, et être sorti pour être tombé dans une troisième bulle* . En schéma ça peut donner un cercle à trois dimensions déconcentriques

 

 

 

[Schéma]

centre : Rêve

Périphérie : Réalité

 

 

 

Imagine-toi seulement ça et tu sauras que rien de ce qui est humainement possible ne m’est maintenant impossible et logiquement ma force intérieure se doit être multiplié par 3 ! ou par 4 ! La quatrième dimension existe, pour moi. J’y suis !"

 

Extrait de lettre à une stagiaire du BAFA dont j'étais tombé amoureuse et avec laquelle j'eus une correspondance d'été.

 

"Salut Aïcha,

 

 "J'étais vraiment content de t'avoir au téléphone. Je vois là que tu n'as pas perdu de temps. Je me suis mis aussitôt à t'écrire. Tu me manques beaucoup. À la Baule, j'étais triste quand tu es parti, mais quel plaisir que j'ai eu d'entendre jouer par les musiciens du café la si belle chanson de Khaled portant ton nom, peu de temps après que tu nous aies quitté.

 

On a passé de merveilleux moments ensemble. Pi tu vois, c'est la première fois depuis que j'ai quitté les Témoins de Jéhovah il y a 5 ans que j'ai des amis personnels. [Je m'explique] J'ai bien d'autres amis sur Angers, mais ce sont d'abord les amis de mon frère [de 24 ans](celui qui a eu son permis), car ils ont été au lycée ensemble et donc les connaissait avant. Ils ont donc plus d'affinité avec mon frère, ce qui est normal. Tu peux pas savoir à quel point ça m'a fait du bien de passer le BAFA. Ça m'a permis entre autres de libérer ma vraie nature, d'exprimer mes pensées, ce que je faisais rarement avant, conditionné plus ou moins par une image qu'on s'est [forgé] faite de moi, par une place qu'on m'a donné, qui n'est pas celle que je désire avoir.

 

" C'est vrai que j'ai traversé aussi des moments très difficiles liés au conditionnement religieux. Même sorti de là-dedans, il m'a fallu 4 ans avant d'être comme tu me connais. Je suis heureux. Je t'assure, je pourrais faire un roman.

 

"Pour toi, j'imagine que ce ne doit pas être toujours facile de porter une double identité et pas savoir ce qu'on est vraiment – ni pour soi, ni pour les autres. Pi y'a tellement de préjugés partout. Je crois que la chose la plus difficile qui existe, c 'est de changer les mentalités [qui repose sur l'éducation]. Va dire à un enfant [ou même à un adulte] à qui sont père a dit que les arabes ou les noirs sont pas bons, va lui dire le contraire! Pas évident! Pourtant, je suis convaincu qu'on peut changer les mentalités avec du temps, de la compréhension, et beaucoup, beaucoup de patience, de courage et tout. C'est mon but dans la vie. C'est pour ça que je veux être éducateur, après avoir eu une assez longue expérience dans l'animation.

 

"J'étais vraiment trop content que des jeunes du quartier (qui portent en général une sale image) fassent le BAFA. Je trouve ça très positif. Abdel, Mickael, Majid, etc. Sont très cool. J'aime leur spontanéité, leur sincérité, leur esprit de solidarité. À chaque fois que quelqu'un a eu un problème, ils étaient là. Je suis content de les avoir pour potes. J'en suis même fier.

 

Tu te demandes combien de pages je vais t'écrire. Je ne sais pas encore. Ça fait vachement longtemps que je n'ai pas écrit de lettres à quelqu'un. Y'a une période où je me suis tellement confié . Faut dire aussi que je n'étais pas assez mûr pour le faire J'ai appris à communiquer, pas seulement par lettre, eh oh! Non, vraiment, la communication est la chose la plus importante dans les relations humaines. Je le sais parce que j'ai souffert de manque de communication. Je te dis pas la place qu'elle aura quand [j'aurai une femme] quand je sortirais avec une femme et que plus tard on aura des enfants. On se rend malheureux et on rend malheureux les autres quand on parle pas. Ça créé des problèmes, pas vrai?

 

Aïcha, j'ai envie que tu sois heureuse et que tu sois libre.

[...]

 

 

 

 

 

 

 

 

20 novembre 2017

Poèmes

 

Les Poupées

 

 

 

Je crois qu’elles vivaient au cœur de ma pensée

Nocturne et sans crainte, et sans doute

Au tréfonds de mon fond, aux côtés de ma moumoute,

Et j’étais leur enfant, leur âme consolée ;

 

Aussi, des poupées, j’en ai adoptées,

Comme des fillettes pressées contre mon cou

Où elles jouaient bien leur rôle de nounou

Des confidentielles paroles inexprimées.

 

Elles voulaient servir de mon bouc émissaire ;

Hélas de mon cœur j’étais la bête noire

Pour lequel nul pardon ne pût servir de suaire

 

Si les mains à tâtons n’eussent trouvé moire,

Du ténébreux couloir une seule luisance

Que pour tarir les eaux du sort Silence.

 

 

 

 

Moi enfant me cachant derrière ma poupée dans une photo de groupe (Chillon 1977)

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

Lettre en vers d’un enfant de cent ans

 

 

Dieu mon ami

Dieu mon ami

Dieu mon ami

Dieu mon ami,

 

 

Serrons-nous mains à présent

Serrons-nous mains à présent

Serrons-nous mains à présent

Serrons-nous mains à présent

Comme quand on était enfant

Comme quand on était enfant

Comme quand on était enfant

Comme quand on était enfant

A Saint Barthélémy

A Saint Barthélémy

A Saint Barthélémy

A Saint Barthélémy

Rue Parada

Rue Parada

Rue Parada

Rue Parada

Avec Henry

Avec Henry

Avec Henry

Avec Henry

Riri

Riri

Riri

Riri

Te souviens-tu ces jours grands ?

Te souviens-tu ces jours grands

Te souviens-tu ces jours grands

Te souviens-tu ces jours grands

Ces jours

Ces jours

Ces jours

Ces jours

Si grands

Si grands

Si grands

Si grands

Si…

Si…

Si…

Si…

 

Dieu mon ami

Dieu mon ami

Dieu mon ami

Dieu mon ami

 

J’avais zéro dans ma mémoire

J’avais zéro dans ma mémoire

J’avais zéro dans ma mémoire

J’avais zéro dans ma mémoire

J’savais pas dire que Blanc que Noir

J’savais pas dire que Blanc que Noir

J’savais pas dire que Blanc que Noir

J’savais pas dire que Blanc que Noir

Qu’tu m’racontais des Histoires

Qu’tu m’racontais des Histoires

Qu’tu m’racontais des Histoires

Qu’tu m’racontais des Histoires

Du p’tit du vert paradis Blanc

Du p’tit du vert paradis Blanc

Du p’tit du vert paradis Blanc

Du p’tit du vert paradis Blanc

Souviens-nous quand

Souviens-nous quand

Souviens-nous quand

Souviens-nous quand

T’es né ?

T’es né ?

T’es né ?

T’es né ?

Non ?

Non ?

Non ?

Non ?

O !

O !

O !

O !

Mon Dieu

Mon Dieu

Mon Dieu

Mon Dieu

Dieu mon ami

Dieu mon ami

Dieu mon ami

Dieu mon ami

Dieu

Dieu

Dieu

Dieu mon ami

Dieu mon ami

Dieu mon ami

Dieu mon ami

Mon ami

Mon ami

Souviens-nous comme

Souviens-nous comme

Souviens-nous comme

Souviens-nous comme

On a croissé et croissé

On a croissé et croissé

On a croissé et croissé

On a croissé et croissé

A regarder

A regarder

A regarder

Tous deux la télé

Tous deux la télé

Tous deux la télé

Tous deux la télé

J’avais moi

J’avais moi

J’avais moi

J’avais moi

Des visions dans la tête

Des visions dans la tête

Des visions dans la tête

Des visions dans la tête

T’avais toi

T’avais toi

T’avais toi

T’avais toi

T’avais toi

L’Esprit d’une Planète

L’Esprit d’une Planète

L’Esprit d’une Planète

L’Esprit d’une Planète

Dieu mon ami

Dieu mon ami

Dieu mon ami

Mon ami

Mon ami

Mon ami

 

Dieu mon ami

Dieu mon ami

Dieu mon ami

Dieu mon ami

Et pi

Et pi

Et pi

Et pi

Dieu mon ami

Dieu mon ami

Dieu mon ami

Dieu mon ami

Comme comme à la récré

Comme comme à la récré

Comme comme à la récré

Comme comme à la récré

On s’ennuyait les bras croisettes

On s’ennuyait les bras croisettes

On s’ennuyait les bras croisettes

On s’ennuyait les bras croisettes

Dieu mon ami

à

à

à

à

Dieu mon ami

à…

à s’foutre doigts dans l’nez

à s’foutre doigts dans l’nez

à s’foutre doigts dans l’nez

à s’foutre doigts dans l’nez

Roulés

Roulés

roulés

roulés

et

ROULES

Comme galipenttes

Comme galipenttes

Comme galipenttes

Comme galipenttes

Dieu mon ami

Dieu mon ami

Dieu mon ami

Dieu mon ami

 

Dieu mon ami

Dieu mon ami

Dieu mon ami

Dieu mon ami

As-tu crevé mes PLEURS

As-tu ’touffé mes CRIS

De ma MEMOIRE

Pansé ces maints SOUVENIRS

PENSEES

D’L’OMBRI DE TA MAIN

DEPUIS QUE JE SUIS NOIR

?

Dieu mon ami

Dieu mon ami

Dieu mon ami

Dieu mon ami

Restons amis…

 

Que je chante la colère aux hommes

Que je comprends

Que tu pourrisses Péché de la Pomme

D’Eve et d’Adam

O tolère ces vers à la gomme

D’un enfant de cent ans

Oh ! Je sens ! poussière combien prud’homm

Esque – Je le sens

Dis-moi mon ami

Dis-moi qu’il y sera ce Paradis

Ce paradis qu’Enfant tu m’as promis

Lorsqu’innocent je ronflais dans mon lit

Que sous mes draps priais ton Paradis

Je le voyais même plein plein de brebis

D’animaux tous tous mes amis

Comme le disait ton Prophète Esaïe

 

« Et le loup résidera

Temporairement avec l’agneau

Et le léopard se couchera

Avec le chevreau et le veau

Et le jeune lion à crinière et l’animal bien nourri

Et le petit garçon C’était moi oui

Sera leur conducteur.

Et la vache et l’ourse pâtureront

Et de tout cœur

Leurs petits ensemble se coucheront

Et même le lion mangera du gluis

Avec le taureau et avec la brebis

Et le nourrisson jouera sur le creux

Du cobra

Et sur la lucarne du serpent venimeux

L’enfant sevré mettra son bras. »

 

 

L’enfant ! l’enfant ! l’enfant ! je le vis !

Cet enfant encore que je suis

L’enfant une fois mûri et vieilli

Espère toujours son Paradis

Où comme des fleurs pousse la Poésie

Et tout l’monde est heureux et tout l’monde est gentil

Même les chèvres tu les a adoucis.

 

 *

 

 

 L’Esprit masturbateur

 

 

Précocement j’éjacule spasmodique –

Ment un sperme qui jouit

Essence qui pue la honte et la joie

D’éjaculer un Besoin

Absurde et profond

Qui cri et ne sait quoi de ce produit

Penser

Plaisir éphémère

Plaisir nécessaire…

 

……………..

 

La guerre est finie

Le Sang l’alcool le truc sortit

Blanc comme mon cul a tout dit

 

J’en mangerais bien ! je dis

Alors que

Le repos

m’indique

de

son

doigt

plongeur

et

content

un SOMMEIL…

 

VITE !

J’essuie de ma culotte cette… (en sept)

Cette… Chose

Ce lait de ferme

De la bonne conscience

caillé lait Ce

Gluant fromage Ce

Ce chose

DEGUEU.

 

Le

Doigt

Mou

n’a

pu

pu

de

P O U

V O I

R

 

Il s’est exprimé

Puis tut –

Comme à l’école avec le maître –

Parce qu’un DESIR

Au début peut-être

Et ensuite être peut

Une PEUR DU FOUTU

 

L’A SURPRIS –

 

Un FEU

De bête

Et Bien-être

IMPUISSANT comme la pisse au lit

 

L’A SAISIT –

 

Nous étions deux

Coupables…

 

Ma main est vilaine ainsi ma virilité

De couillon

Malpropre et Malheureuse.

 

Les transes nocturnes m’ont enfin assommé Tant mieux !

Je suis sauf

Seulement sauf

– sale comme un divin porc !…

Avec l’espoir d’un orgasme amoureux

LA – BAS

Où le foutre peut couler toute sa folie d’aimer

D’une concupiscence Immaculée.

 

 

  *

 

 

 

La Lithobie

 

 

La lithobie me fait pitié et très horreur,

Surtout très pitié pour toute sa terreur,

Mais du tout je n’ai pleurs, ou alors ils SONT par lui.

 

So good Godwhypor qué, pourquoi tant de fureur ?

En toute clairvoyance, où est le ennemi ?

Je perçois dans ses pinces son propre cœur…

 

En vain j’ai cru voir des yeux de meurtriers,

Parce qu’au tréfonds, j’ai vu : un Cœur frémit,

Et où des saints, des pieux l’ont damné en Maudit

Je glisse une fleur simple: ici son cendrier.

 

- Sa mort fut très juste ; amuse toi, petit !

Ébruita la Vertu en me voyant plier ;

Oh ! je sentais mes membres se multiplier –

Et, lourdement, mon ventre rampa tout petit… 





*





 



 



 



 



 



Mur



 



Su j’uvu…



(si j'avais)



Su j’uvu SU



(si j'avais su)



Su j’uvu…



(si j'avais)



Su j’uvu VU



(si j'avais vu)



Su j’uvu…



(si j'avais)



Su j’uvu PU



(si j'avais pu)



Mus j’u pu SU j’u pu Vu j’u pu PU



(Mais j'ai pas su, j'ai pas vu j'ai pas pu)



Ut ju sus dus lu rue du mu SULUTUDE



(Et je suis dans la rue de ma solitude)



Su j’utu…



(Si j'étais)



Su j’utu LU



(Si j'étais lui)



Su j’utu…



(Si j'étais)



Su j’utu VUS



(Si j'étais vous)



Su j’utu…



(Si j'étais)



Su j’utu TU



(Si j'étais toi)



Su j’utu…



(Si j'étais)



Su j’utu PLUS



(si j'étais plus)



Mus j’sus pu LU j’su pu VUS j’sus pu TU



(Mais j'suis pas lui, j'suis pas vous, j'suis pas toi)



Ut su j’utu PLUS



(Et si j'étais plus)



Ju crus qu j’suru pussu UNUPURCU



(Je crois que j'serai passé inaperçu)



 



 



Uh ! Su j’uvu utu une UZU !



(Ah! si j'avais été un oiseau!)



- N’upurt lu qul



(N'importe lequel)



purvu qu'ul VULE -



(pourvu qu'il vole)



Une uzu qu cunnu pu



(Un oiseau qui connait pas)



Lu Biu u lu Mul



(le Bien et le Mal)



Mus j’u utu une HUMME



(Mais je suis un Homme)



Mulhuruzmu…



(Malheureusement)



Mudussuz mu !… Ju mu mudus mu mûme



(Maudissez moi!... Je me maudis moi-même)



Mun PURUDU çu utu mu CHUR



(Mon paradis ça été ma chair)



Mun UFUR çu utu munn UNNUCUCE



(Mon enfer, ça été mon innocence)



J’u cupu lu Mun du ut du



(J'ai coupé la Main de... et de...)



Ju… Ju… Ju… Ju ju ju ju ju jujuju



(Je... Je... Je... Je je je je je jejeje)



JE VEUX GERBER MON CŒUR !



QUE VOUS BUVIEZ MA GERBE DE MA VIE…



UTURIUR !



(intérieur!)



Mus PUSUS qu ju sus pu DURE uvut



(Mes pensées que je sus pas dire avant)



Qu j’u pur du dure… … …



 



… …



… … …



 *



 

Troisième printemps !

 

Ils pourront tous me violer,

Mais…

Ils n’auront pas ma plume ! ! !

 

Théos des dios et putana d’merdios !

Vous allez voir

Que la Tête et la Queue vont s’unifier : le Charnel

Et le Spirituel.

Vous saurez, bande de sauriens !

(bande !)

que DIEU n’est pas qu’Esprit… ou alors de chair

et d’os : c’est un phallus, un PHALLUS !

Il a la tête, nous avons la queue avec ses testicules,

Et de là éjaculent

Vers Dieu

Nos sentiments, notre vie, notre semence éternelle !

Croyez-vous donc qu’il nous recrache ignominieusement

Ce sperme dont il est le créateur ?

 

Troisième printemps !

 

Adorons le sans trouble, sans tremblement, humanité troublée ! ! !

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Témoignage d'un ex témoin de Jéhovah (de 0 à 22 ans) autiste Asperger devenu artiste
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